Si Dieu est connaissable
par la lumière naturelle de la raison, pourquoi est-Il si peu connu ? La
présence d’athées, surtout dans l’élite intellectuelle, devient aussi
incompréhensible. Et que dire de la multiplication des religions et des sectes qui
prétendent toutes délivrer une connaissance parfaite de Dieu ? Les
religions elles-mêmes se divisent et se déchirent. La pluralité religieuse est une réalité qui semble contredire l'idée d'une connaissance naturelle de Dieu. Effectivement, si nous
pouvons accéder naturellement à la connaissance de Dieu par sa Création, cette
connaissance est bien difficile, incomplète et fragile.
Dans une de ses épîtres, Saint Paul dénonce la
faillite de la pensée grecque dans la connaissance de Dieu. En dépit de leurs
efforts et de leur intelligence, ils ont échoué dans leur quête de Dieu. La
Sainte Écriture affirme à plusieurs reprises leur incrédulité inexcusable. « Insensés
sont tous les hommes, qui ont ignoré Dieu, dans lesquels ne se trouve pas la
science de Dieu et qui n’ont pas su par les biens visibles s’élever à la
connaissance de Celui qui est, ni par la considération de ses œuvres
reconnaître l’Ouvrier » (Sagesse, XIII, 1-5).
Lever le regard vers les cieux
Saint Paul prêchant Joseph-Benoït Suvée, XVIIIe |
Que
reproche exactement Saint Paul aux philosophes païens ? Ils ont aperçu les
perfections de Dieu dans les créatures et au lieu de reconnaître l’excellence
et la supériorité de Dieu, ils se sont détournés de Lui. Ils ont refusé de
Le reconnaître et de L’adorer. « Ayant
connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont pas rendu
grâces » (Épître aux Romains, I, 21). Et c’est parce qu’ils se sont détournés de Lui que leurs
pensées sont devenues vaines. Ils se sont courbés devant les créatures au lieu
d’adorer le Créateur. Ils « se sont
perdus dans leurs pensées, et leur cœur insensé a été obscurci ; ainsi, en
disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous. Ils ont changé la gloire du
Dieu incorruptible contre une image, représentant un homme corruptibles, des
oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles. » (Épître aux Romains, I, 21-23). Les païens ont connu Dieu et agi néanmoins comme
s’ils ne Le connaissaient pas.
Ils
ont contemplé le monde mais au lieu d’admirer son Créateur, source de
toute vérité, ils se sont arrêtés à la contemplation du monde au point de le déifier.
Cette contemplation pose un véritable danger. Au lieu d’être une phase
transitoire vers un autre ordre de réalité, elle devient une finalité. Il est
donc nécessaire de discerner les choses afin de ne pas arriver à de telles
confusions. Le regard ne doit pas s’arrêter aux manifestations de Dieu mais
s’élever au-delà de la Création pour atteindre la source de toute chose. Ce
discernement est d’autant plus difficile quand nous vivons dans un matérialisme
effréné, dans une société de jouissance et de plaisir, dans une époque où nous
portons des œillères qui rabaissent notre regard vers le sol.
Mais
quelle que soit la société et la culture dans lesquelles nous baignons, nous ne perdons pas la capacité de connaître
naturellement Dieu. Notre environnement ne peut que nous freiner dans
l’exercice de cette capacité et non la supprimer. Ces difficultés sont
contextuelles, plus ou moins importantes selon les époques et les lieux.
Se dégager de soi pour connaître Dieu…
Il
y a en fait une impossibilité morale de connaître Dieu par nos propres
lumières d’où la situation que nous pouvons déplorer. Nous soulignons que cette
impossibilité est morale et non physique au sens où l’homme possède de manière
absolue le pouvoir de connaître Dieu par la Création mais qu’il n’y parvient
très difficilement. D'une manière générale, la raison humaine peut accéder à Dieu
et connaître de manière certaine les vérités naturelles dont l’existence de
Dieu. Mais de manière pratique, elle n’est pas dans des conditions propres pour
exercer efficacement et pleinement ses capacités.
Cette
impossibilité morale s’explique par des raisons physiques, intellectuelles et
sociales. D'abord, nous devons être dans une position qui nous permet de
disposer du temps nécessaire pour étudier les vérités naturelles. Si ces
vérités peuvent être évidentes, elles soulèvent des questions auxquelles nous
devons répondre, surtout quand les objections sont plus facilement accessibles. Pris
par diverses occupations professionnelles, familiales, associatives, etc., nous
avons bien des difficultés pour réserver du temps à la réflexion. Mais est-ce
vraiment du temps dont nous avons besoin ? Nous en perdons tellement dans
les distractions, les futilités, les courses vaines. Soyons sincères. Nous
sommes plus attirés par les biens du monde que par les choses de l’esprit. Il faut en effet un goût,
une appétence pour de tels travaux. Les dispositions intellectuelles nous
manquent souvent pour nous élever vers les vérités naturelles pourtant
accessibles. Faut-il encore se mettre dans des
conditions morales pour se soumettre à ces vérités : amour désintéressé,
affranchissement des préjugés, maîtrise de ses passions, mépris des intérêts
vulgaires, etc. Cela nécessite véritablement une maîtrise et un jugement de soi. Et cette
disposition est la plus difficile, n’en doutons pas. Finalement, la connaissance naturelle de Dieu demande une véritable renonciation de soi…
Il
s’agit bien de nous délivrer de nos passions, de nos préjugés, de nos opinions, de nos habitudes
de pensées, devenues certitudes, et de nous délivrer de toutes vanités et prétentions. Devons-nous douter de tout ? Non. Il s’agit
d’évaluer l’ordre de certitude ou d’incertitude de nos connaissances pour les
mettre à leurs places. De quelles natures sont-elles ? Métaphysique,
physique ou de foi ? Sont-elles opinions, idées pragmatiques, pensées scientifiques, logiques
ou philosophiques ? Sont-elles évidentes par elles-mêmes ou issues d’un long
raisonnement déductif ou inductif ?... Quelle est finalement l’autorité
qui les garantit ? Travail d'une profonde honnêteté et d’humilité, d’autant
plus nécessaires lorsque nous sommes inondés d’informations de qualités
différentes. Homme de bonne volonté, homme au cœur droit…
Mais
si l’homme a besoin de tant de dispositions, n’est-ce pas une erreur de
nature ? En effet, lui est-il possible de se dégager de son ignorance ?
Une question de volonté
Le
problème de la vérité ne vient pas de la vérité en elle-même ni de la source de
la vérité mais réside dans l’homme. Il a les capacités
d’accéder aux vérités naturelles par l’observation et par la raison. Des philosophes sont bien parvenus à identifier des perfections
de Dieu. Cela est possible incontestablement non seulement pour les philosophes
mais pour tout homme ici-bas. Le problème n’est pas dans une impossibilité de
nature. Le
problème réside plus exactement dans la volonté.
L’homme
s’égare en effet de sa propre initiative à cause du mauvais usage de ses capacités, c'est-à-dire de sa
liberté. Nous pourrions lui refuser cette liberté afin que la vérité lui soit
directement accessible mais cela reviendrait à lui renier sa nature elle-même,
c’est-à-dire ce qui fait qu’il est homme. Dieu aurait pu créer l’homme sans aucune
liberté mais il aurait été un animal. Il aurait pu le créer sans possibilité
d’erreurs mais il aurait été dieu. Face à ses connaissances, face au monde qui
lui livre cette connaissance, il est libre de la recevoir, de la comprendre, de
la vivre comme il est libre de la rejeter, de l’abandonner, de la laisser au
bord de la route sans y porter le moindre regard.
Il
n’a peut-être ni le temps ni le goût de l’étude non pas parce qu’il n’est pas
capable d’en disposer mais parce qu’il n’en a pas la force ou l’envie. Il se
décourage devant l’énergie qu’il devra plus ou moins dépenser. A-t-il trop
longtemps délaissé son esprit ?…
N’oublions
pas enfin que notre nature humaine est aussi blessée par le péché originel. Certes
le péché originel est une vérité de foi. Par conséquent, nous ne pouvons pas
nous appuyer sur cet argument pour expliquer une des sources de toutes nos faiblesses à celui qui n'y croit pas. Mais par expérience, nous savons que nous sommes terriblement entravés dans notre quête
de vérité. Comme le déplore Saint Paul, nous ne faisons pas ce que
nous voulons faire et nous faisons ce que nous ne voulons pas faire. Telle est notre
misère que nous expérimentons quotidiennement. En dépit de notre bonne volonté,
les travaux de l’esprit sont ardus, ingrats, difficiles.
La réalité quotidienne nous dévoile notre misère. Nous aspirons à de bonnes choses mais soit nos intentions
s’achèvent dans le désarroi, soit nos faiblesses sont telles que nous
abandonnons avant de parvenir au but. Tant de difficultés parsèment notre chemin et
nous font abandonner en dépit de nos bonnes intentions.
Le
refus de la vérité
Reconnaissons
aussi le coût de la vérité. La lumière éclaire les choses de manière à ce
qu’elles prennent leur véritable aspect non selon notre bon vouloir mais selon
la vérité. Or parfois il n’est pas
agréable de les voir telles qu’elles sont et non telles que nous
les avons imaginées. La lumière peut décevoir, briser des illusions, nous ramener à la dure réalité. Que faire ? Accepter cette réalité qui fâche et brise bien des
rêves ou poursuivre nos chimères en refusant de se poser de questions ? La vérité
exige un certain ascétisme…
La vérité demande surtout à la raison de se soumettre. La raison ne peut en effet se
démettre devant la force de la vérité. Mais la soumission à la réalité n’est
pas anodine. La connaissance impacte en effet notre vie d’une manière plus ou
moins forte. Si hier nous pouvions encore vivre dans l’ignorance, désormais il
n’est plus possible de continuer ainsi puisque nous ne sommes plus dans
l’ignorance. La question qui se pose alors à l’homme est de choisir entre son
comportement antérieur et les exigences de la vérité sans espérer aboutir à des compromissions durables. Si la nature nous montre l’existence de Dieu, pouvons-nous
vivre comme s’Il n’existait pas ? Dieu ne choisit pas à la place de
l’homme. Que serait l’amour d’un père si à chaque décision que doit prendre son
fils, il le prenait à sa place ? Il l’aide et l’assiste dans ses choix comme un bon père mais
ne le remplace pas. Et comme un père auprès de son fils, Dieu n’abandonne pas
l’homme. Mais que peut-Il faire s’il s’obstine dans son erreur et s’il refuse les exigences de la vérité ? Le châtiment pourrait remplacer
la douceur d’une parole…
Obligation
morale de la vérité
Saint
Paul nous rappelle que les Grecs ont « transformé
la vérité de Dieu en mensonge, adoré et servi la créature au lieu du
Créateur » (Épître aux Romains, I, 25). Faute d’un bon usage de
leur savoir, les païens se sont alors livrés à leurs passions et à leurs
vices : « l’homme commettant
l’infamie avec l’homme », « leurs
femmes ont changé l’usage naturel en l’usage contre nature » (Épître aux Romains,
I, 26-27). De quoi parle
l’Apôtre ? De l’avortement, de l’homosexualité,...
« Sont
dignes de mort » non seulement ceux qui les font mais aussi ceux qui
les approuvent. Saint Paul parle au sens spirituel, c’est-à-dire de la renonciation
à la vie éternelle. Car le véritable enjeu est la vie de l’âme. La lumière
éclaire le chemin pour que nous puissions jouir d’un bonheur qui ne cessera
jamais. Nous devons aussi suivre cette voie pour parvenir là où doit
reposer notre âme définitivement. Intelligence et volonté doivent être unies pour que nous
puissions avancer vers la lumière elle-même, source de tous les biens. Il ne
s’agit pas simplement de connaître la vérité de Dieu mais aussi de l'atteindre par une conduite digne d’elle comme nous le demandons dans une des prières de
l’Église : « Dieu qui par les admirables échanges réalisés en ce sacrifice nous rendez participants de votre unique et souveraine divinité, faites que, connaissant votre vérité, nous puissions aussi l'atteindre par une conduite digne d'elle »[1]. Sans la grâce de Dieu, tout cela serait bien vain. Car seul, nous n'y parviendrons pas...
Les Filles de Lot Lucas de Leyde, 1509 |
Aucune
direction morale n’est donc possible si nous ne discernons pas les vérités de
Dieu naturellement accessibles à l’homme. Dieu nous livre à
nos sens réprouvés. Loin de la lumière, nous nous corrompons. Et la corruption est un châtiment. Parce
que les philosophes ont altéré les vérités sur Dieu qu’ils se sont livrés à
leurs vices. La dissolution de leurs mœurs est le châtiment de leurs mensonges.
Car « la connaissance de Dieu tend à
se traduire en justice et en vertu. Elle nous est donnée pour cela ; et
malheur à nous, si elle ne se tourne pas à aimer. » Comme disait Bossuet, « malheur à la connaissance stérile qui ne se tourne point à aimer, et se trahit elle-même ! »[2] en parlant de la connaissance de Dieu.
Les
mots de Saint Paul sont durs. Ils nous rappellent en effet une dure
vérité : nous n’apprenons pas pour rien. Nos connaissances ont une
finalité… Si l’homme ne l’use pas à bon escient, il se perd dans la sanction…
Notre
expérience nous montre suffisamment que nous parvenons difficilement à la vérité
alors que la Création est un véritable livre sur Dieu.
Différents arguments nous assurent en effet que cette
connaissance certaine de Dieu est naturellement possible aux hommes.
Mais cette connaissance nécessite de bonnes dispositions physiques,
intellectuelles et morales. Elle exige aussi de notre part un état d’esprit
fait d’humilité et de renonciation non seulement pour acquérir cette
connaissance mais surtout pour s’y soumettre
afin qu’elle nous tourne vers Dieu. La Création nous fait contempler Dieu afin
que nous élevions notre regard vers Dieu pour Le reconnaître et L’adorer.
« Envoyez votre lumière et votre
vérité ; elles m’ont conduit et m’ont amené à votre montagne sainte et
dans vos tabernacles. Et je viendrai jusqu'à l’autel de Dieu ; jusqu'au
Dieu qui réjouit ma jeunesse. Je vous louerai sur la harpe, Dieu, mon Dieu. »
(Psaume
XLII, 3-4). Néanmoins,
quelle que soient nos dispositions, la nature nous révèle une image de Dieu,
une image imparfaite, et non Dieu Lui-même. La connaissance naturelle de Dieu
est en effet limitée en soi…
Références
[1] Secrète du 4e Dimanche après Pâques.
[2] Bossuet, Œuvres complètes de Bossuet, tome X, De la Connaissance, édition Lefèvre, 1836.
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