" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


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lundi 18 août 2014

L'Arianisme et le Symbole de Nicée : les exigences de la foi (1/2)



Pouvons-nous imaginer la joie des évêques qui se réunissent à Nicée en 325 sur la demande de l’empereur Constantin ? Pendant trois siècles environ, ils ont été victimes d’injustices et de persécutions de la part du pouvoir impérial et de la société païenne. Certains évêques présents gardent encore les traces des dernières persécutions. Le Concile de Nicée est probablement ressenti comme un triomphe de l’Église sur le paganisme. Contre toute attente, David a encore renversé Goliath. Qui peut expliquer une telle victoire ? Les douze apôtres qu’a envoyés Notre Seigneur Jésus-Christ ont battu les légions romaines et terrassé l’empire de César. Qui l’aurait cru au lendemain des martyrs de Saint Pierre et de Saint Paul ? Qui l’aurait imaginé après la terrible persécution de Néron ou de Dioclétien ? Pourtant, ce premier concile a un goût amer. Les évêques ne sont pas réunis pour célébrer leur victoire. Si elle n’est plus victime de violences ou de haines de la part des païens ou des juifs, l’Église doit affronter une terrible épreuve qui la divise, celle de la première grande hérésie, l’arianisme.

Cette histoire qui remonte aux premiers temps du christianisme est encore d’une très grande importance. Elle fait partie de notre culture. Elle est aussi une connaissance précieuse pour nous éloigner de l’erreur arienne puisque l’arianisme a tendance à renaître quand la foi sommeille. Elle est en effet encore d’actualité. Si elle est mal comprise, cette histoire peut aussi induire des erreurs et se retourner contre notre foi. La notion de développement dogmatique pourrait être mal comprise. Cet article a donc pour but de rafraîchir ou d’enrichir nos connaissances dans un but apologétique.

Les sources de connaissance

Nous connaissons l’arianisme et le déroulement du Concile de Nicée grâce à des documents officiels (symbole, liste des évêques, lettre synodale, décret), à des témoins catholiques et ariens, et à des historiensproches de l'événement. Ils ont aussi donné lieu à de nombreuses études tant dogmatiques qu’historiques. Les sources reconnues généralement authentiques sont particulièrement abondantes.

Arius
Le déclenchement de l’affaire

Tout commence en Égypte. Arius est prêtre d’une paroisse du port d’Alexandrie. Il est reconnu comme étant un brillant orateur. Pourtant ses sermons inquiètent des chrétiens. « Il était un temps où il n’était pas », dit-il en parlant du Verbe. Tout part en effet de cette constatation. Dieu le Père est unique et Il est le seul inengendré. Il a engendré le Fils comme l’énonce la Sainte Écriture. Or « si le Père a engendré le Fils, celui-ci a donc dû commencer à exister ; par conséquent il y eut un moment où il n’existait pas »[1]. Arius refuse alors de reconnaître la divinité du Verbe. 

Avant d’étudier plus précisément sa doctrine, voyons comment s’enchaînent les événements. Très instructifs, ils révèlent en particulier les démarches en usage dans l’Église pour garantir la communion de foi des communautés chrétiennes.

Troublés par les discours d’Arius, des paroissiens en appellent à Saint Alexandre, l’évêque d’Alexandrie. Ce dernier rassemble alors son clergé pour juger les idées d’Arius. Elles sont reconnues comme étant erronées. Elle s’oppose notamment à une profession de foi en usage à Alexandrie. Cette profession de baptême a été probablement rédigée pour répondre aux erreurs gnostiques qui voyaient en Jésus-Christ un démiurge[2]. 

La profession de foi

Nous voyons donc que la réaction des paroissiens est de se tourner vers l'évêque. C'est lui l'autorité capable de juger si l'enseignement d'Arius est conforme à la foi. A son tour, l'évêque s'entoure de son clergé et à partir d'un texte ancien, jugé indiscutable, il prononce sa décision.

Le sacrement de baptême nécessite de la part du catéchumène une profession de foi publique. Elle est une formulation des articles de foi à laquelle doit adhérer fermement toute personne qui veut devenir chrétien et entrer dans l’Église. Elle garantit la communion de foi entre les fidèles. Le symbole est une des voix les plus antiques de la Sainte Tradition. C’est donc à la lumière de cette profession de foi que nous pouvons en particulier juger de l’orthodoxie d’une doctrine.

Excommunication d'Arius

Condamné, Arius est prié de se rétracter. Il refuse. Devant son attitude obstinée, Saint Alexandre réunit vers 280 un concile régional qui regroupe les évêques d’Égypte et de Lybie. Refusant de nouveau de se soumettre à ses décisions, il est alors excommunié et expulsé de la ville. Il finit par quitter l’Égypte pour se réfugier chez des amis très influents auprès de la famille impériale. Parmi ses amis et partisans, nous pouvons citer Eusèbe, évêque de Nicomédie et Eusèbe, évêque de Césarée. Sous la protection de personnalités si importantes, il peut répandre ses idées dans l’empire. Tout un parti arien assez puissant se constitue alors. 

Saint Alexandre
Selon l’usage de l’époque, Saint Alexandre informe par lettre tous les principaux évêques de l’excommunication d'Arius et de ses partisans en expliquant les raisons de leur condamnation. Il les prie de ne pas les recevoir à la communion ecclésiastique et de lui répondre en renvoyant des lettres de communion. Ces lettres ont un rôle important pour maintenir l’union de foi entre les différents sièges épiscopaux dispersés dans l’Empire romain et au-delà. Suite à cette lettre, l’évêque d’Antioche aurait aussi réuni un concile régional et condamné à son tour la doctrine d'Arius. 

Arius fait de même. Il envoie des lettres aux principaux sièges épiscopaux de l’époque pour se défendre et se justifier. Il fait réunir des évêques gagnés à sa cause à Nicomédie qui confirment l’orthodoxie de sa doctrine et dénoncent l’injustice dont il est victime de la part de l’évêque d’Alexandrie. Les membres de ce concile envoient à leur tour une lettre synodale aux principaux évêques.

De cette histoire, retenons trois points importants :

  • la participation à la communion eucharistique est signe de communion de foi. Ce sacrement manifeste ainsi l’unité de l’Église. Il la réalise aussi. Nous retrouvons l’idée du Corps du Christ qui se réalise et vit par ce sacrement ; 
  • l'envoi de lettres synodales entre les sièges épiscopaux est un usage fréquent pour informer des décisions prises dans une région. Elles appellent leurs destinataires à une réponse officielle pour confirmer la communion de foi. Il y a bien des échanges entre les communautés chrétiennes, y compris hors de l’empire romain ; 
  • l'usage des conciles régionaux pour juger de l’orthodoxie d’une doctrine est classique. Ils rassemblent tous les évêques rattachés à un siège important d’une région. Ils permettent d’entendre et de juger les personnes, leurs comportements et leurs doctrines, de trouver des solutions à des problèmes, etc. Toute déviation de foi constatée appelle alors à une rétraction publique. En cas de refus, la personne est excommuniée, c’est-à-dire exclue de la communauté et de la communion eucharistique. La confirmation des sièges épiscopaux fait que cette personne est finalement exclue de l’Église et de toute communion. 
Tout cela montre l’importance de la communion de foi pour les évêques qui n’hésitent pas à exclure des personnes lorsque qu’elles persistent dans leurs erreurs. Il y a bien une volonté de préserver la foi de toute déviation. Ce souci n’est pas une nouveauté. Il est en effet particulièrement visible au temps apostolique.


L’usage du concile

Les réunions d’évêques pour traiter des questions de foi, de morale et de discipline ne sont pas rares. Les apôtres se sont réunis à Jérusalem pour résoudre les problèmes que posait le judéo-christianisme. Vers 175, en Asie mineure, les doctrines montanistes sont aussi examinées dans de telles réunions. Leur examen conduit à la condamnation publique des doctrines et à l’excommunication des responsables

Les conciles peuvent être épisodiques pour résoudre un problème particulier ou régulier comme en Afrique dès le IIIe siècle. Un concile peut soit réunir un clergé local ou régional qui dépend d’un siège épiscopal particulier. Les principaux sont Rome, Alexandrie, Antioche, Jérusalem puis s’ajoutera à cette liste Constantinople. Parmi les sièges moins importants, nous pouvons citer Carthage, Édesse, Césarée. La convocation d’un concile régional est le résultat d’un processus rigoureux très bien défini

Prenons un exemple. En 251, à Rome, après des réunions dans chaque diocèse, le Pape Saint Corneille réunit un concile régional pour examiner la doctrine de Novatien favorable à une très grande sévérité à l’égard des lapsi, c’est-à-dire des chrétiens qui ont abandonné ou feint d’abandonner leur foi durant les persécutions. Au même moment, Saint Cyprien Carthage convoque aussi un concile pour juger également cette doctrine. Rome et Carthage se communiquent ensuite mutuellement leurs décisions et en informent les principaux évêques d’Orient. En 252, les principaux évêques d’Orient se réunissent à leur tour à Antioche pour juger de l’affaire. Ils arrivent aux mêmes conclusions. 
Saint Corneille

Réunis en un concile, les évêques examinent consciencieusement une doctrine. L’auteur est convoqué à une discussion publique. En cas de déviations doctrinales, les évêques lui demandent de la rejeter. En cas de refus de soumission, ils portent contre lui une sentence d’excommunication en le déclarant hérétique. Cette décision est envoyée à tous les sièges les plus intéressés, notamment à Rome et à Alexandrie sous forme de lettres synodales qui les avisent officiellement de la condamnation en leur demandant d’exprimer leur adhésion formelle et le rejet du condamné. La démarche utilisée à Alexandrie pour juger de la doctrine d'Arius est déjà courante au IVe siècle.


Régler aussi des questions générales d’ordre pratique

Les conciles ne traitent pas uniquement de la foi ou de la morale. Ils règlent aussi des problèmes disciplinaires et d’ordre pratique qui concernent toute l'Église. Le Concile de Nicée a ainsi pour tâche de trouver une réponse aux différentes pratiques en usage dans le choix des dates de Pâques. Devait-on célébrer la Passion et la Mort de Notre Seigneur à la Pâque juive comme en Asie ou sa Résurrection le dimanche suivant comme en Occident ? Au IIe siècle, la majorité des diocèses choisissent de célébrer la Résurrection de Notre Seigneur. Mais les dates varient selon le comput[3] utilisé (romain ou alexandrin). Les communautés chrétiennes se partagent alors entre plusieurs usages, ce qui peut poser de réelles difficultés d’ordre pratique. Pendant que certains chrétiens sont en effet dans la réjouissance de la fête, d’autres sont encore dans les rigueurs de la pénitence. L’absence d’uniformité conduit à des contrastes qui peuvent être choquants et surtout ridicules. Le Concile de Nicée a ainsi permis d’uniformiser le calcul de la fête de Pâques « pour que tous, en un seul jour, d’une voix unanime, fasse monter leurs prières en ce saint jour de Pâques. »[4]

L’arianisme, une erreur trinitaire

Revenons à l’arianisme et aux deux protagonistes que sont Arius et Alexandre. 

Arius part de la notion de génération. Seul Dieu le Père est inengendré et par conséquent Dieu est de quelque manière antérieure au Verbe. Il existe donc un moment où le Verbe n’existait pas. En outre, si Dieu génère strictement le Verbe et que toute génération comporte une communication d’une réalité qui appartient à la nature, Dieu le Père perdrait quelque chose de son essence. Donc Arius considère que la filiation du Fils n’est pas naturelle mais adoptive comme notre génération divine. Le chrétien est en effet fils de Dieu par adoption. Par conséquent, le Verbe, appelé Fils de Dieu, est une créature. Il est sorti du néant par la volonté du Père. Mais Arius précise qu’il n’est pas une créature comme les autres. Il est le chef d’œuvre produit par Dieu. Il atteint en effet une perfection morale insurpassable comme le montre sa fidélité absolue à la volonté du Père pendant toute sa vie mortelle. Le Verbe est donc parfaitement saint et sans péché. Pour appuyer son raisonnement, Arius utilise la Sainte Écriture en se référant à des versets dans lesquels se trouve le mot « fait ». 

Saint Alexandre professe que le Fils de Dieu est coéternel au Père et qu’il n’est en aucune façon un être tiré du néant. Il procède du Père par génération naturelle au sens strict. En outre, si Dieu le Père est pendant un instant sans le Verbe comme l’affirme Arius, comment pouvons-nous considérer Dieu sans Sagesse, sans Parole ? Enfin, Alexandre précise la différence entre la génération divine et la génération animale. L’altération et la division ne concernent que la génération animale. Enfin, Alexandre professe l’égalité entre le Père et le Fils puisqu’ils sont de même nature. Pour se justifier, il s’appuie aussi sur la Sainte Écriture notamment sur le Prologue de l’Évangile selon Saint Jean. L’Apôtre affirme bien que le Verbe est au commencement auprès du Père et par lequel tout a été créé. Il n’a pas été créé. C’est Lui qui a tout créé. Il s’appuie aussi sur la Tradition, c’est-à-dire sur des professions de foi et l’enseignement des Pères de l’Église.

La dispute entre Saint Alexandre et Arius vient principalement de la notion de génération et de l’interprétation de certains versets de la Sainte Écriture. Saint Alexandre a l’avantage de s’appuyer sur des pratiques anciennes contrairement à Arius qui est plutôt novateur. Ce sont même ses innovations qui provoquent inquiétude et trouble chez les fidèles.

Le Symbole de Nicée

Le Concile de Nicée élabore une profession de foi connue sous le nom de Symbole de Nicée. Il est formé à partir de la profession de foi en usage à Césarée pour les baptêmes. Les Pères du Concile l'ont reconnue comme étant l’expression vraie de la foi. Il est rédigé selon une structure trinitaire et le cycle christologique qui remontent au IIe siècle et même à la prédication des Apôtres. La plupart des mots sont d’origine biblique. A part quelques termes, le Symbole de Nicée ne présente donc aucune nouveauté. 

La profession de foi en usage à Césarée aurait suffit à condamner l’arianisme. Mais en l’interprétant à leur manière, les ariens aurait pu aussi s’y souscrire sans difficulté et accepter au Verbe le titre de Fils de Dieu. Il ne résout donc pas les problèmes doctrinaux que soulève l’arianisme. Pour éviter les équivoques, les Pères du Concile rajoutent alors un terme très important, celui de « consubstantiel ». Il est « engendré du Père, c’est-à-dire de la substance du Père ». Nous voyons chez eux le souci très fort d’éviter toute expression ou mot équivoque. La formule doit être suffisamment claire pour éviter tout malentendu.

Le Concile définit le mode d’origine du Fils comme une génération et définit ce que l’Église entend par génération en excluant toute idée de création. L’interprétation de « Fils de Dieu » est ainsi solennellement et rigoureusement définie dans une formulation claire et sans équivoque. Cette génération n’est pas le résultat de la volonté du Père comme dans le cas des fils adoptifs qui demeurent des créatures. Elle est communication de l’être vivant lui-même par celui qui engendre. Le Fils reçoit la nature même du Père qui engendre. Le Père et le Fils ont la même essence. Nous sommes de nature humaine comme notre père sans que notre père n’ait perdu quoi que ce soit de sa nature. Ainsi le Fils est Dieu, vrai Lumière, vrai Dieu comme le Père est Dieu, Lumière et vraie Dieu. Le Symbole professe clairement l’absolue divinité du Verbe.


S’Il est engendré, le Fils de Dieu n’est pas fait. Au contraire, c’est parce qu’Il est engendré qu’Il n’est pas une créature de Dieu. Le Concile de Nicée donne alors le sens exact de certains versets bibliques qui, lus selon une autre interprétation, pouvaient faire croire que le Fils de Dieu avait été fait. Il supprime ainsi les hésitations d’une terminologie qui peut porter préjudice par son manque de clarté. Si dans la Sainte Écriture, le Fils est dit « créé », Il l’est en effet en raison de son humanité et non de sa divinité, c’est-à-dire de son Incarnation. 


Le verset de la Sainte Bible qui pose effectivement problème est : « Le Seigneur m’a créé comme principe de ses chemins » (Proverbe, VIII, 22). C’est sur ce verset en particulier qu'Arius fonde sa doctrine. Le verset parle de la Sagesse qu’on identifiait au Verbe de Dieu d’où l’erreur arienne. Mais comme le soulignent Saint Athanase et Saint Basile de Césarée, le verset parle de la Sagesse incarnée donc de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il doit donc être lu d’après le Mystère de l’Incarnation. Interpréter un verset de la Sainte Écriture isolé de la Sainte Bible et de l'œuvre de la Rédemption peut en fait nous induire en erreur. Le Prologue de l’Évangile selon Saint Jean apporte notamment l’éclaircissement nécessaire. L’interprétation des Pères du Concile est parfaitement conforme à l’ensemble de la Sainte Écriture. 

Le Concile de Nicée peut en outre s’appuyer sur des décisions anciennes puisque le problème d’interprétation qu’il traite a déjà donné lieu à des réponses. Vers le milieu du IIIe siècle, le Pape Denys condamne tous ceux qui voient en la génération du Fils une « production » ou une « création ». Ainsi pour résoudre les problèmes relatifs aux interprétations d’un verset, faut-il recourir à l’ensemble de la Sainte Écriture et à la Sainte Tradition.

Les exigences de la communion de foi

Cette histoire nous montre combien les chrétiens étaient soucieux de préserver la foi de toute déviation en refusant solennellement tout enseignement différent de celui qu’ils ont reçu. De nombreux moyens ont ainsi été mis en place pour juger de l’orthodoxie d’une doctrine et garantir la communion de foi, notamment au travers des échanges entre toutes les communautés réparties dans l’empire romain et au-delà. Ils sont aussi soucieux de juger une doctrine selon la Révélation dans sa totalité, évitant ainsi toute interprétation personnelle ou toute erreur que peut donner une vision restrictive de la foi. Enfin, ils se sont attachés à proposer des formules claires, précises, fermes, dénuées de tout propos équivoque ou de tout malentendu. Telles sont les exigences de la vérité. L’adhésion à la foi est une chose trop grave pour laisser subsister le doute et l’incertitude dans l’esprit. La communion de foi dans le temps et dans l'espace était donc une de leur priorité. Elle doit aussi rester la nôtre. 







Références
[1] Ignacio Ortiz de Urbina, Histoire des conciles œcuméniques, Nicée et Constantinople, chapitre II, p.39, Fayard, 1963, nouvelle éditions 2006.
[2] Voir Alexandre d’Alexandrie, Ep. Ad Alex., dans Histoire ecclésiastique de Sozomène, I, 6, cité par Histoire des conciles œcuméniques d’I. Ortiz de Urbina.
[3] Méthode de calcul utilisée par les communautés chrétiennes pour déterminer une date, notamment celle de Pâques.
[4] Décret sur la Célébration de Pâques, annexes VII, Histoire des conciles œcuméniques d’I. Ortiz de Urbina.

samedi 16 août 2014

Le développement du dogme et son immutabilité

Concile de Nicée (325)
Fresque byzantine de l'église
Saint Nicolas de Myre wikipedia
Le Concile de Nicée a promulgué un symbole de foi pour énoncer de manière irrévocable ce que nous devons croire. Il est le premier dogme que l’Église a déclaré solennellement. Nous rappelons que le dogme désigne « toute vérité religieuse révélée surnaturellement par Dieu et proposée comme telle à notre croyance par l’Église »[1]. Dès le début du christianisme, le dogme apparaît clairement comme une affirmation irrécusable et immuable d’une vérité révélée à laquelle nous devons nous soumettre pour être en communion de foi avec l’Église. Or depuis plus d’un siècle, cette immutabilité est remise en cause. Le dogme serait évolutif, le fruit d’un progrès de la foi ou du sentiment religieux. Effectivement, le symbole de foi de Nicée peut apparaître comme le résultat d’un « progrès » ou d’un « développement » du dogme. Elle est à l'origine de nombreux débats dans l'Église. Elle est probablement au centre du modernisme et de la crise de l'Église dans laquelle nous vivons.

Le concile de Nicée a solennellement défini une profession de foi à un moment précis dans l’histoire. Avant cette proclamation, il n’existait pas et il n’a pas été créé de rien. Il est bien le fruit d’une histoire. Plus précisément, il est le résultat des travaux menés lors du concile pour s’opposer aux erreurs d'Arius et faire cesser les divisions qui déchirent les communautés chrétiennes. 

Mais contrairement aux vœux de l’assemblée, le symbole de foi n’a pas arrêté les disputes. Au contraire, il semble l’avoir envenimé, provoquant de nouvelles scissions plus graves encore. D’autres conciles vont donc avoir lieu pour préciser de nouveau la profession de foi et finalement donner naissance au symbole de Constantinople que l’Église proclamera solennellement. D'une manière hâtive, nous pourrions alors voir dans ces événements historiques la preuve d’une évolution dogmatique. La question se pose donc : le dogme serait-il évolutif ? 


Dogme et histoire

Les dogmes ont une histoire. Ils sont aussi des faits historiques. Qui pourraient en douter ? Les dogmes sur la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ ou sur l’Immaculée Conception par exemple sont définis à un moment précis dans un contexte particulier suite à différents débats et événements. L’histoire des dogmes est pourtant une science récente. Elle a vraiment été développée au cours du XIXe siècle et surtout au début du XXe siècle. De nombreux ouvrages traitant spécialement de ce sujet apparaissent à cette époque. Elle répond en fait à un intérêt de plus en plus fort pour le progrès et le développement des dogmes. 


Certains ouvrages d'histoire des dogmes peuvent la présenter rigoureusement en suggérant l’idée que finalement l’Église a progressivement élaboré des dogmes en les améliorant progressivement ou en les adaptant pour répondre à ses besoins et survivre aux épreuves. « L’histoire de l’Église montre, que le christianisme primitif devait disparaître pour que le christianisme vécût ; et de même dans la suite, les métamorphoses se sont succédé. »[2] L’évolution des dogmes serait ainsi nécessaire à l’Église pour qu’elle surmonte ses obstacles. L’Église aurait ainsi perduré en modifiant ce qu’elle a affirmé auparavant comme étant vérités de foi. Cette idée est une remise en cause de l’irrévocabilité et de l’immuabilité des dogmes. Ainsi pour faire face à l’évolution de la société et des mentalités, on propose de faire encore évoluer les dogmes de l’Église.

Ceztte idée d’évolution est contraire à l’enseignement de l’Église. Elle est aussi infondée que fausse. Il est donc important de bien définir et de bien comprendre ce qu’est le développement d’un dogme, sujet très délicat mais difficile à ignorer. 

Définition du dogme



Concile de Vatican I (1870)



Rappelons que le Concile de Vatican I ne définit pas explicitement ce qu’est le dogme. Il donne en effet une définition de ce qu’est la vérité de foi divine. Nous devons croire de foi divine et catholique «  tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu, écrite ou transmise par la Tradition et que l’Église propose de croire comme divinement révélée, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel. »[3] C’est à partir de cette définition que l’habitude a été prise de fixer le sens du mot « dogme ». Il faut attendre la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi Mysterium ecclesiae en 1973, sous le pontificat de Paul VI, pour que le dogme signifie clairement les objets de la foi divine et catholique[4]. Il est devenu de plus en plus classique de restreindre le dogme aux proclamations solennelles.

La définition du dogme établit trois éléments distincts :
  • l’objet du dogme qui est la vérité révélée, objet de foi divine et catholique ;
  • la proposition du dogme que l’Église demande de croire absolument ;
  • les fidèles qui doivent croire au dogme.

Nous avons bien deux sujets, l’un actif, l’Église, l’autre passif, le fidèle. Le premier propose une vérité à laquelle le second doit adhérer. Nous avons aussi un contenu, la vérité révélée, qui n’est accessible que par un contenant, l’énonciation ou la formulation. L’ensemble des vérités révélées forme le dépôt de la foi, encore appelé dépôt sacré. 

Évolution, progrès et développement

L’évolution du dogme peut concerner l’un ou plusieurs des trois éléments constituant le dogme. Il est donc important lorsque nous parlons d’évolution dogmatique de préciser quels sont les éléments évolutifs

Il est clair qu’une vérité est immuable par nature, qu’elle soit révélée ou non. Nous ne pouvons donc penser qu’elle puisse faire l’objet d’évolution sans remettre en cause la définition même de la vérité. Le fait d’appartenir ou non à la Révélation est aussi définitif. Une fois qu’une vérité est révélée, elle l’est toujours. Mais le dépôt sacré peut évoluer avec le temps au fur et à mesure que les vérités sont révélées. Et plus exactement, il ne peut que croître. 

Dans une formulation quelconque, nous pouvons distinguer :
  • l’énoncé proprement dit, c’est-à-dire un ensemble de mots définis dans une langue précise et articulés selon des règles ;
  • le sens de l’énoncé, c’est-à-dire ce qu’il veut exprimer. 

Les composants de l’énoncé et leur signification peuvent évoluer au cours du temps. Une formulation peut donc changer de sens. Elle peut être enrichie, appauvrie ou changée. Ainsi la compréhension d’une définition est changeante, non dans celui qui la définit puisqu'elle est fixée en lui mais dans celui qui l’entend. La compréhension d'une formulation peut donc évoluer. Cette évolution peut être évitée au moyen de l’enseignement qui garantit l'intégrité du sens d'une énonciation.

Le progrès dogmatique est entendu comme un accroissement des vérités révélées elles-mêmes ou un enrichissement du dépôt sacré. Il concerne donc le contenu proprement dit du dépôt sacré et non du contenu de la vérité révélée.

Le développement du dogme concerne les énonciations ou formulations dogmatiques. Il y a alors développement dogmatique lorsque nous parlons des propositions du dogme, du travail qui a permis de les élaborer, de l’approbation des dogmes par l’Église ou de l’intelligence du dogme par les fidèles. 

Dogme et doctrine

Au sens strict, le dogme ne peut être confondu avec la doctrine de l’Église. Cette dernière a un périmètre beaucoup plus étendu. Elle comprend non seulement les dogmes mais aussi les vérités catholiques, les vérités de raison et des faits historiques, et plus précisément tout ce qu’enseigne l’Église avec certitude. Le fidèle doit adhérer à cet enseignement non dogmatique mais cette adhésion ne se fonde pas sur la foi divine et catholique. Les opinions d’un théologien ou d’une école théologique n’appartiennent pas à la doctrine de l’Église.

Après avoir défini ces termes, résumons ce que l’Église enseigne sur le progrès et le développement dogmatique.

La fin du progrès dogmatique

Notre Seigneur Jésus-Christ a confié à l’Église le dépôt sacré pour le conserver, le défendre et l’interpréter [5]. Aucune nouvelle vérité révélée n’est à attendre après la mort du dernier Apôtre. La Révélation s’achève par les Apôtres. Il ne peut donc avoir de progrès dogmatique après le temps apostolique. Nous pouvons donc parler de progrès dogmatique jusqu'à la mort du dernier des Apôtres

L’immutabilité du dogme





Notre Seigneur Jésus-Christ a promis à l’Église l’assistance du Saint Esprit pour qu’elle garde intégralement le dépôt sacré et l’expose fidèlement [6]. Par conséquent, elle possède de manière certaine et intègre le dépôt sacré. « Elle le garde fidèlement et le présente infailliblement »[7]. La déclaration d’une vérité révélée ne peut donc pas contenir d'erreur. C’est bien cette promesse qui nous garantit de la vérité des dogmes et donc son immutabilité. « En conséquence, le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé à perpétuité est celui que Notre Mère la sainte Église a présenté une fois pour toute et jamais il n’est loisible de s’en écarter […] »[8] Le sens d’un dogme est bien immuable. « Quand au sens même des formules dogmatiques, il demeure toujours vrai et constant en lui-même dans l’Église, même lorsqu'il est éclairé davantage et compris de façons plus pleine »[9].

La nécessité d’adapter le discours dans sa forme

Notre Seigneur Jésus-Christ a demandé à l’Église de répandre la bonne parole à tous les hommes, de tout pays et de toute époque, de toutes conditions sociales et de tout niveau intellectuel. Elle a une obligation universelle d’enseigner. Cet enseignement doit donc s’adapter à toute personne. Le développement dogmatique est donc nécessaire. Il a lieu tout au long de l’histoire de l’Église et des hommes. Il peut se produire par une amélioration des formules dogmatiques, par une nouvelle déclaration de l’Église ou par une démarche des fidèles qui rend plus fructueuse l’intelligence de la foi. «[…] Il arrive parfois qu’une vérité dogmatique soit exprimée d’abord d’une manière incomplète, pas fausse cependant, et que plus tard, considéré dans un contexte de foi ou de connaissances humaines plus étendue, elle soit signifiée de façon plus pleine et plus parfaite »[10].

Les causes du développement dogmatique sont multiples. L’Église a reçu pour mission de défendre la foi contre les erreurs et de la consolider chez les fidèles. Cela nécessite parfois une présentation du dogme plus efficace, une terminologie plus précise, une explication plus étendue. Le développement dogmatique répond à la nécessité de s’adapter aux fidèles selon la manière exigée par leurs biens spirituels. Les progrès de la théologie et des autres disciplines relevant de la la foi précisent aussi les énoncés. Ils permettent de comprendre plus clairement ce qui était peut-être plus obscurément cru. 

Concile de Trente
(1545-1563)

Le développement dogmatique peut ainsi avoir lieu quand l’Église condamne des erreurs d’interprétation ou des erreurs doctrinales. « L’Église, qui a reçu, en même temps que la charge apostolique d’enseigner, le commandement de garder le dépôt de la foi, a, de par Dieu, le droit et le devoir de proscrire « la fausse science » (1, Timothée, VI, 20) afin que nul ne soit trompé par le vain leurre de la philosophie »[11]. La dénonciation des erreurs impose par conséquent des limites à l’interprétation des expressions utilisées dans un dogme. Elle encadre ce que nous devons croire.

Une formulation est propre à un contexte sémantique. « Pour ce qui concerne […] la condition historique, il faut observer tout d’abord que le sens que contiennent les énoncés de la foi dépend pour une part de la portée sémantique du langage utilisé à un certain moment et dans certaines circonstances »[12]. Néanmoins, « les vérités que l’Église entend réellement enseigner par ses formulations dogmatiques sont certes distinctes des représentations changeantes propres à une époque déterminée, et peuvent être exprimées dans elles »[13]. Mais il est possible que ces vérités soient présentées « en des termes qui portent la trace de ses représentations »[14].

Identité substantielle du dogme en dépit de son développement ultérieur

Mais dans ce développement dogmatique, il y a identité substantielle entre un dogme primitif et son développement ultérieur. Ils conservent le même sens. Il faut en effet comprendre les mots et les expressions employées « dans le sens où l’a toujours et unanimement tenu et exprimé l’Église catholique »[15]. 

Une manifestation plus explicite du dogme 

Les débats théologiques, les controverses, les luttes contre les hérésies ont aussi conduit à rendre plus explicite ce qui était implicite dans le dépôt sacré. C’est pourquoi l’Église vient à proclamer solennellement un dogme au cours de l’histoire. Il n’y a pas nouveauté dans la Révélation mais une prise de conscience d’une vérité révélée crue auparavant de manière implicite

La nécessaire approbation de l’Église

Enfin, comme l’obligation universelle d’enseigner et de défendre le dépôt de la foi n’a été confié qu’à l’Église, elle-seule doit approuver, valider, légitimer le développement dogmatique. Elle ne peut donc s’effectuer que sous son autorité puisqu'elle-seule a la garde du dépôt sacré et le pouvoir de l’exposer fidèlement.


En conclusion, depuis la mort du dernier Apôtre, aucun progrès dogmatique n’est possible. L’Église ne peut donc présenter de nouvelles vérités révélées. Elle ne peut que les transmettre de manière à les rendre compréhensible. En outre, sous l’assistance permanente du Saint Esprit, elle expose fidèlement ce qu’elle a reçu. Ainsi les dogmes qu’elle énonce sont vrais donc immuable dans le sens où elle s’est toujours exprimée

Son devoir d’enseigner et de conserver ce dépôt à tous les hommes lui oblige aussi d’adapter son discours. Le développement du dogme s’explique aussi par une plus grande explicitation du dogme grâce notamment aux travaux des théologiens sous l’autorité de l’Église. 

L’immutabilité du dogme et le développement dogmatique tels qu’ils sont définis et comprises par l’Église sont parfaitement conciliables et cohérents. Elles résultent principalement de l’assistance permanente du Saint Esprit puis du Magistère authentique et infaillible de l’Église. Elle provient finalement de l’institution divine de l’Église et de ses missions. L’idée d’une évolution du dogme au sens d’une évolution de sens remet donc en cause non seulement l’autorité de l’Église mais surtout son fondement. Inévitablement, elle rejette l’idée d’une Église d’origine divine…  



Références
[1] Mg Bernard Bartmann, Précis de Théologie dogmatique, introduction, chapitre II, §2.
[2] A. Von Harnack, L’essence du christianisme cité par Chr. Theobald, La Parole du Salut, 3e phase, Histoire des Dogmes sous la direction de B. Sesboüé, Desclé, 1996.
[3] Constitution Dei Filius (24 avril 1870), chap.3, Concile de Vatican I, Denzinger 3011.
[4] Congrégation pour la doctrine de la foi, Mysterium ecclesiae, 24 juin 1973, Denzinger 4536.
[5] Voir Pie XII, encycliques Humani generis et Ad sinarum gentem.
[6] Concile de Vatican I, constitution dogmatique Dei Filius, Denz. 3069-3070.
[7] Concile de Vatican I, constitution dogmatique Dei Filius, ch.4, Denz. 3020, canon 3.
[8] Concile de Vatican I, constitution dogmatique Dei Filius, ch.4, Denz. 3020, canon 3.
[9] Denzinger, 4540, n°5.
[10] Denzinger, 4539.
[11] Concile de Vatican I, Constitution dogmatique Dei Filius, chapitre IV, Denzinger 3018.
[12] Congrégation pour la doctrine de la foi, Mysterium ecclesiae, 24 juin 1973, Denzinger 4539.
[13] Denzinger, 4539.
[14] Denzinger, 4539.
[15] Concile de Trente, Décret sur la justification, session VI, 13 janvier 1547, Denz. 1532. Le Concile traite du sens de l’expression « justifié par la foi ».


lundi 11 août 2014

L'athéisme, une croyance mortelle

L’athéisme au sens strict est étrange. Il s’oppose en effet à l'idée de Dieu car il prétend que Dieu n'existe pas. Mais qu’est-ce que pourrait être Dieu pour celui qui ne croit pas en son existence ? Ou plus exactement que peut-il faire face aux croyants ? Il a en fait le choix entre trois attitudes. Il pourrait montrer que les religions sont erronées mais cela ne signifierait pas que Dieu n’existe pas. Les religions qu'il dénoncerait pourraient ne pas connaître le véritable Dieu ou ne pas correspondre à ce que Dieu attend d'elles. Il pourrait aussi démontrer directement l’inexistence de Dieu mais de quel Dieu parlerait-il ? Il risquerait de rejeter une image de Dieu qu’il s’est faite à partir de son expérience ou d’une religion. Il pourrait donc refuser une fausse idée de Dieu et non Dieu lui-même. Ce serait donc cette représentation qu'il repousserait pour des raisons historiques, philosophiques ou autres. La dernière possibilité serait de poser comme principe l’inexistence de Dieu et de montrer que cette hypothèse est valable. Généralement, les philosophes athées choisissent cette dernière solution. Ainsi l’athéisme est une croyance de même ordre que la croyance religieuse. 

Quelle que soit la solution qu'il choisit, l’athée doit nécessairement construire une idée de Dieu pour croire en son inexistence. Nous ne pouvons pas en effet croire en quelque chose sans avoir déjà une idée de cette chose, même si elle n’existe pas. L’athéisme est une croyance dont le fondement est la négation d’une idée de Dieu ou de toute idée de Dieu telle que l'athée se la représente. 

Mais l’athée n’est pas un croyant au sens où nous l’entendons. « L’athéisme proclame la disparition nécessaire de toute religion, mais il est lui-même un phénomène religieux. N’en faisons pas, pour autant, un croyant qui s’ignore. Et ne ramenons pas ce qui est un drame profond à un malentendu superficiel. »[1]

Cette croyance est particulière parce que son objet est une inexistence, non pas rien ou le néant mais le contraire de ce que d’autres croient. L’athéisme n’existe que par rapport aux autres croyances. Les athées ne peuvent que s’affirmer face aux croyants. N'oublions pas en effet que dans l'ordre chronologique, les croyants sont premiers et les athées second. Ou dit autrement, ce sont les croyants religieux qui donnent une existence aux athées. Dans des temps d’impiétés, nous ne les entendons guère. Dans une cité sans culte officiel, il n’y a pas d’athée. C’est parce que nous croyons en Dieu qu’il existe finalement des athées. 

A partir de leur principe d'inexistence de Dieu, les philosophies athées élabore une explication du monde qui exclut toute idée de Dieu. Tels sont les systèmes matérialistes qui rejettent le surnaturel et le spirituel. Tout n’est que matière et ne se réduit qu’à de la matière. 

Elles développent une philosophie de l’homme qui rejette toute notion de Dieu. La source et le principe de toute activité et pensée humaine se trouvent en l’homme. Toute chose est à sa mesure. Tout trouve finalement une explication dans l’homme. Dieu n’a pas sa place dans un système qui renie tout ce qui dépasse l’homme. Tel est par exemple le système d’Helvétius où tout s’explique par la passion ou la sensation : « c’est toujours la douleur et le plaisir physiques que nous recherchons »[2].  

Les philosophies athées peuvent aussi fonder une théorie de connaissance qui refuse à l’homme toute connaissance qui dépasse les phénomènes physiques. Comment Dieu peut-Il alors être connaissable ? De telles philosophies vont encore au-delà du criticisme de Kant puisqu’elles sont convaincues que tout ce qui est hors du domaine de l’expérience est inexistant. La réalité est ainsi réduite au monde sensible. Tels sont le positivisme, le rationalisme, le scientisme. Principes à partir duquel se bâtit de nouveau un monde sans Dieu…

Ainsi l’athéisme philosophique prône des idées matérialistes, anthropocentristes et naturalistes, idées incompatibles à toute idée de Dieu. Il élabore des systèmes où ne peut subsister qu’un monde vide de Dieu, un monde où seul l’homme est finalement source et fin de toute chose, un monde où seul domine l’homme. Car « tuer Dieu, c’est affirmer l’homme »[3].

Dans leurs théories, les athées défendent généralement l’homme contre Dieu, ou plutôt érige Dieu contre l’homme. Ils parlent d’une lutte à mort entre le principe divin et le principe humain. « L’ennemi c’est Dieu. Le commencement de la sagesse c’est la haine de Dieu […] cet épouvantable mensonge qui, depuis six mille ans, énerve, abrutit, asservit la pauvre humanité ».[4] L'homme ne peut être victorieux de ce combat qu'en remplaçant Dieu. Ils « soutiennent que la liberté consiste dans le fait que l’homme est pour lui-même sa propre fin, et qu’il est le seul artisan, et démiurge de sa propre histoire »[5]. 


Ludwig Feuerbach
(1804-1872)
 
Les athées justifient leur combat en montrant que la religion est une aliénation de la personnalité, un avilissement, un asservissement. Dieu est décrit comme un obstacle à l’épanouissement de l’homme. « Pour réaliser l’homme, pour lui permettre de bâtir un monde à sa taille, il faut que la religion disparaisse, que l’idée même de Dieu soit incompréhensible. C’est la société entière qui, dans sa marche vers l’avant réalisera cette tâche. »[6] L’épanouissement de l’homme passe donc par une rupture de tout lien entre l’homme et Dieu, entre l’Univers et son Créateur. Par conséquent, le bonheur de l'homme est incompatible à la religion qui a justement pour but d'établir ces liens. Les athées « ne perçoivent pas du tout ou rejettent explicitement le lien intime et vital qui unit l’homme à Dieu »[7]. Ainsi en toute logique, ils combattent la religion. Mais cela ne suffit pas. Ils doivent aussi rendre « l’idée de Dieu incompréhensible », c’est-à-dire le faire oublier, le faire mourir dans les esprits. Ils construisent alors un monde, un savoir, un bonheur sans Dieu. L’homme doit tuer Dieu pour gagner sa liberté …« La mort de Dieu n’est pas seulement pour l’homme un fait terrible : elle est voulue par lui. Pourquoi ? Mais pour mettre fin à son aliénation, à son avilissement »[8]

Comment faire oublier toute idée de Dieu ? Ne pas en parler, ne pas l’évoquer, ne pas s’en soucier. Un silence terrible pèse aujourd'hui sur Dieu au point que Dieu paraît silencieux Lui-même. Ce silence est encore facilité quand l’homme est inondé d’un flux d’informations d'inégales valeurs, quand il est sans-cesse distrait, préoccupé par les biens de ce monde, par les incessants et futiles besoins que le monde lui créés. Et ce silence est plus effroyable quand ceux qui doivent parler de Dieu se taisent. Pesant silence qui finit par rendre incompréhensible la présence de Dieu…

Friedrich Nietzsche
(1844-1900)

Mais l’athéisme recherche-il vraiment la liberté de l’homme comme il le prétend ? En excluant Dieu, il laisse une place vide qu’il faut nécessairement remplir. Et qui peut prendre cette place laissée vacante si ce n’est l’homme ? « C’est l’essence de l’homme qui est l’être suprême… Le tournant de l’histoire sera le moment où l’homme prendra conscience que le seul Dieu, c’est l’homme lui-même : Homo homini Deus »[9]. Nietzsche remplit le vide de Dieu par le surhomme.  « Depuis qu’il n’y a plus de Dieu, la solitude est devenue intolérable, il faut que l’homme supérieur entre en action »[10].


Cependant, en érigeant leur système, les philosophes athées ne peuvent ignorer l’idée de Dieu telle qu’elle est connue par les croyants. Ils sont donc dans l’obligation de justifier son existence pour tenter de la réfuter s’ils ne veulent pas simplement la mépriser. L’idée de Dieu est alors décrite comme une invention humaine, un moyen ou une solution pour satisfaire des besoins et surmonter des difficultés, voire une arme aux mains des oppresseurs. Elle apparaît aussi comme un moyen de satisfaire une certaine sensibilité. « Aimer, c’est avoir besoin »[11]. Elle donne sens à la vie et valorise l’homme. « Dieu est une escroquerie géniale valorisant l'homme, donnant un sens à sa vie. »[12] Les philosophies athées montrent alors la fausseté de ce remède ou exposent d’autres solutions qu'il leur semble  plus pertinentes ou adéquates. 

Étrange parcours que celui des philosophes athées. A partir d’une négation d’une idée de Dieu qu’ils se sont eux-mêmes construites, ils élaborent un système sans Dieu pour ensuite tenter de démontrer l’absurdité de l’idée de Dieu et des religions… Comment ne pas voir dans ce procédé toute l'erreur d'un raisonnement qui démontre ce qui est déjà contenu dans ses prémisses ?

Revue Les Corbeaux
5 Janvier 1900

Enfin, leur explication ne se réduit pas à un raisonnement ou à une liste d’arguments. Elle est généralement offensive, voire agressive, méprisante, à l’égard des religions. Les philosophies athées soupçonnent l’attitude religieuse d’être une invention, une histoire maladive, infantile, liée à toutes les misères d’une humanité encore mal dégrossie. « Avec la science, plus de superstitions possibles, plus d'espérances insensées, plus de ces crédulités niaises, de ces croyances aux miracles, à l'anarchie dans la nature. »[13] Elles espèrent en effet qu’avec les progrès humains dans la science, l’économie, la politique, les hommes pourront enfin se débarrasser de cette situation mensongère. L’idée de Dieu apparaît donc comme inadaptée à l’homme moderne, anachronique, ignorant. Or l’histoire moderne montre combien cette idée est bien naïve et contraire à la réalité...



En dépit de leur diversité, les différentes formes d’athéisme que nous rencontrons se fondent sur un principe premier : l’homme. Elles refusent par conséquent toute idée pouvant le dépasser. La négation de Dieu n’est qu'un moyen de sublimer l’homme lui-même. Or, comme l’a bien prédit Nietzsche, en rejetant l’idée de Dieu, l’athée laisse l’homme face à lui-même, dans une profonde solitude. Dans une telle rencontre, il se découvre tel qu’il est avec ses différences, ses imperfections, ses inévitables laideurs. La mort de Dieu conduit à la haine et à la violence, à l’horreur. La destinée et la fin de l’homme ne se conçoivent pas sans Dieu. La négation de Dieu conduit à celle de l’homme. Telle est peut-être la leçon la plus cruelle de l’histoire…


Références
[1] Jean-Paul II, cité sur http://www.paris.catholique.fr , article Formes et racines de l’athéisme, aumônerie de Jussieu.
[2] Helvétius, De l’Esprit dans œuvres complètes de M. Helvétius, Tome second, chapitre IX, 1777.
[3] Cité dans Un Combat pour Dieu de Daniel Rops, Fayard.
[4] Gustave Flourens (1838-1871), universitaire et homme politique, membre de la Libre Pensée,  La Raison du 12 mars 1870, cité dans Wikipédia.
[5] 2ème Concile du Vatican, Gaudium et Spes, Chap.I, 20, Denzinger 4320.
[6] Karl Marx, Contribution à la critique de la Philosophie du Droit de Hegel.
[7] 2ème Concile du Vatican, constitution pastorale Gaudium et Spes, chap.I, Denzinger 4319.
[8] Nietzsche, La Volonté de Puissance.
[9] Feuerbach, L'Essence du Christianisme, J. Leroy, 1864.
[10] Nietzsche, La Volonté de Puissance.
[11] Helvétius, De l'Esprit, chap. XIV, 1818.
[12] Feuerbach, L'Essence du Christianisme, J. Leroy, 1864.
[13] Paul Bert (1833-1886), ministre de l’éducation, cité dans Wikipédia.

vendredi 8 août 2014

L'athéisme

L’existence de Dieu est une vérité de raison. Toute la Création manifeste et chante sa présence. Et pourtant, certains esprits la renient et crient aux mensonges. Ils défendent et prônent ce que nous appelons l’athéisme. Nombreuses raisons expliquent leur position. Nous allons dans cet article mieux définir ce qu'est l'athéisme…

Pluralité des formes d’athéisme

Le Concile de Vatican II présente l’athéisme sous ses différentes formes. « Par le thème d’athéisme on désigne des phénomènes très divers entre eux. En effet, tandis que Dieu est nié expressément par certains, d’autres estiment que l’homme ne peut absolument rien affirmer de lui, d’autres encore examinent la question de Dieu telle que cette question semble dénuée de sens. Beaucoup, outrepassant indûment les limites des sciences positives, ou bien soutiennent que la seule raison scientifique explique tout ou bien, au contraire, n’admettent aucune vérité. Certains, davantage portés, semble-t-il,  à l’affirmation de l’homme qu’à la négation de Dieu, exaltent l’homme à tel point que la foi en Dieu s’en trouve comme énervée. D'autres se font des représentations de  Dieu telles que l’image de Dieu qu’ils rejettent n’est d’aucune façon celle du Dieu de l’Évangile. D'autres n’abordent même pas les questions relatives à Dieu, car ils ne semblent pas éprouver l’inquiétude religieuse et ne perçoivent pas pourquoi ils devraient encore se soucier de religion. »[1]

L’athéisme englobe en effet un ensemble de doctrines ou de croyances disparates. Dans certaines définitions, il désigne aussi bien  l’agnosticisme, le scepticisme ou l’indifférentisme. 

Le sceptique doute de tout et ne prend position sur rien. L’agnosticisme est un scepticisme religieux. L’agnostique ne se prononce ni sur l’existence de Dieu ni sur son inexistence. Aucun motif ne lui permet de croire ou ne pas croire. La question de Dieu reste cependant présente, ce qui n’est pas le cas pour l’indifférent. L'indifférentisme est le fait de vivre sans se préoccuper de l’existence ou non de Dieu.  

Parfois, des définitions distinguent l’athéisme pratique de l’athéisme théorique. L’un vit comme si Dieu n’existait pas, l’autre pense que Dieu n’existe pas. C’est pourquoi le sceptique, l’agnostique et l’indifférent sont dans ce cas des athées pratiques sans pourtant professer un athéisme théorique.

Une tentative de définition par l’étymologie

Le préfixe grec « a » signifie « sans ». Le mot « théisme » provient de « theos » qui signifie « dieu » ou « divinité ». Nous pouvons alors entendre le terme d’athéisme de deux manières.

D'une part, l’athéisme peut être compris comme étant la doctrine ou la croyance de ceux qui sont sans Dieu[2]. Nous pourrions donc désigner athée celui qui vit sans Dieu. Dans ce cas, il désigne un comportement. L’athée est aussi celui qui croit en l’inexistence de Dieu. Il désigne alors une croyance. Il y a enfin celui qui construit un système ou une vision du monde sans faire intervenir Dieu. Il désigne alors une philosophie ou une cosmologie. 




D'autre part, nous pourrions comprendre l’athéisme comme étant la négation du théisme. Est appelé « théisme » « toute croyance ou doctrine qui affirme l'existence d'un Dieu et son influence dans l'univers, tant dans sa création que dans son fonctionnement. »[3] Voltaire en donne une autre définition plus  précise : « le théiste est un homme fermement persuadé de l’existence d’un Être suprême aussi bon que puissant, qui a formé tous les êtres étendus, végétants, sentants, et réfléchissants ; qui perpétue leur espèce, qui punit sans cruauté les crimes, et récompense avec bonté les actions vertueuses. »[4] Dans le théisme, Dieu est un être personnel et agissant. Certains ouvrages distinguent le théisme religieux qui fait appel à la religion comme intermédiaire entre Dieu et les hommes et le théisme philosophique qui n’admet aucun intermédiaire entre Dieu et les hommes. Dans ce dernier cas, le christianisme serait un théisme religieux.

Le déisme est doctrine de ceux qui croient en l’existence d’un dieu mais nie toute intervention divine dans l’univers et toute personnalité. Il rejette alors toute révélation et tout culte. C’est un Être suprême inaccessible et indifférent à l’homme et au monde. Il est l’Horloger des « philosophes »Le déiste est aussi défini comme se refusant de dire quoi que ce soit de Dieu. Dieu est inconnaissable…

Par conséquent, en comprenant l’athéisme comme contraire au théisme, nous pouvons le définir comme la doctrine ou la croyance qui nie l’existence d’un Dieu personnel, ou d'un Dieu agissant dans l’univers. Dans ce cas, le déisme est un athéisme. 

Que pouvons-nous dire du panthéisme ? Le panthéiste croit que tout est en Dieu ou que Dieu et le Monde sont confondus. Dieu serait ainsi une force impersonnelle présente partout, y compris en nous. Il refuse donc un Dieu personnel. Il pourrait donc être rangé parmi les athées.

Nous définissons l’athéisme au sens strict la croyance ou le comportement qui nie l’existence de Dieu. Il désigne donc une position négative de l’homme face à la question de l’existence de Dieu. Au sens large, nous pouvons inclure le déisme, le panthéisme, et toute forme d’athéisme pratique. Nous parlerons désormais de l’athéisme au sens strict. Notre étude tâchera de mieux encore le préciser…

Précaution pour un survol historique de l’athéisme

Le terme "athée" a eu des sens différents selon les époques et les sociétés. Ainsi est-il un mot trompeur lorsque nous voulons percevoir des signes d’athéisme dans l’histoire. Certains athées n’hésitent pourtant pas à en montrer la permanence, probablement pour souligner son antiquité et ainsi le légitimer. Or il est clair que l'athéisme est une croyance récente. Cette manière de procéder dissocie surtout l’athéisme de tout rapport avec le théisme. Elle tente ainsi de donner à l’athéisme une existence propre. Or une telle affirmation revient à lui donner une force que l’athéisme n’a pas et à masquer sa principale faiblesse. En soi, l'athéisme n'a aucun sens.

Démocrite
Ainsi telles phrases sorties d’un ouvrage pourraient penser que son auteur est athée. Tel Héraclite (535-475 av. J.C.) : « le monde n’a été fait ni par un des Dieux, ni par un des hommes ; il a toujours été, il est et il sera ; c’est le feu toujours vivant qui s’allume régulièrement et qui s’éteint régulièrement. »[7] L’atomisme que défend Démocrite et l’épicurisme sont aussi vus comme une preuve d’athéisme. Or une vue plus globale de leur œuvre et une meilleure compréhension de leur philosophie suffisent à refuser en eux la moindre trace d’athéisme tel que nous l’avons défini. 
Écoutons ensuite Démocrite (460 - 370 av. J.C.): « les dieux accordent aux hommes, maintenant comme jadis, tous les biens. Il n’est que ce qui est mauvais, dangereux et nuisible qu’ils leur refusent. Mais les hommes, d’eux-mêmes, s’y précipitent. »[5] Peut-il croire et ne pas croire en la divinité ? Démocrite est bien un païen. Sa vision atomiste, bien différente de la nôtre, ne s’oppose pas à la divinité tel qu'il la conçoit. Écoutons ensuite Épicure (341 - 270 av. J.C.) : « D'abord, tenant le dieu pour un vivant immortel et bienheureux,[…] ne lui attribue rien d’étranger à son immortalité ni rien d’incompatible avec sa béatitude.[…] Car les dieux existent : évidente est la connaissance que nous avons d’eux. »[6] L’idée de bonheur n’est pas incompatible avec sa vision de la divinité. Enfin, Héraclite ne renie pas l’existence des dieux mais s’oppose à ceux qui refusent de croire en l’éternité du monde, croyance qui n’est pas incompatible à l’idée de la divinité. 

Ces différents exemples montrent en fait les dangers d’une lecture anachronique. Appliquée de manière légère ou intentionnelle, elle consiste à donner à un mot employé dans le passé le sens qului est donné aujourd'hui au point de trahir la pensée de l’auteur. Ainsi des athées appliquent dans les œuvres de Démocrite, d’Héraclite ou d’Épicure leur propre conception de la divinité ou plutôt une conception de la divinité postérieure à ces auteurs. En effet, ils ne peuvent associer l’idée de Dieu avec la vision atomiste ou avec l’hypothèse d’un monde éternel, ce que pouvaient faire les philosophes grecs. Leur conception de Dieu résulte en fait d’un progrès de la connaissance, que nous devons notamment au christianisme

Le sens ancien de l’athéisme

Au temps antique est dit athée celui qui ne suit pas les cultes de la cité et commet donc des actes d’impiétés. Ainsi le chrétien et le juif sont-ils traités d’athées de la part des philosophes païens. Sont aussi traités de la sorte les sceptiques, les agnostiques et les indifférents qui vivent comme si les dieux de la cité n’existent pas. Le refus de reconnaître les divinités et d’accomplir leur culte manifeste donc l’athéisme aux yeux des païens.

La Sainte Écriture utilise une seule fois le mot « athée » pour désigner le païen. Il est « sans Dieu dans le monde » (Épître aux Éphésiens, 2, 12). Il définit l’état de l’homme sans Dieu, c’est-à-dire son extrême misère. Dans l’Ancien Testament, le terme d’athéisme n’a pas d’équivalent. Néanmoins, certains mots sont utilisés pour dénoncer un comportement mené sans considération de Dieu. L’athéisme est donc plus un état ou une manière d’être qu’une doctrine ou une croyance. Nous retrouvons encore cette notion d’athéisme au Moyen-âge. Sont accusés d’athéisme les comportements incohérents avec la morale chrétienne.

Une vision du monde de plus en plus critiquée et vidée de Dieu

A partir du XVIe siècle, le terme d’athée semble être de plus en plus utilisé dans les discours. En visite en Corse de 1565-1615, les Jésuites se demandent si l’île a été christianisée tant les insulaires vivent sans référence à Dieu [8]. Nous retrouvons encore l’athéisme au sens d'athéisme pratique. 

S’il désigne encore un comportement déviant, il rassemble aussi toutes les critiques à l’égard des autorités ecclésiastiques. Il reflète sans doute le discrédit dont fait l'objet l’Église, probablement à cause du Grand Schisme et des guerres de religion. Le « pluralisme » de la foi que génère le protestantisme est probablement le plus grand scandale pour la foi des fidèles. Des voix retentissent pour critiquer ouvertement l’Église et remettre en cause le christianisme. Le courant agnostique athée commence à naître (Etienne Dolet) puis progresse lentement (Ponthus de Tyard, Guy de Brues, Jacques Tabureau), avec les libertins (Vanini) et les sceptiques (Théophile de Viau).


Alors que monte le discrédit à l’égard du christianisme, des ouvrages décrivent la société et le monde en ne faisant plus intervenir Dieu tel le Leviathan (1651) de Thomas Hobbes (1588- 1679). Ce dernier a été rapidement accusé d’athée. La « science » est aussi utilisée pour rejeter toute idée de Dieu. Giordano Bruno (1568-1639), au nom de la science, écrit de véritables pamphlets contre toute religion dans La Mise aux Enchères de la Bête Triomphante. La connaissance se voit épurée de toute relation avec Dieu. Nous dirons aujourd’hui qu’elle se laïcise. La même tendance se voit dans les arts qui quittent les églises pour décorer les salons. La religion devient un thème artistique. 

L’athéisme s’émancipe

Au XVIIIe siècle l’incroyance à l’égard de toute église ou religion officielle ne cesse de croître. Elle mène de manière virulente le combat contre l’Église et le christianisme. L’athéisme n’hésite pas à apparaître publiquement. C’est à cette époque que naissent les notions de déisme et de théisme. ON accable surtout le christianisme en l’accablant de reproches, de critiques acerbes et de fables mensongers. Ils utilisent tous les procédés de diffamations et de calomnies possibles pour éloigner les hommes de l’autel. Les libelles, les livres et les chansons populaires sont leurs principales armes. L’encyclopédie est leur ouvrage de lutte. Elle confirme l’orientation du siècle précédent en excluant Dieu dans la présentation du savoir. Bientôt, Laplace pourra expliquer le monde sans l’hypothèse de Dieu. Cette connaissance désormais assumée décrit une vision du monde autour de l’homme. 

Des ouvrages athées circulent aussi sous le manteau en France comme le Testament de Meslier (1664-1729). Dans De l’Homme (1758), Helvétius (1715 - 1771) voit la religion comme une réaction à notre ignorance et un moyen de despotisme. Ils étudient l’origine de la religion et en propose des explications. Il ne s’oppose plus seulement au christianisme mais aussi à toute forme de déisme ou de théisme, ce qui vaudra par ailleurs les foudres de Voltaire.

Parallèlement à la montée de l’incroyance intellectuelle, il faut noter l’importance des libertaires qui, par leur comportement clairement affiché, révèle une profonde incroyance, voire un athéisme réel. La religion est alors décrite comme un obstacle à la satisfaction des plaisirs. L'athéisme justifie leur comportement déviant.


L’athéisme se structure donc et tente de fournir des explications au monde et à la vie. En 1770, après d’autres livres athées, Holbach (1723 - 789) publie le premier corps doctrinal de l’athéisme intitulé Système de la Nature. Il détache la morale de tout principe religieux pour le fonder sur des principes naturels. Jeremy Bentham (1748 - 1832), un des disciples d’Holbach, fonde la morale sur l’utilitarisme global et athée. Il prône l’hédonisme des temps modernes. Le XVIIIe s’achève cependant par la victoire du théisme. La Révolution profondément théiste s’oppose à l’athéisme. 

L’athéisme intellectuel et militant…

La connaissance et les arts puis la morale sont ainsi épurés de toute idée de Dieu. Reste désormais à convertir la société à l’athéisme. Le XIXe siècle est le siècle de la déchristianisation.

Le début du XIXe siècle est marqué par la publication d’un Dictionnaire des athées de Sylvain Maréchal. L’athéisme s’affiche clairement, voire il se banalise. Il s’intellectualise. Des philosophes athées tels A. Comte, L. Feuerbach, Schopenhauer mettent en place des systèmes philosophiques qui se répandent en se vulgarisant. Ils dénoncent parallèlement la nocivité des religions. « Les religions sont comme les vers luisants : pour briller, elles ont besoin d'obscurité. Un certain degré d'ignorance générale est la condition de toutes les religions, le seul élément dans lequel elles peuvent vivre. » [9] C’est aussi le siècle de Marx et du marxisme. 

Alors que s’élaborent et se diffusent des philosophies athées, l’athéisme se manifeste dans un militantisme parfois violent. Il affirme le rejet de toute idée de Dieu, de toute religion, de toute société fondée sur des principes religieux. De nombreux mouvements de « libre-pensée », anarchistes et eugénistes, militent en faveur de l’athéisme et le développent par l’intermédiaire d’associations et de différentes publications. Nous voyons la naissance de pratiques autrefois clandestines, d’idéologies infectes, de pensées nauséabondes…

Au XXe siècle, l’athéisme philosophique et militant semble être victorieux avec la montée et l’expansion du communisme… 

Une victoire éphémère…

Un siècle plus tard, la situation a profondément changé. Peu de systèmes athées sont sortis indemnes d’un siècle si sanguinaire et épouvantables, faits d’horreurs et de cataclysmes dont ils portent une très grande responsabilité. Les militants athées réapparaissent de temps en temps quand un esprit religieux semble renaître. Des slogans datés d’un autre âge viennent alors illustrer les premiers pages des journaux et envahir les ondes. Mais l’athéisme s’est bien effacé devant l’agnosticisme et le laïcisme.

De cette histoire, nous pouvons distinguer quatre formes d’athéismes :
  • un athéisme social qui s’oppose ou demeure indifférent aux cultes religieux officiels ;
  • un athéisme pratique qui se manifeste par un comportement  « sans Dieu » de manière consciente ou non ;
  • un athéisme  militant qui s’oppose ouvertement et de manière virulente contre toute forme de religion et plus spécialement contre le christianisme. Il s’affirme principalement comme opposé à toute forme de religion ;
  • un athéisme philosophique qui bâtit des systèmes excluant Dieu et donne des explications à l’origine de la religion.

La misère spirituelle, voie vers l’athéisme ?

Pouvons-nous aussi appelés athées celui qui ne se pose pas la question de l’existence de Dieu ? Ils suivent en fait un athéisme pratique tout en ne croyant en rien, ni en son existence, ni en son inexistence. Ils ne sont ni sceptiques ni agnostiques. Il ne se pose en fait aucune question. Mais en ont-ils la capacité morale ? 

Nous songeons souvent à un passage d’un film qui relate la vie de Saint Vincent de Paul. Le grand ami des pauvres a abandonné tous ses offices et veut vivre comme un pauvre. Il loge donc dans une chambre minable dans un hôtel médiocre. En une nuit, il voit tout le drame de la misère : la logeuse qui envoie sa jeune fille séduire le saint pour espérer recueillir quelques pièces, une femme folle qui ne cesse de crier sa démence toute la nuit, un père ivrogne qui bat sa femme avant de s’unir à elle devant des enfants déjà nombreux… Saint Vincent de Paul comprend alors qu’il ne sert à rien de parler de Dieu à des hommes qui ne savent même plus qu’ils ont une âme. La misère morale, physique, intellectuelle les ont courbés vers la terre et ne peuvent élever leur regard en eux-mêmes, encore moins vers le ciel. Sont-ils des athées ces malheureux qui vivent dans l’ignorance ? Trop d’obstacles les éloignent de la connaissance de Dieu.

Certes aujourd’hui dans nos sociétés riches, la grande majorité ne connaissent plus les taudis, la faim, la saleté. Une autre misère les étreigne pourtant : solitude, inquiétude, ennui, lassitude, … Nous voyons bien combien les biens de ce monde nous attirent vers le bas, combien ils nous étouffent. C’est encore plus vrai dans nos sociétés de consommation qui vivent au rythme des modes et des gadgets pour répondre aux besoins toujours pressants d’une économie vampiriste à bout de souffle… 

Pris dans une matérialité désolante, les hommes en oublient presque qu’ils ont une âme. Délaissée, abandonnée, méprisée, elle finie par être exclue de leur existence. Toute vie intérieure est finalement éteinte en eux. Ils ne sont réduits qu’à des mécanismes physiques et psychologiques que parfois agitent des passions. Triste désolation que décrit la Sainte Écriture…

Nous ne voyons pas dans cette misère profonde et malheureuse un athéisme au sens strict puisque finalement il n’y a ni conviction ni adhésion à l’idée de la non-existence de Dieu. Leur existence les rend plutôt indifférente à la question de Dieu. Ils ne croient en rien car ils ne peuvent rien croire. Très probablement un missionnaire zélé, empli d’une vive lumière intérieure, empli de Dieu, pourrait éveiller ces âmes et rendre leur vie. Mais à force de vivre comme des athées et dans un environnement où Dieu paraît si absent, ces malheureux finissent par l’être réellement. L’idée de Dieu est finalement évacuée de leur pensée.


Références
[1] 2e Concile de Vatican, 9e session, 7 décembre 1965, constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, 1ère partie, chapitre 1, Denzinger 4319.
[2] Ou toute divinité ou force divine. Dans la suite de notre article, nous ne parlerons que de Dieu sachant bien que l’athéisme touche toute divinité ou terme équivalent.
[3] Wikipédia, article « théisme ».
[4] Voltaire, Dictionnaire philosophique.
[5] Démocrite, Le fragment n°175 cité dans Penseurs Grecs avant Socrate, de Thalès de Minos de Milet à Prodicos, Jean Volquin, Flammarion,  et dans www.philo5.com.
[6] Épicure, Lettre à Ménécée, voir www.philo5.com.
[7] Héraclite, cité dans Histoire de l’athéisme des incroyants dans le monde occidental des origines à nos jours, Georges Minois, Fayard, 1998..
[8] Voir Georges Minois,  Histoire de l’athéisme des incroyants dans le monde occidental des origines à nos jours.
[9] Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena1851, cité dans http://www.dicocitations.com.

mardi 5 août 2014

L'athéisme, une voie sans issue

Il est difficile d’étudier l’athéisme car à peine commençons-nous à effleurer ce sujet que nous heurtons à un véritable problème. Nous nous heurtons en effet à des discours qui s’épuisent à montrer que Dieu n’existe pas ou que la religion est une invention purement humaine puis que tout cela est nuisible à l'homme et à son épanouissement. Ainsi essayent-ils de démontrer par le raisonnement et par des faits historiques toute la fausseté et la nocivité de l’idée de Dieu et des religions. L'athéisme n semble donc exister que par rapport aux religions existantes, voire aux représentations classiques que nous faisons de Dieu. N'existe-t-il que parce qu’il existe des croyants. Son existence ne tient que par son opposition à une réalité. Il n’existe pas par lui-même. S’opposer à l’athéisme revient alors à défendre notre religion ou à l’idée de la religion. 



En 2005, Michel Onfray a publié un traité d’athéologie qui aurait pu présenter l’athéisme tel qu’il est par lui-même mais la lecture des premières lignes suffit à nous décevoir. « Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ; haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d’un seul ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir »[1]. Nous sommes encore face à une image stéréotypée de la religion, image qui se focalise sur « les trois monothéismes » au point que nous finissons par croire que l’athéisme n’est que la manifestation de la haine à l’égard de ces religions. Parler d’athéisme revient donc à définir cette opposition. Telle est aussi la conception qui pourrait se dégager des déclarations d’athées militants du XIXe siècle. 

Dans une conférence en 1904, Séraphine Pajaud, militante anarchiste, déclare que « Dieu n’existe pas, il ne peut exister, loin de nous désormais l’idée de Dieu. Dieu, c’est le mal, c’est l’opprobre, c’est l’oppression, c’est l’infamie. »[2] Étranges vociférations puisqu'elle s’oppose à quelques choses qui, selon ses propres dires, n’existent pas. La notion de Dieu est néanmoins présentée comme la cause de nos malheurs et de nos misères. Le XXe siècle suffit à répondre à de telles infamies. Est-ce Dieu ou la religion la cause des génocides perpétrés, des états totalitaires, de la misère du Monde ?

Nous retrouvons cette conviction dans les journaux athées du début du XXe siècle. Leur attaque se concentre sur le christianisme. Ils présentent en effet l’homme chrétien comme « enlacé dans les dogmes théologiques », « une bête de somme sous son harnais »[3], contrainte d’obéir « à la cravache, à l’éperon, au fouet, à la peur de l’enfer ». Ils présentent ainsi la religion comme un asservissement de l’homme. Le chrétien ne serait qu’un esclave. Ils veulent donc rendre la liberté à l’homme. « L’ennemi c’est Dieu. Le commencement de la sagesse c’est la haine de Dieu […] cet épouvantable mensonge qui, depuis six mille ans, énerve, abrutit, asservit la pauvre humanité »[4]. L’athéisme apparaît donc comme une lutte contre l’oppression que couvre l'idée de Dieu. Qu’est-ce que cela signifie puisque Dieu ne serait « qu’un épouvantable mensonge » ? Sont-ils opposés à la notion de Dieu, aux religions ou à Dieu ?


L’athéisme apparaît aussi comme un choix inéluctable. « Dieu ou la matière ! Il faut choisir ! »[5]. L’athéisme est-il donc le matérialisme ? Une conception du monde qui considère tout ce qui l’entoure comme pure matière ? « La Nature incréée, la mère féconde et toute-puissante se suffit à elle-même »[6]. Il apparaît donc comme un refus de voir hors de la nature la cause et le principe du Monde. 

Enfin, au XIXe siècle, les athées louent Lucrèce comme étant un des leurs. Il appartient à cette race d’« hommes courageux, [d’] esprits droits et indépendants » qui ont ouvert « la route que d’autres plus tard ont parcourue » et secoué « le joug des doctrines scolastiques, des vérités soi-disant révélées, des superstitions de toutes sortes »[7]. Comment Lucrèce a-t-il pu combattre un ennemi qui n’existait pas ? Le paganisme peut-il se confondre avec le christianisme ? Les athées semblent plutôt louer sa méthode, sa recherche rationnelle, son refus des vérités toutes faites. Par une telle revendication, ils décriventce qu’est un athée : un homme raisonnable. L’athéisme se présente donc comme étant la voie de la raison face aux superstitions et aux idées toutes faites. Il est étrange de parler de préjugés pour désigner « les doctrines scolastiques », étrange aussi de condamner la religion lorsque finalement il condamne ce qui n'est qu'une image stéréotypée de la religion, une image construite sur des idées toutes faites, étrange enfin de parler de vérité quand de telles mensonges et ignorances véhiculent une telle conception de Dieu.

A travers ces exemples, l’athéisme apparaît comme une réaction à une représentation néfaste de l’idée de Dieu et des religions, et comme une volonté de libérer l’homme de la misère, de l’oppression et du mensonge.

Mais les athées du XIXe et début XXe siècle ont un beau rôle. Ils peuvent en effet dénoncer l’asservissement de l’homme par la religion en reportant le problème du mal et de la liberté sur l’idée de Dieu puisque la religion est partout présente, aussi bien dans l’histoire que dans le monde. Elle est inhérente à l'homme. Un bouc émissaire idéal. Tout problème ici-bas peut donc y trouver son origine. Il est donc plus facile de calomnier et de diffamer un ennemi quand il est public, universellement connu, intervenant partout. Les faiseurs de rêves peuvent encore rêver lorsqu'ils sont loin du pouvoir et des contraintes de la réalité. Mais aujourd'hui la position des athées a radicalement changé. Des États se sont déclarés athées. Des athées ont été au pouvoir. Et de leurs mains ont jailli les plus grands crimes de l’humanité ! Le communisme et le maoïsme ne sont que des exemples de telles folies. Le fascisme en est aussi un bel reflet de l’athéisme. Le cas du nazisme est plus délicat puisque Hitler parle d’un Dieu des germains. Que serait le monde si l’athéisme dominait tous les esprits et les cœurs ?


Les faits historiques qu’ils reprochent à la religion ou à l’idée de Dieu ne proviendraient-ils pas des vices et de l'ignorance des hommes ? Avouons cependant que l’horreur a atteint une dimension inimaginable que sous les régimes qui ont rejeté Dieu. Les athées pourront peut-être réfuter nos exemples sous prétexte que la cause de ces crimes provient de l’homme, de son orgueil, de son goût aux pouvoirs, de la folie de certains puissants, etc. Mais les mêmes causes ne produisent-elles pas aussi les mêmes effets ? Les maux dont ils rendent responsables l'Église ne peuvent-ils pas provenir des mêmes causes ?

L’athéisme peut-il aussi prétendre à la vérité quand le rationalisme sur laquelle elle se fonde est aujourd'hui rejeté ? Les scientifiques connaissent désormais leurs limites et savent que la réalité ne pourra jamais se dévoiler pleinement sous la forme de formules mathématiques. Le Monde ne se réduit plus à sa simple matérialité. En outre, l’histoire et encore le présent nous montrent que la science et la foi ne sont pas incompatibles. La difficulté que rencontrent aujourd'hui la science et la société n’est pas la recherche de la vérité en tant que telle mais la légitimité de la recherche. Est-il possible de tout faire au nom de la science ? L’athéisme ne peut répondre à cette question. Sur quel principe peut-il lui fixer des limites ?


Nous retrouvons en fait le problème essentiel de l’athéisme. Sur quoi peut-il construire une morale, une famille, une société ? Sur la dignité de l’homme ? Sur le sentimentalisme ? Sur la conscience ? Tout tient encore tant que les habitudes ancestrales subsistent. Mais au fur et à mesure des générations, fautes de sens, les liens se relâchent, se fissurent, se brisent. Que deviendra alors la société ? Ce n’est pas alors étonnant qu’aujourd'hui nous remettions en cause la morale, la famille, la société… L'athéisme est bien incapable de donner un sens à l'homme, à la société et à la vie ...



L’athéisme ne peut pas être la voie de l’homme. Il conduit nécessairement à la dilution des mœurs, des relations, des autorités. Pour maintenir la société dans la paix et l’ordre, il a besoin de puissants alliés que sont les différentes idéologies que nous avons vu naître au XXe siècle : le nationalisme, le communisme, le nazisme, le libéralisme. L’idéologie a remplacé la religion. L’État, le peuple, la race, le moi ont été divinisés. L’athée s’incline alors devant l’argent, la puissance, la jouissance qui sont devenus les véritables maîtres du monde.


L’athéisme peut apparaître virulent et plein de promesses mais seul, il finit par ne plus exister. Il s’efface rapidement pour laisser sa place à des formes d’asservissements et d’avilissements. Car l’athéisme laisse l’homme face à lui-même, sans autre autorité que lui-même, sans autre législateur et juge que lui-même. Il en devient vite un despote sans conscience, sans autre limite que celle de sa puissance. C’est pourquoi l’athéisme n’est guère viable et ne l’a jamais été. 


Références
[1] Michel Onfray, Traité d'athéologie, Grasset, 2005.
[2] Rapport du commissaire de police de Bressuire, 12 septembre 1904, archives départementales, Deux-Sèvres, 4 M 11/2—9. cité dans Jacqueline Lalouette, De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle, dans Cahier d'histoire, revue d'histoire critique, 2002.
[3] Jean-Paul Cée, Le comité d’études morales, Almanach de la FFLP, Fédération française de la Libre Pensée, 1894, cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
[4] La Libre Pensée, 12 mars 1870 cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
[5] L’Athée, le 8 mai 1870 cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
[6] Albert-Adrien Régnard, préface à la septième édition française de Kraft und Stoff de Ludwig Büchner, sous le titre Force et matière, Paris, C. Reinwald, 1894, cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.
[7}Ernest Levigne, dans une traduction de Lucrèce, 1870, cité dans De quelques aspects de l'athéisme en France au XIXe siècle de J. Lalouette.

vendredi 1 août 2014

Se raccrocher à la réalité ...

Hégélianisme, essentialisme, existentialisme, absurdisme, marxisme, structuralisme, destructuralisme, etc. Que de systèmes philosophiques depuis plus de deux siècles ! Chacun élabore sa propre conception du monde, sa propre théorie de la connaissance. Certaines de ses philosophies autrefois si célèbres ne semblent plus intéresser grand monde aujourd’hui jusqu’au jour où de nouveau elles enflammeront des foules. Tel système est en vogue avant qu’un autre ne le tue. Mais dans leur étrange sommeil, elles peuvent encore malgré nous guider nos pensées. L’enseignement, les livres et les journaux ne sont pas les seuls médias qui les véhiculent et les vulgarisent. Le cinéma en est aussi un moyen extraordinaire. Rien ne se perd finalement de ce tourbillonnement intellectuel. L’esprit est naturellement infecté de ces pensées toujours présentes. Certaines de nos habitudes intellectuelles y prennent probablement leur source.

Pouvons-nous y voir des tendances ? Peut-être. Au-delà de leur fugacité, nous décelons par exemple trois traits caractéristiques, et plus exactement une triple négation : 
  • rejet d’une vérité objective et stable ;
  • refus de la réalité ;
  • négation de Dieu et de l’idée de Dieu. 

Tous ces systèmes ont néanmoins un talon d’Achille. Ils ne peuvent s’appliquer à eux-mêmes ce qu’ils prétendent affirmer ou démontrer sans porter un coup terrible à leur propre crédibilité. En dépit de cette faille originelle, l’homme se laisse prendre dans les filets du sophisme et du beau discours. Il éprouve alors bien des difficultés à saisir Dieu par sa raison naturelle. Que d’obstacles pour s’en approcher ! Son âme n’est pas seulement en friche ; elle est comme notre environnement dans un état catastrophique, malade.

Et en dépit de la faillite de tant de doctrines et de systèmes artificiels, nous ne devons pas croire à l’impossibilité intellectuelle de connaître les vérités les plus hautes. Loin de nous l’agnosticisme et le scepticisme, de véritables pestes de l’intelligence. Comme nous le montrent les plus grands philosophes grecques et chrétiens, et comme l'enseigne l'Eglise, l’homme est capable de saisir la réalité de manière rationnelle. 

Que faire alors pour se préserver de ces maladies qui font tant de ravages, surtout dans la jeunesse encore enthousiaste et naturellement optimiste, voire naïve ? S’il est bien illusoire de connaître tous ces systèmes, il est important de les percevoir et de les déceler dans tout notre environnement afin de nous en éloigner. Il est encore plus nécessaire d’entretenir notre vie intellectuelle et intérieure, d’approfondir notre foi et notre culture chrétienne, de se réfugier parfois dans le silence et la méditation. Nous devons enfin nous accrocher fermement à la réalité et au bon sens… 

Et enfin prier.  Le secours de Dieu n’est pas un vain mot…