" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 5 juin 2013

L'enseignement de Saint Irénée de Lyon sur le péché originel



Saint Irénée est un Père de l’Église, disciple de Saint Polycarpe [1]. Il devient évêque de Lyon en 177. Par ses origines grecques et ses responsabilités en Occident, il est un des représentants les plus authentiques du christianisme antique. Contrairement à Saint Justin et à d’autres apologistes, Saint Irénée est né et a grandi au sein de l’Église. Écoutons-le pour entendre l’enseignement authentique de l’Église au IIème siècle. 





Saint Irénée, « le type même du pasteur d’âme consciencieux et du défenseur infatigable de l’enseignement de l’Église »[2].

Saint Irénée est une autorité reconnue dans l’Église. Ses activités dépassent le cadre de son diocèse. Il intervient notamment à Rome et à Alexandrie pour rétablir la paix entre des communautés divisées par des pratiques pascales différentes. Il est soucieux de l’unité des communautés chrétiennes et surtout de la foi qui seule suscite et fonde cette unité. Aussi est-il vigilant à la vérité transmise par les Apôtres, surtout quand de nouveaux maîtres surgissent pour la revendiquer et la falsifier. Ainsi il consacre sa vie durant à la lutte contre l’hérésie. Il considère ce combat comme un devoir ecclésial et fait partie de l’évangélisation. Il s’oppose à une série d’erreurs connue sous le nom de gnosticisme. Divers et complexe, cette hérésie menace la foi, en particulier le dogme de la Création. 

Dans son combat, Saint Irénée ne veut pas apparaître comme un original. Il appelle aux témoignages des anciens qu’il veut transmettre fidèlement contrairement aux hérésiarques. « Il les traite de novateurs et dénonce sans cesse la fragilité de leur christianisme qui n’a ni tige ni racine, en face duquel se dresse le témoignage authentique de la foi apostolique originelle » [3]. Il souligne le lien rattachant l’Église aux origines apostoliques. L’enseignement de l’Église repose sur cette continuité…

Les premiers apologistes ont dû s’opposer aux païens philosophes. Ils ont notamment montré que le Christ était une vérité intelligible au jugement critique de la raison. Sentant le danger de cette attitude, Saint Irénée rappelle que le christianisme n’est pas une philosophie et qu’il repose avant tout sur la Sainte Écriture et sur la Tradition. 

Économie du salut

Pour combattre le gnosticisme, Saint Irénée présente le plan de Dieu à partir de la Révélation. Dieu a créé le monde, l’a orné et a fait l’homme pour le monde selon sa propre image. Certes l’homme est tombé dans le péché mais Dieu ne l’a pas abandonné à sa déchéance. Il a reconduit l’humanité à sa grandeur originelle en trois étapes : par les prophéties, qui annonce et prépare la venue du Fils, le Rédempteur, par son Fils qui fait don d’une filiation adoptive, et enfin dans son règne, par lequel se révélera Dieu le Père. Devenu proche et familier, Notre Seigneur nous a comblés de son Esprit. Ainsi Dieu accomplit tout et conduit le monde et l’humanité à l’accomplissement éternel. Saint Irénée relie la Création à la Rédemption, deux mystères inséparables.

Dieu Créateur et Rédempteur 

Face aux gnostiques, Saint Irénée montre qu’il n’existe qu’un seul Dieu, Créateur de l’Univers et auteur de Notre Rédemption, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il a tout créé par le Verbe, les créatures visibles et invisibles, librement et comme Il l’a voulu. Le même Dieu procure aussi le salut de l’homme par et dans le Verbe. « Dans ce même Verbe, par lequel il avait effectué la création, Dieu a procuré le salut aux hommes qui se trouvent dans cette création » (V, 11, 1)[4]. L’œuvre de la Création et de la Rédemption est donc celle d’un seul et unique Dieu tout-puissant. C’est Celui qui a été offensé par Adam qui remet le péché. « Celui-là même contre qui nous avions péché au commencement accordait ainsi à la fin la rémission des péchés » (V, 17, 1). 

La mort et la captivité, conséquences funestes d’Adam 


L’homme a été « lésé à cause du serpent corrupteur » (III, 23, 1). Il a perdu la vie et s’est vu jeté dans la mort à cause de sa désobéissance. Adam est « tombé en la possession du fort ». Adam, le premier homme, celui que Dieu a modelé, a souffert la captivité. Et nous héritons de lui cet état de captivité. « Nous sommes tous issus de lui et, parce que nous sommes issus de lui, nous avons hérité de son nom » (III, 23, 2). Dès que l’homme s’est séparé de Dieu, il en est venu « à un tel degré de sauvagerie, qu’il considéra comme ennemis jusqu’à ceux de sa parenté et qu’il se précipita sans la moindre crainte dans toute espèce de désordre, de meurtre et de cupidité » (V, 24, 2). Dieu n’a point voulu laisser définitivement l’homme dans sa captivité. Il a « libéré des liens de la condamnation l’homme qui avait été captif » (III, 23, 1). Il a à son tour enchaîné le « serpent corrupteur ».. Il « a détruit la mort, en rendant la vie à l’homme que la mort avait frappée » (III, 23, 1). Dieu est venu au secours de l’homme et l’a rétabli dans sa liberté.

La pleine liberté de Dieu

L’économie de salut se déroule « selon le bon plaisir de Dieu » (III, 23, 1). Cependant, elle ne répond pas à un caprice. Elle est bien l’œuvre d’une intelligence. Tout répond à une sagesse, à la sagesse de Dieu…



Ainsi Dieu n’a pas maudit Adam au commencement. « Pour prix de sa transgression, l’homme fut condamné à travailler péniblement la terre, à manger son pain à la sueur de son front et à retourner à cette terre d’où il avait été tiré ; de même que la femme fut condamnée aux peines, aux fatigues, au gémissements, aux douleurs de l’enfantement, à la servitude sous la domination de son mari ; de la sorte, n’étant pas maudits par Dieu, ils ne périraient pas de façon définitive » (III, 23, 3). Son état de péché est provisoire. 


Le diable n’a pas connu cette clémence. Dès la faute accomplie, Dieu le maudit. Sa condamnation est donc définitive. Ainsi, « le feu éternel n’a pas été préparé principalement pour l’homme, mais pour celui qui a séduit et fait pécher l’homme et qui est l’initiateur de l’apostasie, ainsi que pour les anges qui sont devenus apostats avec lui » (III, 23, 3). Subit aussi ce feu, « à l’instar de ces anges », celui qui persévère dans les œuvres mauvaises, « dans l’impénitence et l’obstination ».

Le péché, fruit d’une décision

Saint Irénée voit dans la liberté humaine la raison de sa condamnation. Il ne peut y avoir en effet condamnation que si l’homme a été créé libre. Il possédait « dès le commencement sa propre faculté de décision » (IV, 37, 1). Dieu a mis dans l’homme comme dans l’ange le pouvoir décisionnel « afin que ceux qui auront obéi possèdent en toute justice le bien donné par Dieu et gardé en eux, tandis que ceux qui n’auront pas obéi se trouveront dépossédés de ce bien en toute justice et subiront le châtiment mérité » (IV, 37, 1). La liberté est un bienfait du Créateur. « Mais eux, au lieu de le garder avec un soin scrupuleux et de l’estimer à sa valeur, ont méprisé la suréminente bonté de Dieu ». 

Saint Irénée montre donc que l'homme n’est pas mauvais ou bons par nature, sinon personne ne ferait l’objet de blâmes ou de condamnation « puisqu’ils auraient ainsi été faits ». Tous sont capables de faire le bien et de le conserver, capables de le rejeter et de ne pas le faire. Donc « l’homme est libre dans sa décision depuis le commencement – car Dieu aussi est libre dans sa décision, lui à la ressemblance de qui l’homme a précisément été fait - : aussi, en tout temps, lui est-il donné le conseil de garder le bien, ce qui s’accomplit par l’obéissance envers Dieu » (IV, 37, 4).

Pourquoi l’homme a-t-il péché ?



Pourquoi l’homme a-t-il péché au point qu’il soit « incapable d’être jamais autre chose que ce qu’il aurait été fait » (IV, 37, 6) ? Mais que serait le bonheur de l’homme si ce bien « aurait été acquis sans mouvement ni souci ni application de sa part et aurait surgi automatiquement et sans effort » ? Les bons le seraient alors tels plus par nature que par volonté. « Ils posséderaient le bien automatiquement et non par libre choix ». Comment pourraient-ils connaître l’excellence du bien et en jouir véritablement ? « Quelle gloire, pour ceux qui ne s’y seraient pas exercés ? Quelle assurance, pour ceux qui n’y auraient pas persévéré ? Quelle couronne enfin, pour ceux qui n’auraient pas conquis celle-ci de haute lutte ? » (IV, 37, 6). 

L’homme n’aurait-il pas pu être créé de manière parfaite dès le commencement ?

S’il avait été parfait dès le commencement, il aurait été dieu. « Comment, d’ailleurs, seras-tu dieu, alors que tu n’as pas encore été fait homme ? […] Car il faut d’abord garder ton rang d’homme, et ensuite seulement recevoir en partage la gloire de Dieu ; car ce n’est pas toi qui fais Dieu, mais Dieu qui te fait » (IV, 39, 2). L’homme est et demeure une créature de Dieu. 

Saint Irénée précise qu’il a été créé dans un état d’enfance. « Du fait qu’ils sont nouvellement venus à l’existence, ils sont de petits enfants, et, du fait qu’ils sont de petits enfants, ils ne sont ni accoutumés ni exercés à la conduite parfaite » (IV, 38, 1). Notre Seigneur est venu apporter le salut lorsque nous étions capables de le recevoir. « Il pouvait, en effet, venir à nous dans son inexprimable gloire, mais nous n’étions pas encore capables de porter la grandeur de sa gloire » (IV, 38, 2). Saint Paul nous rappelle en effet que l’enseignement du maître doit s’adapter à la maturité du disciple. « Comme à de petits enfants en Jésus-Christ, je vois ai abreuvé de lait, mais je ne vous ai point donné à manger, parce que vous ne pouviez pas encore » (I. Cor., III, 2). « Ce n’est donc pas du côté de Dieu qu’était l’impuissance et l’indigence, mais du côté de l’homme nouvellement venu à l’existence : car il n’était pas incréé » (IV, 38, 2). 

L’homme, un être inachevé, qui se perfectionne en étant docile à l’art de Dieu…

Dieu agit donc avec ordre, mesure et sagesse. Il fait toute chose en temps opportun. Par Lui, l’homme monte progressivement à la perfection. Ainsi son cœur doit-il être souple et docile. S’il s’y soumet, il sera son parfait ouvrage. « Si au contraire, tu lui résistes et si tu fuis ses Mains, la cause de ton inachèvement résideras en toi qui n’as pas obéi, non en lui qui t’a appelé » (IV, 39, 3). Donc ce n’est pas à cause de Dieu que l’homme a péché dès le commencement, mais à cause de celui qui ne s’est pas plié à Dieu, celui-là est cause de son propre inachèvement.

L’homme était destiné à un autre état que celui de sa création. Il était destiné à la perfection. Mais le mal a abîmé l‘ouvrage de Dieu. C’est en ce sens que l’homme est inachevé. Il le sera quand il sera conforme et semblable à Notre Seigneur Jésus-Christ. « Sont donc parfaits ceux qui, tout à la fois, possèdent l’Esprit de Dieu demeurant toujours avec eux et se maintiennent sans reproche quant à leurs âmes et quant à leurs corps, c’est-à-dire conservant la foi envers Dieu et gardent la justice envers le prochain » (V, 6, 1). L’homme sera alors achevé, corps et âme, membre du Christ et temple de Dieu. Et cette perfection ne peut provenir que de Dieu. La grâce « nous rendra semblables à Lui et accomplira la volonté de Dieu, car elle parafera l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu » (V, 8, 1).

Conclusion

Créé par Dieu, l’homme était destiné à un état supérieur. Mais abusant de sa liberté, Adam s’est détourné du plan de Dieu. Or, « nous sommes tous issus de lui » (III, 23, 2). Nous étions présents en lui. « Nous avions offensé [Dieu] dans le premier Adam, en n’accomplissant pas son commandement » (V, 16, 3). Nous sommes devenus tous débiteurs de Dieu. La désobéissance d’Adam introduit la mort dans le monde car « la désobéissance à Dieu entraîne la mort. A partir de ce moment, furent-ils livrés à la mort, débiteurs qu’ils étaient devenus de celle-ci » (V, 21, 2). Finalement, « pour avoir transgressé son commandement, nous étions devenus ses ennemis ». Nous sommes donc engendrés dans la captivité. 

Notre Créateur ne nous a pas laissés dans cet état. « Le Seigneur nous a rétablis dans l’amitié par le moyen de son Incarnation, devenus médiateur de Dieu et des hommes » (V, 17, 1). Conformément au parallélisme introduit par Saint Paul, « par la défaite d’un homme, notre race était descendue dans la mort, de même par la victoire d’un homme, nous sommes remontés vers la vie » (V, 21, 1). Notre Seigneur a apporté la vie. « De même que, par la désobéissance d’un seul homme, le péché a fait son entrée et que, par le péché, la mort a prévalu, de même, par l’obéissance d’un seul homme, la justice a été introduite et a produit des fruits de vie chez les hommes qui autrefois étaient morts » (III, 21, 10).


[1] Polycarpe, grand évêque martyr de Smyrne en Asie Mineure et disciple des apôtres.
[2] Hans von Campenhausen, Les Pères grecs, édition de l’Orante, 1963. 
[3] Hans von Campenhausen, Les Pères grecs, édition de l’Orante, 1963.
[4] Les citations sont tirées de Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, plus connu sous le nom de Contre les Hérésies.

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