" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 30 septembre 2012

L'évolutionnisme, est-il si évident que cela ?

Pour nos contemporains, l'évolutionnisme apparaît comme une vérité certaine. Il est enseigné ainsi dans les écoles et les ouvrages scolaires. Ouvrez par exemple un livre traitant de la nature et vous retrouverez probablement cette thèse sous l'apparence d'une vérité, d'un fait acquis. Nous avons ainsi tendance à oublier que cette « vérité » n'est qu'une « hypothèse » et qu'elle n'a pas été au départ acceptée par la communauté scientifique, notamment par les premiers naturalistes scientifiques. Car contrairement à ce que nous entendons régulièrement, l'évolutionnisme n'est pas une théorie évidente ... 

Buffon (1707-1788) 

Buffon est sans doute le naturaliste le plus célèbre. Son œuvre est magistrale. En 36 volumes, il a élaboré une véritable encyclopédie naturaliste. Il a en effet essayé de rendre compte de tous les règnes de la nature tout en expliquant « le fil conducteur de la génération et du commencement de la vie ». Il pose l'existence d'une structure élémentaire des êtres vivants, basée sur le concept de parties organiques. Ces dernières sont « des parties primitives et incorruptibles, que l’assemblage de ces parties forme à nos yeux des êtres organisés » (1). Les parties organiques vivantes constituent et structurent le vivant. Il nomme ces parties organiques des molécules organiques. 

Comment ces molécules organiques peuvent-ils structurer l'être ? Il expose deux principes. D’une part, les parties organiques possèdent la trace d’un moule intérieur des parents (2). Donc, ce moule intérieur issu du mélange des parties organiques parentales assure un développement harmonieux de l’individu. D'autre part, il existe un prototype initial, porteur du moule intérieur de référence, qui a donné son architecture au cours des générations successives. Tout l'organisme et chacune de ses parties constituent le moule des nouveaux individus qui doivent être engendrés. 

Pour expliquer la diversité, Buffon propose une variabilité des êtres au sein des espèces au cours du temps sans qu'elle s'écarte trop du prototype initiale. Un organisme peut adapter son fonctionnement global mais cette adaptation est limitée. Arrivé à un certain point, il meurt. « Jusqu'à un certain point, nos poumons et notre mode de vie peuvent s'adapter à un cœur défaillant : mais notre économie organique est incapable de se reformuler pour compenser une déficience cardiaque très importante ; et ces limitations persistent même si nous projetons ces processus au cours d'une longue séquence générationnelle » (3). 

Buffon expose donc une théorie qui maintient l'immutabilité des espèces avec une variabilité des individus au sein des espèces. Une innovation morphologique substantielle est impossible. Rien de nouveau ne peut se produire. Il est donc éloigné de l'évolutionnisme, qu'il rejette. Pourtant, dans ses explications de dégénérescence des animaux, des naturalistes pressentent une orientation transformiste. D'autres la rejettent catégoriquement... 

Il faut aussi noter que Buffon s'appuie parfois sur la Révélation pour limiter la variabilité des êtres uniquement au sein des espèces. « Il est certain par la révélation que toutes les espèces sont sorties toutes formées des mains du Créateur » (4). On pourrait supposer, comme nous avons pu souvent le lire, qu'il n'a pas voulu professer publiquement l'évolutionnisme par crainte de sanctions de l'Église ou de perte d'emploi et de revenus. Et s'il craignait réellement la pression ecclésiastique, pourquoi a-t-il émis l'idée d'une génération spontanée comme cause de l'origine des espèces, niant explicitement un des dogmes de l'Église ? Il n'a donc pas peur de transgresser les dogmes. N'oublions pas qu'il a vécu à un temps où les idées les plus pernicieuses et contraires à la foi se diffusaient facilement. Il vit à une époque de remise en cause de tout ordre et de toute autorité. C'est pourquoi nous croyons que ce n'est pas la supposée pression de l'Église qui lui empêche de songer ou de professer l'évolution des espèces mais bien sa profonde conviction (5). 

Carl von Linné (1707-1778) 

Carl von Linné est un naturaliste suédois qui a entrepris une véritable description des êtres vivants. Il est surtout connu pour avoir inventé une nomenclature, toujours en usage. Il les a classés à partir de critères morphologiques et d'affinités supposées. Il est aussi l'un des premiers savants à utiliser le concept d'espèce. Par son étude, il veut démontrer la grandeur de la Création divine. Comme Buffon, il accepte la mutabilité des êtres au sein de chaque espèce mais refuse toute évolutionnisme. Pourtant, il a pu observer avec soin et sérieux toute la diversité de la faune et de la flore. 

John Ray (1743-1805) 

Naturaliste anglais, John Ray a également utilisé la notion d'espèce. Selon lui, des individus de même espèce engendre des individus identiques à eux. Deux individus d'espèce différente ne sont pas fertiles. Il est proche de la définition aujourd'hui acceptée par la grande majorité des scientifiques. S'il accepte l'adaptation des animaux et des plantes à leur environnement, il ne conçoit aucune évolution d'espèce. Tout montre la sagesse et le pouvoir du Créateur. 

Georges Cuvier (1769-1832) 

Georges Cuvier est un anatomiste suisse, qui a surtout étudié la classification des êtres vivants selon l'état des organes les plus significatifs. Il divise ainsi les animaux entre les vertébrés et les invertébrés. Il utilise aussi comme critères la circulation sanguine ou les organes nutritifs. Par ses observations, il constate une certaine subordination entre les organes. Il en déduit alors qu'il est possible de connaître tous les organes à partir d'un seul. Il est donc possible de juger un animal par un de ses organes. La modification de l'un entraîne aussi des changements dans les autres. Il utilise cette loi pour étudier les fossiles et reconstituer ainsi plus de cent soixante animaux fossilisés. 
À la faveur de ces travaux et de nombreuses observations, Cuvier estime dans son ouvrage Les Révolutions de la surface du Globe (1825) qu'il a dû exister à la surface du globe des animaux et des végétaux qui ont disparu. Il admet le principe des crises locales, à savoir des disparitions et des apparitions de plusieurs espèces en même temps en un site donné. Il est ainsi partisan de la théorie dite du catastrophisme, selon laquelle des catastrophes auraient fait évoluer le monde. Le déluge serait une de ses catastrophes. 
Son périmètre dépasse le naturalisme. En géologie, il pose de nouvelles méthodes d’étude en fournissant les moyens de déterminer l'ancienneté des couches terrestres par la nature des débris qu'elles renferment. 
Fort de son expérience et de ses connaissances, « il s'insurge contre le transformisme de Lamarck et constituera un adversaire acharné ». Il ne voyait notamment aucune incompatibilité entre la science et la Bible. 

Adam Segdwick (1785-1873)

Professeur de géologie et pasteur, Adam Segdwick est un des fondateurs de la géologie moderne. Il est surtout connu pour avoir été un des enseignants les plus marquants et estimés de Darwin. Et pourtant, il s'est opposé à sa théorie. 
Après avoir lu son livre De l'origine des espèces, il lui adresse une lettre dans laquelle il explique que non seulement, son livre est erroné mais qu'il est aussi dangereux. 

« J’ai lu votre livre avec plus de peine que de plaisir. J’ai admiré sans restriction certaines parties, d’autres m’ont fait rire jusqu’à en avoir mal aux côtes ; j’en ai lu d’autres avec une profonde tristesse parce que je les crois erronées, d’autres encore m’ont causé un réel chagrin, parce que je les crois entièrement fausse et très nuisibles. » (6). 

Des parties sont fausses car, dit-il, la méthode inductive est mal utilisée : « après avoir pris au début la route qui mène à toute vérité, vous avez trahi la vraie méthode inductive ». Nous parlerons plutôt d'abus. Anticipant Karl Popper, il qualifie ses arguments d'irréfutables au sens où ils ne peuvent être ni prouvés, ni rejetés. « Bon nombre de vos vastes conclusions sont basées sur des assertions qui ne peuvent être ni prouvées ni réfutées : Pourquoi alors les exprimer dans le langage et la disposition propres aux inductions philosophiques ? ». 

Contrairement à Darwin, Adam Segdwick voit dans la sélection naturelle non une cause de la diversité mais une conséquence. « Quant à votre grand principe, la sélection naturelle, qu’est-ce sinon une conséquence secondaire de faits primaires supposés ou connus ? ». 

Son livre est surtout nuisible car il ne voit dans sa conception de la nature aucun aspect métaphysique ou moral. Tout est uniquement physique. Ses propos sont clairs et lucides. « L’homme qui nie cela s’enfonce dans les marais de la folie. La couronne et la gloire de la science organique, c’est qu’au moyen des causes finales elle unit l’ordre matériel à l’ordre moral, et elle ne nous permet cependant pas de confondre ces deux ordres dans notre première conception des lois, ni dans notre classification de ces lois, que nous considérions l’un ou l’autre de ces côtés de la nature ». Il rompt ce lien de manière intentionnel. « Il me semble même, si je vous comprends bien, que tous vos efforts, dans deux ou trois cas capitaux, tendent à le briser ». Il pressent alors le drame que peut causer sa théorie. « S’il était possible d’anéantir ce rapport (Dieu soit loué, cela ne se peut ! ), il en résulterait pour l’humanité, selon moi, un mal qui pourrait la rabaisser à l’état de brute et l’enfoncer à un degré de dégradation plus grand que tous ceux qui nous ont été signalés par les annales de l’histoire ». Les hypothèses scientifiques ne sont pas en effet anodines et neutres. Elles ont des impacts dans notre vie et dans nos comportements. « Personne n'a mieux exprimé que Sedgwick les enjeux à la fois moraux, religieux et scientifiques, représentés par la théorie darwinienne » (7). Pouvons-nous être aussi clairs que Sedgwick ? 


Si l'évolutionnisme et plus spécialement le darwinisme ont été rejetés au XIXème siècle par des scientifiques, comment pouvons-nous expliquer la victoire de Darwin ? Tous ses commentateurs, partisans ou non, sont unanimes : il est convaincant. Ses prédécesseurs sont brouillons, hésitants, théoriques. Ils supposent, imaginent, proposent. Lui, il affirme et appuie ses propos par des exemples concrets. Il enchante et charme. Il est aussi entouré de personnalités scientifiques et politiques entièrement dévouées à sa théorie, parfois pour des raisons uniquement politiques ou religieuses. Car ses partisans ont compris toute l'importance et la force du darwinisme. Il naît dans une période, en particulier en Angleterre, où on s'oppose aux autorités religieuses et à leur monopole dans l'enseignement. Adhérer à l'évolutionnisme revient donc à lutter contre leurs pouvoirs. Un combat peut en cacher un autre... 



1 Buffon, Histoire naturelle, tome II. Source : Gallica. 
2 Nous parlons aujourd'hui de programme génétique. Excellente intuition... 
3 Gustavo Caponi, thèse "Transformisme limité et matérialisme radical dans l'Histoire naturelle de Buffon", université fédérale de Santa Catarina, Brésil, de Marie-Odile Bernez, L'héritage de Buffon, éditions universitaires de Dijon, 2009. 
4 Buffon, Histoire naturelle, tome III, citée par Gustavo Caponi, Transformisme limité et matérialisme radical dans l'Histoire naturelle de Buffon
5 La thèse de l'universitaire brésilien Gustavo Caponi soutient aussi cette idée. 
6 Lettre dans Vie et correspondance de Ch. Darwin, publiée par son fils M. François Darwin, 1888, t. I. 
7 Thèse de doctorat "Darwinisme et évolutionnisme dans la Grande-Bretagne victorienne" de Daniel Becquemont, universitaire de Lille III, 1985, cité dans l'article Lettre d'Adam Sedgwick à Darwin, revue CEP, n°14, trimestre 2001, le-cep.org.

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