Pour nous attirer, nous qui sommes des pauvres ignorants en quête de connaissances, des revues annoncent souvent de
surprenantes révélations en gros titres sur leur couverture. Mais sitôt piégés, nous
les oublions vite, nous apercevant peut-être notre regrettable naïveté. Nous surfons aussi parfois sur l’internet à la recherche
de surprenantes révélations ou d’une nouvelle extraordinaire, bouleversante,
révolutionnaire. Nous finissons par accumuler des informations sans importance,
croyant connaître ce qui n’est finalement qu’opinions, mensonges ou paroles
ressassées depuis des lustres. Car finalement, le progrès de la connaissance
n’est pas aussi rapide que nos désirs et nos attentes. Certes les connaissances
nous sont plus accessibles mais sont-elles nouvelles ? Plus facilement
manipulées au gré de bonnes ou de mauvaises intentions, elles peuvent aussi nous abuser si
nous manquons suffisamment de recul et de culture si indispensables àun
jugement sain.
Ainsi encore récemment, une revue prétend nous révéler ce qu’on aurait toujours caché sur la Bible. Elle n’est pas en effet le premier « papier » à vouloir remettre en cause nos connaissances vraies ou fausses sur la Sainte Écriture. A-t-elle encore quelques choses à nous révéler ? Peut-être. Elle ne peut néanmoins qu'être salutaire si effectivement elle cherche à combattre les mensonges et les préjugés. Cette annonce nous fait cependant sourire tant nous avons encore en mémoire les attaques incessantes des deux derniers siècles contre la Sainte Bible.
Qu'y-a-t-il de nouveau depuis les attaques des païens contre ses incohérences et ses contradictions depuis le IVe siècle ? Porphyre (234-305 ?) n’est que la muse de Voltaire (1694-1778). Cette réminiscence nous rappelle les événements qui ont suivi la parution de Da Vinci Code, autre ramassis de tous les ragots de l’histoire. Rien de nouveau sous le soleil…
Une origine produit
d’une évolution religieuse
Une des thèses les plus récurrentes est l’idée que le monothéisme serait une invention
des Juifs. Ces derniers seraient en effet passés d’un culte polythéiste
sous les patriarches à un culte monothéiste sous l’influence des grands prophètes.
Le monothéisme serait ainsi né de leur maturité religieuse ou d’une volonté
politique. Les recherches historiques ou archéologiques appuieraient cette
thèse et contesteraient donc les vérités de foi.
Nous retrouvons notamment cette
thèse sur le site de l’éducation nationale [1]
en charge de la formation des enseignants. Fort d’une grande érudition et de
l’appui de travaux d'archéologues et d'historiens de renom, un article la développe avec
une prudence relative. Le nom de Yahvé serait en fait celui d’un dieu que les
Juifs se seraient approprié d’un peuple étranger après avoir rendu un culte à
plusieurs dieux. Cette hypothèse n’est pas nouvelle. Elle n’est nullement une
vérité même au sens historique tant les suppositions sont nombreuses et les
traces archéologiques ou historiques fragiles …
Cette hypothèse est
déjà attestée à la fin du XIXe siècle au moyen de l'histoire critique des religions.
Cette nouvelle « science » a pour objectif d’appliquer sur les religions et leurs textes fondateurs
les méthodes critériologiques des textes. En outre, elle veut s’appuyer sur des
découvertes archéologiques, sciences aussi innovantes à l’époque. Elle cherche en fait le plus souvent à rechercher une origine naturelle au nom de « Yahvé » dans l’évolution religieuse
d’Israël.
Selon l’hypothèse la
plus commune, le terme de « Yahvé »
serait un antique nom de Dieu antérieur à Moïse que ce dernier aurait adopté et
solennisé pour désigner le Dieu juif. La scène du buisson ardent par laquelle
Dieu révèle son nom serait en effet entendue comme l’acception d’un nom païen
antique de Dieu. Selon une thèse plus récente, Josué aurait inventé cette
légende pour justifier l’instauration d’une théocratie.
Les débats se
focalisent donc sur l’origine naturelle du nom de Dieu. Seraient-elles phénicienne,
qérite, ou madianites ? Selon les suppositions les plus simples, le
trigramme « yhvh » ou « yh » proviendrait de « Jô » ou « Yô » d’origine phénicienne.
Une origine médianite
En 1862, F.W. Ghillany, écrivant sous le pseudonyme de Richard Von Der Alm, propose l’idée d’une origine médianite. Moïse est en effet accueilli chez son beau-père Jethro, prêtre de Median (Ex. XVIII). Il aurait donc connu le nom de « Yahvé » grâce aux Madianites et non par révélation divine. Dans certains textes, Jehtro est considéré comme appartenir aux Qénites.
Le site de l’éducation nationale reprend donc la thèse d’une origine médianite. « En se fondant sur l'étude des traditions anciennes véhiculées dans les textes bibliques, il semble que l'origine du culte de Yahvé soit à rechercher dans le sud du Néguev, à la bordure nord du Sinaï. Avec prudence, on pourra même préciser qu'il s'agissait du dieu tribal des clans madianites dont on dit que le prêtre Jéthro fut le beau-père de Moïse. » Cependant, prudent dans son discours, il nous rappelle la difficulté « de faire le partage entre la légende et l'histoire. » L’article est semé de suppositions : « il semble », « on dit », « on pourra ». Néanmoins, il rappelle une certitude : « ce qui est historiquement assuré, c'est que Yahvé était le dieu national de la monarchie israélite et le souverain tutélaire de ses rois, aussi bien sous la monarchie unifiée des règnes de David et de Salomon que dans les deux royaumes de Samarie et de Jérusalem ».
Prudence ? Une prudence toute relative, voire assassine. L’article n’hésite pas en effet à désigner Yahvé comme le « dieu de l'orage et de la fécondité […] aussi de la guerre et des armées ». Sans une moindre hésitation, sans la moindre preuve, une telle affirmation est lâchée brutalement dans une phrase, lourde de signification. Elle nous affirme que Yahvé est un dieu païen. Après quelques recherches, nous trouvons cette hypothèse chez Wellhausen [2] puis plus récemment chez Knauf [3]. Selon ces spécialistes, le tétragramme aurait une origine sud-sémitique identique. Il pourrait provenir d'un terme arabe dont un des sens serait « souffle ». Ainsi pourrait-il être identifié comme un dieu de la guerre…
L'article de l'Education nationale reprend en fait les thèses d’un livre de I. Finkelstein et N.A. Silberman qui veulent prouver que les récits sur les patriarches ne seraient qu'une «puissante expression des rêves judéens du VIIe siècle av. J.C.»[4]
Une origine
chananéenne
Au début du XXe siècle, un autre chercheur [5]
rejette l’idée d’une origine madianite ou qénite, faute de preuves concluantes
et émet une autre idée : « cette
divinité est d'origine chananéenne ; elle est originaire de la région
benjaminite, plus exactement de la petite confédération des Hévéo-Gabaonites,
comprenant les quatre villes de Gabaon, Kaphira, Beérot et Kiryat-Yarim. »[6]
En envahissant Gabaon, les Hébreux auraient adopté le culte célébré à Gabaon. La
difficulté est alors d’expliquer comment on pourrait s’accaparer d’un
dieu dont on aurait vaincu son peuple, habitude contraire à celle de l’époque.
Rejetant toute idée de
révélation, il tente de démontrer que la religion juive est issue de Chanaan.
Il oppose deux cultes : celui d’El Elohim du peuple hébreu et celui de Yahvé. Ce
dernier aurait finalement détrôné son concurrent. Quoiqu’ancienne, cette idée
est très présente de nos jours. De nombreux experts opposent les deux noms pour
tenter d’expliquer deux cultes différents. Nous avons déjà expliqué leur sens
non dans une opposition mais dans une complémentarité[7].
Selon cette thèse, le
culte d’El Elohim serait le plus ancien. Ce nom étant un pluriel, il est considéré
comme polythéiste. Les grands prophètes l’auraient alors supplanté par un culte
monothéiste au cours de la déportation du peuple juif. El Elohim serait
remplacé par Yahvé, devenu Dieu national et Dieu de l’Univers. Ainsi le peuple
d’Israël aurait connu le polythéisme qui aurait évolué en monothéisme.
Il est peut-être utile
de rappeler une des significations traditionnelles du pluriel, notamment dans la Sainte Ecriture. Dans certains cas, il peut en effet exprimer le
pluriel de majesté. Le sujet et le verbe qui sont associés à El Elohim sont normalement au singulier. Signe très probant de la signification réelle du pluriel utilisé ! Des Pères de l’Église
ont aussi interprété le pluriel en usage dans certains versets comme figure ou
réalité de la Sainte Trinité.
Forme abrégée de Yahvé
Pour justifier encore l’hypothèse d’une origine étrangère, il est souvent rappelé que la Sainte
Écriture emploie les termes Yahu, Yo ou Yah, comme forme abrégée de Yahvé. Dans
un papyrus de juifs d’Eléphantine, le terme de Yaho aurait aussi été trouvé[8].
A l’origine, la langue
sémitique ignore les voyelles. Nous n’avons donc dans la Sainte Écriture que le
trigramme « yhwy », devenu
en français « yahveh » ou
encore « yahvé ». Les
Pères de l’Église le reconstituent comme nous le connaissons aujourd’hui.
Origène nous donne la prononciation du nom divin (« yhw »). Dans un fragment ancien de la Bible, le tétragramme
est rendu en grec par « ΙΑΩ ».
La forme brève « Yahuo »
est aussi utilisée dans des noms propres bibliques ou non. Il y a enfin une
troisième prononciation : « Yah »,
probablement pour des besoins liturgiques. Nous la retrouvons dans l’acclamation
« Alleluia » (« hallelu-yah »).
Yahvé et Ashérah
Asherah |
Grâce au progrès de la
connaissance des peuples anciens, « on
sait aussi que le chef du panthéon cananéen s’appelait El et qu’avec
l’assistance de la déesse Ashérah, il avait engendré les autres dieux, puis
procédé à la création de tout l’univers. Comme Israël s’adressait aussi à son
Dieu sous le nom d’El, on comprend facilement que la déesse Ashérah ait pu être
une constante tentation de vénération à côté de ce Dieu national. »[9]
Dieu cananéen El |
Cette découverte archéologique a
évidement été reprise pour associer Yahvé avec une déesse : « Yahvé avait une partenaire féminine : Ashéra »,
qu’aurait ensuite bannie Josias. Il semble même que « les archéologues trouvent d'innombrables traces d'Ashéra datant de la
fin du 8e au début du 6e siècle avant Jésus Christ »[12]
contrairement aux affirmations d’un autre spécialiste et sans apporter la moindre
preuve. Cette découverte, déjà ancienne, est donc utilisée pour annoncer que
finalement le peuple juif était polythéiste ! Étonnante nouvelle ?...
Est-ce en effet une nouvelle qui pourrait nous
décontenancer ou plutôt une confirmation de ce que nous savons déjà ? La
Sainte Écriture nous répond. En effet, dans l’Ancien Testament, les prophètes
ne cessent de lutter contre les Juifs qui introduisent les dieux étrangers dans
le culte de Yahvé. Le fait que des noms divins soient en outre utilisés par des
peuples différents pour signifier des dieux différents ne peut que favoriser
des confusions. L’inscription peut donc être simplement considérée comme une
manifestation claire d’un syncrétisme religieux que relate la Sainte Écriture. « Les graffiti de Khirbet el-Qôm
et
de Kuntillet Ajrud mentionnent « Yahvé et son Ashérah »,
ce qui semble être une attestation du syncrétisme qui devait être la pratique
concrète d’une partie de la population »[13].
Le peuple juif a en effet tendance à se tourner vers le polythéisme. Sous la lumière de la foi, les traces découvertes ont un véritable sens…
Le
terme El
L’emploi d’un même
terme El pour désigner deux dieux
différents, est-ce vraiment étonnant quand nous savons que ce mot désigne la
divinité pour l’ensemble des sémites?[14]
Il est aussi à l’origine du mot « Allah »,
« Al-ilah », « Ilah » étant un dérivé
d’ « Eloah » d’où est
tiré l’abrégé « El ».
Notons néanmoins que
l’utilisation de ce terme est assez spécifique pour les Juifs. Contrairement
aux païens, les Juifs utilisent ce mot au pluriel, Elohim, pluriel de
majesté. Comme nous l’avons déjà évoqué [7], il est surtout employé pour
désigner Dieu de manière absolue, le terme de Yahvé étant utilisé lorsque Dieu
est en rapport avec l’homme.
La mauvaise foi
Certaines critiques
tendent pourtant d’imposer une autre vision : les prophètes auraient combattu
le polythéisme non pour rétablir le culte ancien mais pour le détrôner par un
nouveau culte. Le monothéisme viendrait ainsi du polythéisme, telle est leur
thèse. Hypothèse probable mais incertaine. Mais elle a la faveur de certains experts
puisqu'elle n’est pas vérité de foi. Elle est prétendue « scientifique ». Ne soyons pas dupes. La vérité de foi est
rejetée au profit d’une foi naturelle. Ainsi tourne-t-on en
dérision ce que nous croyons pour une autre croyance ! Où est l’esprit de
vérité ?
Pour contrer ces
remises en cause perpétuelles qui font tant de ravages, il est nécessaire et important
de s’instruire et d’instruire, et de former l’intelligence
afin de déceler les erreurs et les impostures. C’est par
cet effort que les ténèbres reculeront avec l’aide de Dieu. Car « si le Seigneur ne bâtit la maison en vain
travaillent ceux qui la bâtissent »
(Psaumes, CXXVI, 1)…
Références
[1] Voir Jean-Marie Husser, professeur à l'université Marc-Bloch de Strasbourg, L'approche historique des documents fondateurs : la Bible, 2003, sur le site éduscol, censé fournir des connaissances aux enseignants.
[2] Wellhausen , Israelitische und judische Geschichte, 1914, p. 25 n°1 cité dans Milieux bibliques de M.Thomas Römer, professeur.
[3] E.A. Knauf, Yahweh, 1984 cité dans Milieux bibliques de M.Thomas Römer.
[4] I. Finkelstein et N.A. Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l'archéologie, Paris, Bayard, 2002 cité dans Une relecture de la Bible à partir de l'archéologie, J.-M. Van Cangh, professeur à la faculté théologique d’UCL, publié sur le site upjf.org, le 27 décembre 2005, article paru dans la Nouvelle Revue Théologique, Namur, décembre 2004.
[5] Voir Religions d’Israël et des sémites occidentaux de Maurice Vernes, dans Écoles pratiques des hautes Études, section des sciences religieuses, Annuaire 1918-1919, www.persee.fr.
[6] Voir Religions d’Israël et des sémites occidentaux de Maurice Vernes.
[7] Voir Émeraude, juillet-août 2012, article « La Création selon la Sainte Écriture ».
[8] Voir André PAUL, spécialiste de la société contemporaine de Jésus et de l'histoire de la constitution de la Bible, Encyclopédie Universaliste.
[9] Guy Couturier, professeur émérite, Université de Montréal, La Découverte du monde biblique, 16 janvier 2009.
[10] Découverte faite en 1975-1976 à Kuntillet ‘Ajrud dans un fortin israélite bâti au cours du VIIIe siècle avant J.-C., dans un coin reculé du nord de la péninsule du Sinaï et à Khirbet elQôm.
[11] Guy Couturier, professeur émérite, Université de Montréal, La Découverte du monde biblique, 16 janvier 2009.
[12] Une face cachée du dieu biblique, http://loriginedumonde.hautetfort.com.
[13] Matthieu Richelle, L’épigraphie nord-ouest sémitique et son intérêt pour l’étude de l’Ancien Testament, dans la revue théologie évangélique, vol. 7, n°2, 2008.
[14] André-Marie Gérard, Dictionnaire de la Bible, article Élohim, Robert Laffont, 1989.
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