" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 22 mai 2014

Dieu et la Vérité

« Notre temps a fini par distinguer, voire opposer Dieu à la vérité »

Aujourd'hui, la notion de vérité est généralement liée à la raison. De nos jours, est vrai ce qui est rationnelle, c’est-à-dire accessible et saisissable à la raison. Ainsi devons-nous y adhérer sous peine d’être considérés comme irrationnels ou insensés. Dans notre société actuelle, la notion de Dieu est plutôt liée à la foi au sens général, à la croyance, au sentiment religieux. Le spirituel et le sentiment sont confondus. Libres donc à tous de croire ou de ne pas croire. Dieu est ainsi devenu un objet culturel. Il n’est plus objet de vérité mais affaire de chapelle. La liberté religieuse - au sens où toutes les croyances sont acceptées - est donc rendue possible dans notre société.


Or dans le domaine de la vérité, il n’y a point de liberté. Une chose est vraie ou fausse. Pourtant nous sommes libres d'adhérer à la vérité ou de la rejeter. Il y a donc une distinction entre vérité en elle-même et jugement en nous. Notre acte de juger est naturellement libre puisqu'il porte sur un choix. La liberté est en effet cette capacité d’adhérer ou de rejeter sans se renier. Nous adhérons à la vérité lorsque l’esprit est si contraint qu’il ne peut pas la rejeter. Il y a en fait un double acte dans l’adhésion de la vérité : acte de l’intelligence et acte de la volonté.

Quand la raison démontre réellement la véracité d’une chose ou que des preuves irréfutables appuient une proposition, nous devons nous y soumettre sinon nous allons à l’encontre de l’intelligence et de la dignité de l’être raisonnable que nous sommes puisque la raison a pour finalité la connaissance de la vérité. S’il y a acquiescement de l’intelligence, la volonté doit suivre. Quand il y a division, il y a erreur. Et qu’est-ce que la connaissance si elle est erronée ? Qu’est-ce que connaître si nous nous trompons ? Non, l’esprit n’est point libre d’adhérer à l’erreur. S’il est témoin de la vérité, il doit s’y soumettre. Il doit user de sa liberté à bon escient…

Être dans le vrai est en outre une condition indispensable pour être libre. Il n’est en effet point possible de vivre libre dans l’illusion ou dans le mensonge. Nous ferions l’objet de manipulations ou nous agirions comme des pantins au fond d’une caverne. Ainsi l’instruction, l’éducation, l’enseignement se présentent comme une voie indispensable à l’apprentissage et à l’exercice de la liberté. La connaissance est une lumière sans laquelle nous nous égarerions dans une nuit obscure. Ainsi il n’y a point de liberté pour l’erreur. Au contraire, l’erreur est combattue, pourchassée, écartée pour que grandisse en nous la liberté. Les progrès de la connaissance et de la liberté ne sont possibles qu’en faisant reculer les terres de l’ignorance…\\

Distinguer et opposer Dieu et la vérité est un des traits caractéristiques de la pensée moderne. Elle explique l’attitude déconcertante de la société face aux religions. Qu’elles soient vraies ou fausses, qu’importe tant qu’elles sont vécues dans l’authenticité d’un cœur vrai et qu’elles ne perturbent pas la tranquillité du monde. On confond par ailleurs authenticité et vérité. On loue telle religion tant qu’elle est contenue dans les murs étroits de la conscience. On la loue si elle apporte dynamisme et ardeur. On la loue enfin si elle fait oublier l’ennui et la pesante tristesse de la vie. La notion de Dieu est ainsi rangée dans le sentimentalisme, voire dans les passions. Il n’est point alors utile de vérifier si elle est juste ou erronée mais si elle répond à un besoin strictement intérieur. Affaire privée, strictement personnelle…

Ainsi dans notre société, la raison est présentée comme une lumière tandis que la notion de Dieu est abandonnée au monde du sentiment, monde d’où sortent l’irrationalité et l’incompréhensibilité. Cette pensée si prégnante de nos jours s’oppose radicalement au christianisme comme elle est contraire à la raison elle-même.

Pour un chrétien, Dieu est la vérité suprême. Il est une vérité de foi et une vérité de raison. Foi et raison, deux ordres de connaissance pour atteindre une même certitude, celle de Dieu. Et plus une âme s’approche de Dieu, plus elle avance dans une lumière ineffable. Plus elle s’en éloigne, plus elle s’enfonce dans les ténèbres. Sans Dieu, point de vérité. Et donc point de liberté. Le chrétien est un homme libre car il pense et vit dans la vérité.

Certes le comportement d’un chrétien peut ne pas correspondre à ses pensées ou à ses paroles. Il peut ne pas vivre ce qu’il professe. Mais est-ce la faute de Dieu si le chrétien n’est plus fidèle à sa parole ? Le mensonge est du côté du croyant et non de Dieu. Il en recevra le prix au jour du jugement. Ainsi est-il bien raisonnable de juger Dieu à travers des hommes ?

Parfois il est bon de voir comment un homme vit sous l’influence de ses pensées. S’il vit en effet authentiquement, c’est-à-dire s’il est un véritable témoin de ce qu’il pense et de ce qu’il professe, nous pouvons raisonnablement juger de la qualité de ce qu’il croit puisque son existence est à l’image de sa vie intérieure, ses vertus prenant sa source dans une âme éclairée et façonnée par sa croyance. Mais l’authenticité n'est pas un signe de vérité. Un être authentique est une sorte de miroir dans lequel resplendit le principe de sa vie intérieure. Si un être n’est pas authentique, nous ne pouvons que regretter son mensonge et son hypocrisie. Dans un cœur authentique, les mœurs peuvent condamner ses principes ; dans le cas contraire, ses principes peuvent condamner ses mœurs.

Notre culture et notre éducation, notre vie intérieure avec nos passions influencent nos pensées et notre comportement. Nous ne pouvons guère en effet renier ce que nous sommes et d’où nous venons. Dieu ne nous demande pas d’oublier notre histoire. La foi n’est pas une négation de soi. Certes Il nous demande de nous dévêtir du vieil homme que nous devenons et de nous revêtir de l’homme nouveau. Il réclame en effet de notre part de nous élever et de nous débarrasser des habitudes qui nous rabaissent et nous enchaînent. Si nous sommes liés à une histoire, cette dernière ne nous enchaîne pas car au-delà d’une histoire particulière, il existe une autre histoire aussi personnelle dans laquelle Dieu a sa place. Il en est même l’auteur…

L’opposition entre Dieu et la vérité peut aussi se retrouver dans le terme de « croire ». Dans le sens général, il indique une opinion mêlée de doute ou une simple appréciation. Or, lorsque nous professons notre foi, nous affirmons sans rougir que nous croyons. Dans ce sens, il signifie une affirmation que nous tenons fermement pour vraie sur le témoignage d’autrui. « C’est, selon l’enseignement de nos Saints Livres, un acquiescement très ferme, inébranlable et constant de notre intelligence aux mystères révélés de Dieu »[1]. Contrairement à l’opinion, la croyance en ce sens strict atteint la plus grande certitude dans celui qui croit. Notre esprit se repose entièrement dans la connaissance qu’il a de la vérité. Si notre croyance n’était qu’opinion, oserons-nous la professer ouvertement sans craindre les railleries, voire dans le martyr ? « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé mais j’ai été humilié jusqu’à l’excès » (Psaume, CXV, 10) Un apôtre, par sa foi, est poussé à parler sans crainte. « Car je ne rougis point de l’Évangile » (Rom., I, 16).


Le terme latin « credere » signifie « se fier », «  avoir confiance en ». La croyance provient bien d’un témoignage. Et c’est sur l’autorité de celui qui témoigne que se fonde notre certitude. Nous ne doutons pas de ce que nous croyons car le témoignage sur lequel repose notre foi est véridique. Car  il provient de Dieu qui est la vérité même. « Dieu est vrai » (Rom., III, 4). « La foi est la croyance aux vérités révélées par Dieu à cause de l’autorité et de la véracité de Dieu »[2].

L’adhésion à des vérités de foi n’est donc pas un sentiment ou une opinion que nous accepterions au gré de notre bon plaisir. Ce que nous croyons, nous le croyons d’une vérité absolue aussi vraie que deux plus deux font quatre dans une base décimale. Par conséquent, comme nul ne peut contester cette addition comme toute autre vérité, pouvons-nous croire que chacun est « libre » de croire ou de ne pas croire ?

Ne nous trompons pas. Le terme de « liberté » est très complexe et peut porter confusion et malentendu. L’acte de foi est un acte pleinement libre au sens où l’homme exerce pleinement sa liberté et en connaissance de cause dans l’acte d’adhésion aux vérités de foi. Nul ne doit en effet contraindre une personne à croire ce qu’elle ne veut pas croire. Ce serait offenser Dieu de violer l’intimité de l’âme. Ce serait méconnaître sa miséricorde et sa justice. Ce serait aussi bien inutile…

Lorsque l’homme découvre une vérité, il peut la rejeter mais dans ce cas, il en assume la pleine responsabilité. Ainsi pouvons-nous dire qu’il est insensé et qu’il s’éloigne d’un bien de manière volontaire. Il n’est pas dans le vrai au sens où il n’accomplit pas ce pourquoi il est. Il s’oppose à sa dignité.



S’il la découvre et y adhère, il ne peut pas affirmer à son prochain que cette vérité ne l’est pas ou plutôt qu’elle est selon son bon vouloir. Deux plus deux font quatre dans son esprit comme dans tout esprit. Que la vérité soit considérée dans un jugement, donc dans l’esprit, ou dans la chose, elle se fonde sur une vérité première hors de notre esprit, sur une réalité indépendante de nous. C’est pourquoi si nous adhérons à une vérité, quel qu’en soit son fondement, tout en proclamant qu’elle n’est pas vérité pour tous, nous sommes devenus insensés. Nous allons à l’encontre du bien de notre prochain et de notre propre bien. Notre prochain peut ne pas y adhérer en refusant notre témoignage mais notre témoignage est vrai et doit être présenté comme tel.

Ainsi notre profession de foi ne reflète pas une opinion. Elle n’exprime pas un sentiment religieux. Elle ne manifeste pas un bien culturel. Elle porte sur des vérités auxquelles nous adhérons fermement et que nous présentons comme telles. Nous témoignons et enseignons ce que nous savons être la vérité…

Mais notre témoignage, qu’il soit dans nos paroles ou dans notre comportement, ne suffit pas pour que notre prochain puisse adhérer aux vérités éternelles. Ce n’est qu’un signe parmi tant d’autres. Seul Dieu en est véritablement la source. La foi est un don que seul Dieu peut donner. Seule sa lumière peut en effet éclairer suffisamment l’âme afin qu’elle prononce le fiat.




Cette conversion est parfois précédée d’une phase plus ou moins longue durant laquelle l’âme découvre des lueurs qui la rapproche de la vérité et l’éloigne de l'obscurité. Comme le peuple de Dieu a du être préparé pour recevoir Notre Seigneur Jésus-Christ, nous-aussi, nous devons être dans les dispositions d’âmes pour accueillir la Parole de Dieu. Mais comment peut-elle l’entendre si elle n’est point enseignée ? Comment une âme peut-elle s’approcher de l’autel de Dieu si personne ne le lui montre ? Ainsi avons-nous un devoir de porter la lumière là où elle ne brille pas… Même si nous sommes signes de contradictions...





Références
[1] Catéchisme du Concile de Trente, 1ère Partie, chapitre II, §1.
[2] Jean Daujat, La vie surnaturelle, Edition du vieux colombier, 1950.

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