" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 13 juin 2013

La cosmologie

Le ciel nous interroge et ne cesse pas d’éveiller notre curiosité. Si elle répond souvent à une nécessité toujours actuelle, elle répond également à un besoin intellectuel et spirituel. D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Que faisons-nous sur la planète Terre perdue dans l’Univers ? Quelle est cette voûte céleste qui, chaque soir, nous couvre de ses étoiles scintillantes ? Les mythes antiques sont une tentative naïve d’explication. Le ciel s’est très tôt comblé d’histoires et de passions humaines. Le rêve et la poésie, la cruauté aussi, se sont mêlés aux êtres célestes et aux hommes pour donner du sens aux mystères du Monde. Puis à partir des Grecs, des pensées plus élaborées se sont développées et ont fourni des explications plus rationnelles. La mythologie a progressivement laissé sa place à la science, la raison prenant davantage la barre de l’imagination…

La contemplation du ciel conduit l’homme à s’interroger…

L’Univers a toujours été l’objet d’études ou d’explications plus ou moins fantaisistes. Les tentatives de description et de compréhension ont été nombreuses. A partir d’observations et de principes philosophiques, des modèles ont été conçus, améliorés, sophistiqués. Ils ont dominé pendant de longs siècles avant de disparaître au profit d’autres plus probables et crédibles. Des observations plus justes, de nouvelles hypothèses, de nouvelles idées ont fait émerger de nouvelles théories plus conformes à la réalité. Au cours de l’Histoire, l’Univers est ainsi apparu fini ou infini, éternel ou périssable, aussi parfait que les dieux ou imparfait comme les hommes, monde multiple ou singulier, etc. Toutes les théories possibles ont certainement été trouvées. Parfois, une idée en apparence innovante n’est qu’une reprise d’une ancienne.


Au-delà de ces théories, de ces va-et-vient de la pensée, une constante : le changement irréversible de notre perception du monde. Aujourd’hui, nous ne voyons pas l’Univers et la Vie de la même façon qu’un Athénien ou qu’un contemporain de François Ier. Quii pourrait encore croire que la Terre est immobile au centre du Cosmos ? Au fur et à mesure que se développe notre connaissance, l’Univers apparaît différemment tout en déployant davantage de mystères. Les théories se succèdent, les hypothèses s’accumulent et notre ignorance s’approfondit inéluctablement. Le monde étale une réalité qui nous est bien difficile de saisir. 



Qu’est-ce que la cosmologie ?

La cosmologie est « l’étude de l’Univers en tant qu’objet physique, mathématique, astronomique » [1], ou encore « l’étude globale des caractéristiques de l’Univers » [2]. Dans un modèle d’Univers instable, elle est également l’étude de son évolution. Elle tente d’éluder deux mystères : l’origine de l’Univers et le fondement de notre compréhension physique du monde. Aujourd’hui, « l’ambition première de la cosmologie est de déterminer l’état actuel thermique, chimique et structurel, de l’Univers à partir des conditions qui régnaient dans l’univers primordial » [3].

Depuis plus d’une dizaine d’années, la cosmologie connaît un véritable succès. Les nouvelles mesures qu’apportent les nouvelles technologies et les découvertes scientifiques semblent confirmer et consolider le modèle standard du Big Bang, théorie « actuellement la seule qui fonctionne correctement pour décrire l’évolution de l’Univers »[4] au point qu’« une compréhension de la formation des structures est peut-être à portée de main »[5]. 

Une fresque enfin dévoilée ?

« Les avancées scientifiques ont radicalement modifié la conception de nos origines. Elles écrivent aujourd’hui une grande fresque historique, déployée sur un temps exceptionnellement long – quelque 14 milliards d’années – et dans un espace exceptionnellement vaste. Jamais la fresque ne fut aussi vraie […] »[6]. 




Tout paraît simple et clair dans les récits que nous entendons. Une « grandiose épopée » se déploie devant nous, « de la naissance de l’Univers jusqu’à l’émergence de la vie et de la conscience, en passant par la formation des galaxies, des étoiles et des planètes ». Trinh Xuan Thuan est un de ces scientifiques célèbres qui nous racontent sous une forme poétique la création du monde et son développement depuis le premier instant jusqu’à maintenant. Certes, quelques fractions de poussières de secondes résistent encore à notre entendement mais que sont-elles face aux milliards d’années qui se suivent dans une cohérence inégalée ? 

Une fresque qui cache pourtant de grandes complexités scientifiques et technologiques





Pourtant, derrière les images fascinantes qui se défilent devant nos yeux émerveillés, que de sciences pointues, de théories complexes, d’hypothèses ardues ! « La cosmologie a été vulgarisée sur le mode « on va vous raconter une histoire, une belle histoire », en évacuant les aspects techniques qui sont effectivement rébarbatifs et pourtant essentiels »[7]. La cosmologie s’appuie aujourd’hui sur les théories les plus complexes et les moins évidentes : relativité générale, mécanique quantique, géométrie non-euclidienne, etc. Elle s’appuie aussi sur des mesures précises obtenues par les moyens les plus sophistiqués : télescopes spatiaux, détection et analyse de la lumière, etc. Ces mesures sont ensuite traitées aux moyens de puissants calculateurs informatiques pour obtenir des simulations numériques. A partir des ces théories, de ces mesures et de ces simulations, la cosmologie moderne recherche la représentation de l’Univers la plus conforme à la réalité observée. 

Une fresque hypothétique et contestable

Or comme tout modèle, la cosmologie s’appuie sur des hypothèses qui, par définition, sont contestables. Il est en effet nécessaire de poser des hypothèses pour alléger les calculs ou les rendre simplement possibles ou encore pour expliquer une observation imprévue. Ces suppositions font alors naître des divergences et des théories concurrentes. Or, aujourd’hui, lorsque des contestations sérieuses sont évoquées, elles sont aussitôt relativisées. On insiste sur la solidité de ses fondements et sur l’impuissance des autres théories. « La théorie du Bug Bang n’est plus sérieusement remise en cause aujourd’hui parmi la communauté des astronomes » [8]. 



Et pourtant, la cosmologie peut-elle apporter une telle certitude dans la connaissance de l’Univers ?

La cosmologie, une philosophie avant tout ?

Toute représentation de l’Univers se repose sur des notions de plus en plus difficile à manipuler. Des mots comme le temps et l’espace perdent leur simplicité. Leur sens est remis en cause. Nous disons même que le bon sens n’a plus lieu d’être. Et ces mots en apparence si simples contiennent peut-être les clés pour déchiffrer le Monde ou sont de véritables obstacles à sa compréhension. Car s’interroger sur l’Univers revient à s’interroger sur nos représentations et sur notre perception de la réalité, sujets philosophiques par excellence. 

Toute représentation s’appuie sur des mots, des images, des concepts, nécessaires à la compréhension et à la construction d’un modèle. Plus nous connaissons davantage le monde, plus nous sommes confrontés à des questions qui dépassent le domaine scientifique. Elle soulève des questions essentielles sur notre propre compréhension du monde et de la réalité. Elle aborde le délicat problème de la connaissance. Vouloir comprendre le Monde, c'est s’interroger sur la connaissance elle-même… La cosmologie s’appuie finalement sur une théorie de la connaissance… 



La cosmologie, une science ?

La cosmologie peut apparaître comme une « science » assez particulière. Elle prend comme objet le Tout. Tout ce qui est l’intéresse. Elle ne se restreint à aucune limite. De l’infiniment petit à l’infiniment grand, rien ne lui est étranger [9]. Elle englobe toute connaissance, elle unifie toute science. Or, la prise en compte du Tout est métaphysique. « La cosmologie est tendancieusement métaphysique car son objet unique, l’Univers, c’est-à-dire la Totalité » [10]. 

L’homme fait aussi partie de ce Tout. Objet d‘étude, il est lui-même celui qui le manipule. En quelques sortes, le scientifique est juge et partie. 

L’Univers présente une qualité particulière : il est unique dans le temps et dans l’espace. Il existe, c’est une certitude. Irréversible, il ne peut être ce qu’il a été. Il ne peut non plus être répété. Aucune expérience ne peut reproduire son état. Aucune expérimentation possible pour confirmer les théories si ce n’est par simulation. Toute explication part d’un état présent pour supposer un état passé. Les cosmologistes remontent le temps en partant de notre époque connue pour s’enfoncer lentement vers les premiers instants de l’Univers. Elle suit une démarche purement inductive. 

La cosmologie cherche à être une démarche rationnelle, à s’appuyer sur des théories scientifiques fondées et sur des observations irréfutables, mais quelle que soit la rigueur de la méthode, la cosmologie n’est pas une science comme une autre. « Dit un peu sévèrement, je pense qu’il ne s’agit pas d’une vraie science »[11]. 


Une certitude remise en question

Ne croyons pas que les théories actuelles sur le cosmos sont des faits acquis. Compte tenu de leur importance, un véritable débat est depuis quelques années engagé. Car la certitude des discours actuels irrite, agace, scandalise. La vulgarisation de la science, que développent notamment les médias, tend à imposer une certaine conception du monde comme réalité intangible. Vouloir s’y opposer revient à remettre en cause les plus grands savants, les observations les plus incontestables, les expériences les plus lourdes et coûteuses. Qui oserait s’opposer à une certitude si chèrement acquise ?

Cette conception unilatérale de l’Univers pose deux problèmes. Elle aborde un domaine de connaissances qui dépassent celles de la science. Elle s’appuie nécessairement sur des hypothèses philosophiques, sur l’essence même de la vie. La tentation de répondre aux questions existentielle de la vie est bien réelle et rarement évitée. Or de telles réponses engagent la morale… 
Vouloir imposer une explication revient à refuser toute autre explication, toute autre tentative, toute recherche dans des voies différentes, même si des faits semblent contredire la pensée dominante. Des aveugles finissent par conduire d’autres aveugles…

En dépit de ces faiblesses et de l’importance du sujet traité, « la cosmologie est désormais plus affirmative » [12]. Nous frisons parfois le ridicule quand nous écoutons la radio ou lisons quelques articles de vulgarisation, par exemple sur les « trois premières minutes de l’Univers les mieux expliquées de l’histoire » ! 

Heureusement, il n’est plus rare de voir des ouvrages remettre en cause la démarche de la cosmologie contemporaine. « Les cosmologistes s’estimeraient-ils exempts des obligations d’honnêteté de la recherche physique ? »[13]. Ils proposent une analyse critique des théories en vogue et des alternatives au monde standard du Big Bang [14]. Des astrophysiciens s’inquiètent notamment de la domination des cosmologues qui « se prennent comme l’aristocratie de l’astrophysique » [15]. 

Tout récit sur la création et l’évolution de l’Univers n’est pas une vaine histoire… Car « nous avons en effet une tendance à croire que, si nous connaissions les conditions initiales de l’Univers, nous pourrions comprendre toute la suite. Nous pourrions ainsi donner du sens à l’Univers, et finalement à nos vies » [16].


Références
[1] Julie Patris, Histoire de la cosmologie, octobre 2011. 
[2] Jaimes Rich, Principes de la cosmologie, les éditions de l’école polytechnique, adaptation française par Jean-Louis Basdevant, septembre 2004. 
[3] Jaimes Rich, Principes de la cosmologie
[4] Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, directeur de recherche du CNRS, article « L’hypothèse du multunivers est plus excitante », Le Point, mai 2010. 
[5] Jaimes Rich, Principes de la cosmologie
[6] Trinh Xuan Thuan, Origines, la nostalgie des commencements, édition Folio, 2003. 
[7] J.P. Uzan cité dans Ciel et Espace, article « Origine de l’Univers et débat qui fâche », mai 2013, n°516. 
[8] Trinh Xuan Thuan, Origines, la nostalgie des commencements, édition Folio, 2003. 
[9] La difficulté actuelle de la cosmologie est de relier les théories, qui actuellement s’appliquent sur ces deux extrêmes, l'infiniment petit et l'infiniment grand, au point où elles se rencontrent. On est à la recherche d'une science unificatrice.
[10] Bertrand Liaudet, Histoire de la représentation de l’Univers, cours d’histoire des sciences, Epitech. 
[11] Jean-Marc Bidaud, centre d’énergie atomique, revue Ciel et Espace, « Origine de l’Univers et débat qui fâche ». 
[12] Etienne Klein, dans Ciel et Espace, article « Origine de l’Univers et débat qui fâche ». 
[13] Christian Magnan, Le Théorème du Jardin, éditions AMDS, 2012. 
[14] Voir Cédric Villani, Un autre Cosmos ?, édition Vuibert, 2011. 
[15] J.-M. Bonnet, dans Ciel et Espace, article « Origine de l’Univers et débat qui fâche ». 
[16] Etienne Klein, dans Ciel et Espace, article « Origine de l’Univers et débat qui fâche ».

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