" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 24 juin 2013

Le christianisme dans le Coran

Au moment où Mahomet et les premiers califes forment la communauté musulmane, les chrétiens ne représentent pas un bloc homogène dans la péninsule arabique contrairement aux Juifs. Les communautés sont orthodoxes [1], judéo-chrétiennes, nestoriennes, etc. Les hérétiques sont probablement les plus nombreux. Ignorer cette réalité et ne pas faire les distinctions nécessaires conduisent inévitablement à des contre-sens, à des malentendus, à de l’incompréhension. Les relations entre l’Islam et les chrétiens se fondent principalement sur les doctrines que professent les différentes communautés chrétiennes. Ils font aussi l’objet des mêmes critiques que les Juifs en tant que « gens des Livres ». 

Gagner une légitimité auprès des Juifs et des Chrétiens

A ses débuts, l’Islam est face à une double difficulté. Il revendique l’héritage des Juifs et des Chrétiens tout en se considérant comme le nouveau peuple de Dieu. Il reconnaît globalement leurs textes sacrés mais refuse toute confusion, toute assimilation. Nouveau venu, l’Islam se définit fidèle aux religions juive et chrétienne tout en voulant les supplanter. Le Coran doit alors prouver la légitimité et la fidélité de l’Islam tout en démontrant sa pertinence et son originalité. Il doit aussi les discréditer en dénonçant leur illégitimité et leur infidélité.


Dans les premiers pages, pensant peut-être qu’ils allaient se rallier à la communauté musulmane toute naissante, le Coran est plutôt attentif et conciliant avec les religions juive et chrétienne. Or les Juifs comme les Chrétiens refusent de s’y associer. L’attitude coranique finit par changer. Désormais, il « se voit non comme une foi subséquente au Judaïsme et au Christianisme, mais comme la religion première »[2].

Face aux chrétiens, le Coran aurait pu adopter la même attitude qu’envers les Juifs et les regrouper en tant que « gens du livre » dans une même condamnation, ce qu’elle fait parfois. La situation est peut-être plus délicate. Il ne s’agit plus en effet de s’attaquer à une vocation exclusive d’un peuple particulier et identifiable, que l’Écriture Sainte reconnaît comme ingrat et infidèle. Le christianisme est porté vers l’universalité. Aucun texte sacré ne condamne leur attitude passée. Les condamnations portent donc davantage sur leurs doctrines et leur comportement actuel. 

Enfin, dans son dessein de légitimité, le Coran doit s’approprier non seulement des patriarches et des prophètes de l’Ancien Testament mais également et surtout de Notre Seigneur Jésus-Christ avec toutes les « personnalités » du Nouveau Testament. Cette appropriation doit néanmoins demeurer conforme à l’enseignement de Mahomet, en particulier à la croyance en l’unité absolue de Dieu et à sa vocation de dernier et ultime prophète. 

Mahomet et le moine chrétien Bahîra
 (XIVème siècle)
Un regard du christianisme à l’origine biaisé

A ses débuts, la situation est plutôt en faveur de l’Islam. Mahomet et les premiers musulmans connaissent des communautés chrétiennes. L’Islam en a fortement subi l’influence. Nous en trouvons de nombreuses traces dans le Coran. C’est par leur rencontre que Mahomet et ses disciples ont découvert la Sainte Écriture et les principales vérités chrétiennes. Mais les chrétiens qu’ils rencontrent sont hérétiques. Ils ne croient pas en la Sainte Trinité, encore moins à la nature divine du Christ. Mahomet découvre donc le christianisme dans ses erreurs, erreurs qui sont condamnées et poursuivies, erreurs qui l’influenceront.

Au fur et à mesure de son développement, l’Islam rencontre la véritable doctrine chrétienne qui s’oppose à ces hérésies et à sa propre doctrine. Le conflit apparaît donc inévitable. Les condamnations coraniques portent essentiellement sur le fait d’« associer » Dieu. C’est une faute irrémissible. Les chrétiens sont comparables aux païens « ajouteurs » …

Le refus de l’Incarnation de Notre Seigneur

Comme nous l’avons montré dans un article précédent, Jésus est considéré comme un prophète supérieur à tous ceux qui l’ont précédé mais il reste un homme et un serviteur d‘Allah. Le Coran lui refuse donc toute nature divine. Jésus est le fils de Marie, et non le Fils de Dieu. Ainsi son nom est toujours associé à celle de Marie. « O gens du Livre (Chrétiens), n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites d’Allah que la vérité. Le Messie Jésus, fils de Marie, n’est qu’un Messager d’Allah » (IV, 171). 

Cela ne convient pas que Dieu se donne un fils. « Il ne convient pas à Allah de s’attribuer un fils. Gloire et pureté à Lui ! » (XIX, 35). Car Dieu ne s’est donné ni compagne ni enfant (CXXII,3). Il n’engendre pas et n’est pas engendré (LXII,3). Le Coran fulmine contre cette croyance qui s’oppose à l’unicité divine. « […] Les Chrétiens disent que le Christ fils de Marie, comme Seigneur en dehors d’Allah, alors qu’on leur a commandé que d’adorer un Dieu unique. Pas de divinité à part lui ! Gloire à Lui ! Il est au-dessus de ce qu’Ils [lui] associent » (IX, 30). 

Il considère cette filiation dans un cadre uniquement polythéiste. « Pour le Coran, une filiation divine ne peut être comprise qu’en analogie avec la filiation des déesses mecquoises et du dieu suprême du panthéon. La présentation de Jésus dans un cadre d’évangile de l’enfance et, par le fait même, en relation avec Marie indique clairement qu’il n’envisage pas d’interprétation de la filiation divine en dehors de ce cadre »[3]. Il ignore manifestement la pensée chrétienne puisqu’il ne se réfère jamais à l’enseignement de l’Église.

Incompréhension de la Sainte Trinité

Saint Gabriel et Mahomet
Le Coran semble s’opposer au dogme chrétien de la Trinité. « Et ne dites pas « Trois ». Cessez ! Ce sera meilleur que vous. Allah n’est qu’un Dieu unique. Il est trop glorieux pour avoir un enfant » (IV, 171). Mais ce dogme ne correspond pas à la doctrine enseignée par l’Église, un enseignement claire qui ne soulève plus d’interrogation depuis le Concile de Chalcédoine. Le Coran affirme en effet que les Chrétiens croient en trois divinités : Dieu, le Père, Marie, la mère, et Jésus, leur fils. « Rappelle-leur le moment où Allah dira [au jour du Jugement dernier]: O Jésus, fils de Marie, est-ce tout qui as dit aux gens : Prenez-moi, ainsi que ma mère, pour deux divinité en dehors d’Allah ? » (V, 116). Nous pouvons être surpris d’une telle erreur qui proviendrait probablement de l’influence du nestorianisme. Le Coran est cependant très mal renseigné …



Le Coran mentionne un « Saint Esprit » dans le prodige de la naissance de Notre Seigneur que dans ses missions auquel Il apporte assistance. « Nous avons donné des preuves à Jésus fils de Marie, et Nous l’avons renforce du Saint-Esprit » (II, 87). Ce terme évoque Gabriel ou figure « à titre d’énergie divine médiatrice entre Dieu et ses envoyés »[4]. 

Récit des événements de Notre Seigneur Jésus-Christ

Le Coran reprend l’Annonciation : « O Marie, voilà qu’Allah t’annonce une parole de sa part : son nom sera « al-Masih », « Issa », fille de Marie, illustre ici-bas comme dans l’au-delà, et l’un des rapprochés d’Allah » (II, 45). Il nous précise que Marie a été confiée à la tutelle de Zacharie. Nous retrouvons la visite de Zacharie d’un ange lui annonçant la naissance de Saint Jean Baptiste. Jean-Baptiste apparaît sous le nom de « Yahyâ ». Il est présenté comme le précurseur et l’annonciateur de Jésus.

Naissance de Jésus près d'un palmier
Le Coran décrit en détail la naissance de Jésus. Marie donne naissance à Notre Seigneur, seul, au pied d’une source et à l’ombre d’un palmier dattier, qui la nourrit et épancher sa soif. « Elle devint donc enceinte [de l’enfant], et elle se retira avec lui en un lieu éloigné. Puis les douleurs de l’enfantement l’amenèrent au tronc d’un palmier » (XIX, 21-22). Une fable chrétienne du IIème siècle relate déjà cette histoire.

Il ne donne guère d’informations sur les Apôtres. Ils apparaissent en de rares versets pour souligner leur soumission. « Les apôtres dirent : nous sommes les alliés d’Allah. Nous croyons en Allah. Et sois témoin que lui sommes soumis » (II, 52). 

Sermon sur la Montagne
(miniature persane)



Le Coran décrit les miracles opérés par Notre Seigneur. Nous retrouvons ceux de la Sainte Écriture mais également ceux des textes apocryphes qui traitent en particulier de son enfance. Nous découvrons ainsi que Jésus parle au berceau et anime un oiseau en argile.


L’enseignement de Jésus transparaît dans le Coran, le plus souvent sous forme de maximes. Nous retrouvons certaines paraboles : celles du figuier (XIV, 24-25), du semeur (II, 261), du chameau (VII, 40). Le style peut même être évangélique. 



La crucifixion n’a pas eu lieu. Ce n’est que pure illusion. Il condamne ainsi les Juifs de dire que « nous avons vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d’Allah [...] Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux-semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l’incertitude : ils n’en ont aucune connaissance certains, ils font que suivre des conjectures et ils ne l’ont certainement pas tué ». Nous sommes bien surpris de ce verset qui affirme une telle incertitude quand les premiers chrétiens n’ont pas hésité à souffrir le martyr pour l’enseigner. Certains mouvements gnostiques et d’autres hérésies proclamaient déjà cette erreur. Le Coran reprend leur thèse : Jésus n’a pas été tué. Il a été élevé par Allah, peut-être comme Elie. 

Au jour de la Résurrection aura lieu le jugement qui séparera ceux qui l’ont cru et les autres. « O Jésus, certes, je vais mettre fin à ta vie terrestre t’élever vers Moi, te débarrasser de ceux qui n’ont pas cru et mettre jusqu’au Jour de la Résurrection, ceux qui te suivent au dessus de ceux qui ne croient pas » (III, 55). Jésus témoignera contre les Juifs et les Chrétiens qui n’ont pas cru. Un châtiment impitoyable leur est réservé.

Ignorance et incompréhension

Le Coran présente donc un récit des événements assez brefs de Jésus, se concentrant principalement sur sa naissance. Le récit est mêlé d’erreurs, de malentendus, d’ambiguïtés. Certaines d’entre elles s’expliquent par l’influence de textes apocryphes ou de pensées hérétiques, d’autres peuvent provenir d’une méconnaissance profonde de la Sainte Écriture ou des dogmes chrétiens. Tout cela ne plaide pas en faveur de l’origine divine du Coran. Comment peut-il ignorer la Sainte Trinité quand tout était parfaitement défini, écrit, connu dans tout l’Empire et au-delà ? Pour se défendre, le Coran affirme que les Chrétiens ont déformé la vérité et qu’il vient la restaurer. Mais cette explication ne peut tenir devant l’incompréhension profonde de la Sainte Écriture et devant tant d’ignorances sur le christianisme. 

Concluons cette étude qui mériterait encore plus d’approfondissement. A travers un récit erroné, influencé par des hérésies, le Coran rejette catégoriquement deux dogmes fondamentaux du christianisme : la nature divine de Notre Seigneur Jésus-Christ et la Sainte Trinité. Contre le premier, il insiste particulièrement sur sa naissance et sa filiation, rejetant absolument son incarnation. Il rejette sa crucifixion sans doute indigne pour un prophète tel que lui. Il refuse catégoriquement la Sainte Trinité au nom de l’unité absolue de Dieu et de sa transcendance exclusive. 

Le Coran présente en fait une vision erronée et incomprise des dogmes chrétiens comme il méconnaît les principales vérités de la Sainte Écriture. Il ignore même le sens de l’Évangile. Il y a véritablement une incompréhension profonde du christianisme. Le traducteur contribue aussi à aggraver cette méprise en mêlant son ignorance et son incompréhension à celles du texte.

Ces erreurs sont pourtant parfaitement compréhensibles. Comment Mahomet et sa troupe ont-ils pu connaître le christianisme ? Par Dieu ? Pourquoi tant d’erreurs naïves ? Pourquoi d’ignorance de la part de Dieu ? Nous ne pouvons pas l’admettre comme le musulman ne peut l’admettre. N’est-il pas Celui qui sait Tout ? La connaissance que le Coran nous livre sur notre religion ne provient que des communautés chrétiennes hérétiques que Mahomet et sa troupe ont rencontrées. Elle n’est que d’origine humaine et non divine. Cela était si flagrant au début de l’Islam que les Chrétiens le considéraient comme une hérésie et non une religion à part...


Nota Bene - Écrits apocryphes

Les écrits apocryphes sont des livres qui ne sont pas considérés et acceptés par l’Église comme des livres inspirés et ne figurent donc pas dans le canon des Saintes Écritures, même s’ils se présentent sous le nom d’un écrivain sacré, même s’ils ont été utilisés parfois dans des offices religieux. « Chez les anciens, on appelait apocryphe des écrits, dont l’origine était inconnue ou qui portait un faux nom, ainsi que des écrits non admis dans le canon, bien, d’après leur titre ils eussent pu revendiquer leur admission, et que même, durant un certain temps quelqu’uns aient été regardés comme canoniques »[5]. Souvent de valeurs historiques peu fiables, ils ont un caractère en général fantaisiste. La plupart des écrits apocryphes sont d’origine gnostique.

Les évangiles apocryphes racontent principalement la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, que ne décrivent par les Évangiles canoniques, comme sa jeunesse et son enseignement après sa résurrection. L’Évangile de Saint Pierre raconte l’histoire de la Passion et de la Résurrection. Il est empreint de donatisme comme d’autres écrits plus récits Les Actes de Pierre (ou Martyr de Pierre). Le Proto-évangile de Jacques relate la vie de Saint Marie jusqu’au massacre de Saints Innocents. Nous y apprenons le nom des parents de la Sainte Vierge. De nombreux détails sur la vie de Sainte Marie et de Notre Seigneur Jésus-Christ que mentionne le Coran ne sont décrits que dans cet ouvrage.



Références
[1] Orthodoxe au sens être uni à l’Église et non dans le sens d’église orthodoxe. 
[2] Mark Durie, pasteur anglican australien, membre de l’Académie Australienne des Sciences Humaines, ‘Issa, le « Jésus » musulman. 
[3] Moussali, L’Islam
[4] Petit Guide du Coran, Dictionnaire des Concepts. 
[5] Berthold Ataner, Précis Patrologique (1961).

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