" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 24 juillet 2014

Les limites de la connaissance naturelle de Dieu

Si Dieu est connaissable par la lumière naturelle de la raison, pourquoi est-Il si peu connu ? La présence d’athées, surtout dans l’élite intellectuelle, devient aussi incompréhensible. Et que dire de la multiplication des religions et des sectes qui prétendent toutes délivrer une connaissance parfaite de Dieu ? Les religions elles-mêmes se divisent et se déchirent. La pluralité religieuse est une réalité qui semble contredire l'idée d'une connaissance naturelle de Dieu. Effectivement, si nous pouvons accéder naturellement à la connaissance de Dieu par sa Création, cette connaissance est bien difficile, incomplète et fragile.

Dans une de ses épîtres, Saint Paul dénonce la faillite de la pensée grecque dans la connaissance de Dieu. En dépit de leurs efforts et de leur intelligence, ils ont échoué dans leur quête de Dieu. La Sainte Écriture affirme à plusieurs reprises leur incrédulité inexcusable. « Insensés sont tous les hommes, qui ont ignoré Dieu, dans lesquels ne se trouve pas la science de Dieu et qui n’ont pas su par les biens visibles s’élever à la connaissance de Celui qui est, ni par la considération de ses œuvres reconnaître l’Ouvrier » (Sagesse, XIII, 1-5).

Lever le regard vers les cieux

Saint Paul prêchant
Joseph-Benoït Suvée, XVIIIe
Que reproche exactement Saint Paul aux philosophes païens ? Ils ont aperçu les perfections de Dieu dans les créatures et au lieu de reconnaître l’excellence et la supériorité de Dieu, ils se sont détournés de Lui. Ils ont refusé de Le reconnaître et de L’adorer. «  Ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont pas rendu grâces » (Épître aux Romains, I, 21). Et c’est parce qu’ils se sont détournés de Lui que leurs pensées sont devenues vaines. Ils se sont courbés devant les créatures au lieu d’adorer le Créateur. Ils « se sont perdus dans leurs pensées, et leur cœur insensé a été obscurci ; ainsi, en disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous. Ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image, représentant un homme corruptibles, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles. » (Épître aux Romains, I, 21-23). Les païens ont connu Dieu et agi néanmoins comme s’ils ne Le connaissaient pas.



Ils ont contemplé le monde mais au lieu d’admirer son Créateur, source de toute vérité, ils se sont arrêtés à la contemplation du monde au point de le déifier. Cette contemplation pose un véritable danger. Au lieu d’être une phase transitoire vers un autre ordre de réalité, elle devient une finalité. Il est donc nécessaire de discerner les choses afin de ne pas arriver à de telles confusions. Le regard ne doit pas s’arrêter aux manifestations de Dieu mais s’élever au-delà de la Création pour atteindre la source de toute chose. Ce discernement est d’autant plus difficile quand nous vivons dans un matérialisme effréné, dans une société de jouissance et de plaisir, dans une époque où nous portons des œillères qui rabaissent notre regard vers le sol.

Mais quelle que soit la société et la culture dans lesquelles nous baignons, nous ne perdons pas la capacité de connaître naturellement Dieu. Notre environnement ne peut que nous freiner dans l’exercice de cette capacité et non la supprimer. Ces difficultés sont contextuelles, plus ou moins importantes selon les époques et les lieux.

Se dégager de soi pour connaître Dieu…

Il y a en fait une impossibilité morale de connaître Dieu par nos propres lumières d’où la situation que nous pouvons déplorer. Nous soulignons que cette impossibilité est morale et non physique au sens où l’homme possède de manière absolue le pouvoir de connaître Dieu par la Création mais qu’il n’y parvient très difficilement. D'une manière générale, la raison humaine peut accéder à Dieu et connaître de manière certaine les vérités naturelles dont l’existence de Dieu. Mais de manière pratique, elle n’est pas dans des conditions propres pour exercer efficacement et pleinement ses capacités.

Cette impossibilité morale s’explique par des raisons physiques, intellectuelles et sociales. D'abord, nous devons être dans une position qui nous permet de disposer du temps nécessaire pour étudier les vérités naturelles. Si ces vérités peuvent être évidentes, elles soulèvent des questions auxquelles nous devons répondre, surtout quand les objections sont plus facilement accessibles. Pris par diverses occupations professionnelles, familiales, associatives, etc., nous avons bien des difficultés pour réserver du temps à la réflexion. Mais est-ce vraiment du temps dont nous avons besoin ? Nous en perdons tellement dans les distractions, les futilités, les courses vaines. Soyons sincères. Nous sommes plus attirés par les biens du monde que par les choses de l’esprit. Il faut en effet un goût, une appétence pour de tels travaux. Les dispositions intellectuelles nous manquent souvent pour nous élever vers les vérités naturelles pourtant accessibles. Faut-il encore se mettre dans des conditions morales pour se soumettre à ces vérités : amour désintéressé, affranchissement des préjugés, maîtrise de ses passions, mépris des intérêts vulgaires, etc. Cela nécessite véritablement une maîtrise et un jugement de soi. Et cette disposition est la plus difficile, n’en doutons pas. Finalement, la connaissance naturelle de Dieu demande une véritable renonciation de soi

Il s’agit bien de nous délivrer de nos passions, de nos préjugés, de nos opinions, de nos habitudes de pensées, devenues certitudes, et de nous délivrer de toutes vanités et prétentions. Devons-nous douter de tout ? Non. Il s’agit d’évaluer l’ordre de certitude ou d’incertitude de nos connaissances pour les mettre à leurs places. De quelles natures sont-elles ? Métaphysique, physique ou de foi ? Sont-elles opinions, idées pragmatiques, pensées scientifiques, logiques ou philosophiques ? Sont-elles évidentes par elles-mêmes ou issues d’un long raisonnement déductif ou inductif ?... Quelle est finalement l’autorité qui les garantit ? Travail d'une profonde honnêteté et d’humilité, d’autant plus nécessaires lorsque nous sommes inondés d’informations de qualités différentes. Homme de bonne volonté, homme au cœur droit…

Mais si l’homme a besoin de tant de dispositions, n’est-ce pas une erreur de nature ? En effet, lui est-il possible de se dégager de son ignorance ?

Une question de volonté

Le problème de la vérité ne vient pas de la vérité en elle-même ni de la source de la vérité mais réside dans l’homme. Il a les capacités d’accéder aux vérités naturelles par l’observation et par la raison. Des philosophes sont bien parvenus à identifier des perfections de Dieu. Cela est possible incontestablement non seulement pour les philosophes mais pour tout homme ici-bas. Le problème n’est pas dans une impossibilité de nature. Le problème réside plus exactement dans la volonté

L’homme s’égare en effet de sa propre initiative à cause du mauvais usage de ses capacités, c'est-à-dire de sa liberté. Nous pourrions lui refuser cette liberté afin que la vérité lui soit directement accessible mais cela reviendrait à lui renier sa nature elle-même, c’est-à-dire ce qui fait qu’il est homme. Dieu aurait pu créer l’homme sans aucune liberté mais il aurait été un animal. Il aurait pu le créer sans possibilité d’erreurs mais il aurait été dieu. Face à ses connaissances, face au monde qui lui livre cette connaissance, il est libre de la recevoir, de la comprendre, de la vivre comme il est libre de la rejeter, de l’abandonner, de la laisser au bord de la route sans y porter le moindre regard.

Il n’a peut-être ni le temps ni le goût de l’étude non pas parce qu’il n’est pas capable d’en disposer mais parce qu’il n’en a pas la force ou l’envie. Il se décourage devant l’énergie qu’il devra plus ou moins dépenser. A-t-il trop longtemps délaissé son esprit ?…


N’oublions pas enfin que notre nature humaine est aussi blessée par le péché originel. Certes le péché originel est une vérité de foi. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous appuyer sur cet argument pour expliquer une des sources de toutes nos faiblesses à celui qui n'y croit pas. Mais par expérience, nous savons que nous sommes terriblement  entravés dans notre quête de vérité. Comme le déplore Saint Paul, nous ne faisons pas ce que nous voulons faire et nous faisons ce que nous ne voulons pas faire. Telle est notre misère que nous expérimentons quotidiennement. En dépit de notre bonne volonté, les travaux de l’esprit sont ardus, ingrats, difficiles. 



La réalité quotidienne nous dévoile notre misère. Nous aspirons à de bonnes choses mais soit nos intentions s’achèvent dans le désarroi, soit nos faiblesses sont telles que nous abandonnons avant de parvenir au but. Tant de difficultés parsèment notre chemin et nous font abandonner en dépit de nos bonnes intentions.

Le refus de la vérité

Reconnaissons aussi le coût de la vérité. La lumière éclaire les choses de manière à ce qu’elles prennent leur véritable aspect non selon notre bon vouloir mais selon la vérité. Or parfois il n’est pas agréable de les voir telles qu’elles sont et non telles que nous les avons imaginées. La lumière peut décevoir, briser des illusions, nous ramener à la dure réalité. Que faire ? Accepter cette réalité qui fâche et brise bien des rêves ou poursuivre nos chimères en refusant de se poser de questions ? La vérité exige un certain ascétisme…

La vérité demande surtout à la raison de se soumettre. La raison ne peut en effet se démettre devant la force de la vérité. Mais la soumission à la réalité n’est pas anodine. La connaissance impacte en effet notre vie d’une manière plus ou moins forte. Si hier nous pouvions encore vivre dans l’ignorance, désormais il n’est plus possible de continuer ainsi puisque nous ne sommes plus dans l’ignorance. La question qui se pose alors à l’homme est de choisir entre son comportement antérieur et les exigences de la vérité sans espérer aboutir à des compromissions durables. Si la nature nous montre l’existence de Dieu, pouvons-nous vivre comme s’Il n’existait pas ? Dieu ne choisit pas à la place de l’homme. Que serait l’amour d’un père si à chaque décision que doit prendre son fils, il le prenait à sa place ? Il l’aide et l’assiste dans ses choix comme un bon père mais ne le remplace pas. Et comme un père auprès de son fils, Dieu n’abandonne pas l’homme. Mais que peut-Il faire s’il s’obstine dans son erreur et s’il refuse les exigences de la vérité ? Le châtiment pourrait remplacer la douceur d’une parole…

Obligation morale de la vérité

Saint Paul nous rappelle que les Grecs ont « transformé la vérité de Dieu en mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur » (Épître aux Romains, I, 25). Faute d’un bon usage de leur savoir, les païens se sont alors livrés à leurs passions et à leurs vices : « l’homme commettant l’infamie avec l’homme », « leurs femmes ont changé l’usage naturel en l’usage contre nature » (Épître aux Romains, I,  26-27). De quoi parle l’Apôtre ? De l’avortement, de l’homosexualité,...

« Sont dignes de mort » non seulement ceux qui les font mais aussi ceux qui les approuvent. Saint Paul parle au sens spirituel, c’est-à-dire de la renonciation à la vie éternelle. Car le véritable enjeu est la vie de l’âme. La lumière éclaire le chemin pour que nous puissions jouir d’un bonheur qui ne cessera jamais. Nous devons aussi suivre cette voie pour parvenir là où doit reposer notre âme définitivement. Intelligence et volonté doivent être unies pour que nous puissions avancer vers la lumière elle-même, source de tous les biens. Il ne s’agit pas simplement de connaître la vérité de Dieu mais aussi de l'atteindre par une conduite digne d’elle comme nous le demandons dans une des prières de l’Église : « Dieu qui par les admirables échanges réalisés en ce sacrifice nous rendez participants de votre unique et souveraine divinité, faites que, connaissant votre vérité, nous puissions aussi l'atteindre par une conduite digne d'elle »[1]. Sans la grâce de Dieu, tout cela serait bien vain. Car seul, nous n'y parviendrons pas...

Les Filles de Lot
Lucas de Leyde, 1509
Aucune direction morale n’est donc possible si nous ne discernons pas les vérités de Dieu naturellement accessibles à l’homme. Dieu nous livre à nos sens réprouvés. Loin de la lumière, nous nous corrompons. Et la corruption est un châtimentParce que les philosophes ont altéré les vérités sur Dieu qu’ils se sont livrés à leurs vices. La dissolution de leurs mœurs est le châtiment de leurs mensonges. Car « la connaissance de Dieu tend à se traduire en justice et en vertu. Elle nous est donnée pour cela ; et malheur à nous, si elle ne se tourne pas à aimer. » Comme disait Bossuet, « malheur à la connaissance stérile qui ne se tourne point à aimer, et se trahit elle-même ! »[2] en parlant de la connaissance de Dieu.

Les mots de Saint Paul sont durs. Ils nous rappellent en effet une dure vérité : nous n’apprenons pas pour rien. Nos connaissances ont une finalité… Si l’homme ne l’use pas à bon escient, il se perd dans la sanction…

Notre expérience nous montre suffisamment que nous parvenons difficilement à la vérité alors que la Création est un véritable livre sur Dieu. Différents arguments nous assurent en effet que cette connaissance certaine de Dieu est naturellement possible aux hommes. Mais cette connaissance nécessite de bonnes dispositions physiques, intellectuelles et morales. Elle exige aussi de notre part un état d’esprit fait d’humilité et de renonciation non seulement pour acquérir cette connaissance mais surtout pour s’y  soumettre afin qu’elle nous tourne vers Dieu. La Création nous fait contempler Dieu afin que nous élevions notre regard vers Dieu pour Le reconnaître et L’adorer. « Envoyez votre lumière et votre vérité ; elles m’ont conduit et m’ont amené à votre montagne sainte et dans vos tabernacles. Et je viendrai jusqu'à l’autel de Dieu ; jusqu'au Dieu qui réjouit ma jeunesse. Je vous louerai sur la harpe, Dieu, mon Dieu. » (Psaume XLII, 3-4). Néanmoins, quelle que soient nos dispositions, la nature nous révèle une image de Dieu, une image imparfaite, et non Dieu Lui-même. La connaissance naturelle de Dieu est en effet limitée en soi…




Références

[1] Secrète du 4e Dimanche après Pâques.
[2] Bossuet, Œuvres complètes de Bossuet, tome X, De la Connaissance, édition Lefèvre, 1836.

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