Aujourd'hui, la notion de vérité est généralement liée à la raison. De nos jours, est vrai ce qui est rationnelle, c’est-à-dire accessible et saisissable à la raison. Ainsi devons-nous y adhérer sous peine d’être considérés comme irrationnels ou insensés. Dans notre société actuelle, la notion de Dieu est plutôt liée à la foi au sens général, à la croyance, au sentiment religieux. Le spirituel et le sentiment sont confondus. Libres donc à tous de croire ou de ne pas croire. Dieu est ainsi devenu un objet culturel. Il n’est plus objet de vérité mais affaire de chapelle. La liberté religieuse - au sens où toutes les croyances sont acceptées - est donc rendue possible dans notre société.
Or dans le domaine de la vérité, il n’y a point de liberté. Une chose est vraie ou fausse. Pourtant nous sommes libres d'adhérer à la vérité ou de la rejeter. Il y a donc une distinction entre vérité en elle-même et jugement en nous. Notre acte de juger est naturellement libre puisqu'il porte sur un choix. La liberté est en effet cette capacité d’adhérer ou de rejeter sans se renier. Nous adhérons à la vérité lorsque l’esprit est si contraint qu’il ne peut pas la rejeter. Il y a en fait un double acte dans l’adhésion de la vérité : acte de l’intelligence et acte de la volonté.
Distinguer et opposer Dieu et la
vérité est un des traits caractéristiques de la pensée moderne. Elle explique
l’attitude déconcertante de la société face aux religions. Qu’elles soient
vraies ou fausses, qu’importe tant qu’elles sont vécues dans l’authenticité
d’un cœur vrai et qu’elles ne perturbent pas la tranquillité du monde. On confond par ailleurs authenticité et vérité. On loue
telle religion tant qu’elle est contenue dans les murs étroits de la
conscience. On la loue si elle apporte dynamisme et ardeur. On la loue enfin si
elle fait oublier l’ennui et la pesante tristesse de la vie. La notion de Dieu
est ainsi rangée dans le sentimentalisme, voire dans les passions. Il n’est
point alors utile de vérifier si elle est juste ou erronée mais si elle répond
à un besoin strictement intérieur. Affaire privée, strictement personnelle…
Ainsi dans notre société, la
raison est présentée comme une lumière tandis que la notion de Dieu est abandonnée
au monde du sentiment, monde d’où sortent l’irrationalité et l’incompréhensibilité.
Cette pensée si prégnante de nos jours s’oppose radicalement au christianisme
comme elle est contraire à la raison elle-même.
Pour un chrétien, Dieu est la
vérité suprême. Il est une vérité de foi et une vérité de raison. Foi et
raison, deux ordres de connaissance pour atteindre une même certitude, celle de
Dieu. Et plus une âme s’approche de Dieu, plus elle avance dans une lumière
ineffable. Plus elle s’en éloigne, plus elle s’enfonce dans les ténèbres. Sans
Dieu, point de vérité. Et donc point de liberté. Le chrétien est un homme libre
car il pense et vit dans la vérité.
Certes le comportement d’un
chrétien peut ne pas correspondre à ses pensées ou à ses paroles. Il peut ne
pas vivre ce qu’il professe. Mais est-ce la faute de Dieu si le chrétien n’est
plus fidèle à sa parole ? Le mensonge est du côté du croyant et non de
Dieu. Il en recevra le prix au jour du jugement. Ainsi est-il bien
raisonnable de juger Dieu à travers des hommes ?
Parfois il est bon de voir
comment un homme vit sous l’influence de ses pensées. S’il vit en effet
authentiquement, c’est-à-dire s’il est un véritable témoin de ce qu’il pense et
de ce qu’il professe, nous pouvons raisonnablement juger de la qualité de ce
qu’il croit puisque son existence est à l’image de sa vie intérieure, ses
vertus prenant sa source dans une âme éclairée et façonnée par sa croyance. Mais l’authenticité n'est pas un signe de vérité. Un être
authentique est une sorte de miroir dans lequel resplendit le principe de sa
vie intérieure. Si un être n’est pas authentique, nous ne pouvons que regretter
son mensonge et son hypocrisie. Dans un cœur authentique, les mœurs peuvent
condamner ses principes ; dans le cas contraire, ses principes peuvent
condamner ses mœurs.
Notre culture et notre éducation,
notre vie intérieure avec nos passions influencent nos pensées et notre
comportement. Nous ne pouvons guère en effet renier ce que nous sommes et d’où nous
venons. Dieu ne nous demande pas d’oublier notre histoire. La foi n’est pas une
négation de soi. Certes Il nous demande de nous dévêtir du vieil homme que nous
devenons et de nous revêtir de l’homme nouveau. Il réclame en effet de notre
part de nous élever et de nous débarrasser des habitudes qui nous rabaissent et
nous enchaînent. Si nous sommes liés à une histoire, cette dernière ne nous
enchaîne pas car au-delà d’une histoire particulière, il existe une autre
histoire aussi personnelle dans laquelle Dieu a sa place. Il en est même
l’auteur…
L’opposition entre Dieu et la vérité
peut aussi se retrouver dans le terme de « croire ». Dans le sens général, il indique une opinion mêlée
de doute ou une simple appréciation. Or, lorsque nous professons notre foi,
nous affirmons sans rougir que nous croyons. Dans ce sens, il signifie une
affirmation que nous tenons fermement pour vraie sur le témoignage d’autrui. « C’est, selon l’enseignement de nos Saints
Livres, un acquiescement très ferme, inébranlable et constant de notre
intelligence aux mystères révélés de Dieu »[1].
Contrairement à l’opinion, la croyance en ce sens strict atteint la plus grande
certitude dans celui qui croit. Notre esprit se repose entièrement dans la
connaissance qu’il a de la vérité. Si notre croyance n’était qu’opinion,
oserons-nous la professer ouvertement sans craindre les railleries, voire dans le martyr ? « J’ai
cru, c’est pourquoi j’ai parlé mais j’ai été humilié jusqu’à l’excès »
(Psaume,
CXV, 10) Un apôtre, par sa foi, est poussé à parler sans crainte. « Car je ne rougis point de l’Évangile »
(Rom.,
I, 16).
L’adhésion à des vérités de foi n’est
donc pas un sentiment ou une opinion que nous accepterions au gré de notre bon plaisir. Ce que nous croyons, nous le croyons d’une
vérité absolue aussi vraie que deux plus deux font quatre dans une base décimale. Par conséquent,
comme nul ne peut contester cette addition comme toute autre vérité, pouvons-nous
croire que chacun est « libre »
de croire ou de ne pas croire ?
Ne nous trompons pas. Le terme de
« liberté » est très
complexe et peut porter confusion et malentendu. L’acte de foi est un acte
pleinement libre au sens où l’homme exerce pleinement sa liberté et en
connaissance de cause dans l’acte d’adhésion aux vérités de foi. Nul ne doit en
effet contraindre une personne à croire ce qu’elle ne veut pas croire. Ce
serait offenser Dieu de violer l’intimité de l’âme. Ce serait méconnaître sa miséricorde et sa justice. Ce serait aussi bien inutile…
Lorsque l’homme découvre une
vérité, il peut la rejeter mais dans ce cas, il en assume
la pleine responsabilité. Ainsi pouvons-nous dire qu’il est insensé et qu’il s’éloigne
d’un bien de manière volontaire. Il n’est pas dans le vrai au sens où il
n’accomplit pas ce pourquoi il est. Il s’oppose à sa dignité.
Ainsi notre profession de foi ne
reflète pas une opinion. Elle n’exprime pas un sentiment religieux. Elle ne
manifeste pas un bien culturel. Elle porte sur des vérités auxquelles nous
adhérons fermement et que nous présentons comme telles. Nous témoignons et
enseignons ce que nous savons être la vérité…
Mais notre témoignage, qu’il soit
dans nos paroles ou dans notre comportement, ne suffit pas pour que notre prochain puisse adhérer aux vérités
éternelles. Ce n’est qu’un signe parmi tant d’autres. Seul Dieu en est
véritablement la source. La foi est un don que seul Dieu peut donner. Seule sa
lumière peut en effet éclairer suffisamment l’âme afin qu’elle prononce le
fiat.
Cette conversion est parfois
précédée d’une phase plus ou moins longue durant laquelle l’âme découvre des
lueurs qui la rapproche de la vérité et l’éloigne de l'obscurité. Comme le peuple de Dieu a du être préparé pour
recevoir Notre Seigneur Jésus-Christ, nous-aussi, nous devons être dans les
dispositions d’âmes pour accueillir la Parole de Dieu. Mais comment peut-elle l’entendre si elle n’est point enseignée ? Comment une âme
peut-elle s’approcher de l’autel de Dieu si personne ne le lui montre ? Ainsi avons-nous un devoir de porter la lumière là où elle ne
brille pas… Même si nous sommes signes de contradictions...
Références
[1] Catéchisme du Concile de Trente, 1ère Partie, chapitre II, §1.
[2] Jean Daujat, La vie surnaturelle, Edition du vieux colombier, 1950.
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