Le Donatisme : premières réfutations

Nous venons de vous raconter brièvement l’histoire du Donatisme qui fut à l’origine d’un schisme dramatique en Afrique du Nord au IV et Vème siècle. Comme l’Histoire nous l’a souvent montré, le conflit a donné lieu à un approfondissement de l’enseignement de l’Église. Ce schisme est né de plusieurs principes erronés et a aussi donné naissance à de nombreuses erreurs. Il n’a donc pu être résolu que par la Vérité. Mais elle n’a pas suffit. La recherche de l’apaisement et de l’unité a été plus forte que les déchirements et les rancœurs. L’Église a su consolider la foi et la charité. Des Saints ont rendu possible la paix et l’unité. Saint Optat de Milève est probablement le premier catholique à avoir sérieusement combattu le Donatisme. Avant de faire sa connaissance, présentons les erreurs du Donatisme…

Arguments des donatistes

Les donatistes ont progressivement développé une doctrine qui varie souvent dans son application et induisent des conséquences qu’eux-mêmes, ils n’ont pas pu facilement accepter. Les controverses et les conférences publiques les ont fait acculer au bout de leurs principes et les ont conduits à des contradictions inacceptables.

Deux principes doctrinaux fondent le donatisme :

- les pécheurs publics et manifestes, et notamment les évêques et les prêtres prévaricateurs, n’appartiennent plus à l’Église. Les évêques et les prêtres indignes perdent donc leur place hiérarchique et leur pouvoir d’ordre. Seuls les Saints constituent donc l’Église ;

- hors de l’Église, les sacrements n’ont aucune valeur. Les donatistes n’hésitent pas ainsi à rebaptiser les fidèles qui ont été baptisés par de tels ministres. « Le baptême catholique est un faux baptême, parce qu’un ministre souillé ne purifie pas, un ministre coupable ne pardonne pas, un ministre condamné n’absout pas »[1]. La sainteté du prêtre est donc une condition de la collation de la grâce, qui s’écoule du sacrement.

Les donatistes s’appuient aussi sur des arguments juridiques. Ils dénoncent l’illégitimité de l’Église catholique. L’Afrique romaine connaît une situation où deux Églises s’affrontent, chacune prétendant être l’authentique Église. Elles administrent les mêmes sacrements, suivent la même liturgie, professent et enseignent les mêmes articles de foi. Elles se revendiquent aussi comme étant sainte et une. Comment reconnaître la véritable Église ? Fidèle à la doctrine de Saint Cyprien, le donatiste Parménianus reconnaît l’Église comme étant l’épouse du Christ. Notre Seigneur lui a alors constitué une dote, « dotes ecclesiae », c’est-à-dire un ensemble de biens qui permettent de l’identifier. Il démontre alors que seule l’Église donatiste les détient encore. 

Parménianus accuse en outre les autorités catholiques d’avoir faire intervenir la puissance publique contre les donatistes pour régler un différent ecclésiastique. A ses yeux, l'Eglise catholique s'est discréditée. Le glaive du magistrat ne doit pas été mis au service de l’unité ecclésiastique. Plus tard, face à la persécution romaine, les donatistes se présenteront comme des martyrs dont leurs droits ont été bafoués par les catholiques. 

Dans son argumentation, Parménianus s’appuie sur l’autorité de Saint Cyprien, grand évêque et martyr de Carthage, une des gloires de la chrétienté d’Afrique. Il « parle le langage de Cyprien et habilement prétend en tirer la justification du donatisme ». Le grand Saint d’Afrique a par exemple demandé de rebaptiser les schismatiques et les hérétiques contre l’avis du Pape et a développé une doctrine qui peut rappeler le Donatisme. Ce dernier apparait alors comme le digne héritier de la tradition africaine, ce qui explique son influence importante …

Rappeler les faits

Saint Optat de Milève est sans-doute le premier à affronter sérieusement le Donatisme. Il constate d’abord que ce schisme progresse et remporte des succès par ignorance de leur doctrine et des faits qui ont conduit au schisme. Il s’attache donc à rappeler les événements à l’origine de la crise. Il a laissé à ses successeurs un dossier très précieux qu’utilisera Saint Augustin. Aujourd’hui encore, il est connu comme étant l’historien du donatisme. 

Saint Optat n’ignore par le rôle joué par les catholiques dans la répression et regrette l’intervention des autorités romaines qui effectivement ont fait couler le sang. Il assume donc l’Histoire. Mais il rappelle que la puissance publique est d’abord intervenue à l’appel des donatistes et que l’empereur a fait intervenir la troupe pour ramener la paix dans une région perturbée par des bandes armées, dont certaines ont été dirigées par un évêque donatiste. Comment ne pouvait-il pas intervenir pour ramener l’ordre et soumettre ceux qui se rebellaient contre ses édits ? La responsabilité des violences commises ne revient donc pas aux catholiques mais à ceux qui se sont organisés pour résister violemment aux décisions impériales.

Des principes insoutenables, sources d’inquiétudes permanentes

Après ces rappels historiques, Saint Optat de Milève se concentre sur l’aspect doctrinal de la crise. Il montre toutes les conséquences et les contradictions des principes que défend le Donatisme. Si un prêtre qui pèche publiquement est exclu de l’Église, celui qui pèche secrètement y demeure-t-il encore ? En quoi les fautes secrètes étaient-elles moins contraires à la pureté de l’Église que les fautes manifestes ? Et si effectivement des prêtres sont secrètement indignes, comment pouvons-nous les reconnaître et être sûrs de la valeur des sacrements qu’ils administrent ? Seul Dieu connaît le fond de l’âme. Quelle incertitude difficilement tenable ! Quelle source d’inquiétudes infinies ! Les donatistes eux-mêmes n’obéissent pas à leur principe insoutenable. N’admettent-ils pas des ministres publiquement indignes dans leur Église [2]? Saint Optat souligne leurs contradictions. C’est pour avoir suivi leur principe jusqu’au bout que le Donatisme s’est ensuite divisé en plusieurs branches. 

Saint Optat en vient à rappeler et à approfondir la doctrine de l’Église sur les sacrements. Ces derniers ne dépendent pas de celui qui l’administre, de sa dignité et de ses perfections. Le don vient de Dieu et non des hommes. L’administration seule est de l’homme. Ce n’est pas le prêtre qui agit mais bien le Christ. Le prêtre n’est donc qu’un ministre instrumental, le véritable ministre étant Notre Seigneur Jésus-Christ. L’Église « puise sa sainteté dans les sacrements, et non point dans l’orgueilleuse perfection de ceux qui la composent »[3]. Pour être néanmoins efficaces, les sacrements doivent être conférés dans l’Église. Saint Optat ne s’attarde pas sur la distinction entre validité et efficacité d’un sacrement, doctrine qui sera plus longuement élaboré par Saint Augustin. Il cherche surtout à récuser la réitération du baptême mise en œuvre par les donatistes. 

La vraie notion de catholicité

Comment reconnaître la véritable Église ? Saint Optat insiste sur la catholicité. Il en définit deux sens. L’Église est répandue dans le monde entier, y compris hors de l’Empire romain, contrairement à l’Église donatiste, confinée en Afrique. La catholicité répond aussi à un dessein de Dieu : l’universalité du Salut doit être portée jusqu’aux extrémités de la Terre. L’Église ne peut donc être restreinte à une région. Elle est ouverte à l’Univers. Or les donatistes s’attaquent à la catholicité de l’Église catholique. « De quel droit a, dit-il, prétendez-vous retrancher de l’Église une multitude innombrable de chrétiens qui sont dans l’Orient et dans l’Occident ? Vous n’êtes qu’un petit nombre de rebelles qui résistez à toutes les Églises du Monde »[4]. Ils s’opposent donc au dessein de Dieu. « Ne concédez pas au Fils seulement une portion de l’Afrique et ne lui contestez pas le monde que le Père lui a donné »[5]. Plus tard, l’Église corrigera l’argument en entendant la catholicité au sens moral et non pas seulement physique. « La catholicité est surtout la destination divine de l’Église à toutes les nations »[6]. 

Saint Optat traite aussi de l’apostolicité. Seule l’Église catholique peut la revendiquer. « L’Église de Carthage est la catholique, la légitime, d’abord parce qu’elle est à Carthage l’Église historique enraciné dans le passé et remontant à l’origine, ensuite parce qu’elle fait partie intégrante de la catholicité totale »[7]. Elle lui garantit sa légitimité.

L’Église doit être répandue partout tout en conservant son unité. L’unité de l’Église se fonde sur celle de la foi et des esprits, et non sur la sainteté. Contrairement à ce qu’enseigne Parménianus, ce n’est pas le péché qui rompt l’unité de l’Église. Le pécheur n’est pas un schismatique. « Ce qui fait la Catholica, c’est la pureté de la foi et c’est l’unité des Esprits. Et ce qui fait le schisme, c’est la rébellion de fils impies contre leur mère, de fils qui brise les liens de la paix et s’en vont déracinés de la racine de la mère Église »[8]. Comme les donatistes sont en communion de foi avec les catholiques, Saint Optat les appelle frères, mais ce sont des frères qui sont sortis volontairement et ouvertement de l’Église. Ce sont bien des schismatiques.

Cette unité s’appuie sur la cathedra authentique, la plus élevée, celle de Rome. Saint Optat reprend l’une des « dotes ecclesiae » de Parménianus en la définissant avec plus d’exactitude. « Être en communion avec l’Église romaine, c’est être en communion avec la cathedra Petri établie par le Sauveur, c’est posséder la cathedra Petri, c’est de posséder la première de dotes revendiquée par Parménianus pour la vraie Église et qui possède la première de ces dotes les possède toutes »[9]. En rappelant la primauté de Saint Pierre, Saint Optat retourne l’argument de son adversaire. 

La vraie notion de l’Église

Saint Optat s’attaque enfin au second principe du Donatisme. Les donatistes considèrent l’Église comme étant uniquement constituée de Saints. Ils confondent en fait l’Église du ciel et celle de la terre, s’arrogeant un droit que seul détient Dieu, celui de juger. Car qui a « le pouvoir de séparer le froment de l’ivraie ? Seul le Fils de Dieu au jour du jugement décidera de ceux qui sont les siens et ceux qu’il rejettera »[10]. Il insiste sur cette Église visible où les bons et les mauvais se mêlent ici-bas, où les Justes côtoient les Méchants. Quand viendra le moment voulu par Dieu, l’Église sera épurée de ses membres indignes. Ce n’est pas aux hommes de prétendre à un tel jugement. Saint Optat rappelle donc que l’Église ici-bas n’est ni le nombre des prédestinés, ni le nombre de Saints, elle est le nombre des baptisés qui, pécheurs ou justes, font partie de la société visible des fidèles. Saint Optat reprend un argument déjà utilisé par le Pape Callixte contre le Novatianisme, autre mouvement schismatique qui voyait dans l’Église « la société sainte de ceux qui vivent dans la justice »[11]. 

Saint Optat de Milève, défenseur de la foi et de l’unité

Fort de la Sainte Écriture et de l’enseignement de l’Église qu’il a su approfondir, Saint Optat est « un polémiste puissant, ordonné, judicieux, impartial »[9]. Sa rhétorique est claire, brillante, incisive. Il discute de faits avérés et bien choisis. Plusieurs de ses arguments vont ainsi ébranler le Donatisme au point de le diviser. En dépit de la polémique, il manifeste un souci d’apaisement et d’unité remarquable. « Qu'Optât ait réellement souhaité ramener les donatistes à l'unité et à la paix, nous en voyons la preuve dans les concessions doctrinales qu'il accepte de faire au début de son traité, et dans le souci qu'il manifeste de mettre l'accent sur tout ce qui unit donatistes et catholiques (ils partagent la même foi, les mêmes sacrements). Mais nous savons que cet appel à l'unité n'a pas été entendu »[12].

Dans leurs discours, les donatistes prétendent d’être fidèles à Saint Cyprien et donc à la tradition africaine de l’Église. Craignant probablement de le remettre en cause, Saint Optat ne cherche pas à s’opposer à un tel argument. Son discours est enfin orienté vers les chrétiens les plus cultivés de la société et vers les doctes du Donatisme. Il ne porte pas vers les classes les plus humbles de la population. Son efficacité est ainsi réduite...

Références

[1] Parménianus, Adversus Ecclesiam traditorum, III, 6.

[2] Saint Augustin, Contra Cresconium, II, 21 cité dans Le Dogme catholique dans les Pères de l’Église d’Emile Amann, 1922, Duchesne.  

[3] Saint Optat de Milève, Contre le Donatiste Parménianus, cité dans Le Dogme catholique dans les Pères de l’Église.

[4] Saint Optat, Les Petits Bollandistes, Vie des Saints, tome 6. 

[5] Saint Optat de Milève, Contre le Donatiste Parménianus, II, 1, cité dans Le Catholicisme de Saint Augustin. 

[6] Le Catholicisme de Saint Augustin, voir C. Pesch, Praelect. Dogmat., I, 1909. 

[7] Saint Optat de Milève, Contre le Donatiste Parménianus, I, 28, cité dans Le Catholicisme de Saint Augustin. 

[8] Saint Optat de Milève, Contre le Donatiste Parménianus, I, 11, cité dans Le Catholicisme de Saint Augustin. 

[9] Le Catholicisme de Saint Augustin. 

[10] Saint Optat de Milève, Contre le Donatiste Parménianus, VII, 2, cité dans Le Catholicisme de Saint Augustin. 

[11] Hippolyte, fondateur du novatianisme, Philosophum., IX, 12 cité dans Le Catholicisme de Saint Augustin. 

[12] M. Labrousse, Le baptême des hérétiques d'après Cyprien, Optât et Augustin : influences et divergences, Revues d'Etudes Augustiniennes et Patristiques, 1996, volume 22, n°2, Institut d'études augustiniennes, http://documents.irevues.inist.fr.