Une nouvelle ère musulmane ...
Étrange
habitude que celle des califes de vouloir changer leur capitale à chaque
changement de dynastie. Après Médine et Damas, Abbas transfert provisoirement
le centre du pouvoir près de Koufa sur la rive orientale de l'Euphrate avant que son fils et successeur Mansûr l’établisse
à Bagdad. La nouvelle capitale est entièrement construite autour du palais du
calife. Elle symbolise effectivement un type de pouvoir : un pouvoir
centralisé, monarchique, impérial, davantage tourné vers sa partie orientale
et l’héritage de l’ancien empire perse.
La révolution d'Abbas achève la domination arabe au
profit des non-arabes et plus spécialement des Perses. Il est important de
souligner ce bouleversement. Les nouveaux maîtres de l’empire sont des iraniens
convertis à l’islam. L’armée est essentiellement constituée des soldats du
Khurasan. Pour la première fois, l’empire n’est plus sous la mainmise des
arabes. L’avènement des abbassides est une victoire des arabisés sur les
Arabes. Ces derniers sont rejetés dans le désert et ne joueront plus de rôle.
Désormais, les Perses occupent les postes importants.
Arrivés
sur le trône au nom d’un retour à la primauté des croyants, les abbassides
mettent effectivement l’accent sur l’appartenance religieuse et sur l’égalité
entre les musulmans. L’appartenance religieuse devient ainsi la seule discrimination
politique et sociale. L’identité islamique est proclamée et mise en avant au
détriment des non-musulmans. C’est sous la règle des abbassides que se sont
élaborés les différents règlements sur les interdits et les contraintes faits
aux chrétiens. Le statut des dhimmis est légiféré sous les abbassides. La
situation des chrétiens se détériore. Ils sont mis dans un état d’humiliation.
Le
début de l’ère abbasside est une période féconde et fructueux pour l’islam.
C’est en effet au IXe siècle que s’élaborent des commentaires du Coran, des
récits biographiques du Prophètes, la sunna et le fiqh. C’est aussi à cette
époque que se développent les écoles musulmanes et s’édifie le droit musulman. L’islam
tel qu’il est connu aujourd'hui prend forme durablement durant les premiers siècles de la dynastie abbasside.
Abbas
a triomphé des Omeyyades en défendant la cause des partisans d’Ali, mais
rapidement, il les évince du pouvoir, allant jusqu'à les persécuter. Les
abbassides imposent le sunnisme, ce qui provoque de nouveau des révoltes
chiites.
Abbas avait légitimé son combat et son accession en prétendant appartenir à la famille du prophète. En se prétendant héritiers directs de Mahomet, les califes prennent alors le rôle d’imam et se proclament Prince des croyants. Ils dirigent la prière publique et doivent sauvegarder l’intégrité de la doctrine du prophète. Les pouvoirs religieux et religions sont entre leurs mains. Néanmoins, pour toute décision, ils consultent les docteurs de la loi, les oulémas, experts du droit coranique. Installés auparavant à Médine, ces derniers rejoignent Bagdad, devenu ainsi le centre religieux de l’Empire musulman.
En
dépit du reversement de pouvoir et des réorganisations, les Abbassides
poursuivent la politique de leurs prédécesseurs. Le culte du monarque se
poursuit selon la vieille tradition orientale. Le fisc et l’administration sont
de plus en plus centralisés. Pour maintenir leur autorité, ils s’appuient
fortement sur l’armée qui dépend des vizirs désormais attachés au calife et non
plus aux gouverneurs de régions. Comme les Omeyyades, les califes mènent un
train de vie fastueux. La cour s’illustre par le luxe et le raffinement qui s’y
déploient selon la vieille étiquette de l’empire sassanide. Bientôt viendra
l’époque raffinée et luxueuse des Milles et une Nuits.
Généralement,
l’empire musulman sous les premiers califes abbassides symbolise la grandeur de
l’islam dans l’imagination collective aussi bien musulmane qu’européenne. Magnifié grâce
aux Mille
et une nuits, ce temps est considéré comme «l’âge d’or de la civilisation musulmane»[5], « époque florissante sur le plan
culturel, littéraire et artistique »[1].
Bagdad est devenu le symbole même d’une ville florissante, cosmopolite, centre
culturel et économique de l’empire, carrefour des sciences et des arts. C’est
aussi sous cette dynastie que se naissent et se développent les différentes
branches juridiques de l’islam sunnite[2].
Enfin, les premiers siècles de la dynastie abbasside sont aussi marqués par une
relative stabilité politique qui garantit la paix et la prospérité économique.
Durant cette période, les troupes musulmanes se sont emparées de certains points stratégiques en Méditerranée (Crète en 828, Syracuse en 878) et touchent les côtes italiennes (Bari en 842). Les attaques musulmanes se manifestent surtout par le pillage des côtes. La Méditerranée est en effet sous leur domination.
Une prospérité et un rayonnement culturel à relativiser
L’accession au
pouvoir des abbassides et la réorganisation administrative n’ont pas enrayé
l’inéluctable démembrement de l’empire musulman déjà constaté à la fin du règne
des Omeyyades. L’autorité des califes est devenue de moins en moins réelles.
Ils n’ont pas pu empêcher la quasi-indépendance de l’émirat andalous ou de la
province de Tanger. Les califes abbassides n’ont pas pu non plus empêcher les
nombreuses révoltes populaires et les conflits religieux avec les kharidjites
et surtout avec les chiites.
Avant
que ne se lève le Xe siècle, l’âge d’or de l’empire abbasside n’est plus qu’un
souvenir. L’intégrité territoriale et l’unité politique ne sont que des
fictions. L’Empire byzantin a repris pied en Syrie du Nord, a atteint Édesse,
Antioche (969) et Damas. L’État est en outre miné par des conflits entre les
émirs et les vizirs, entre les califes et les gouverneurs de province. L’empire
se fragmente en provinces autonomes qui progressivement deviendront de fait
indépendantes.
Une
autre menace s’étend aussi dans la partie occidentale de l’empire. Le calife de
Bagdad voit surgir d’autres califes qui contestent sa légitimité
religieuse : le calife de Cordoue descend des Omeyyades et le calife
du Caire, chiite, se réclame de la descendance d’Ali. Au IXe siècle, se
sont constituées des principautés autonomes que contrôlent des dynasties
(Idrisside au Maroc, Rostemide en Algérie, Aghlabide au Tunisie). Les Fatimides
règnent en Tunisie en 909 puis en Égypte en 969 et s’étendent vers l’Est (Syrie,
Palestine, Yémen) avant d’atteindre La Mecque et Médine. Aux confins du Sahara
occidental, des nomades convertis à l’islam, les Almoravides, conquiert
l’empire du Ghana(1076), le Maroc du Sud, l’Algérie (1082). L’Occident musulman
de l’Espagne à l’Égypte finit par échapper aux califes abbassides.
Long processus de déclin de l'empire
Enfin,
le calife devient de plus en plus un titre de prestige sans véritable pouvoir.
Profitant des troubles qui agitent l’empire, l’armée prend de plus en plus
d’importance dans les rouages de l’État. C’est une armée professionnelle,
composée essentiellement de turcs islamisés. L’homme fort est désormais leur
chef qui prend le titre d’émir. Il appartient à la famille des Bouyides,
guerriers montagnards, chiites. Il fonde une véritable dynastie qui dirigera l’empire pendant plus d’un siècle (945-1055). Le calife ne dispose plus que
d’une autorité spirituelle.
Depuis
1055, les califes ont finalement abandonné tout pouvoir politique et militaire
à leurs gardes prétoriens d’abord iraniens puis turcs, les Ghaznévides puis les
Seldjoukides, pasteurs nomades convertis en masse à l’islam. Ils se
présentent comme les défenseurs de l’orthodoxie face aux chiites. « Les nouveaux conquérants, islamisés de
fraîche date, se réclament d’un sunnisme rigoureux, qui est le reflet de leur
psychologie guerrière »[3]. Le
chef des Seldjoukides prend le titre de sultan. Les Seldjoukides parviennent à
unifier le Proche Orient sous le pouvoir du clan. Ils chassent les Fatimides
(1070) et les Byzantins. Par la bataille de Manzikert (1071), ils s’emparent de
l’Asie Mineure. L’empire musulman s’étend de la mer Égée au Turkestan. Mais à
la fin du XIe siècle, ces derniers abandonnent à leur tour le pouvoir à des
régents, issus d’une autre famille turque, les Atabegs. L’empire continue son
processus de déclin et de démantèlement.
A
partir du XIe siècle, la Chrétienté lance les Croisés contre les possessions
musulmanes de la Terre Sainte. Ils parviennent à délivrer Nicée et Antioche
(1097-1098) puis Jérusalem et à créer des territoires. Grâce aux renforts venus
d’Occident, ils parviennent à se maintenir en Orient jusqu’au XIIe siècle.
Jérusalem finira par retomber sous le joug des musulmans en 1187. La dernière place d’arme, Saint
Jean d’Acre, se rendra en 1291.
Au
XIIe siècle, se lève un nouveau pouvoir : le régent d’Alep. Il se présente
comme le défenseur du calife abbasside contre le calife du Caire et contre les
Croisés Francs. Il a unifié la Syrie et vaincu les adversaires du calife
abbasside en son nom dont il espère la bénédiction. « Cette référence au calife comme autorité
religieuse suprême est donc réaffirmée constamment par les dirigeants
politiques et devient la véritable dimension du califat, dans ce partage des
pouvoirs qui s’effectue de fait entre autorité politique et religieuse :
le calife est désormais le gardien de la « vraie foi », c’est-à-dire
l’orthodoxie sunnite, ce qui justifie sa position de chef suprême de la
Communauté des Croyants. Il est donc également la seule instance justifiant le
jihâd, ce qui explique son rôle – symbolique, mais réel – dans la politique du
monde musulman médiéval, même lorsque le pouvoir temporel lui échappe
définitivement à l’âge des sultanats. »[4]
L’arrivée
simultanée de la 7e croisade menée par Saint Louis et des Mongols
au milieu du XIIIe croisade provoque la fin de la dynastie abbasside. Après la mort
du dernier sultan et la victoire contre les Francs à Mansûra, les Mongols s’emparent du pouvoir. En 1258, ils pillent Bagdad et massacrent les
Abbassides. C’est la fin de la dynastie …
Références
[1] Tatiana Pignon, État abbasside (750-945) : l’Empire de l’Islam à son apogée, 1ère partie. Les clés du Moyen-Orient.htm, 25 avril 2012.
[2] Voir Émeraude, février 2013.
[3 ]Jean-Pierre Valognes, Vie et Mort des Chrétiens d’Orient, Des origines à nos jours, Fayard, 1994.
[4] Tatiana Pignon, État abbasside (945-1258) : la reconfiguration du monde musulman. 2e partie. Les clés du Moyen-Orient.htm, 3 mai 2012.
[5] Les termes sont inappropriés. Le développement des sciences n'est pas du à l'islam ou aux arabes même si les progrès incontestables des sciences ont eu lieu sous l'empire abbassides du IX au XIIIe siècle. Voir Émeraude, mai 2014, article "L'âge d'or de la science sous l'ère abbasside : mythe et réalité".
[6] Courant minoritaire du chiisme.
[2] Voir Émeraude, février 2013.
[3 ]Jean-Pierre Valognes, Vie et Mort des Chrétiens d’Orient, Des origines à nos jours, Fayard, 1994.
[4] Tatiana Pignon, État abbasside (945-1258) : la reconfiguration du monde musulman. 2e partie. Les clés du Moyen-Orient.htm, 3 mai 2012.
[5] Les termes sont inappropriés. Le développement des sciences n'est pas du à l'islam ou aux arabes même si les progrès incontestables des sciences ont eu lieu sous l'empire abbassides du IX au XIIIe siècle. Voir Émeraude, mai 2014, article "L'âge d'or de la science sous l'ère abbasside : mythe et réalité".
[6] Courant minoritaire du chiisme.
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