" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 21 octobre 2013

Galilée : récit historique contre vérité historique

L'affaire Galilée peut nous paraître étrange. Elle demeure encore un mythe. De nombreuses enquêtes sérieuses ont pourtant été menées pour dénoncer les fausses accusations qu'elle porte contre l'Eglise et le christianisme. Des livres ont été publiés pour dénoncer les mensonges et donner un récit plus juste de la vérité. Mais le mythe domine encore dans l’opinion. Pour les catholiques, l’affaire Galilée constitue souvent une source d’embarras et de frustration. Voyons
comment le mythe a pu se développer et se maintenir… 

A la conceptualisation de l’Histoire… 

D’abord, les protagonistes de l’affaire sont clairement « catalogués ». Il y a d’une part les bons, c’est-à-dire les savants, porteurs de sciences et de progrès, et d’autre part les mauvais, les ecclésiastiques, représentants de l’Église et de la superstition. Ainsi sont opposées la Science et la Religion. 

Or première question : comment distinguer à cette époque le savant de l’ecclésiastique ? Nombreux sont les religieux savants comme les savants religieux. Copernic est un chanoine. Newton n’a pas seulement fondé la physique moderne, il a aussi tenté d’élaborer une philosophie religieuse. Cette distinction date du XXème siècle. Elle n’a aucun sens au XVIIème siècle. Et pourtant, cette erreur est facilement acceptée, y compris aujourd’hui. Nous en voyons trois raisons :

  • on donne à l’Histoire un sens moral claire et nette en cherchant systématiquement une opposition entre le bien et le mal ; 
  • on s'attache essentiellement aux événements et au récit historique sans connaître véritablement l’esprit qui régnait à l'époque ; 
  • on applique à ces événements l’esprit de son époque à la recherche d'une Histoire cohérente et compréhensible et non d'une Histoire vraie. 
Par ces simplifications, nous classons les individus, nous « cataloguons » les protagonistes : d’un côté, Galilée qui représente la Science, de l’autre des ecclésiastiques qui représentent l’Église. Nous passons donc d'une réalité à une abstraction, d’un fait particulier à une généralité. Nous conceptualisons. Nous nous plaçons dans un monde virtuel, sans individualité, sans nuance, dans une idéalisation d’une époque, d’une société. 

Galilée devant le tribunal de l'Inquisition
Joseph Clerian, Aix-en-Provence, MUsée Granet
Processus de victimisation et de dramatisation 

Galilée est ensuite présentée comme une victime. Le récit historique est présenté comme un drame, comme une véritable tragédie. Il pourrait être un roman d’Alexandre de Dumas, où la fiction historique remplace subtilement l’Histoire. Nous vivons encore dans l’illusion du XIXème siècle. L’important n’est pas la Vérité mais le drame historique. 

Le processus de victimisation a un double effet : éveiller les "bons" sentiments et radicaliser les positions . On prend aisément fait et cause pour celui qui fait l’objet d’une injustice criante. L’innocent est auréolé, le bourreau maudit. Toujours la même opposition... 

Des images plus vraies que nature 

Eugène Délacroix
Image anticléricale
Par ces procédés, on éveille en nous des images stéréotypées qui ont été élaborées et développées dans l’imagination collective pour établir un réflexe dans le jugement de chacun. Pour que ces images gardent toute leur force et leur pertinence, elles sont régulièrement rappelées de génération en génération. Cette erreur se transmet facilement quand elle est véhiculée par ceux qui enseignent, informent ou détiennent le savoir. Comme l’atteste différents travaux de recherche, les enseignants ne sont pas exempts de ces mystifications de l’histoire. Le développement et la permanence du mythe s’expliquent aussi par le pouvoir moral dont se sont acquis les adversaires de l’Église. Cette dernière a aussi perdu de la crédibilité… 


Nous perdons de la crédibilité quand, imitant les accusateurs de Galilée, nous croyons défendre l’Église quand finalement nous défendons nos manières de pensée et refusons de remettre en cause nos préjugés. 

En outre, chaque fois qu’une affaire semble soulever une opposition entre la Foi et la Science, on éveille les vieilles images, on rappelle l’affaire Galilée. Cette permanence finit par donner de la véracité aux mensonges, même les plus grotesques, au point qu’on finit par ne plus juger. Cette permanence finit aussi par décourager ceux qui savent et qui savent juger. 

Juger l’Histoire et soi-même… 

L’Histoire, ainsi conceptualisée et dramatisée, nous est alors présentée de façon à nous inciter à juger. Nous ne sommes plus dans la situation d’un élève apprenant l’Histoire d’un maître, mais d’un juge statuant sur un crime. Pire encore, nous sommes incités à nous juger nous-mêmes. En assumant ce rôle de « justicier », on nous laisse devant un choix : à quel clan appartenons-nous ? Sommes-nous du côté de la Science ou de l’Église ? Impossible de suspendre le jugement. Qui dit mot consent. Le silence est un aveu. Et la conclusion est toujours la même : vous êtes soit porteur d’avenir, soit rétrograde ! Vous êtes bon ou mauvais.  Évidemment, vous voulez appartenir au monde libre et non à l’obscurantisme. 

De plus, si vous vous opposez à Galilée, vous remettez en cause votre époque, votre société, vous-mêmes. Il est en effet présenté comme l'origine de la modernité. Or qui peut sincèrement et réellement refuser son époque sans se renier profondément ? C’est en quelque sorte porter tort à ses propres intérêts. Certes nous pouvons critiquer notre époque mais pouvons-nous vraiment la rejeter sans nous nuire ? La refuser revient en effet à ne plus accepter ce qu’elle nous procure : la tranquillité. Notre société s’effondrera le jour où elle n’apportera plus ce précieux avantage. Elle nous tient encore par ses bienfaits. Nous ne pouvons donc que condamner l’obscurantisme et ses représentants. Les stéréotypes qui traversent les époques et biaisent nos jugements consolident notre société et renforcent ce clientélisme inavouable. 

L’affaire de Galilée telle qu’elle est véhiculée est une de ses armes qu’on brandit pour condamner une société et ce qu’elle représente, pour renforcer une autre et ce qu’elle symbolise. Tout est mêlé pour inciter le jugement vers un choix inéluctable. Tout est mis en scène comme dans un excellent film qui éveille des sentiments et les manipule à son grès pour parvenir à ses fins. Et si nous nous opposons à cette fiction, même en apportant de solides arguments, on nous répond comme devant un film : tout est affaire de goût. Dans notre société, les récits ont pris tant d’importance qu’on ne recherche pas la vérité mais la cohérence et les bons sentiments … Nous recherchons finalement un monde de sens et non un monde vrai … 




Sommes-nous alors condamnés à subir ces mensonges et à voir nos sentiments guider notre raison ? La vérité doit ne pas cesser d’être dite pour éveiller les consciences des hommes de bonne volonté et écorner les belles images d’Épinal. Nous avons un devoir de montrer le monde virtuel qu’on nous impose et le monde vrai dans lequel nous vivons réellement. N’est-ce pas la véritable liberté ? Ce rappel de la vérité freine en outre l’audace des manipulateurs et les discrédite peu à peu. Ne leur laissons pas en effet le champ libre ! Encore faut-il expurger de nos beaux souvenirs d’histoire ces images qui font tant de mal à nos têtes blondes sur les bancs d’école. Mieux vaut les remplacer par d’autres images, d’autres récits aussi cohérents et plaisants mais portant un sens plus juste… 

Au-delà de la Vérité historique, l’Histoire porte un sens moral qui guide finalement notre manière de penser et de vivre. Elle construit l’homme et la société. Les adversaires de l’Église l’ont bien compris. A force d’images caricaturales, plus assimilables que les dures leçons de la réalité, ils ont fini par faire condamner une époque et à faire opposer Science et Religion au point de bâtir une société contre une autre… 

Les mythes perdurent par notre ignorance et notre silence, par notre crédulité. Cela est devenu si flagrant que les athées eux-mêmes s’en étonnent. « Écoutez-moi, vieil incrédule, qui s‘y connaît : le chef d’œuvre de la propagande antichrétienne, est d’avoir réussi à créer chez les chercheurs, les catholiques en particulier, une mauvais conscience. A force d’insister, de la Réforme à nos jours, ils ont réussi à vous convaincre que vous étiez responsable de la quasi-totalité des maux du monde. Ils vous ont paralysé dans l’autocritique masochiste. Et vous, si souvent ignorants de votre passé, vous avez fini par y croire. Moi, en revanche agnostique mais historien qui essaye d’être objectif, je vous dis que vous devez réagir, au nom de la Vérité : souvent, en effet, ce n’est pas vrai. Et s’il y avait quelques choses vraies, il est également vrai que dans un bilan de 20 siècles de christianisme, les lumières dépassent de beaucoup les ombres »[1].


[1] Léo Moulin (1906-1996), médiéviste français, L’inquisition dans l’Inquisition, cité dans L’affaire Galilée : le journal allemand Die Wert donne raison à l’Église, Mauro Faverzanni.. 


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