Au cours des siècles, le sens d’un mot peut évoluer. Il peut
s’enrichir, s’appauvrir ou disparaître. Parmi les nombreux sens qu’il peut
revêtir au cours du temps, l’un devient généralement prédominant. Nous parlons alors de sens commun. Mais ce qui un jour est le plus utilisé peut ensuite être marginalisé.
Ainsi un mot doit être compris dans son contexte sémantique qui au grès du
temps évolue. Saint Thomas et Saint Augustin usent par exemple le même terme de
vérité sans cependant parler de la même chose. Mais pour éviter de tel
malentendu, ces auteurs précisent bien ce qu’ils entendent sous ce terme si
complexe. Évidemment, il n’est pas possible de définir
tous les mots d’un discours surtout lorsqu'il doit être bref et court. Il est
destiné à un public qui justement n’a pas besoin de telles définitions car ils
partagent le même contexte sémantique. Or aujourd'hui, nous vivons dans une
multiplicité de contextes : multiplicité de religions, de croyances, de
traditions, de cultures, de mœurs, etc.
Alors que le sens des mots s'égare dans cette pluralité, nous
perdons progressivement notre héritage culturel. La manière de penser de nos
ancêtres nous est même devenue difficile à saisir. Comment un historien d'une société déchristianisé peut connaître et comprendre la société médiévale où
le christianisme a tant modelé les esprits et les existences ? Certes il peut
connaître les règles de foi, les commandements de l’Église, le culte chrétien et tant d'autres choses encore mais de telles connaissances suffiront-elles pour comprendre cette société ? Nous oublions parfois que nous
avons véritablement changé de monde au sens où il est perçu différemment car
nos connaissances et nos repères ont nettement évolué. Dieu n’est plus aussi
présent dans l’esprit des hommes comme Il l’était encore il y a trois siècles. Les
mots qu’employaient nos arrières grands parents portent-ils encore aujourd'hui
le sens qu’ils avaient dans le passé ?
Or aujourd'hui nous avons tendance à user des mots comme si leur sens
était éternel d’où des incompréhensions et un appauvrissement culturel. La
multiplicité des contextes et la perte de notre héritage culturel conduisent inévitablement
à une certaine confusion.
Heureusement, chaque mot a une origine qui lui donne un sens premier, sens
toujours révélateur. Il est ainsi intéressant de toujours y revenir. L’étymologie
est ainsi source de connaissance souvent pertinente. Elle retire le mot de son
contexte pour en saisir le sens premier.
Prenons par exemple le terme de mystère. Nous pouvons le comprendre de plusieurs
manières. Selon le dictionnaire, il désigne dans la religion chrétienne,
« le dogme révélé, ce qui est inaccessible à la raison »[1]. Dans la théologie catholique, « le mystère proprement dit est
une réalité intrinsèquement surnaturelle qui surpasse, quant à l’existence et
quant à l’essence, non seulement les forces de notre esprit mais aussi celles
de tout esprit créé ou créable »[2]. Et dans un sens non religieux, il désigne les choses ou les
événements dont nous découvrons l’existence sans pouvoir en pénétrer pleinement
le sens. Dans cet article, nous allons uniquement nous concentrer sur son sens étymologique sans remettre en cause son sens catholique[6].
Sens étymologique : la nécessité d'une révélation
Sens étymologique : la nécessité d'une révélation
« Mystère » vient du latin « mysterium »,
lui-même du grec ancien « μυστήριον » (« mustêrion ») de « μύστης » (« mústês », « initié »),
ou de « μυέω » (« muéô », « initier »), ou encore de « μύω », (« múô », « fermer »). Il désigne
une chose cachée, secrète qui se dévoile par initiation. Effectivement,
« les mystères cachés en
Dieu […] peuvent être connus s’ils ne sont divinement révélés. »[3]
Cette
définition met l’accent sur la nécessité d’une initiation ou d’une révélation qui
éclaire, illumine, fait découvrir ce qui est caché. Une chose peut être
cachée à l’homme car inaccessible à sa raison ; selon l’étymologie,
rien ne précise la raison de cette impossibilité…
Dans le paganisme : rites initiatiques
Dans le paganisme : rites initiatiques
Dans les religions païennes, « mystère » peut désigner l’initiation elle-même ou plus
exactement le rite d’initiation au cours duquel sera révélée la chose cachée.
Ainsi étaient les mystères d’Eleusys effectués en l’honneur de la déesse de la
végétation. Ils pouvaient comprendre diverses purifications par l’eau ou le
feu, des jeûnes, des bains, des drames symboliques, des exhibitions d’objets
sacrés. Les initiés, appelés « mystes »,
devaient garder le silence sur le mystère. Peu de choses ont ainsi subsisté de
ces cultes…
Dans la Sainte Écriture : un secret révélé par Dieu
Dans la Sainte Écriture : un secret révélé par Dieu
Dans la Sainte Écriture, nous rencontrons plusieurs termes
qui peuvent être traduits par « mystère »,
par exemple dans le Livre de Daniel pour désigner le sens qui se cache derrière le
rêve de Nabuchodonosor. Le prophète Daniel peut interpréter exactement le rêve du roi car Dieu lui en a révélé le sens. Et Nabuchodonosor peut ainsi comprendre ce que le rêve signifie.Les mots hébreux employés sont « razan » ou « razin » qui signifie « secret ». Nous le retrouvons aussi dans le Livre de la Sagesse. La prudence recommande de ne pas
confier un secret à un sot ou à un étranger.
Le même terme apparaît dans les évangiles. « Pourquoi leur parlez-vous en
paraboles ? » Notre Seigneur Jésus-Christ leur répond :
« Parce que, pour vous, il vous a
été donné de connaître les mystères du royaume des cieux ; mais, pour eux,
il ne leur a pas été donné »(Matth., XIII, 11). Notre Seigneur fait
comprendre aux Apôtres qu’ils ont été choisis pour connaître le sens des
paraboles que les autres ne peuvent comprendre « parce que voyant, ils ne voient point et qu’écoutant, ils
n’entendent ni ne comprennent. » (Matth., XIII, 12) Il faut en effet être
bien disposé pour entendre les mystères de Dieu. Sans êtes appelés et sans
révélation, sans être disposé à le recevoir, il n’est point possible de
comprendre le sens réel des paraboles...
Un autre terme peut évoquer le mot mystère. Il s’agit du
vocable « sod » que nous
rencontrons une vingtaine de fois dans l’Ancien Testament. « Qui a assisté au conseil du Seigneur, et a
vu, et a entendu ce qu’il a dit ? Qui a médité sa parole et l’a
entendue ? » (Jérémie, XXIII, 18). Il désigne un
conseil au sens d’une décision prise après concertation ou encore un secret à
révéler. « Le Seigneur n’a rien fait
s’il n’a auparavant révélé son secret à ses serviteurs les prophètes »
(Amos,
III, 7). Après « concertation »,
Dieu transmet ses décisions aux prophètes. La « concertation » a-t-elle lieu au sein de la Sainte
Trinité ? L’objet de la concertation demeure caché. Seul Dieu peut le
révéler. « […] selon la révélation
d’un mystère qui, étant resté caché dans tous les siècles passés […], suivant l’ordre de Dieu éternel, pour qu’on
obéisse à la foi » (Rom., XVI, 25).
Saint Paul a fait l’objet de révélations qui lui ont permis
de connaître des mystères inconnus aux générations précédentes. Il a pour
mission de les enseigner et de répandre la connaissance venue de Dieu. « Vous avez appris sans doute que Dieu m’a
confié la dispensation de sa grâce en votre faveur ; puisque, par
révélation, il m’a fait connaître ce mystère, comme je vous l’ai écrit plus
haut en peu de mots ; de sorte, qu’en lisant, vous pouvez comprendre
l’intelligence que j’ai du mystère du Christ, mystère qui dans les autres
générations n’a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est
maintenant révélé par l’Esprit aux saints apôtres et aux prophètes […] (Eph.,
III, 2-6).
Une grâce en vue de répandre la connaissance venue de Dieu
A nombreuses reprises, Saint Paul insiste sur la grâce de connaître et de faire connaître les mystères dans sa complétude et avec certitude. « J’ai été fait ministre, selon la dispensation de Dieu, qui m’a été confiée pour que je vous annonce complètement la parole de Dieu ; le mystère qui a été caché dès l’origine des siècles et des générations, et, qui est maintenant révélé à ses saints, auxquels Dieu a voulu faire connaître quelles sont les richesses de la gloire de ce mystère parmi les nations, lequel est le Christ, pour vous l’espérance de la gloire » (Col., I , 24-27).
A nombreuses reprises, Saint Paul insiste sur la grâce de connaître et de faire connaître les mystères dans sa complétude et avec certitude. « J’ai été fait ministre, selon la dispensation de Dieu, qui m’a été confiée pour que je vous annonce complètement la parole de Dieu ; le mystère qui a été caché dès l’origine des siècles et des générations, et, qui est maintenant révélé à ses saints, auxquels Dieu a voulu faire connaître quelles sont les richesses de la gloire de ce mystère parmi les nations, lequel est le Christ, pour vous l’espérance de la gloire » (Col., I , 24-27).
Saint Paul associe souvent le terme de « mystère » au Christ, à l’Église, à
l’Évangile. Il enseigne en effet le véritable sens des événements de la vie de
Notre Seigneur Jésus-Christ, de l’existence et des fins de l’Église, des
paroles que contient le Livre Saint... Sans cet enseignement,
sans cette connaissance révélée par Dieu, ils ne seraient compris « pour parvenir à toutes les richesses d’une
parfaite intelligence, et à la connaissance du mystère de Dieu le Père et du
Christ Jésus, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont
cachés » (Col., II, 2).
Depuis sa chute sur le chemin de Damas, Saint Paul comprend
ce qui est caché derrière le Christ et l’Église. Les événements de Notre
Seigneur Jésus-Christ deviennent intelligibles sous la lumière divine. Notre
destin s’éclaire aussi. Tout prend véritablement sens non selon le regard de
l’homme, imparfait et changeant, mais selon la vue divine. Saint Paul peut
ensuite enseigner ces « mystères »
pour qu’ils soient connus et compris complètement et avec certitude. Il nous
dévoile le plan de Dieu. Les Apôtres deviennent les « dispensateurs des mystères de
Dieu » (I.Cor., IV, 1). Leur
mission est clair : « annoncer
avec assurance le mystère de l’Évangile » (Eph.,VI, 19). « Nous prêchons la sagesse de Dieu qui a été
cachée, que Dieu a prédestinée pendant les siècles pour notre gloire »
(I
Cor., II, 7).
Saint Paul associe aussi le terme de « mystère » à celui d’« iniquité ». Derrière les événements
d’iniquité dont nous sommes témoins et dont l’homme est la victime, se cache Satan.
L’abîme de dépravation dans lequel se noie Babylone est aussi un mystère dans
lequel se manifeste toute sa perfidie. Notre Seigneur révèle ses artifices et
ses œuvres. A la fin des temps, Dieu manifestera sa justice et sa puissance.
Tout sera révélé. Le sens de toute chose sera connu. Tous les mystères se
dissiperont.
L’aveuglement du peuple d’Israël est aussi un
mystère. « Je ne veux pas, mes
frères, que vous ignoriez ce mystère, (afin que vous ne soyez pas sages à vos
propres eux), qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce
que la plénitude des gentils soit entrée. » (Rom., XI, 25). Il fait
aussi partie du plan de Dieu…
L’Église enseigne donc le véritable sens des
événements et de la réalité, impénétrables sans lumière divine. Ils dépassent
la portée de notre regard. Car ils sont à la mesure de Dieu…
Au sens étymologique, le terme de
« mystère » désigne donc ce
que Dieu seul peut nous révéler selon « les décrets éternels de sa volonté »[4].
Pourtant même révélé, il demeure encore recouvert d’un voile. « Les mystères divins, par leur nature même,
dépassent tellement l’intelligence créée que, transmis par la Révélation et
reçus par la foi, ils demeurent encore recouverts du voile de la foi, et comme
enveloppés dans une certaine obscurité […]»[5].
Ainsi
quand nous parlons de mystères de foi, nous ne désignons pas seulement les
choses ou événements inaccessibles à la raison [6] mais aussi le fait que seul Dieu
peut nous les révéler pour que nous puissions les connaître avec certitude. Ces vérités sont donc connues uniquement par révélation de
Dieu. Elles peuvent ensuite être enseignées afin que le fidèle soit « initié » et que son âme s’ouvre aux
choses divines. Mais dans son individualité, l’homme n’en perçoit véritablement
le sens que par la lumière divine.
Tout
a été dit à la Révélation, et l’Église peut enseigner en toute certitude et
pleinement les vérités de foi. Pourtant l’action divine ne finit pas par la
Révélation. La foi n’est en effet possible que par intervention divine. La
grâce est toujours nécessaire à l’homme pour qu’il saisisse véritablement les
vérités divines selon la volonté de Dieu. « Persévérez dans la prière […] priant aussi
en même temps pour nous, afin que Dieu ouvre une voie à notre parole, pour
publier le mystère du Christ […] et que je le manifeste comme il convient
que j’en parle. » (Col., IV, 2-4). A l’homme ensuite d’y
adhérer ou non…
Une
des plus grandes désolations de notre temps est peut-être de négliger notre
langue et notre culture qui finissent par s’appauvrir. Et pourtant, elles
possèdent une richesse et une précision qui nous aident à mieux comprendre ce
que nous croyons. Prenons donc le soin de bien nous approprier de notre culture
chrétienne afin d’exposer efficacement notre foi selon la vue de Dieu …
Références
[1] Le Robert de Poche, 1995. Définition absurde au sens catholique car le dogme est une vérité révélée.
[2] Abbé Bernard Lucien, Apologétique, éditions Nuntiavit, 2011.
[3] Dei Filius, Chap. IV, Denz. 3015.
[4] Constitution dogmatique Dei Verbum, 2ème Concile du Vatican, Chapitre I, n°6, Denzinger 4206.
[5] Constitution dogmatique Dei Filius, 1er Concile du Vatican, Chapitre 4, Denzinger 3016.
[6] Au sens propre, le mystère de la foi est une réalité intrinsèquement surnaturelle qui surpasse les capacités et les forces de connaissance de notre esprit.
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