La conception chrétienne de la Création a été très tôt attaquée. Les païens grecques se sont ainsi opposés aux chrétiens sur cette question. Selon le philosophe antichrétien Louis Rougier, l'idée d'une création « ex-nihilo » était pour eux irrecevable car « l'éternité du monde et sa nécessité furent un dogme de l'hellénisme » (1). La conception grecque de l'univers est, rajoute-t-il, cyclique. Tout se déroule selon un cercle. « Les choses roulent sempiternellement dans le même cercle, d'où il est nécessaire que, suivant l'ordre immuable des cycles, ce qui a été, ce qui est, ce qui sera soit toujours de même » (2). Louis Rougier fait appel à Aristote et à Proclus, philosophe du VIème siècle.
Néoplatonicien, Proclus justifie l'éternité du monde par celle de la bonté divine. En effet, sa bonté se manifeste dans sa création et comme Dieu a toujours été bon, celle-ci a donc toujours existé. De plus, étant immuable, Dieu ne peut pas souffrir de changement. Or, sa décision de créer aurait entraîné un changement en Lui, un passage de puissance à acte, ce qui est donc incompatible avec sa nature. Enfin, si le monde a commencé, il y aurait eu un temps sans le monde. Or, selon les grecs, le temps n'existe que par les révolutions des sphères célestes qu'il mesure. Donc il y aurait un temps où le temps ne serait pas.
En outre, Louis Rougier voit dans la création une insulte à l'idée de Dieu, considéré comme le suprême ordonnateur des choses. Il souligne l'harmonie de monde et l'ordre du cosmos. Selon Julien l'Apostat, « un être qui n'est susceptible ni d'augmentation ni de diminution, et qui est soustrait à toute variation et à tout devenir, ne saurait avoir d'origine et de fin » (3). Accepter un commencement, cela revient donc à renverser la preuve de l'existence de Dieu tirée de la stabilité du système du monde. Or, selon Louis Rougier, cette stabilité ordonnée est « la condition de l'intelligibilité du monde et de la possibilité de la science » (4). Nous pouvons comprendre en quoi la conception chrétienne de la Création s'oppose à l'idée grecque d'un monde éternel et cyclique.
Louis Rougier ose rajouter que l'idée grecque est conforme au principe de la conservation d'énergie : « rien ne se crée, rien ne se perd ». Nous trouvons souvent cet argument pour rejeter toute possibilité de création dans l'univers. Permettez nous de rappeler que toute théorie est définie selon des hypothèses sans lesquelles elle n'est plus vraie. Le principe évoqué n'est valable que dans un système fermé. L'univers, est-il un système fermé ? Le croire revient immédiatement à croire aussi à l'éternité du monde. Louis Rougier en vient alors à affirmer que la conception chrétienne est un obstacle à la science ! Il va plus loin encore puisqu'il considère qu'en « dogmatisant » sa conception, l'Église a conduit inévitablement au conflit entre la foi et la raison. Mais, il oublie vite que la conception grecque n'était pas une simple hypothèse mais bien considérée comme une vérité indiscutable, un véritable « dogme ». Nous sommes bien loin de la science ! C'est pourquoi les grecs considéraient les chrétiens comme des blasphémateurs. « Si donc quelqu'un croit faire preuve de piété envers la cause de Tout, en disant qu'elle seule est éternelle, il blasphème grandement » (5). Et pourtant, cela ne leur a pas empêché de faire développer les sciences !
Ignorons la mauvaise foi de notre polémiste et retenons simplement de ces propos que l'idée d'une création « ex-nihilo » est propre au christianisme et s'oppose radicalement à la conception grecque. Nous sommes encore loin d'un certain syncrétisme ou d'une évolution de la pensée religieuse. Les attaques des païens antichrétiens montrent toute la spécificité du christianisme. Cette originalité est source de difficultés. Les premiers défenseurs de la foi ont été aussi influencés par la pensée grecque. Il est intéressant de voir comment ils ont vécu cette contradiction.
Références
1 Louis Rougier, Celse contre les Chrétiens, Chap. II, III, Copernic, 1977
2 Celse, Discours vrai, cité par Louis Rougier,Celse contre les Chrétiens.
3 Saint Augustin, Contre Julien, II, 8.
4 Louis Rougier, Celse contre les Chrétiens, Chap. II, III.
5 Proclus, cité Louis Rougier, Celse contre les Chrétiens.
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