" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 17 septembre 2013

La cosmologie jusqu'à Képler

Toute représentation de l’Univers se construit à partir d’une conception (philosophique, religieuse) du Monde et des observations du ciel. Subtil arrangement entre nos convictions et nos sens ... Un modèle est alors élaboré pour rendre conforme nos pensées à notre perception de la réalité. Au fur et à mesure que nous connaissons le monde qui nous entoure, que nos observations s’affinent, que nous nous dotons d’instruments de mesures plus précis, nous améliorons le modèle, le rendant encore plus propre à expliquer ce que nous percevons. Mais plus soucieux de sauver les apparences, plus enclins à sauver nos habitudes de pensées, à demeurer dans la tranquillité d’une certaine cohérence, nous nous attachons solidement à nos connaissances au risque de refuser la vérité et d’avouer la fausseté de notre modèle. Devant nos limites et notre orgueilleuse assurance, nous finissons par tordre notre modèle, par le rendre inextricable et incompréhensible. Il atteint une telle complexité qu’il devient monstrueusement ridicule… 

Recherche d’un Univers, image de l’harmonie céleste 

Dans la cosmologie antique, la représentation du Cosmos répond à des principes philosophiques, voire métaphysiques. Pour les Grecs, les dieux sont les créateurs de l’Univers. Par conséquent, il doit refléter leurs qualités, c’est-à-dire leur perfection. Elle réside dans les formes et les mouvements qui composent l’Univers. L’harmonie divine est considérée comme la clé de la compréhension du Monde. 

Pythagore (v. 570 - v.480 av. J.C.) voit dans les nombres le reflet de la perfection divine. Par conséquent, l’univers pythagoricien est régi par les mathématiques. La sphère étant considérée comme la forme mathématique la plus parfaite, la Terre doit être sphérique. De même s’il y a mouvement céleste, il ne peut être que circulaire et uniforme, la régularité étant signe de perfection. Pour rendre conforme son modèle à ses principes, Pythagore va jusqu’à inventer une dixième planète, l’anti-terre, pour que l’Univers compte dix astres, le chiffre dix étant aussi considéré comme parfait. Ainsi dans le modèle pythagoricien, dix planètes sphériques, dont la Terre, tournent autour d’un feu central, décrivant chacune des cercles parfaits selon un mouvement uniforme. 


Platon (v.427 - v.348 av. J.C.) représente la Terre toujours sphérique mais immobile au centre d’une deuxième sphère qui contient les planètes et les étoiles, en mouvement circulaire et uniforme. 

Aristote (384-322 av. J.C.) élabore une nouvelle conception de l’Univers. Il existe deux mondes : le monde sublunaire (Terre et Lune), représentant le monde imparfait, où règnent la vie et la mort, le changement, le mouvement, et le monde supralunaire (autres planètes, Soleil, étoiles ), qui appartient au monde parfait, invariant et éternel, toujours animé d’un mouvement circulaire et uniforme. Nous retrouvons toujours l’idée de perfection mêlée à celle d’invariabilité, de stabilité, image même de la divinité. 


Selon la pensée grecque, l’Univers doit être régi par un ordre, reflet d’une harmonie céleste, interprétable sous forme mathématique. L’étude des astres peut donc se réduire à un problème géométrique comme le suggère Platon. « C'est en faisant usage de problèmes (...) comme en géométrie, que nous étudierons l'astronomie elle-même »[1]. Mais la solution érigée en modèle doit demeurer en accord avec les observations. Il doit « sauver les apparences »[2]. 

Or deux phénomènes perturbent les représentations grecques. Les planètes sont bien en mouvement mais parfois de manière irrégulière. Le mouvement rétrograde est le mouvement apparent le plus difficile à expliquer. En regardant minutieusement le ciel, il est possible de voir des astres revenir en arrière quelque temps avant de reprendre leur course dans le ciel. Le terme même de planète qui signifie « vagabond » semble s'opposer à cette image d'ordre. Leur mouvement n’est pas aussi uniforme que nous pouvons le penser. 

Le géocentrisme et théorie des sphères homocentriques 




Des modèles tentent alors de répondre à ces mouvements complexes, en apparence disharmonieux. Eudoxe (v.405 – v.350 av. J.C.) représente le Monde comme un Univers géocentrique : la Terre est fixe et immobile au centre de l’Univers. Elle est au centre des sphères qui portent des planètes et d’une dernière sphère qui attache les étoiles, délimitant l’Univers. Tout mouvement de planète est alors une superposition de deux mouvements circulaires : les rotations des sphères aux axes inclinés et des planètes. L’Univers est ainsi représenté sous forme d’un système de sphères dont certaines ne sont là que pour faire tourner d'autres sphères qui, elles, porteront peut-être un astre. Pour expliquer les observations, Eudoxe a besoin de 27 sphères. Aristote reprend ce modèle tout en rajoutant d’autres sphères pour mieux expliquer de nouvelles observations. Il précise en outre que les sphères sont cristallines, ce qui explique que nous voyons les cieux, et que les mondes supralunaires ou sublunaires sont cloisonnés. 

Héraclite du Pont (v.380 - v. 310) explique le mouvement des corps célestes par la rotation de la Terre autour de son axe. Il serait ainsi le premier à concevoir notre planète en rotation. 

Une nouvelle observation perturbe de nouveau l’harmonie céleste. Les astronomes constatent en effet des variations de vitesse des planètes sur leurs orbites et de leurs distances avec la Terre. Pour prendre en compte ces phénomènes, le modèle aristotélicien a été modifié au point de supprimer la symétrie de l’Univers. L’idée d’une certaine harmonie céleste est de moins en moins tenable. 

Ptolémée et la Théorie des épicycles et des excentriques 

Dans un de ses ouvrages Almageste [3], Claude Ptolémée (v.100 – v.170 ap. J.C.) expose un système cohérent qui peut expliquer les phénomènes alors observés. C’est une synthèse cohérente des connaissances de l’époque. Il reprend notamment une idée d’Apollonios de Perga [4] (240 – 174 av. J.C.), celle du système des épicycles. La planète est détachée des sphères célestes. Elle se déplace sur un cercle, l’épicycle, dont le centre tourne sur la circonférence d’un cercle plus grand, le déférent. Le mouvement d’une planète est donc la superposition de deux mouvements uniformes circulaires et non sphériques. Le centre du déférent est appelé excentrique. 

Ptolémée aurait introduit une nouvelle notion, celle d’équant, un point excentré duquel nous voyons les planètes décrire une trajectoire avec une vitesse angulaire constante. En clair, le mouvement des planètes n’est uniforme que par rapport à ce point et non plus par rapport à la Terre. Dans les modèles précédents, la Terre se confondait avec ce point, considéré comme le centre de l’Univers. Ptolémée place la Terre entre l’équant et l’excentrique. Elle n’est donc pas exactement au centre de l’Univers. Le modèle ptoléméen n’est donc pas absolument géocentrique. 

Un modèle de plus en plus disharmonieux… 

Mieux observé, le ciel se précise au fur et à mesure des siècles. Pour rendre compte des mouvements observés, il faut régulièrement mettre à jour le modèle de Ptolémée en rajoutant des épicycles. Le modèle se complexifie de plus en plus. Il s’éloigne de l’harmonie céleste tant recherchée. Néanmoins, le modèle ptoléméen « sauva les apparences avec une précision dont les calculateurs et les observateurs se contenteront pendant des siècles »[5]. 



Au XIVème siècle, Nicole d’Oresme (v.1325-1382), évêque, expose un principe révolutionnaire : tout mouvement est relatif. Un mouvement d’un objet peut autant s’expliquer par le mouvement réel de l’objet que par celui de l’observateur. Le mouvement des astres peut aussi s’expliquer par celui de la Terre qui peut être en rotation par rapport à des astres immobiles. 




La fin d'une conception...
A la recherche d’une plus grande simplicité dans la conception du Cosmos, le chanoine Copernic (v.1473-1543) remet la Terre au rang d’une simple planète et le Soleil au centre de l’Univers. Notre planète perd donc son immobilité. Elle tourne autour du Soleil comme les autres planètes. Le mouvement reste circulaire et uniforme. La sphère des étoiles existe toujours dans le modèle copernicien et délimite l’Univers. 



Ce modèle s’oppose aux principes métaphysiques qu’a énoncés Aristote. La Terre, reflet de l’imperfection, fait désormais partie des cieux qui doivent refléter la perfection divine. En outre, l’homme n’est plus au centre de l’Univers mais il est relégué sur une planète insignifiante dans un monde aux dimensions très vastes. 

Deux observations fragilisent encore la conception métaphysique antique. Tsycho Brahé (1546-1601) observe une nouvelle étoile dans la constellation de Cassiopée, étoile qui disparaît quelques jours après. Il vient en fait d’assister à la mort d’une étoile. Comme elle n’a pas changé de position par rapport aux autres étoiles lointaines, elle devait être aussi loin qu’elles sur la sphère des étoiles. Cette découverte démontre donc que les cieux ne sont pas immuables. Brahé observe aussi une comète en 1577. Or le modèle aristotélicien place et maintient les comètes dans le monde sublunaire. En évaluant sa distance avec la Terre, Brahé montre qu’elle est située quelque part dans les sphères planétaires au-delà du monde sublunaire. Elle traverse donc les sphères cristallines. Son orbite est apparemment ovale et non sphérique… La conception métaphysique de l’Univers est terriblement remise en cause. Que devient l’immuabilité céleste ! Rejetant l’héliocentrisme, Brahé élabore un modèle intermédiaire entre celui de Ptolémée et de Copernic. Les planètes autres que la Terre tournent autour du Soleil mais le Soleil tourne autour de la Terre comme la Lune autour de notre planète. 

Johannes Képler

Son ancien assistant, Johannes Kepler (1571-1630), unifie toutes les observations très précises de Tsycho Brahé et parvient à élaborer des lois relatives aux mouvements célestes qu’il énonce dans l’Harmonie au Monde. Ce sont les fameuses lois Kepler, encore en vigueur aujourd’hui. Les orbites planétaires ne sont plus circulaires mais elliptiques. Les planètes tournent autour du Soleil, ce dernier se trouvant à l’un des foyers de l’ellipse. Il n’y a plus de mouvement uniforme. Les planètes s’accélèrent en s’approchant du Soleil et décélèrent en s’en éloignant. Une relation mathématique prédit désormais leur position. Kepler rétablit l'harmonie céleste...Si l’Univers semble perdre son invariabilité, signe de perfection selon la pensée grecque, Dieu reste encore un géomètre… 



Réferences
[1] Platon, La République
[2] Simplicius, Commentaire à la Physique d'Aristote
[3] Le nom original de l’ouvrage est Composition Mathématique, désigné ensuite par le « grand syntaxe », puis la très grande, en grec « meigistos », traduit en arabe par « al-midjisti », devenu enfin Almageste
[4] Selon certains articles, Héraclite de Pont et son disciple Aristarque de Samos seraient à l’origine de la théorie des épicycles. Ptolémée attribue le mérite à Apollonius de Perga. 
[5] M. Gabriel, institut d’Astrophysique de l’Université de Liège, La théorie des épicycles, I. Des origines à Hipparque, revue Ciel et Terre, janvier-février 1989.

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