Pape Benoît XVI à Ratisbonne (septembre 2006) |
En
2006, un discours du pape Benoît XVI à l’Université de Ratisbonne est à
l’origine d’une polémique. « C’est une nouvelle croisade chrétienne lancée contre le monde musulman et arabe »[2]. Il provoque la colère des musulmans. Dans certains
pays comme l’Irak, la Somalie ou la Palestine, des églises brûlent. Une chrétienne meurt[1].
Des pays moins « islamistes »
comme le Maroc protestent énergiquement[3].
En Occident, des médias s’alarment des
propos du pape et l’appellent à s’excuser. Le New York Times qualifie de « tragiques et dangereux »
les propos du pape Benoît XVI sur l'islam[4].
De nouveau, « nous sommes face un phénomène médiatique à la limite de
l’absurde. »[5] Et quelques
années plus tard, ce discours servira encore comme exemple d’une nouvelle
islamophobie chrétienne[6]. L’absurdité
n’a pas de limite…
Cette « polémique » n’est pas seulement
absurde et ridicule, elle est symptomatique et même ironique. Dans son
discours, le pape Benoît XVI rapporte les paroles de l’empereur Manuel II Paléologue
(1350-1425) qui accuse l’islam de s'imposer par la violence. L’actualité montre encore la pertinence de ces paroles. Pourtant, le pape ne cherche pas à dénoncer
cette violence pourtant bien réelle.
Cette polémique manifeste encore l’étrange
aveuglement et le détestable scrupule qui dirigent les médias occidentaux. Faut-il
en effet rappeler le silence scandaleux des médias face aux martyrs des
chrétiens orientaux ? Certes, aujourd'hui, les journaux en parlent ... lorsque
le drame est quasiment achevé. Combien de massacres et d’alarmes leur faut-il
pour qu’ils daignent nous informer ? Combien de morts leur faudra-t-il
pour parler aussi des martyrs chrétiens en Afrique et en Indes ? Pourquoi
cache-t-il la haine qui poursuit les chrétiens ?...
Et guidés par l’actualité, les occidentaux semblent
découvrir à leur tour un mal qui depuis de longues années, voire des siècles, déciment ce qui restent encore des communautés chrétiennes orientales, oubliant encore
les martyrs des autres continents, ces églises qui se forment dans la
souffrance et les larmes. Puis emportés par d’autres images, ils
oublieront. Une autre actualité plus brûlante viendra occuper leur esprit. Et
des martyrs mourront encore dans le silence.
Quand décideront-ils de dépasser ces images pour
comprendre et agir ? Les occidentaux écrasent de bombes "l’État
islamique". Ils ont enrayé l’avancée des musulmans au Mali. Ils ont aussi engagé
le combat contre la secte musulmane qui sévit au Nigéria. Mais qui osera attaquer les
véritables commanditaires, ces États qui les financent ? Qui osera
dénoncer le véritable adversaire qu’est l’islam ? Un jour viendra où nous
connaîtrons le sort des chrétiens orientaux. Que nous le voulions ou
non, l’islam ne se répand que par le fer et le sang…
Foi et raison dans l’islam
Revenons
au discours de Ratisbonne. Il s’intitule « Foi, raison et université. Souvenirs et réflexions ». Il
traite des erreurs qui ont conduit à séparer la foi et la raison, ou plutôt à
éloigner la raison de la foi. Il demande que la raison soit de nouveau tournée
vers Dieu.
Manuel II Paléologue |
Au
début de son discours, le pape Benoît XVI revient sur une discussion entre
l’empereur byzantin et un érudit perse Ibn Hazm, très probablement musulman, que
rapporte le professeur Théodore Khoury (de Münster). Tout en trouvant la
« manière étonnamment abrupte –
abrupte au point d’être pour nous inacceptable »[7],
il cite l’empereur qui dénonce la violence de l’islam dans le Coran : « montre moi ce que Mahomet a apporté de
nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l'inhumain comme ceci, qu'il a
prescrit de répandre par l'épée la foi qu'il prêchait »[8].
L’empereur explique alors à son interlocuteur que la foi ne s’impose pas par la
force. « Dieu ne prend pas plaisir au
sang, dit-il, et ne pas agir selon la raison (‘σύν λόγω’) est contraire à la
nature de Dieu. La foi est fruit de l'âme, non pas du corps. Celui qui veut
conduire quelqu'un vers la foi doit être capable de parler et de penser de
façon juste et non pas de recourir à la violence et à la menace... Pour
convaincre une âme douée de raison, on n'a pas besoin de son bras, ni d'objets
pour frapper, ni d'aucun autre moyen qui menace quelqu'un de mort... »[9]
T. Khoury
explique alors une des différences entre les doctrines chrétiennes et
musulmanes. « Pour l'empereur byzantin
nourri de philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine
musulmane, au contraire, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est
liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle qui consiste à être raisonnable »[10].
Il s’appuie sur l’islamologue français R. Arnaldez. « Ibn Hazm va jusqu'à expliquer que Dieu n'est pas même tenu par sa
propre parole et que rien ne l'oblige à nous révéler la vérité. Si tel était
son vouloir, l'homme devrait être idolâtre »[11].
L’opposition
fondamentale entre l’islam et le christianisme
Comme
nous l’avons vu dans notre précédent article sur l’islam[12],
la doctrine musulmane d’Ibn Hazm correspond à celle de l’islam. Rien ne peut
obliger Dieu. La toute-puissance divine est absolue et rien ne peut la
contraindre. Ainsi elle refuse de croire en la capacité humaine de poser des
actes libres. « Il n’est d’autre créateur
que Dieu ; les péchés des hommes, c’est Dieu qui les crée ; les actes des
hommes, c’est Dieu qui les crée ; les hommes n’ont aucune puissance de créer
quoi que ce soit.
»[13]
Telle est la pensée de l’école acharite. Cette école proclame que rien n’est
indépendant du pouvoir de Dieu au point que ses disciples s’égarent dans d’étranges
théories. « Tout y était désarticulé
dans le temps et l’espace pour permettre à la toute-puissance de Dieu d’y
circuler à son aise. Une matière composée d’atomes disjoints, durant un temps
composé d’instants disjoints, accomplissant des opérations dont chaque moment
est indépendant de celui qui le précède et sans effet sur celui qui le suit, le
tout ne subsistant, ne tenant ensemble et ne fonctionnant que par la volonté de
Dieu qui le tient au-dessus du néant et l’anime de son efficacité. »[14]
Rappelons que l’acharisme est une des écoles "théologique" sunnites la plus importante. Son influence est considérable dans l'islam.
Selon
le professeur Khoury, la philosophie grecque et la doctrine chrétienne sont en
accord sur ce point : « ne pas agir
selon la raison est contraire à la nature de Dieu » [15].
Or comme l’affirme le défenseur de l’islam, la doctrine musulmane s’oppose à la
philosophie grecque. Benoît XVI rappelle cette opposition fondamentale
qui conduit à la guerre, à la conversion par la force et par le sang.
Il y
a eu cependant des philosophes musulmans qui ont longuement commenté et défendu
les œuvres des philosophes grecs, notamment Aristote. Un nom est souvent cité :
Averroès, « le plus grand nom de la
philosophie arabe, avec Avicenne »[16].
Il y a aussi des « philosophes » musulmans qui ont combattu cette influence
philosophique, notamment Al Gazali. Mais dans cette lutte, la raison
perdra définitivement sa place. Les deux articles qui vont suivre traitent de cette relation
entre l’islam et la philosophie.
[2] Déclaration du Hamas, Just
outside Westminster Cathedral today..., Joee
Blogs, 17 sept. 2006.
[3] Le Maroc proteste et rappelle en consultation son
ambassadeur auprès du Vatican, Le Matin,
16 sept. 2006.
[4] Le monde appelle Benoît XVI à s’excuser, Le Nouvel Observateur, 16 sept. 2006.
[5] Controverse de
Ratisbonne : le cardinal Lustiger s’en prend aux médias, Le Monde par Chrétienté.info,
18 sept. 2006.
[6] Marcel Oncel, De la dignité de l'islam. Examen et
réfutation de quelques thèses de la nouvelle islamophobie chrétienne,
Bayard, Paris, 2011.
[7] Benoît XVI, Foi,
Raison et Université. Souvenirs et Réflexions, 17 septembre 2006, in vatican.va,
site officiel du Vatican.
[8] Khoury, Controverse VII, 2c cité dans Benoît XVI, Foi, Raison et Université.
Souvenirs et Réflexions.
[9] Khoury, Controverse, VII 3b cité dans
Benoît XVI, Foi, Raison et Université. Souvenirs et Réflexions.
[10] Khoury, Controverse, VII 3b cité dans
Benoît XVI, Foi, Raison et Université. Souvenirs et Réflexions.
[11] R. Arnaldez, Grammaire et théologie chez Ibn Hazm de
Cordoue, Paris, 1956 cité dans Benoît XVI, Foi, Raison et Université.
Souvenirs et Réflexions.
[12]Émeraude, juin 2014, Le mutazilisme, la raison est-elle possible
dans l’islam ?
[13] al-Ash‘ari, Maqalat
al-islamiyyin, 291, 9-10, cité par Daniel Gimaret in
La doctrine d’al-Ash‘ari, p. 370.
[14] Etienne Gilson, La
philosophie au Moyen Age, tome 1,6, Petite bibliothèque Payot, 1976.
[15] Benoît XVI, Foi,
Raison et Université. Souvenirs et Réflexions.
[16] Etienne Gilson, La philosophie
au Moyen Age.
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