Deux chemins peuvent nous conduire à l’existence de Dieu. Soit nous partons de la notion de Dieu
et nous parvenons à montrer qu’Il existe. C’est le chemin qu’a suivi par
exemple Saint Anselme [11]. Soit nous partons de ce que nous savons de la nature pour nous élever jusqu'à Lui. Cette deuxième
solution est non seulement la plus sûre
et la plus classique mais surtout la plus raisonnable. Qui sommes-nous en effet
pour saisir ce qu’est Dieu ?
Selon
Saint Thomas d'Aquin (1224 - 1274), Dieu étant un être infini, aucun esprit
fini ne peut le renfermer dans un concept. Dieu n’est donc pas
directement accessible à l’homme « en
raison de la faiblesse de notre intellect, qui ne peut le saisir en lui-même,
mais seulement dans ses effets ». L'homme « se trouve ainsi conduit à connaître qu’Il
est par le raisonnement […] Nous ne parvenons pas à la connaissance de son
être par lui-même mais par ses effets »[1]. L’existence
de Dieu ne peut donc être prouvée que par voie de raisonnement à partir de
l’observation. A partir d’une réalité sensible, Saint Thomas propose en
effet de démontrer l’existence de Dieu par cinq voies. Chaque voie permet
en outre d’identifier un attribut de Dieu. Contrairement à Saint Anselme qui
part de la notion de Dieu pour prouver son existence, Saint Thomas d’Aquin part
de la réalité concrète pour remonter à Dieu…
Principe
général
Saint
Thomas d'Aquin utilise dans chacune des voies qu’il propose un même raisonnement.
Les sens constatent un fait évident qui implique une suite de causes[2]. « L’art de la démonstration […] enseigne à conclure les causes par les
effets »[3]. Comme cette suite ne peut comprendre
une infinité d’éléments, il faut nécessairement un premier terme et ce premier
terme est ce que nous appelons Dieu. Il y a ainsi des choses qui sont en
mouvement et en changement tout en n’ayant pas en eux-mêmes le principe de leur
mouvement et de leur changement. Nous pouvons aussi constater des effets qui résultent de causes extérieures,
des êtres qui ne sont pas nécessaires en soi, plus ou moins parfaites, qui
agissent d’une manière conforme à leur fin sans pourtant être pourvus
d’intelligence. Ainsi faut-il un premier moteur, une cause première, un être
nécessaire, un être parfait, une intelligence. Nous pourrions finalement en
conclure que la réalité nécessite une cause ou un principe extérieur à elle,
cause que nous appelons Dieu.
Toutes
ces voies s’appuient en fait sur une explication : tout être ne contient pas en
soi la raison suffisante de son existence. Chaque être est « quelque chose qui est » et quelle
que soit sa nature, elle n’inclut jamais son existence. Un homme est un homme
qui existe mais qui n’est pas l’existence même.
Nous
appelons existence ce qui fait que l’être existe, essence ce qui fait que
l’être est. En chaque être, il y a donc distinction entre existence et essence.
Toute chose tient donc l’existence d’une autre. Pour que les choses puissent
exister, il faut donc un être en qui l’existence et l’essence ne fassent
qu’une. Cet être est Dieu. Nous retrouvons par la raison le nom que Dieu s’est
attribué : Yahvé, » Je suis
Celui qui est »[4]. Dieu
est l’acte pur d’exister. Son essence est l’acte même d’exister. S’il est
l’Existé pur, il est par là-même la plénitude absolue de l’être. Ainsi est-Il
infini, immuable et éternel. Nous pouvons ainsi lui attribuer toutes les
perfections. Il est souverainement parfait.
Revenons
plus précisément aux cinq voies qui conduisent à la nécessité de l’existence de
Dieu…
L’argument
du premier moteur, preuve tirée du mouvement
La
preuve la plus évidente est tirée du mouvement. Les choses, vivantes ou non,
raisonnables ou sans raison, sont continuellement en mouvement ou en changement. Un
être est en mouvement ou change s’il en a la capacité. Le mouvement ou le
changement est en fait le passage de cette possibilité à la réalité, autrement
dit d’une puissance à l’acte[5]. Mouvoir
ou changer est en fait acquérir quelque chose que l’être ne dispose pas
réellement tout en ayant l’aptitude de l’avoir.
Prenons
un exemple. Un sucre fond au contact de l’eau. L’être initial est le sucre sous la forme solide.
Nous savons qu’il se dissout dans l’eau à cause de ses propriétés chimiques.
Cette possibilité d’être liquide, suite à un changement d’état (passage du
solide au liquide) comme le définit la science, est une puissance qu’il possède
en lui au sens aristotélicien. En le plongeant dans l’eau, le sucre se dissout.
Sa puissance passe en acte. Il a acquis une nouvelle qualité au contact de l'eau.
En
physique, selon les lois de Newton, tout être est en mouvement ou change de
mouvement si une force s’exerce sur lui ou si l’ensemble des forces qui
s’exercent sur lui ne se compensent plus. Ces lois sont la traduction du
principe de causalité. Il ne peut y avoir de changement si une action
extérieure à l’objet ne s’exerce sur lui.
Or
une chose ne peut pas être en même temps et sous le même rapport en puissance
d’une réalité et en acte de cette réalité. Il ne peut pas être sujet et auteur
du mouvement ou du changement en même temps. Le sucre à l'état solide ne peut pas être
en même temps liquide. Certes, une partie du sucre peut être dans un
état solide et l’autre dans un état liquide mais les deux parties sont
nécessairement dans des états différents. Le système que constitue le sucre
peut être dans des états différents mais ses constituants sont soit liquides,
soit solides. L’être en puissance ne possède pas encore l’acte de la réalité
vers laquelle il tend. Aucune chose ne peut donc mouvoir ou changer par
elle-même. Tout être en puissance passe donc à l’acte en vertu d’un autre être
que lui-même. Un mouvement ou un changement nécessitent donc ce que nous
appelons un moteur. En un mot, « tout
ce qui commence doit prendre son origine de quelque chose qui le fait commencer » [6].
Mais
la chose qui est cause du mouvement peut aussi résulter d’une autre cause qui
l’a fait passer de la puissance à l’acte. Indubitablement, un mouvement peut
être la conséquence d’une série de mouvements. Or nous ne pouvons pas remonter
indéfiniment dans la série des causes. « Multipliez les causes intermédiaires jusqu’à l’infini, vous compliquez
l’instrument, vous ne fabriquez pas une cause ; vous allongez le canal,
vous ne faites pas une source. Si la source n’existe pas, l’intermédiaire reste
impuissant et le résultat ne saurait se produire, ou plutôt il n’y aurait ni
intermédiaire ni résultat c’est-à-dire que tout disparaît. »[7] Nous ne
pouvons pas non plus remonter à un infini de mouvements car cela reviendrait à
concevoir une infinité de corps en mouvement en temps fini.
S’il
n’y a pas de premier moteur, il n’y a pas d’autres moteurs, il n’y a donc pas
de mouvement. Donc il existe un moteur qui n’est mû par aucune cause. Et ce
premier moteur est absolument immobile au sens « qui n’est mû par un autre moteur extérieur » [8].
L’argument
de la cause première, preuve tirée de la cause efficiente
Comme
une cause est antérieure à son effet, aucun être ne se produit lui-même. Il
peut être cause d’un autre être ; il ne peut être sa propre cause. Nous entendons
par « cause seconde » une
cause qui est l’effet d’une autre cause. Elle est cause et effet à la fois. Un
être peut donc résulter d’une série de causes secondes. Mais nécessairement
nous ne pouvons pas régresser à l’infini. Nous devons donc remonter à une cause
première qui ne résulte d’aucune cause. Cette cause est nécessairement distincte
de l’effet.
L’argument
de la contingence
Une
chose peut exister ou ne pas exister. Aucune chose n’a une raison d’exister en
elle-même. Nous ne serions pas nés si nos parents ne s’étaient pas rencontrés.
Rien n’oblige notre existence comme rien n’oblige à l’existence des choses qui
nous entourent. Comme toute chose, nous sommes bien des êtres contingents,
c’est-à-dire que nous n’avons pas en nous-mêmes la raison de notre existence
contrairement à l’être nécessaire qui ne peut pas ne pas être et donc porte en
soi la raison de son existence. Or si nous n’avons pas en nous la raison de
notre existence, c’est que nous la tenons d’un autre. Et plus globalement, l’univers ne porte pas en soi l’explication de sa propre existence. Contrairement à
l’argument de la cause première, nous n’étudions pas les choses selon leur
existence mais selon leur nature, c’est-à-dire selon leur contingence.
Une
chose existe car elle a été amenée à l’existence par une cause et cette cause existe
nécessairement. Elle ne porte pas en elle-même une nécessité interne mais une
nécessité externe. De même que dans les cas précédents, nous pouvons établir
une série de causes ou de nécessités externes qui ne peut se prolonger à
l’infini. Il existe donc une chose qui possède en elle sa propre nécessité. Il
y a un être nécessaire.
L’argument
par les degrés des choses
Une
chose est plus ou moins belle, une action est plus ou moins bonne. En chaque
chose, nous pouvons trouver des biens à des degrés ou intensités différents par
rapport à la vérité, à la beauté et à la bonté. Elle est ainsi plus ou moins
parfaite. Or les êtres n’ont pas leurs perfections par eux-mêmes sinon leurs
perfections n’auraient aucune limite. Une chose qui posséderait en elle la
beauté aurait une beauté infinie. De plus, nous ne pourrions guère comparer les
êtres selon leurs perfections s’il n’existait pas une référence, c'est-à-dire un Être parfait. Cette gradation
n’est possible en effet dans les choses que dans la mesure où ces choses se
rapprochent plus ou moins d’une perfection au plus haut degré, c’est-à-dire
d’un Être qui les possède. Cet Être communique à chaque chose la perfection qui
lui convient et les fait tous participer à la sienne. Nous concluons donc à
l’existence d’un être parfait.
Argument
téléologique, preuve tirée de l’ordre du monde
Toute
chose tend vers une fin ou possède une tendance vers une fin, cherchant à
l’atteindre même si elle l’ignore, même si elle est dénuée de connaissance sur
sa fin. La fin d’une chose est ce à quoi cette chose est destinée : un
site Web de commerce a pour fin de vendre des produits, l’œil a pour fin de
voir, tel chromosome a une fin déterminée... Le moyen est ce par quoi la fin
est atteinte. La fin est donc la cause qui détermine un concepteur et le
détermine dans le choix des moyens.
Dans
les choses, nous pouvons distinguer une finalité interne et une finalité
externe. Nous parlons de finalité interne pour définir la fin d’un élément au sein d’un ensemble dont il est un élément constitutif et dans lequel il jour un role. Sans aile, l’oiseau ne peut voler. C’est la finalité
interne propre à l’individu en soi. Il existe aussi une fin assignée à la chose
par rapport à la Création, à l’ensemble des individus. Nous parlons alors de
finalité externe. Les plantes sont la nourriture de certains animaux.
Chaque
être porte donc une finalité qui consiste dans le choix et l’adaptation des
moyens en vue d’une fin. Il y a donc nécessairement : connaissance de la
fin, recherche de moyens en vue de cette fin, appropriation de ces moyens à la
fin qui constitue l’ordre. Le monde nous révèle donc un plan dans chaque
individu (finalité interne) comme dans l’ensemble de la Création (finalité
externe). Cet ordre suppose donc une intelligence qui connaît, ordonne et agit.
Il faut en effet une cause pensante qui ordonne ces choses vers leur fin et
leur donne leur tendance vers cette fin. Cette cause manifeste une sagesse
agissante.
Apothéose de Saint Thomas d'Aquin Francisco de Zurbaran |
Cette
preuve de l’existence de Dieu par l’ordre qui règne dans chaque chose et dans le
monde est très ancienne. Elle a déjà été présentée par Sénèque (Mémorables)
et Cicéron (De natura deorum). Elle est reprise par Fénelon (1651-1715) dans le Traité
de l’existence de Dieu. « Mais enfin toute la nature montre l'art infini de son auteur. Quand je
parle d'un art, je veux dire un assemblage de moyens choisis tout exprès pour
parvenir à une fin précise : c'est un ordre, un arrangement, une
industrie, un dessein suivi. Le hasard est tout au contraire une cause aveugle
et nécessaire, qui ne prépare, qui n'arrange, qui ne choisit rien, et qui n'a
ni volonté ni intelligence. Or je soutiens que l'univers porte le caractère
d'une cause infiniment puissante et industrieuse. Je soutiens que le hasard,
c'est-à-dire le concours aveugle et fortuit des causes nécessaires et privées
de raison, ne peut avoir formé ce tout. C'est ici qu'il est bon de rappeler les
célèbres comparaisons des anciens. »[9]
Conclusion
En
observant uniquement le monde qui nous entoure, nous pouvons conclure en
l’existence d’un moteur premier immobile, d’une cause première, d’un être
nécessaire, d’un être parfait et d’une intelligence agissante. En appliquant de
nouveau le principe de causalité, nous en déduisons qu’un seul être regroupe
tous ces attributs : moteur immobile, cause première, nécessaire en soi,
parfait et sage. Cet être est Dieu.
« Et qu’est-ce enfin? J’ai interrogé la terre,
et elle m’a dit: "Ce n’est pas moi." Et tout ce qu’elle porte m’a fait
même aveu. J’ai interrogé la mer et les abîmes, et les êtres animés qui
glissent sous les eaux, et ils ont répondu: "Nous ne sommes pas ton Dieu;
cherche au-dessus de nous." J’ai interrogé les vents, et l’air avec ses
habitants m’a dit de toutes parts: "Anaximènes se trompe; je ne suis pas
Dieu." J’interroge le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, et ils me
répondent: « Nous ne sommes pas non plus le Dieu que tu cherches. » Et je dis
enfin à tous les objets qui se pressent aux portes de mes sens: "Parlez-moi de mon Dieu, puisque vous ne l’êtes pas; dites-moi de lui
quelque chose." Et ils me crient d’une voix éclatante: "C’est lui qui
nous a faits" ( Ps. XCIX, 3). »[10]
Références
[1] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 11, 4.
[2] Nous entendons pas cause « ensemble de tous les principes à l’origine de l’être de l’étant ». Un étant est ce qui possède l’être.
[3] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 12, 6.
[4] Voir Émeraude, mai 2014, article "Le tétragramme. : Dieu se révèle - Dieu est".
[5] Nous parlons d’être en puissance, un pouvoir d’être, une capacité ou une aptitude pour l’étant à acquérir une actualité. L’être en acte désigne l’actualisation de cette puissance.
[6] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 12, 31.
[7] Sertillange, Les Sources de la croyance en Dieu cité dans Dieu, son existence et sa nature de Garrigou-Lagrange, 11e éditions, 1950.
[8] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 12, 20.
[9] Fénélon, Morceaux choisis, 1823, librairie Boiste.
[10] Saint Augustin, Confessions, Livre X, chap. VI, 9, trad. par M. Moreau (1864).
[11] Voir Émeraude, Juillet 2014, article La connaissance naturelle de Dieu : la preuve ontologique de Saint Anselme.
[4] Voir Émeraude, mai 2014, article "Le tétragramme. : Dieu se révèle - Dieu est".
[5] Nous parlons d’être en puissance, un pouvoir d’être, une capacité ou une aptitude pour l’étant à acquérir une actualité. L’être en acte désigne l’actualisation de cette puissance.
[6] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 12, 31.
[7] Sertillange, Les Sources de la croyance en Dieu cité dans Dieu, son existence et sa nature de Garrigou-Lagrange, 11e éditions, 1950.
[8] Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 12, 20.
[9] Fénélon, Morceaux choisis, 1823, librairie Boiste.
[10] Saint Augustin, Confessions, Livre X, chap. VI, 9, trad. par M. Moreau (1864).
[11] Voir Émeraude, Juillet 2014, article La connaissance naturelle de Dieu : la preuve ontologique de Saint Anselme.
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