" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mardi 29 novembre 2011

La nation (2) : La naissance d'une nation ...

Entre identité collective et identité individuelle

L'homme est partagé entre deux nécessités naturelles : celle d'appartenir à une société et donc de se fondre dans une identité collective, et celle d'avoir une existence personnelle, d'avoir sa propre individualité. L'identité de l'homme se construit sur ces deux tendances : le nous et le moi.

L'une des identités peut dominer l'autre. La prédominance du moi a été favorisée par le cartésianisme, le protestantisme, le capitalisme et le romantisme. L'individualité est aujourd'hui fortement marquée au détriment de l'identité collective. Cette dernière est exaltée par le nationalisme, le fascisme, le communisme...

Une société en perte d'identité collective...

Depuis le XVIIème, la société française a connu lentement de profonds changements. La société agraire, fortement ancrée sur une petite communauté autonome et sur un territoire restreint, a disparu progressivement, en particulier par la centralisation de l'Etat et la construction d'un Etat moderne. La baisse de l'influence de la religion a également affaibli les liens de la communauté. La perception du territoire a aussi évolué par le développement des moyens de communication et par la fixation des frontières. La perception de la communauté s'est donc considérablement agrandie. L'identité collective, qui a perdu de la force au niveau local, se porte donc vers des horizons plus vastes.

L'Etat, moteur dans la construction d'une nouvelle identité collective...

Parallèlement à cette nouvelle communauté plus vaste, des hommes ont œuvré pour construire une conscience nationale, forte utile pour s'opposer à une autorité supranationale (Papauté, Empire), à un autre Etat, ou à des autorités locales. Contre la Papauté, les rois ont en effet cherché à affirmer une certaine «conscience nationale» (conciliarisme, gallicanisme). Des tentatives pour « nationaliser » les conciles ont échoué. Dès le XIVème siècle, les communautés monastiques se sont déchirées entre « nations ».

L'Etat a joué un grand rôle dans la constitution de la conscience nationale (langue obligatoire, unification de la loi, de la justice, etc). Si tous sont régis par les mêmes règles, la conscience d'appartenance à une même communauté ne peut que s'affirmer. La construction d'un Etat moderne conduit donc inévitablement à créer cette nouvelle identité collective.

Pour inculquer cette idée d'appartenance, l'Etat a, depuis le XIXème siècle, disposé de deux moyens plus efficaces : l'enseignement obligatoire, identique pour tous, et la conscription. Enfin, n'oublions pas les symboles forts qui la caractérisent : l'hymne national, le drapeau, les monuments aux morts, ...

Sans oublier les événements circonstanciels...

La guerre et l'occupation sont certainement les facteurs les plus importants dans la constitution de la conscience nationale. L'occupation française des terres allemandes au XIXème siècle a fait naître ou affermi la conscience germanique. L'identité française s'est forgée dans la boue et la misère des tranchés. La souffrance partagée forme inéluctablement une conscience au sein d'un groupe ou d'une communauté. Elle rapproche et solidifie les liens. Notre propre identité s'affirme face à l'autre. Je suis moi car je ne suis pas l'autre. L'identité collective se construit comme la nôtre. Mais je suis aussi moi car je prends conscience de mes propres qualités.

Et les intellectuels, formateur de la conscience collective...

La reconnaissance des « qualités nationales » est l'œuvre des intellectuels, comme nous le montre clairement le cas de l'Allemagne. Mais, l'œuvre des intellectuels va encore plus loin que cette reconnaissance. Certains n'hésitent pas à construire une « conscience » en donnant forme à ce qui n'est pas. C'est le cas des historiens qui ont voulu construire une histoire nationale. Ils ont tenté de raconter l'histoire d'une nation comme si elle était permanente, éternelle. Cette tendance concerne toutes les sciences (philologie, géographie, archéologie, etc.). Mais, l'histoire demeure probablement la science qui a le plus œuvré dans ce sens. C'est par ces historiens intéressés que s'est fixée une représentation de la nation. Mais, cette culture, née surtout au XIXème siècle, est aussi notre culture.

Sans négliger la conscience populaire...

Enfin, la conscience nationale se construit aussi par le bas. Phénomène captive, proche des effets de foule, elle est une mode d'expression sociale.

Ainsi, au moment où l'identité locale s'est estompée, il s'est formé une identité collective plus étendue, fortifiée par la volonté du pouvoir politique et des intellectuels, et par les circonstances, parfois cruelles. L'idée de la nation est le fruit d'un processus qui demeure inéluctable dans la constitution d'un Etat souverain et moderne. Elle est la marque de l'époque moderne, où l'homme n'est plus limité à son village, à sa région, où il a été déraciné de sa patrie. Elle montre enfin combien l'œuvre des intellectuels n'est pas innocent. Elle peut être fortement intéressée, œuvre de propagande qui nécessite un fort besoin d'esprit critique éclairé.


Prochain article : position des chrétiens ?...

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