« Parce tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux de la terre. Tu ramperas sur ton ventre, et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie. Je mettrai des iniquités entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : elle te brisera la tête, et toi, tu lui tiendras des embûches au talon » (Gen., III, 14-15).
Les premières pages de la Sainte Écriture nous décrivent l’œuvre de la Création, œuvre divine, œuvre de pure bonté. Fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme en est le joyau. Il vit au milieu du Paradis dans un état admirable et non définitif. Mais abusé par le diable, il commet l’irréparable. Par la désobéissance, la mort est entrée dans le Monde. Depuis, tout homme naît enfant de colère. Le péché originel l'écarte de l’amitié et de la vie de Dieu. Pourtant, rien n’est perdu…
Apprenant la cause de la chute, Dieu interpelle le démon. Contrairement à Adam et à Ève, Il ne l’interroge pas. Il sait qui est le véritable instigateur de la transgression. Le châtiment comprend deux parties. La première l’affecte directement. « Parce tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux de la terre ». La sentence est terrible. Dans la malédiction, il n’y a ni pardon, ni espoir. « Tu ramperas sur ton ventre, et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie. ». Désormais abaissé et méprisé, le diable vivra d’humiliation et d’opprobre.
Le serpent sort victorieux de sa rencontre avec Adam et Ève. Nos premiers ancêtres succombent à la tentation et désobéissent à Dieu, provoquant leur chute et l’entrée de la mort dans le Monde. Il provoque la rupture entre le Créateur et ses plus belles créatures. Sa victoire est néanmoins éphémère. Il est finalement maudit, il rampe et mange la terre. Tout cela est signe de défaite.
La deuxième partie de la sentence annonce l’antagonisme entre deux races, celle du diable et celle de la femme. « Je mettrai des iniquités entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité » (Gen., III, 15). Le Séducteur a semé la division entre le Créateur et nos ancêtres. Dieu « retourna contre l’auteur de l’inimitié que celui-ci avait voulu fomenter contre lui : cette inimitié fomentée contre lui, il l’écarta de lui-même pour la retourner et la rejeter contre le serpent » [1]. Cette hostilité a néanmoins une fin. « Je mettrai des iniquités entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : elle te brisera la tête, et toi, tu lui tiendras des embûches au talon ». Ce verset est connu sous le nom de « Protévangile ». Il annonce en effet une bonne nouvelle : le démon sera combattu et finalement écrasé. « Sa postérité », c’est-à-dire ses partisans, sera aussi combattue et écrasée. « C’est la première promesse de rédemption, l’aube des miséricordes divines à la terre qui a péché, le premier rayon de cette lumière qui doit un jour vivifier le monde, la première manifestation du mystère caché en Dieu de toute éternité »[2].
Qui sera leur adversaire ? La femme et sa postérité. De qui s’agit-il ? Selon certains commentateurs[3], ils désigneraient Ève et sa descendance, c’est-à-dire les hommes. En effet, le mot « femme » est précédée d’un article déterminé qui devrait se rapporter à une femme connue, déjà citée dans les versets qui le précèdent, c’est-à-dire Ève. Le lignage de la femme, ce serait donc la descendance d’Ève considérée comme la mère des vivants, le genre humain pris dans sa totalité. La sanction divine pourrait alors annoncer le combat entre les démons et les hommes. Il pourrait aussi indiquer la tâche morale qui s’imposerait à elle et aux générations suivantes, celle de résister au diable et à ses partisans. Ils désigneraient aussi les bons, les Justes, qui triompheraient de lui par les bonnes œuvres. Le verset revêtirait alors une signification morale.
La Septante parle précisément de « semence » au singulier et non au pluriel comme ce mot est ordinairement employé. Elle désigne alors une descendance particulière de la femme. De nombreux Pères de l’Église ont ainsi vu dans ce verset la figure prophétique du Christ, qui apparaît comme le Juste qui défait définitivement le diable. Il est le « rejeton », « formé d’une femme » (Gal., IV, 4). La femme désignerait alors indirectement Saint Marie, sa mère. Dieu promet ainsi la Rédemption. Le verset a donc une signification messianique.
Christ foulant aux pieds le serpent et le lion ,osaïque VIème siècle, Ravenne |
A la chute comme au relèvement, une femme intervienne sans que ce soit la même femme. « Ce qui a été un instrument de mort a donc été un instrument de vie »[7]. Par sa condition spéciale et le rôle qu’elle joue, Sainte Marie peut être appelée « la femme ». Ainsi, pouvons-nous voir indirectement dans la femme de la Genèse Ève et Marie, comme l’attestent de nombreux Pères de l’Église. « Dans Ève encore vierge s’était insinuée la parole qui créa la mort ; c’est aussi dans une vierge que devait descendre le Verbe de Dieu qui créa la vie, afin que le même sexe qui avait la cause de notre perte devînt l’instrument de notre salut »[8].
Dans un long commentaire du verset de la Genèse et appuyé par la Sainte Écriture, Saint Irénée a vu dans le Protévangile l’annonce de Marie. « Dieu a mis une inimitié entre le serpent, d’une part, et la femme avec sa postérité, d’autre part, de telle sorte que les deux parties s’observent mutuellement, l’une étant mordue au talon, mais ayant assez de force pour fouler aux pieds la tête de l’ennemi, l’autre mordant, tuant et entravant la marche de l’homme, jusqu’à ce que fut venue la postérité » (Gal., III, 19) destinée d’avance à fouler aux pieds la tête du serpent, c’est-à-dire le Fruit de l’enfantement de Marie » [9].
La Rédemption ne se réalise pas sans combat. « […] la victoire du Fils de la femme ne se réalisera pas sans un dur combat qui doit remplir toute l'histoire humaine »[14]. Et « Marie, Mère du Verbe incarné, se trouve située au centre même de cette hostilité, de la lutte qui marque l'histoire de l'humanité sur la terre et l'histoire du salut elle-même ». L’hostilité a commencé dès la première femme. « La première Ève repentante et relevée a repris, il est vrai, les hostilités contre le serpent ; mais dans cette femme d’abord vaincue et n’ayant pas recouvré l’innocence originelle, la revanche ne peut être que partielle et relative ; il n’y aura de revanche totale et absolue que le jour où l’Ève primitive, celle qui sortit toute pure des mains du Créateur, revivra pour ainsi dire en une autre elle-même et se retrouvera près du nouvel Adam pour la lutte suprême »[14].
Les premières pages de la Genèse révèlent une œuvre divine, la Création, et annonce une plus grand encore, la Rédemption, manifestations de sa bonté et sa miséricorde. Elles manifestent doublement la présence de Dieu dans notre Histoire et dans notre présent, d’un Dieu bon, juste et miséricordieux. Elles expliquent ainsi notre origine comme notre destin…
« Admirons ce trait merveilleux de miséricorde, que la promesse de notre salut se trouve aussi ancienne que la sentence de notre mort, et qu’un même jour ait été témoin de la chute de notre nature et le rétablissement de notre espérance »[18].
Références
[1] Saint Irénée, Contre les hérésies, IV, 40, 3.
[2] Bienheureux Dom Columba Marmion, Le Christ dans ses Mystères, II, chap. VI, édition Déclée de Brouwer, 1939.
[3] Voir Mangenot, Dictionnaire théologique, VI, 1210, et Mgr Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, tome I, appendice, éditions Salvator, 1944.
[4] Saint Irénée, Contre les hérésies, III, 21, 1.
[5] Saint Irénée, Contre les hérésies, III, 21, 1.
[6] Saint Jérôme
[7] Saint Ephrem
[8] Tertulien
[9] Saint Irénée, Contre les hérésies, III, 23, 7.
[10] Abbé U. Magnard, La Sainte Vierge Marie, 1877, librairie de Firmin-Didot et Cie.
[11] Précis de Théologie dogmatique.
[12] Dictionnaire de théologie catholique, article "Immaculée Conception".
[13] Dictionnaire de théologie catholique, article "Immaculée Conception".
[14] Jean-Paul II, encyclique Redemptoris Mater, 11.
[15] Pie IX, encyclique Ineffabilis Deus, 8 décembre 1854.
[16] Pie XII, Constitution apostolique Munificentissimus Deus, 1er novembre 1950, Denz. 3901.
[17] Bienheureux Dom Columba Marmion, Le Christ dans ses Mystères, II, chap. VI.
[18] Bossuet cité dans La Sainte Vierge Marie de l’abbé U. Magnard.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire