« Galilée est devenu au cours du temps le héros de la libre-pensée, martyre de la science face à l’obscurantisme religieux ». Il fait partie des « génies incompris de leur époque », « une des plus glorieuses victimes » de la liberté et de la vérité, « sacrifié à la barbarie de son siècle ». « La cruauté se joignit à l’ignorance pour étouffer la physique à son berceau »[1]. Les reproches ne manquent pas pour condamner une époque et au-delà l’Église. On l'accuse de s’être s’opposée à la connaissance et au progrès scientifique pour faire perdurer son empire sur les consciences.
L’affaire Galilée symbolise l’ignorance qui emploie toutes les méthodes, y compris la cruauté, pour s’opposer à la connaissance et au progrès scientifique. Elle fonde une « formidable leçon d’histoire sur le pouvoir absolu que l’Église a fait peser pendant des siècles sur l’État et la Science »[2]. On en vient même à accuser l’Église de l’avoir torturé pour obtenir son abjuration. Ainsi Galilée est devenu le martyr de l’Inquisition. « Il est moralement monstrueux de menacer de prison à vie un homme qui cherche à promouvoir la connaissance, si par malheur elle contrevient à l'idéologie religieuse » comme « moralement, il n'est pas inadmissible de remplacer la démonstration par la contrainte, le libre raisonnement par le dogme imposé »[3].
Galilée est l’étendard qu’on brandit quand on veut condamner l’Église et l’accuser d’obscurantisme. Il est le « symbole du prétendu refus par l’Église du progrès scientifique ou bien de l’obscurantisme dogmatique opposé à la libre recherche de la vérité » [4]. Ainsi présenté comme le reflet de l’opposition entre science et foi, ce mythe a contribué à éloigner de la foi de nombreux scientifiques de bonne foi.
Il est en effet moralement condamnable de mener de tels obstacles à la connaissance mais ses accusations se trompent d’accusateurs ! Il n’y a ni connaissance ni démonstration dans l’affaire Galilée. Il n’y a ni idéologie religieuse, ni dogme imposé non plus. Cette histoire condamne plutôt la prétention d’un homme qui veut imposer une vérité en mêlant science et théologie sans apporter la moindre preuve, comme elle condamne ceux qui restent enfermés dans un modèle, renonçant à le remettre en cause et confondant interprétation et vérité. Entre ces deux partis, nous voyons plutôt des hommes prudents et réfléchis. Il n’y a pas de démarche scientifique quand on veut imposer des convictions sans apporter de preuves scientifiques ou quand l’intransigeance dépasse la raison et la foi. C’est par de tel comportement que la connaissance de la Vérité est en danger.
Pour s’opposer à ce mythe, il est indispensable de rappeler les faits... [10]
Véritables motifs de condamnation
Galilée n’a pas été condamné pour avoir défendu l’héliocentrisme et la rotation de la Terre, idées déjà connues et acceptées par des ecclésiastiques et des religieux, mais pour avoir imposé une thèse scientifique comme une vérité sans apporter de preuves irréfutables. « C’était pourtant là une exigence de la méthode expérimentale dont il fut le géniale initiateur » [5]. Il est aussi accusé d’avoir renié ses engagements et trompé la confiance du Pape.
Un modèle de héros inapproprié
Il n’est pas le modèle du scientifique moderne puisque contrairement aux conseils de ses amis, il a mêlé à sa démonstration des arguments théologiques, mêlant ainsi deux champs de connaissances distincts. L’affaire de Galilée marque l’absence de « distinction entre ce qui est l’approche scientifique des phénomènes naturels et la réflexion sur la nature d’ordre philosophique »[6].
Il n’est guère le scientifique prudent puisqu’il est très probablement un polémiste né, particulier intransigeant et imbu de ses qualités.
Il ne s'est pas opposé à la Sainte Ecriture. Au contraire, il a cherché à la rendre compatible avec l’héliocentrisme en proposant une nouvelle interprétation des versets incriminés. « Ce n’était pas l’Église qui s’était mêlée de science, mais Galilée qui avait voulu faire le théologien »[7].
L'affaire Galilée ne peut être évoquée sans l'inscrire dans un contexte particulier. Elle se situe à une époque particulière, celle de la Renaissance. Les Etats s'affirment devant la Papauté. Ils étendent leurs pouvoirs dans les sciences et les arts, concurrençant ceux de l’Église. La Cité commence à s’émanciper de l'Eglise ou à s'en écarter. Galilée apparaît comme le modèle des scientifiques soutenus et appuyés par un État. Il annonce la mainmise de la science par les politiques.
C’est aussi une époque où après de vifs débats, l’aristotélisme est devenu un des plus efficaces outils de la scolastique. En outre, autrefois vivement attaqués et affaiblis par les protestants, les ecclésiastiques et les religieux sont désormais dans une phase offensive. Certains d’entre eux voient alors dans l’héliocentrisme une nouvelle attaque contre l’enseignement de l’Église.
Enfin, les représentations du Monde sont entrain d’être profondément modifiées. Non seulement le protestantisme a profondément rompu l’unité de la foi et de l’esprit, mais la vision héritée des Grecs, considérée comme la science par excellence, est remise en cause par de nouvelles découvertes. Un monde nouveau se révèle. Newton n’est pas très loin…
L’affaire de Galilée s’inscrit donc dans un contexte complexe où se jouent des conflits d’intérêts propres à une époque. Elle ne peut être comprise sans une compréhension globale de ce cadre particulier. Or, depuis le XVIIIème siècle, elle « a été chargée d’une telle tension nerveuse au point de devenir quasiment mythique »[8], c’est-à-dire dénué du cadre historique. L’affaire Galilée est devenue intemporelle, détachée de la réalité et donc parfaitement malléable. Elle est « une représentation de la science et de l’histoire de la science plus proche du mythe que de la réalité »[9]. Pour s’opposer aux mensonges et aux accusations injustifiées, il est impératif de reconnecter l’affaire à son époque, de la démystifier.
N.B. Le prochain article "Galilée : récit historique contre vérité historique" donnera quelques éléments de réflexion pour expliquer pourquoi ce mythe est encore si efficace...
Références
[1] http://www.utc.fr/~tthomass/Themes/Unites/index.html.
[2] Nouvel Observatoire, télé-ciné-radio, 7-13 janvier 2006.
[3] http://www.philosciences.com/Societe/Galileo.html.
[4] Discours du Pape Jean-Paul II aux participants de la session plénière de l’Académie pontificale des Sciences, III, n°10, 31 octobre 1992, www.vatican.va.
[5] Discours du Pape Jean-Paul II aux participants de la session plénière de l’Académie pontificale des Sciences, II, n°5.
[6] Discours du Pape Jean-Paul II aux participants de la session plénière de l’Académie pontificale des Sciences, II, n°5.
[7] Paul Feyerabend, philosophe agnostique, Contre la Méthode requise, 1976.
[8] Cardinal Ratzinger, entretien avec Peter Seewald, Le Sel de la Terre, beatriceweb.eu/Blog6.
[9] Jacqueline Lubet, Bernard Pourprix, Culture épistémologique et scientifique des enseignants, Spirale, revue de recherche Education, 2000, n°26.
[10] Voir Émeraude, article L'Affaire Galilée, 14 octobre 2013.
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