L’histoire de l’Église dans
notre pays est d’une très grande richesse. Elle ne se résume pas en des œuvres
de pierres qui font l’admiration des touristes ou des nostalgiques d’un passé
idéalisé. Elle est aussi faite de faits plus ou moins heureux, parfois sublimes
mais aussi tragiques. Elle nous raconte comment nous sommes arrivés aujourd’hui
à ce que nous sommes. Certains pensent qu’avant eux, rien n’existait. Or, comme
nous tous, ils sont le fruit d’une histoire, d’une longue histoire. Nous ne
pouvons pas comprendre notre présent et donc agir efficacement pour un meilleur
avenir sans revenir à ce passé. Il ne
s’agit pas de se transformer en tribunal comme si nous étions capables de le
faire, comme si nous en avions le droit. Notre époque est pleine de prétentions
et d’orgueil. À force d’entendre de beaux discours qui flattent leur égo, nos
contemporains ont fini par y croire. La société, qu’est-elle devenue si ce
n’est qu’une multitude d’intérêts privés et de possibilité d’assouvir ses plaisirs pour
son propre profit !
Le jansénisme est un de ces
faits historiques. Après avoir
étudié le gallicanisme, nous ne pouvons pas ne pas nous attarder sur ce long et
douloureux passé. Aujourd’hui, nous en voyons encore les effets. Pouvons-nous
en effet comprendre la laïcité telle qu’elle est entendue en France ou encore
l’incrédulité de notre société sans nous préoccuper du jansénisme ?
Après avoir évoqué, dans le précédent
article, le jansénisme sous l’aspect ecclésiastique et en rapport avec les
relations entre les puissances temporelle et spirituelle, nous allons désormais
nous attarder sur les faits. Car la doctrine se vit et s’élabore dans la
pratique …
La condamnation du
jansénisme
Pour mieux combattre les
erreurs que contient l’ouvrage de Jansénius, Nicolas Cornet définit sept propositions
qu’il considère comme les erreurs fondamentales de l’Augustinus. Avec
l’assentiment de l’Assemblée du clergé, réunie en 1650, et de nombreux évêques,
une supplique est envoyée au pape pour qu’il examine cinq des sept propositions
et qu’il prononce sur chacune d’elle un jugement clair et distinct. Soulignons
que le parlement de Paris refuse à la Sorbonne de procéder à l’examen de ces
propositions et qu’onze évêques s’opposent aussi à l’examen pontifical. Le 31
mai 1653, après examen des propositions par une nouvelle commission, Innocent X
censure et qualifie clairement chacune des propositions dans la bulle Cum
occasione. La condamnation est
nette et précise.
De subtiles distinctions
En outre, selon Antoine
Arnauld, si seule la première proposition se trouve textuellement dans l’Augustinus,
elle n’a pas le sens de la proposition condamnée. Finalement, les jansénistes
font une nouvelle distinction, celui du
sens objectif et du sens subjectif d’une proposition. Dans le premier cas,
la proposition est exprimée dans l’ouvrage considéré en lui-même et en dehors
de l’intention personnelle de son auteur. Dans le deuxième cas, la proposition
traduit la pensée personnelle et exacte de son auteur.
Ainsi, les jansénistes ne veulent
reconnaître ni que les propositions sont de Jansénius ni qu’elles ont été
condamnées dans le sens de Jansénius. Ils soulèvent finalement la question de l’infaillibilité de l’Église romaine
lorsqu’elle détermine le sens objectif d’une proposition. Le sens subjectif
est difficilement accessible surtout lorsque l’auteur est mort et ne peut se
justifier.
Pour faire cesser tout débat
inutile, en 1654, Innocent X déclare dans un bref qu’il a bien condamné, dans
les cinq propositions, la doctrine de Jansénius contenue dans le libre intitulé
Augustinus.
L’année suivante, par ordonnance royale, l’assemblée du clergé déclare exécutoire
le bref dans le royaume.
L’obstination des
jansénistes
Pascal (1623-1662) |
En 1656, la Sorbonne le
condamne de nouveau et lui demande de se soumettre au jugement pontifical. Une
nouvelle constitution pontificale, intitulée Ad sanctam B. Petri sedem,
du pape Alexandre VII déclare explicitement que les cinq propositions sont de
Jansénius et ont été condamnées dans le sens de Jansénius, et il appelle
perturbateur de l’ordre public tous ceux qui soutiennent le contraire.
L’assemblée du clergé, réunie le 17 mars 1657, décide que tous les clercs
devront désormais signer un formulaire clair, attestant leur soumission à la
constitution d’Innocent X selon le sens donné par la constitution d’Alexandre
VII. « Je reconnais que je suis
obligé en conscience d’obéir à ces constitutions et je condamne de cœur et de
bouche la doctrine des cinq propositions de Cornélius Jansénius, contenues dans
son livre intitulé Augustinus, que ces deux papes et les évêques condamnés,
laquelle doctrine n’est point celle de Saint Augustin que Jansénius a mal
expliquée contre le vrai sens de ce saint docteur. »
Pour défendre la position
janséniste, Pascal revient sur la distinction des questions de droit et de
fait. Il déclare que l’Église romaine
demeure infaillible lorsque ces questions concernent directement la Sainte
Écriture mais elle ne l’est pas dans les questions de faits dogmatiques non
révélés. Finalement, l’autorité du pape est profondément ébranlée…
L’appel aux « libertés
gallicanes »
Alexandre VII (pape de 1655 à 1667) |
Las des querelles, Louis XIV
ordonne à tous les évêques, dans une déclaration du 29 avril 1665 l’obligation,
de signer le formulaire sous peine de saisie de leurs bénéfices. Seuls quatre
évêques s’insurgent contre cet ordre. L’un d’entre eux dénie même au roi le
pouvoir de faire des canons et des lois dans l’Église, remettant ainsi en cause
le « gallicanisme politique ».
Sur demande de Louis XIV, le
pape Alexandre VII demande à son tour dans la bulle Regimini apostolici la
signature du formulaire à tous les évêques. Soulignons qu’en faisant intervenir
le pape dans les affaires du royaume, le
roi fait une véritable entorse aux libertés gallicanes. Les récalcitrants
seront poursuivis pour désobéissance au pape. Le 29 avril 1665, la bulle est
enregistrée au Parlement. Le formulaire doit être signé « purement et simplement, sans user d’aucune
distinction, interprétation ou restriction. »
Refusant de signer sans
mandement, les quatre évêques jansénistes sont susceptibles d’être condamnés
par une commission pontificale. Ils en appellent alors à la défense des
libertés gallicanes. Arnauld s’y oppose aussi et accuse Rome d’avilir la
dignité épiscopale en s’arrogeant le droit de juger les évêques de France.
Néanmoins, après d’âpres
négociations, le pape obtient leur signature accompagnée d’une attestation
d’obéissance envers le Saint Père sous des formes bien équivoques. Mais tout le
monde aspire à la paix. Rome se contente d’une soumission extérieure. Par arrêt
du conseil d’État du 23 octobre 1668, Louis XIV défend à tous ses
sujets « de s’attaquer et de se
provoquer à l’avenir les uns les autres sous couleur de ce qui s’était passé,
ni d’user des termes injurieux d’hérétiques, de jansénistes, de semi-pélagiens,
ou de quelqu’autre nom de parti, ni même d’écrire ou de publier des libelles
sur les matières contestées ou de blesser par des termes injurieux la
réputation de qui que ce soit. »[2]…
La reprise de la crise
La paix n’est en fait qu’une
pause. On publie divers ouvrages en faveur du jansénisme ou contre lui. Les
injures se poursuivent. Les passions risquent à tout moment de se réveiller. Un
opuscule intitulé « cas de
conscience » déclenche finalement la tempête. Il demande à
l’archevêque de Paris s’il est possible d’absoudre un ecclésiastique qui ne se
soumettrait qu’extérieurement à la bulle pontificale. Quarante docteurs de la
Sorbonne affirment qu’un silence respectueux suffit, provoquant alors de
violentes protestations. Le pape Clément XI doit même intervenir. Dans un bref
du 12 février 1703, il demande à Louis XIV de « dompter les rebelles que la douceur de l’Église n’est pas capable de
gagner. » Dans un deuxième bref, il le somme de ne pas épargner
« ces turbulents » dont
l’hérésie est propre à troubler aussi bien « la discipline civile » que « la discipline ecclésiastique ». Las de ces querelles, le roi
ordonne des exils, des confiscations, des embastillements contre les
jansénistes notoires.
La manifestation des
différents « gallicanismes »
Louis XIV intervient de
nouveau auprès du pape pour qu’il condamne encore le jansénisme ainsi que
l’idée selon laquelle le seul respect silencieux suffirait pour se soumettre aux
bulles pontificales. Mais afin d’être conforme à la doctrine gallicane, il lui
demande de rédiger la nouvelle constitution « sur la demande du roi de France », ce que ne peut accepter le
pape. En effet, en dépit des instances royales, Clément XI ne répond guère à sa
demande très imprégnée de « gallicanisme
politique ». Sa résistance provoque la colère du roi et même des
menaces.
Après deux ans de
négociations et l’avis du roi, le pape publie la bulle Vineam Domini, datée du
15 juillet 1705. Il condamne le silence respectueux comme « un voile trompeur dont on se sert pour se
jouer de l’Église au lieu de lui obéir » et déclare qu’il faut rejeter
comme hérétique, non seulement de bouche mais de cœur, le sens de Jansénius
condamné dans les cinq propositions. Louis XIV prie alors l’assemblée du clergé
de « recevoir avec respect la
Constitution pontificale et de délibérer sur la voie la plus convenable pour la
faire recevoir d’une manière uniforme dans tous les diocèses du royaume. »
Les prélats rassemblés
obtempèrent à la demande du roi mais son acceptation s’accompagne de deux
restrictions. L’archevêque de Paris, Mgr de Noailles, dévoué au parti
janséniste, remet en cause la pertinence de cette bulle. Selon ses propos, les
jansénistes ont depuis longtemps adhéré à l’idée que le sens du livre de
Jansénius est hérétique sans pourtant croire que Jansénius y ait voulu y
attacher ce sens. Il demande alors pour les prélats uniquement de déclarer
qu’ils « ne renferment uniquement
dans la décision contenue dans la bulle, sans rien ajouter ni diminuer à cette
décision si exacte ».
Mgr de Noailles (1651-1729) |
Enfin, quand le pape
condamne le livre de Quesnel dans un bref du 13 juillet 1708, ses Réflexions
morales, des membres du Conseil royal s’opposent à la réception du
décret sous prétexte qu’il est demandé de remettre les exemplaires de l’ouvrage
de Quesnel, désormais interdit, aux évêques mais aussi à des inquisiteurs pour
qu’ils les brûlent eux-mêmes. Ils en appellent aux « libertés gallicanes ». La sentence romaine reste alors lettre
morte. Le « gallicanisme parlementaire » a remporté une victoire.
Sur demande d’adversaires
des jansénistes, Louis XIV en appelle encore au pape pour qu’il condamne de
nouveau dans une bulle le livre de Quesnel, lui assurant qu’elle sera désormais
reçue, et donc exécutée, dans le royaume avec ou sans le consentement des
évêques. Ainsi pour venir à bout du
jansénisme, Louis XIV n’hésite pas à s’opposer au « gallicanisme épiscopal ». C’est ainsi qu’après plus d’une
année d’examen du livre par une commission, Clément XI publie la bulle Unigenitus
le 8 septembre 1713, contenant 101 propositions extraites de ses Réflexions
morales et condamnées. Mais l’une des 101 propositions est assez
particulière. Elle touche une autre
doctrine, chère aux gallicans, le richerisme[3].
La 90e proposition remet en effet en cause le « gallicanisme ». C’est ainsi que le « gallicanisme » rejoint le jansénisme dans leur opposition à
Rome...
Or selon les « libertés gallicanes », la bulle ne
peut avoir force de loi qu’après avoir été acceptée par le clergé et
enregistrée par le parlement. Après avoir allégué que la bulle porte atteinte
aux « libertés gallicanes »,
le parlement finit par l’enregistrer le 15 février 1714. Une résistance plus vigoureuse vient plutôt du clergé.
La
querelle interminable du jansénisme divise profondément l’Église de France. La
majorité des prélats, c’est-à-dire cent dix-sept, l’accepte « purement et simplement » alors
qu’une minorité, quinze exactement, apporte une acceptation conditionnelle,
restrictive et relative aux explications que les prélats veulent donner dans
une instruction pastorale. Les évêques réfractaires demandent des explications
à Rome avant de donner leur adhésion à la bulle. L’archevêque de Paris, Mgr de
Noailles, toujours favorable aux jansénistes, interdit son clergé de recevoir
la bulle sans autorisation sous prétexte de l’irrégularité de la procédure. Le
pape aurait dû demander l’acceptation préalable des évêques français avant de publier
la constitution. L’opposition se fonde donc sur le « gallicanisme épiscopal ». Le
pape réprouve l’instruction pastorale comme ayant un relent de schisme.
Ainsi, l’Église de France est divisée entre les « acceptants », qui se soumettent au pape, et les « opposants », une minorité certes
faible en effectif mais remuante et tenace, et fortement soutenue par des
sympathisants auprès de l’opinion publique, des docteurs de la Sorbonne et du
clergé de second degré. Les « opposants »
trouvent enfin leur appui auprès des parlementaires. Ces derniers s’opposent
non seulement aux « acceptants »
mais également au roi. Ainsi, au lieu d’en finir avec le jansénisme, comme le
souhaitait le roi, la constitution Unigenitus lui donne des forces
nouvelles et ravive aussi le « gallicanisme ».
En outre, la mort de Louis XIV amène une forte réaction en faveur des
jansénistes.
Le 1er mars 1717,
quatre évêques en appellent de la bulle à un futur concile. La Sorbonne y
adhère. Le cardinal de Noailles les rejoint. Ils seront seize évêques. L’Église
de France est encore plus divisée, entre les « acceptants » et
les « appelants », qui comprennent
3 000 ecclésiastiques sur 100 000. Une bulle pontificale Pastoralis Officii du 8
février 1718 les excommunie. Mais le parlement la rejette. Le schisme est
proche…
Des longues négociations
pour arriver à des accommodements et surtout la mort des protagonistes comme
celle du cardinal de Noailles conduisent au déclin du jansénisme. En 1729, seul trois évêques « appelants » ne se rétractent pas.
Mais, le conflit persiste en raison de
l’hostilité des parlementaires à l’égard de Rome et du roi. Sous prétexte
des « libertés gallicanes »,
ils font obstacle à l’enregistrement des bulles pontificales.
Les prétentions des
parlementaires
La querelle est inlassable.
En 1732, plusieurs évêques prescrivent à leurs curés de refuser les sacrements
in extremis à tout « appelant »
qui déclare encore rejeter la bulle ou qui ne peut attester d’un billet de
confession en bonne et due forme. Considérant ce refus de sacrement comme une
diffamation justiciable des tribunaux, les jansénistes en appellent au parlement.
Ce dernier intervient dans cette affaire et procède contre les évêques et les
prêtres qui refusent effectivement les derniers sacrements selon les conditions
posées. L’archevêque de Paris, Mgr de Beaumont, ordonne de nouveau à ses
prêtres de refuser tout dernier sacrement aux appelants récalcitrants. En 1649,
sur un de ces refus, une famille porte plainte au parlement. Il ordonne des
poursuites contre le curé mis en cause. Le conseil royal les arrête. En 1752,
un nouvel incident se produit. Le parlement ordonne le saisi du temporel d’un
curé qui a refusé les sacrements à un janséniste notoire. Louis XV intervient
et casse le jugement. Furieux, le parlement publie le 18 avril 1752 un arrêt
défendant tout ecclésiastique de « faire
acte tendant au schisme ; et notamment de faire aucun refus public des
sacrements sous prétexte de défaut de présentation d’un billet de confession ou
de déclaration du nom du confesseur ou d’acceptation de la bulle Unigenitus… » au risque
« d’être poursuivis comme perturbateurs
du repos public et punis selon la rigueur des ordonnances. » Le
parlement dénonce alors au roi l’archevêque de Paris comme « fauteur de schisme ». Pourtant,
faut-il rappeler que l’administration des sacrements ne relève que de la compétence
des autorités spirituelles ? L’abus
de pouvoir est flagrant…
Le désordre dans le royaume
de France
L’hostilité du parlement ne
cesse de croître. Le 28 janvier 1753, dans de « grandes remontrances », il accuse « les ecclésiastiques d’opposer au gouvernement un esprit d’indépendance
et de préparer un schisme dans l’Église de France. » Un conflit dur
s’ouvre alors entre le roi, les parlementaires et les évêques. Les
parlementaires condamnent des évêques et des curées. Le roi ordonne aux
parlementaires de cesser leurs poursuites. En dépit des menaces, le parlement
persiste car il ne peut le faire sans « manquer à son devoir et à son serment ». L’exile le réduit un
moment avant d’être rappelé par le roi. Le roi impose alors aux deux partis la
« loi du silence ». Mais le
refus des sacrements continue en province et à Paris. L’archevêque de Paris est
à son tour exilé. Bref, le désordre est
à son comble.
Une assemblée du clergé
réuni en mai 1755 cherche une solution pour apaiser les esprits. Certains sont
intransigeants. Ils ne veulent point changer d’avis. D’autres plus modérés
proposent de refuser le sacrement qu’aux « appelants » notoires et publics. Mais, tous, unanimement, protestent contre l’intervention du parlement dans
un domaine qui ne relève pas de ses compétences. De quels droits
interviennent-ils dans les conditions requises pour l’administration des
sacrements ? C’est pourquoi dans ses remontrances envoyées au roi,
l’assemblée du clergé déclare que l’Unigenitus est « un jugement purement doctrinal » et
que « c’est aux pasteurs et non aux
fidèles qu’il appartient de décide qui doit être admis aux sacrements. »
Il lui demande tout naturellement de casser toutes les sentences que le
parlement a portées contre les prêtres et les évêques. Tout en admettant le
caractère purement doctrinal de l’Unigenitus, le roi refuse néanmoins de
casser les arrêts du parlement et exige que la « loi du silence » soit respectée. C’est donc une fin de non-recevoir. L’assemblée du
clergé s’adresse au pape et lui demande conseil…
Dans un bref daté du 16
octobre 1756, intitulé Ex omnibus, le pape Benoît XIV
adopte le parti modéré. Seuls ceux qui sont publiquement et notoirement
réfractaires ne peuvent recevoir les sacrements. Il précise ce qu’il entend par
« publiquement et notoirement
réfractaire ». Mais, en dépit de son indulgence, le parlement refuse
de nouveau d’enregistrer le bref. Le roi doit alors tenir un lit de justice et
ordonne de respecter la bulle comme une décision de l’Église.
En 1757, un nouvel incident
éclate entre l’archevêque de Paris et le parlement. Refusant de lever une
censure contre un couvent janséniste, Mgr de Beaumont est exilé pendant un an
et demi.
En dépit de ses
condamnations, le jansénisme, surtout
celui de la seconde génération, s’est diffusé dans la société de l’ancien
régime. Il a gagné le parlement de Paris ainsi que les autres parlements
comme nous avons pu le voir. Il a aussi touché le clergé de second ordre, dit
encore le bas clergé. L’opinion public
est assez favorable non pas au jansénisme lui-même dans sa doctrine et sa
morale mais plus dans sa résistance
contre l’autorité pontificale et celle du roi.
Les partisans du jansénisme
ont fait l’objet d’une véritable persécution. « Quiconque était soupçonné de professer le quenellisme, au mépris de la
bulle Unigenitus qui venait de le
condamner, était poursuivi, traqué, à la fois par l'autorité ecclésiastique,
qui fulminait bulles, rescrits, mandements ou sentences d'excommunication, et
par l'autorité civile, intéressée à donner force de loi à un texte qu'elle
avait, en somme, sollicité de Rome. »[4]
Cette persécution, parfois violente et aveugle, notamment à l’égard des
célèbres bénédictines de l’abbaye Port-Royal, a soulevé l’indignation. En devenant ainsi victimes, les jansénistes
ont gagné, par leur résistance, l’estime et la faveur de l’opinion. Enfin,
les faits extraordinaires[5]
qui se produisent en faveur des jansénistes ne peuvent qu’attirer l’approbation
de la population, toujours éprise du merveilleux.
Tous les adversaires de
l’Église ne sont pas mécontents de ces débats houleux et sans fin qui ne
cessent de la discréditer. Blaise Pascal dans ses Provinciales et tous les
libelles en faveur du jansénisme ont fait rire et ridiculisé l’autorité
religieuse. Les jansénistes ont créé un journal, « une merveille de la presse clandestine »[6],
intitulé Les Nouvelles Ecclésiastiques. Il permet de capter l’opinion
publique et de la tenir en haleine par le récit des différentes affaires.
En fait, au début du XVIIIe
siècle, qui songe encore à la doctrine de la grâce et à l’œuvre de
Jansénius ? « Le miracle accapare
tous les regards, toutes les préoccupations, toutes les forces vives. La
théologie janséniste, vidée de sa substance, est devenue le refuge des plus
absurdes hypothèses sur le pouvoir de Dieu, la puissance du démon ou
l'intervention du surnaturel. » [7]
Tous
les controverses que le jansénisme a suscitées ont aussi apporté de la
confusion et donc ont favorisé le doute, la lassitude, et peut-être
l’incroyance dans la population. « Plusieurs évêques furent les vrais athlètes de la résistance
janséniste. Certains en devinrent les victimes sincères. Mais où la critique se
perd, c'est quand elle essaie de démêler l'argumentation touffue de cette
phalange de théologiens habiles à justifier leur hostilité aux directives de
Rome. Chaque docteur voulut avoir sa part d'originalité dans cette joute
théologique. De là naît une horrible confusion d'idées qui rend si difficile
l'intelligence de la querelle janséniste au XVIIIe siècle...»[8]
Le jansénisme n’est plus que le reflet d’un christianisme appauvri, qui provoque regret, lassitude, indignation, et colère. Il n’est pas étonnant que l’incrédulité ait autant grandi. « En France, la querelle janséniste avait abouti à des conséquences désastreuses pour l'Église et la société. On a pu dire, qu'en un sens, « elle leur fit plus de mal que le protestantisme, parce que l'erreur janséniste était mieux adaptée au tempérament français du XVIIIe siècle, plus dissimulée et plus habile » [9]. En critiquant avec âpreté les traditions et les personnes de l'Église, les jansénistes avaient ouvert la voie aux railleries et aux négations des encyclopédistes. D'autre part, en soulevant d'interminables disputes, ils avaient détourné de travaux plus sérieux et plus féconds les défenseurs de l'Église »[10].
Conclusions
Nous pouvons aussi mieux comprendre
le développement du richerisme dans le
jansénisme. Dans la première génération, les jansénistes accentuent surtout
le rôle de l’évêque qui paraît la seule autorité capable de faire face au pape
qui les condamne. Dans la seconde génération, au moment où les évêques
s’opposent aux jansénistes, l’effort est plutôt porté sur les curés. Même si
ces thèses se retrouvent dans les œuvres d’Edmond Richer, elles répondent
probablement aux difficultés qu’ils rencontrent. Elles approfondissent clairement l’opposition entre les hauts et bas
clergés. Les résistances sont des moteurs d’évolution.
La parlement sous la régence |
Notes et références
[1] Tenir un lit de
justice : devant le refus du parlement d’enregistrer ses ordonnances, le
roi les fait transcrire, en sa présence, sur les registres du parlement lors
d’une séance solennelle.
[2] Arrêt de Louis XIV, dans Histoire abrégée de la paix de l'Église, Denis de Saint-Marthe, Gabriel de Gerberon, 1698.
[3] Voir Émeraude,
avril 2019, article « La primauté
pontificale selon les "libertés gallicanes" : un retour au temps de
l'Église enchaînée ».
[4] J. Dedieu, L’agonie
du jansénisme, dans Revue d’Histoire de l’Église de France,
avril-juin 1928, tome XIV, n°63.
[5] Miracles sur la tombe
d’un janséniste notoire, François de Paris. Convulsionnaire au cimetière de
Médard.
[6] J. Dedieu, L’agonie
du jansénisme, dans Revue d’Histoire de l’Église de France.
[7] J. Dedieu, L’agonie
du jansénisme, dans Revue d’Histoire de l’Église de France.
[8] J. Dedieu, L’agonie
du jansénisme, dans Revue d’Histoire de l’Église de France,
avril-juin 1928, tome XIV, n°63.
[9] J. Bourlon, Les Assemblées du Clergé et le
Jansénisme, in-8°, Paris, 1909.
[10] F. Mourret, Histoire
général de l’Église, VII, 1929.
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