" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 28 avril 2014

L'empire musulman des Abbassides

Une nouvelle ère musulmane ...
Étrange habitude que celle des califes de vouloir changer leur capitale à chaque changement de dynastie. Après Médine et Damas, Abbas transfert provisoirement le centre du pouvoir près de Koufa sur la rive orientale de l'Euphrate avant que son fils et successeur Mansûr l’établisse à Bagdad. La nouvelle capitale est entièrement construite autour du palais du calife. Elle symbolise effectivement un type de pouvoir : un pouvoir centralisé, monarchique, impérial, davantage tourné vers sa partie orientale et l’héritage de l’ancien empire perse

La révolution d'Abbas achève la domination arabe au profit des non-arabes et plus spécialement des Perses. Il est important de souligner ce bouleversement. Les nouveaux maîtres de l’empire sont des iraniens convertis à l’islam. L’armée est essentiellement constituée des soldats du Khurasan. Pour la première fois, l’empire n’est plus sous la mainmise des arabes. L’avènement des abbassides est une victoire des arabisés sur les Arabes. Ces derniers sont rejetés dans le désert et ne joueront plus de rôle. Désormais, les Perses occupent les postes importants.


Arrivés sur le trône au nom d’un retour à la primauté des croyants, les abbassides mettent effectivement l’accent sur l’appartenance religieuse et sur l’égalité entre les musulmans. L’appartenance religieuse devient ainsi la seule discrimination politique et sociale. L’identité islamique est proclamée et mise en avant au détriment des non-musulmans. C’est sous la règle des abbassides que se sont élaborés les différents règlements sur les interdits et les contraintes faits aux chrétiens. Le statut des dhimmis est légiféré sous les abbassides. La situation des chrétiens se détériore. Ils sont mis dans un état d’humiliation.
Le début de l’ère abbasside est une période féconde et fructueux pour l’islam. C’est en effet au IXe siècle que s’élaborent des commentaires du Coran, des récits biographiques du Prophètes, la sunna et le fiqh. C’est aussi à cette époque que se développent les écoles musulmanes et s’édifie le droit musulman. L’islam tel qu’il est connu aujourd'hui prend forme durablement durant les premiers siècles de la dynastie abbasside.
Abbas a triomphé des Omeyyades en défendant la cause des partisans d’Ali, mais rapidement, il les évince du pouvoir, allant jusqu'à les persécuter. Les abbassides imposent le sunnisme, ce qui provoque de nouveau des révoltes chiites.
Abbas avait légitimé son combat et son accession en prétendant appartenir à la famille du prophète. En se prétendant héritiers directs de Mahomet, les califes prennent alors le rôle d’imam et se proclament Prince des croyants. Ils dirigent la prière publique et doivent sauvegarder l’intégrité de la doctrine du prophète. Les pouvoirs religieux et religions sont entre leurs mains. Néanmoins, pour toute décision, ils consultent les docteurs de la loi, les oulémas, experts du droit coranique. Installés auparavant à Médine, ces derniers rejoignent Bagdad, devenu ainsi le centre religieux de l’Empire musulman.
En dépit du reversement de pouvoir et des réorganisations, les Abbassides poursuivent la politique de leurs prédécesseurs. Le culte du monarque se poursuit selon la vieille tradition orientale. Le fisc et l’administration sont de plus en plus centralisés. Pour maintenir leur autorité, ils s’appuient fortement sur l’armée qui dépend des vizirs désormais attachés au calife et non plus aux gouverneurs de régions. Comme les Omeyyades, les califes mènent un train de vie fastueux. La cour s’illustre par le luxe et le raffinement qui s’y déploient selon la vieille étiquette de l’empire sassanide. Bientôt viendra l’époque raffinée et luxueuse des Milles et une Nuits.
Généralement, l’empire musulman sous les premiers califes abbassides symbolise la grandeur de l’islam dans l’imagination collective aussi bien musulmane qu’européenne. Magnifié grâce aux Mille et une nuits, ce temps est considéré comme «l’âge d’or de la civilisation musulmane»[5], « époque florissante sur le plan culturel, littéraire et artistique »[1]. Bagdad est devenu le symbole même d’une ville florissante, cosmopolite, centre culturel et économique de l’empire, carrefour des sciences et des arts. C’est aussi sous cette dynastie que se naissent et se développent les différentes branches juridiques de l’islam sunnite[2]. Enfin, les premiers siècles de la dynastie abbasside sont aussi marqués par une relative stabilité politique qui garantit la paix et la prospérité économique.


Durant cette période, les troupes musulmanes se sont emparées de certains points stratégiques en  Méditerranée (Crète en 828, Syracuse en 878) et touchent les côtes italiennes (Bari en 842). Les attaques musulmanes se manifestent surtout par le pillage des côtes. La Méditerranée est en effet sous leur domination.
Une prospérité et un rayonnement culturel à relativiser
L’accession au pouvoir des abbassides et la réorganisation administrative n’ont pas enrayé l’inéluctable démembrement de l’empire musulman déjà constaté à la fin du règne des Omeyyades. L’autorité des califes est devenue de moins en moins réelles. Ils n’ont pas pu empêcher la quasi-indépendance de l’émirat andalous ou de la province de Tanger. Les califes abbassides n’ont pas pu non plus empêcher les nombreuses révoltes populaires et les conflits religieux avec les kharidjites et surtout avec les chiites.
Avant que ne se lève le Xe siècle, l’âge d’or de l’empire abbasside n’est plus qu’un souvenir. L’intégrité territoriale et l’unité politique ne sont que des fictions. L’Empire byzantin a repris pied en Syrie du Nord, a atteint Édesse, Antioche (969) et Damas. L’État est en outre miné par des conflits entre les émirs et les vizirs, entre les califes et les gouverneurs de province. L’empire se fragmente en provinces autonomes qui progressivement deviendront de fait indépendantes. 

La contestation n’est pas seulement d’ordre politique. Elle est aussi sociale et religieuse. Une révolte des Zanj (869-883), essentiellement d’esclaves noirs agriculteurs, se déclenche en 871. Dans la région de Bassorah en Irak, les rebelles prennent la villes de Basra dont ils sont originaires puis s’étend vers le sud-ouest de la Mésopotamie engendrant massacres et pillages. Le mécontentement est aussi religieux. Les Qarmates (903-1077) s’opposent au califat. Leurs revendications sont aussi d’ordre social. Ils prêchent l’égalitarisme absolu et professent l’ismaélisme [6]. Ils parviennent à fonder un état dans la région de Bahrein, rançonnent Damas et mettent notamment à sac La Mecque.
Une autre menace s’étend aussi dans la partie occidentale de l’empire. Le calife de Bagdad voit surgir d’autres califes qui contestent sa légitimité religieuse : le calife de Cordoue descend des Omeyyades et le calife du Caire, chiite, se réclame de la descendance d’Ali. Au IXe siècle, se sont constituées des principautés autonomes que contrôlent des dynasties (Idrisside au Maroc, Rostemide en Algérie, Aghlabide au Tunisie). Les Fatimides règnent en Tunisie en 909 puis en Égypte en 969 et s’étendent vers l’Est (Syrie, Palestine, Yémen) avant d’atteindre La Mecque et Médine. Aux confins du Sahara occidental, des nomades convertis à l’islam, les Almoravides, conquiert l’empire du Ghana(1076), le Maroc du Sud, l’Algérie (1082). L’Occident musulman de l’Espagne à l’Égypte finit par échapper aux califes abbassides.
Long processus de déclin de l'empire
Enfin, le calife devient de plus en plus un titre de prestige sans véritable pouvoir. Profitant des troubles qui agitent l’empire, l’armée prend de plus en plus d’importance dans les rouages de l’État. C’est une armée professionnelle, composée essentiellement de turcs islamisés. L’homme fort est désormais leur chef qui prend le titre d’émir. Il appartient à la famille des Bouyides, guerriers montagnards, chiites. Il fonde une véritable dynastie qui dirigera l’empire pendant plus d’un siècle (945-1055). Le calife ne dispose plus que d’une autorité spirituelle.
Depuis 1055, les califes ont finalement abandonné tout pouvoir politique et militaire à leurs gardes prétoriens d’abord iraniens puis turcs, les Ghaznévides puis les Seldjoukides, pasteurs nomades convertis en masse à l’islam. Ils se présentent comme les défenseurs de l’orthodoxie face aux chiites. « Les nouveaux conquérants, islamisés de fraîche date, se réclament d’un sunnisme rigoureux, qui est le reflet de leur psychologie guerrière »[3]. Le chef des Seldjoukides prend le titre de sultan. Les Seldjoukides parviennent à unifier le Proche Orient sous le pouvoir du clan. Ils chassent les Fatimides (1070) et les Byzantins. Par la bataille de Manzikert (1071), ils s’emparent de l’Asie Mineure. L’empire musulman s’étend de la mer Égée au Turkestan. Mais à la fin du XIe siècle, ces derniers abandonnent à leur tour le pouvoir à des régents, issus d’une autre famille turque, les Atabegs. L’empire continue son processus de déclin et de démantèlement.



A partir du XIe siècle, la Chrétienté lance les Croisés contre les possessions musulmanes de la Terre Sainte. Ils parviennent à délivrer Nicée et Antioche (1097-1098) puis Jérusalem et à créer des territoires. Grâce aux renforts venus d’Occident, ils parviennent à se maintenir en Orient jusqu’au XIIe siècle. Jérusalem finira par retomber sous le joug des musulmans en 1187. La dernière place d’arme, Saint Jean d’Acre, se rendra en 1291.
Au XIIe siècle, se lève un nouveau pouvoir : le régent d’Alep. Il se présente comme le défenseur du calife abbasside contre le calife du Caire et contre les Croisés Francs. Il a unifié la Syrie et vaincu les adversaires du calife abbasside en son nom dont il espère la bénédiction. « Cette référence au calife comme autorité religieuse suprême est donc réaffirmée constamment par les dirigeants politiques et devient la véritable dimension du califat, dans ce partage des pouvoirs qui s’effectue de fait entre autorité politique et religieuse : le calife est désormais le gardien de la « vraie foi », c’est-à-dire l’orthodoxie sunnite, ce qui justifie sa position de chef suprême de la Communauté des Croyants. Il est donc également la seule instance justifiant le jihâd, ce qui explique son rôle – symbolique, mais réel – dans la politique du monde musulman médiéval, même lorsque le pouvoir temporel lui échappe définitivement à l’âge des sultanats. »[4]
L’arrivée simultanée de la 7e croisade menée par Saint Louis et des Mongols au milieu du XIIIe croisade provoque la fin de la dynastie abbasside. Après la mort du dernier sultan et la victoire contre les Francs à Mansûra, les Mongols s’emparent du pouvoir. En 1258, ils pillent Bagdad et massacrent les Abbassides. C’est la fin de la dynastie …


Références
[1] Tatiana Pignon, État abbasside (750-945) : l’Empire de l’Islam à son apogée, 1ère partie. Les clés du Moyen-Orient.htm, 25 avril 2012.
[2] Voir Émeraude, février 2013.
[3 ]Jean-Pierre Valognes, Vie et Mort des Chrétiens d’Orient, Des origines à nos jours, Fayard, 1994.
[4] Tatiana Pignon, État abbasside (945-1258) : la reconfiguration du monde musulman. 2e partie. Les clés du Moyen-Orient.htm, 3 mai 2012.

[5] Les termes sont inappropriés. Le développement des sciences n'est pas du à l'islam ou aux arabes même si les progrès incontestables des sciences ont eu lieu sous l'empire abbassides du IX au XIIIe siècle. Voir Émeraude, mai 2014, article "L'âge d'or de la science sous l'ère abbasside : mythe et réalité".
[6] Courant minoritaire du chiisme.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire