La Création est un véritable livre ouvert à partir duquel nous pouvons puiser d’abondantes connaissances sur Dieu. Il contient en particulier suffisamment de preuves de son existence. Pourtant nous ne parvenons pas à cette connaissance pour différentes raisons : mauvaise disposition de notre part (paresse, négligence, circonstances défavorables), attachement trop fort à des préjugés, à l’orgueil, à des habitudes, au monde, etc. Les obstacles sont nombreux sur la voie de la vérité et peuvent paraître insurmontables. Ainsi livrés à nous-mêmes, nous risquons en fait de ne jamais connaître Notre Créateur. Dieu vient à notre secours...
Si nous pouvons difficilement atteindre la vérité, la vérité vient en effet à nous. Ainsi dans la Révélation, Dieu nous apporte la lumière nécessaire pour connaître avec certitude les vérités naturelles. Mais sa bonté est encore plus grande puisqu'Il nous confie des vérités d’un ordre supérieur, les vérités surnaturelles si nécessaires à notre salut. Cependant cette intervention divine pourrait être mal comprise au point que nous pourrions parler d’une faillite de Dieu.
La Révélation, une faillite de Dieu ?
La Révélation divine pourrait en effet manifester l’impuissance de Dieu. Pourquoi n’a-t-Il pas donné dès le commencement toute la connaissance à l’homme pour qu’il ne s’égare pas, sachant que connaissant tout, y compris l’avenir, Il a nécessairement prévu sa chute ?
Elle montrerait aussi une certaine injustice. Que deviennent en effet les hommes qui n’ont pas eu la chance de recevoir la Révélation ? Sont-ils condamnés dans l’ignorance, faute d’avoir vécus plus tôt ou loin des communautés chrétiennes ? Et encore de nos jours, en dépit de sa Révélation, des hommes persistent à ne pas Le connaître. La Révélation ne révélerait-elle pas la faillite de Dieu ?
Ce reproche est encore plus accentué dans le cadre du christianisme qui prend son origine dans un fait historique certain. Au temps d’Auguste, Notre Seigneur Jésus-Christ est né pour apporter le salut. C’est sous le règne de Ponce Pilate qu’Il a subi sa passion. C'est pourquoi les philosophes païens soulignent avec force sa nouveauté. Pourquoi avoir entendu l’époque d’Auguste, ironise Celse [1] ? Le philosophe Porphyre (234-305) souligne l’injustice d’un Dieu qui a laissé les hommes antérieurs à la venue du Christ dans l’ignorance du salut . Que pouvons-nous leur répondre ?
Dieu aurait pu laisser l’homme dans ses erreurs comme Il aurait pu ne pas le créer. Mais par un mystère qui nous dépasse, Dieu a non seulement créé l’homme libre dans un état admirable mais Il l'a encore relevé de sa faute pour l'établir dans un état plus admirable encore. Au lieu de laisser éternellement Adam dans sa faute et dans un juste châtiment, Dieu lui a promis le salut et l'a réalisé.
Comme nous l’enseigne l’Église, depuis le péché d’origine, la nature de l’homme est blessée. Il est en exil sur une terre étrangère où tout est difficile. Il s’est détaché volontairement de Dieu et voilà la Création détachée de lui, difficilement accessible. Avec un corps si difficile à discipliner et un esprit prompt à s’égarer, il est condamné aux efforts, aux labeurs, aux fatigues. Notre état actuel explique nos difficultés terribles à atteindre la vérité et à accomplir des actes bons en dépit de nos bonnes intentions. Mais cet état n’est pas définitif. Car notre existence terrestre n’est qu’un passage. Dieu a promis la Rédemption à tous les hommes. Il ne promet pas un retour en arrière comme si tout était effacé mais un nouvel état encore plus admirable, tel qu’Il a conçu dès le commencement.
Mais la Rédemption exige une préparation de l'homme afin que librement, il accède au Royaume de Dieu comme librement il s’en est exclu. Nous sommes plus que des enfants prodigues. Dieu prépare notre chemin et nous soutient dans notre marche depuis le commencement. Il nous invite à un banquet et nous indique la route à suivre. Hôte attentif, Il veut que nous venions de notre plein grès, vêtu de nos meilleures tenues comme si nous étions invités à des noces. Il est un Père qui nous élève afin qu’à l’instant voulu, nous puissions franchir la Mer rouge pour accéder à la terre promise.
La Révélation manifeste donc un amour de Dieu profondément incompréhensible, d’une dimension extraordinaire. Dieu ne nous abandonne pas à nos propres faiblesses. Comment sommes-nous capables de comprendre la miséricorde divine qui ouvre au genre humain son Royaume ? Dieu ne trône pas dans un Olympe indifférent au bonheur de l’homme comme le dieu de certains philosophes. Et cet amour est, répétons encore, un mystère insondable qui nous plonge dans un ravissement sans fin. Comment nous qui ne sommes que créatures souvent ingrats, pouvons-nous être l’objet de tant de sollicitudes de la part de Dieu, être infiniment parfait ? Prodigieuse découverte qui peut nous éblouir au point que nous refusions d’y croire ! Cela dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Et pourtant, l’histoire nous montre qu’effectivement, Dieu se préoccupe de nous…
Perfection de Dieu et liberté de l’homme, étrange alliage
La Révélation est une nouveauté au sens où Dieu intervient dans le cours de l’histoire humaine pour instruire et corriger sa créature. La puissance et l'omniscience de Dieu n’ont pas pu empêcher le péché d’origine. Et sa créature, a-t-elle été si mal pensée, si mal faite qu’elle ait désobéi à son Créateur dès la première épreuve ? Encore une objection classique ...
Étant une créature par nature, l’homme n’est pas un dieu. Il ne peut donc être absolument parfait. Est-ce signe d'impuissance de Dieu ? Non. La puissance divine ne signifie pas que Dieu peut tout faire. Il lui est par exemple impossible de se détruire ou de faillir. Une œuvre faite par un excellent artisan est habituellement excellente. Elle est à l’image de son « créateur ». Elle est en effet excellente selon sa nature d'oeuvre créée. Mais si l’œuvre est en glace, l’artisan n’empêchera pas qu’elle fonde au-dessus d’une certaine température ambiante. Une peinture d’un Fra Angelico ne pourra pas résister à l’usure du temps. La Tour Eiffel tombera un jour si nous n’assurons pas une maintenance régulière. Toute puissance est encadrée par la nature de l’être. Dieu ne peut pas agir comme s’Il n’était pas Dieu. Il est aussi puissant que la nature divine peut conférer de puissance. Comme cette nature est infinie, sa puissance est alors infinie mais dans l’acte divin et aucunement dans le vide ou dans l'abstrait. Ainsi l’homme est une créature de Dieu donc nécessairement imparfaite…
Dieu a créé l'homme avec une âme. Et par nature Il lui a donné la liberté. Or la liberté de l’homme fait que tout n’est pas écrit d’avance. Elle induit un risque inéluctable d'erreur. Elle implique la capacité de choisir donc de décider. Or comme l’enseigne l’Église, Adam a disposé de toutes les lumières dont il avait besoin pour faire le bon choix. Sa faute a plongé le genre humain dans l’exil. Il n’y a donc ni impuissance ni naïveté de la part de Dieu. Sans liberté, point d’homme.
Sa liberté n'est pourtant pas la cause de sa chute. Seul Adam en est responsable.
Nouveauté, un non sens
Au commencement… Par la Création, Dieu crée le temps. Toutes nos difficultés viennent de cette "chose" si difficile à saisir et à définir, d’où d’interminables erreurs de compréhension. Les actions de l’homme s’inscrivent en effet dans le temps quand Dieu est hors du temps. Ainsi est-il inadéquat de penser que la Révélation bouleverse les pensées divines comme si ces pensées étaient temporelles. Nous appliquons en fait notre manière de penser à un domaine auquel elle ne peut pas s’appliquer d’où nos contradictions. Il n’y a en fait nouveauté que pour l’homme et non pour Dieu.
Pourquoi Dieu a-t-il choisi un peuple ? Pourquoi est-Il intervenu en un temps particulier ? Le passé s’éclaire avec le présent, la partie avec le tout. Notre regard se pose sur des instants quand Dieu a devant lui toute l’éternité. Essayons donc de regarder l’histoire dans sa totalité.
Pédagogie de Dieu
Pour que l’homme adhère à des vérités, naturelles ou non, il doit être dans les dispositions de les recevoir afin qu’il puisse exercer librement son intelligence et sa volonté, selon notamment des conditions physiques, intellectuelles, morales.
Un enfant n’est pas capable d’engranger tout le savoir scientifique. Cette appropriation est nécessairement progressive, non successive et de longue haleine. A la fin du XIXe siècle, des mathématiciens ont voulu recueillir toute la connaissance mathématique en une unique œuvre qu’ils auraient laissée à leur postérité afin que les générations suivantes puissent atteindre toute la connaissance dans ce domaine rien qu’en l’étudiant. Ils ont échoué dans leur projet. L’œuvre ne fut jamais finie. Ils se sont en effet rendus compte que les connaissances ne sont pas simplement une accumulation d’informations qui se succèdent de manière séquentielle. Elles exigent une préparation et une maturité de l’intelligence qui nécessite des détours, des pauses, de nouvelles explications, etc. Elles forment une sorte d’histoire avec ses progrès, ses aventures, ses silences, ses rebondissements, ses échecs. La connaissance doit être adaptée à l’élève et l’élève doit aussi être préparé à la recevoir.
Ainsi l’homme doit-il être préparé pour recevoir la vérité. Le temps lui est donc nécessaire. La Révélation s’inscrit donc dans le temps et plus précisément dans la durée.
Il n’y a ni faiblesse ni impuissance de la part de Dieu ; il y a sagesse. Chaque chose doit venir en son temps. Toute précipitation est vouée à l’éche La Révélation révèle en effet une sagesse extraordinaire qui s’appuie sur une connaissance parfaite de l’homme. Dieu est loin des théoriciens, des idéologues, des démagogues ou des faiseurs de rêves. La Sainte Écriture brille de ces maximes qui nous émerveillent tant elles sont si proches de nous. Dieu nous connaît. C’est une certitude. Et quelle joie d’être si bien connu et compris ?...
Une pédagogie vraiment inefficace ?
Regardons encore ces nombreux siècles qui nous séparent de ce moment où l’homme fut créé. Nous pouvons être surpris qu’en dépit de tout, les vérités demeurent encore si vivantes parmi nous. Que d’obstacles depuis la création de l’homme ! Que de difficultés, d'erreurs et de haines contre la Parole de Dieu ! Que d’obstacles à sa connaissance ! Que d’excuses pour ne point pas Le reconnaître ! Et pourtant, encore aujourd’hui, elles demeurent. Au lieu donc de nous étonner de la nécessité de la Révélation, soyons plutôt étonnés de son efficacité et de sa permanence. En dépit des prétentions rationalistes et des philosophes athées ou agnostiques, l’Église est toujours présente.
Rappel sur la nécessité de la Révélation
Quand le 1er Concile de Vatican définit la capacité naturelle de l’homme de connaître le Dieu véritable par les choses créées et par la raison humaine, il entend par là « la possibilité physique en principe, et non la réalité générale ou même la nécessité morale. » Dans l’état général de la nature déchue, les hommes ne peuvent que s’élever difficilement et d’une manière incertaine à la connaissance pure de Dieu, d’où la nécessité morale de la Révélation surnaturelle. « C’est bien grâce à cette Révélation divine que tous les hommes doivent de pouvoir, dans la condition présente du genre humain, connaître facilement, avec une ferme certitude et sans aucun mélange d’erreur, ce qui dans les choses divines n’est pas de soi inaccessible à la raison. »[2]
La Révélation est incompréhensible si nous enfermons la notion de Dieu dans nos pensées bien humaines. Les vérités naturelles sont certes accessibles à l’homme mais l’homme est si peu accessible à la vérité d’où la nécessité d’une préparation et d'une intervention divine pour que nous puissions connaître avec certitude les vérités naturelles. Que dire alors de ces vérités surnaturelles qui le dépassent ?
Pourtant, ce n’est pas pour cette raison que la Révélation est absolument nécessaire. Elle est nécessaire à l’égard de sa finalité qui dépasse l’entendement humain, « à savoir la participation aux biens divins ». (Première Épître aux Corinthiens, II, 9). Sans l’aide de Dieu, l’homme ne peut accéder à son Royaume…
Finalement, au-delà des vérités que Dieu nous révèle, la Révélation manifeste l’amour et la sagesse de Dieu au-delà de ce que nous pouvons imaginer. L’Église « tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées […] Il a plu à sa sagesse et à sa bonté de se révéler lui-même au genre humain ainsi que les décrets éternels de sa volonté par une autre voie, surnaturelle celle-là. »[2].
Sans Révélation, notre connaissance ne serait qu’incomplète et notre salut impossible. Dieu intervient donc dans l’Histoire non pas par impuissance ou par faiblesse de sa part mais par bonté en vue de nous fournir les clés de notre salut. La Révélation est donc une nécessité pour l’homme - et non pour Dieu. Nous ne pouvons que nous étonner de son efficacité quand nous savons ce qu’est l’homme…Mais Dieu nous connaît mieux que nous-mêmes… Deo gratias…
Références
[1] Celse, philosophe romain du IIe siècle. Voir Émeraude, février 2012, article « Celse et Origène, un Combat qui dure encore ».
[2] 1er Concile de Vatican, Constitution dogmatique Dei Filius.
Références
[1] Celse, philosophe romain du IIe siècle. Voir Émeraude, février 2012, article « Celse et Origène, un Combat qui dure encore ».
[2] 1er Concile de Vatican, Constitution dogmatique Dei Filius.
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