" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 8 octobre 2013

Monarchianisme et subordinatianisme

Nous croyons en la Sainte Trinité, c'est-à-dire en un Dieu unique en Trois Personnes divines, le Père, le Fils et le Saint Esprit, trois Personnes divines en un seul Dieu. Devant ce grand mystère révélé, deux vérités semblent s’affronter dans une union impossible. Comment peut subsister l’unité de Dieu dans un Dieu trine ? 

Les premières grandes hérésies ont cherché à préserver l’unité au détriment de la distinction des Personnes divines, les confondant plus ou moins. La Personne du Fils finit par être absorbée dans celle du Père. Telle est l’erreur du monarchianisme. Pour répondre à ces hérésies, qui nient la Sainte Trinité, d’autres doctrines ont cherché à mettre en valeur la distinction des Personnes pour insister sur la Sainte Trinité. Elles se sont alors efforcées de définir les relations existantes entre les Personnes divines au sein de la Trinité. Certaines de ces doctrines se sont radicalisées au point de commettre d’autres erreurs. A force de vouloir séparer les Personnes divines, ils ont fini par les séparer réellement, remettant en cause l’unité divine. Se sont alors développées les hérésies subordinatianistes, comme l’arianisme, une des plus grandes hérésies chrétiennes…

Contre le polythéisme païen et le dualisme des sectes gnostiques[1], le monarchianisme affirme l’unité de Dieu conçue de manière abstraite dans laquelle il n’y a pas de place pour la pluralité. Il veut garantir absolument le « Principe unique », la « Monè archè ». Selon certaines doctrines monarchianistes, dites ébionites ou dynamiques, comme celle développé par Paul de Samosate, le Christ est considéré comme un homme pur et simple. Paul de Samosate attribuent au Fils une force divine, impersonnelle. D’autres doctrines, dites modalistes ou patripassiennes, comme le sabellianisme, admettent une Trinité mais une Trinité apparente et non véritable. Elles conçoivent la Personne divine comme une manifestation extérieure d’un seul Dieu. Selon Sabellius, Dieu s’est manifesté comme Père dans la Création, comme Fils dans la Rédemption, comme Saint Esprit dans la sanctification. Le sabellianisme a notamment été condamné par un concile régional, celui d’Antioche (268) et par le Pape Saint Félix.

Le subordinatianisme est une position radicalement contraire au monarchianisme. Antithèse du sabellianisme, l’arianisme, par exemple, prétend que le Fils est subordonné au Père car il serait né dans le temps et donc créature de Dieu. Dieu le Père est le seul Dieu par essence. La perfection divine Le rendant absolument inaccessible, Il est au-dessus du Monde. Le Fils n’est qu’une créature, certes suréminentes par rapport aux autres créatures mais une créature du Père. Cette hérésie a donné lieu au premier Concile de Nicée (325) et à la première définition solennelle de la foi. La macédonianisme, autre doctrine subordinatianiste, étend l’hérésie arienne au Saint Esprit, enseignant que le Saint Esprit est créature du Fils comme le Fils est une créature du Père. Le Concile de Constantinople (381) condamne cette nouvelle erreur et complète la profession de foi définie au Concile de Nicée,.

Le subordinatianisme remonte à des idées fortes imparfaites, influencée notamment par le gnosticisme, surtout par le valentinisme, qui cherche à expliquer la procession du Fils : Dieu produit le Démiurge, destiné à devenir créateur de l’Univers. Il nous rattache aussi au néo-platonisme, représenté par Photin et Porphyre. Photin conçoit un « Principe », inaccessible et immuable, le seul inengendré, et une « Raison », qui découle du « Principe », créatrice et âme du monde visible. 

Saint Denys d'Alexandrie
Le subordinatianisme a pu aussi se développer à partir de doctrines anciennes de certains Pères de l’Église, qui, dans leur réfutation du monarchianisme, semblent définir une certaine hiérarchisation entre les Personnes divines, faute de vocabulaires et de concepts précis. Saint Denys d’Alexandrie nomme ainsi le Fils œuvre du Père tout en affirmant qu’il n’a voulu parler que de la Procession du Fils par laquelle le Père est le principe du Fils. Sa foi est intacte mais la formulation maladroite. Les spéculations sur les relations des Personnes divines sont étudiées le plus souvent d’une manière subordinatianiste. Origène semble affirmer que le Fils est inférieur au Père tout en étant Dieu, existant éternellement selon les Saintes Écritures. Néanmoins, sa position est restée ambiguë. C’est pourquoi, aujourd’hui, Origène est considéré comme « le père commun de l’hérésie arienne et de l’orthodoxie »[2]. 


Le subordinatianisme sépare essentiellement du Père le Fils et le Saint-Esprit au point d’en faire les créatures du Père tout en affirmant qu’ils sont des créatures d’un genre plus élevé et existant avant tous les temps. Le Fils est considéré comme subordonné au Père parce qu’Il provient de Lui. De fait, il est déclaré « plus ancien »[3]. La procession du Fils apparaît comme un acte de création donc temporel. Elle semble aussi marquer une diminution de la plénitude de l’Être de Dieu. Il y a ainsi une analogie trompeuse entre la réalité en Dieu et notre propre réalité. En usant de telles analogies et en raisonnant selon notre propre manière de penser, dans un cadre temporel, la spéculation peut être source d’erreurs. Elle nécessite donc beaucoup de précaution et de précision. 

Origène
Si « chez les Pères grecs du IIIème siècle, tout ne fut ni clair, ni sûr dans la théologie du Fils de Dieu », cela ne veut pas dire « qu’on ne trouve pas dans la tradition antérieure d’affirmations précises sur la divinité du Verbe, révélée à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament »[4]. L’Église n’est pas non plus restée silencieuse face aux dangers d’une spéculation imprécise. La position subordinatianiste de Saint Denys d’Alexandrie, disciple d’Origène, a suscité la vive désapprobation du Pape Saint Denys. « Ensuite, je dois m’adresser à ceux qui divisent, séparent et détruisent la monarchie, l’enseignement le plus véritable de l’Église de Dieu, en trois puissances et hypostases séparées et en trois divinités […] On ne blâmera pas moins ceux qui soutiennent que le Fils est une créature[…] Si donc le Fils a été fait, il y eut un temps où cela n’était pas ; et il y eut donc un moment où Dieu était sans cela ; ce qui est totalement insensé »[5]. Denys d’Alexandrie a reconnu son erreur et a rectifié sa formulation trop équivoque.

Le subordinatianisme s’est aussi appuyé sur une mauvaise interprétation de certains versets de la Sainte Écriture qui en première apparence semble exprimer une certaine inégalité entre Dieu le Père et Notre Seigneur Jésus-Christ. «[…] mon Père est plus grand que moi » (Jean, XIV, 28). Ce verset peut en effet fausser le jugement si la distinction des natures en Notre Seigneur Jésus-Christ n’est guère comprise. Selon sa nature humaine, Notre Seigneur est en effet inférieur au Père. La connaissance de la Sainte Trinité est forcément liée à celle du Christ. Les erreurs d’interprétations peuvent donc s’expliquer par une connaissance incomplète ou imprécise du mystère de l’Incarnation. Le dogme est définitivement formalisé au Concile de Chalcédoine (451).

L’Église, notamment par les conciles, a apporté des éclaircissements nécessaires sur le mystère de notre foi (formulation claire et précise de la foi, vocabulaire bien défini). La condamnation des erreurs est aussi un moyen efficace pour définir la doctrine. Elle a aussi précisé ou rejeté des interprétations de certains passages de la Sainte Écriture qui posaient difficulté.


« Autre chose est d’exprimer le dogme trinitaire dans le cadre de la simple profession de foi de l’Église et d’autre chose de l’exposer de manière spéculative. Sous le premier rapport, la doctrine de l’Église est simple et nette, mais sous le second rapport on peut avouer tranquillement des oscillations et des imperfections dans l’évolution théologique »[6]. Pouvons-nous croire à une formulation parfaite de la doctrine dès le début du christianisme ? Pouvons-nous croire en effet que les Pères de l’Église aient trouvé immédiatement les termes appropriés pour définir les mystères de foi alors qu’ils devaient combattre des adversaires redoutables tout en consolidant des communautés fragilisées en voie d’expansion ? « Les écueils que rencontrait la doctrine orthodoxe, la terminologie peu adéquate qui commençait à prendre forme en empruntant les vocables de la philosophie, ainsi que les réminiscences de certains systèmes philosophiques, platoniciens et stoïciens notamment, provoquèrent parfois des hésitations chez les auteurs ecclésiastiques du IIIème siècle » [7]. Cette précaution est encore plus difficile quand ils s’engagent des polémiques avec les adversaires de l’Église. « Dans l’ardeur de la polémique contre l’homme qui disait que le Père et le Fils n’étaient en réalité que des noms et des modalités différents, sans plus de distinction, d’une seule et même personne, [Denys] en arrive à exagérer la distinction entre les deux, en disant que le Fils avait été « fait » par le Père » [8]. La polémique peut nous conduire vers des positions radicales et nous faire oublier la nécessaire prudence. Pouvons-nous les considérer comme des hérétiques ? Évidemment non. 

« La vérité progresse dans la connaissance qu’on en a et dans l’autorité qui la propose : il faut se soumettre à la vérité qui se manifeste, et à l’autorité qui se prononce »[9]. 






[1] Voir Émeraude, article "Le gnosticisme au IIème siècle : une hérésie de la connaissance", 10/06/2013.
[2] G.L. Prestige, Dieu dans la pensée patristique.
[3] Saint Justin, II, Apologie, VI, 1.
[4] Ignacio Ortiz de Urbina, Nicée et Constantinople, 324-381, 1963, Fayard, in Histoire des conciles Œcuméniques, Tome I, chapitre II. 
[5] Denys de Rome, Lettre du Pape Denys à l’évêque Denys d’Alexandrie (262), Chap. 1-2, Denzinger,112-113.
[6] Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, 3ème section, chapitre II, éditions Salvator, 1944. 
[7] Ignacio Ortiz de Urbina, Nicée et Constantinople, 324-381, Tome I, chapitre II. 
[8] Ignacio Ortiz de Urbina, Nicée et Constantinople, 324-381, Tome I, chapitre II. 
[9] Selon Saint Augustin, De baptismo II,20, dans Le Catholicisme de Saint Augustin de Mgr Batiffol.

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