Le
concile de Constance se termine. Le schisme s’achève enfin. Grégoire XII a
démissionné. Ses adversaires, les antipapes Jean XXIII et Benoît XIII ont été déposés. Après
quelques tumultes, le 6 novembre 1417, un autre pape a été élu, Otton Colonna,
sous le nom de Martin V. L’unité semble donc revenir dans l’Église. La paix
devrait suivre. Le concile de Constance parvient donc à résoudre une crise
profonde et complexe. Ce succès lui donne une certaine légitimité. Il a réussi
là où les papes et les cardinaux ne sont pas parvenus à réussir. Les partisans
du conciliarisme[1]
s’en félicitent donc et en profitent pour défendre leur doctrine qui ne demanderait
désormais qu’à être appliquée dans les faits. Mais d’autres voix moins
enthousiastes rappellent le caractère exceptionnel de ce concile et soulignent
donc le caractère relatif des décrets publiés. Ils n’auraient été élaborés que
pour répondre aux événements. Des débats s’engagent ainsi sur la portée de ces
décisions.
Un
concile toujours d’actualité
Concile de Vatican II (1962-1965) |
Les
discussions sur l’autorité pontificale ne s’achèvent pas au XVe siècle. Elles
se poursuivent au cours des siècles suivants jusqu’à se faire encore entendre
aujourd’hui. La question est notamment relancée à l’occasion du concile de
Vatican II. Il a lieu au moment où l’Église fête les 550 ans du concile de
Constance. Certains n’hésitent pas alors à désigner le concile de Vatican II
comme le successeur de celui de Constance[2]. Dans un
discours, le cardinal F. König, archevêque de Vienne, souligne que la
commémoration du concile ne se limite pas à une vue purement rétrospective. On
ne serait guère intéressé à un pareil souvenir « si le déroulement de Vatican II n’avait pas eu pour conséquence qu’on
s’occupât du concile de Constance »[3]. Ainsi,
il compare le concile de Constance à « un
prélude encore éloigné » qui trouve son achèvement dans la
constitution dogmatique Lumen gentium. Aujourd’hui, on fête
les 600 ans de sa clôture, nouvelle occasion d’y revenir. Ainsi lors d’une
cérémonie dans la cathédrale de Constance en présence de luthériens, un curé déclare
que « la question de la répartition
du pouvoir entre le pape et le concile reste encore actuelle »[24].
Un
concile réprouvé par Luther
Jean Hus condamné par le concile de Constance |
Le
concile de Constance n’a pas laissé Luther indifférent mais celui-ci n’en parle
que pour le condamner avec la plus grande sévérité. Il le présente en effet comme le
concile qui « a erré de la façon la
plus impie »[4]. En
fait, il ne l’apprécie guère en raison de la condamnation que les pères
conciliaires ont prononcée contre Jean Hus et contre la communion sous les deux
espèces. Luther ne s’intéresse guère aux autres décrets. Il ne mentionne pas le
décret Haec sancta synodus. Il en parle aussi pour montrer les
contradictions des décisions conciliaires. Il évoque alors les décrets des
« conciles » de Pise et de
Bâle. Mais soulignons qu’il ne se préoccupe guère de savoir si l’Église les a acceptées
ou les a récusées.
Il
faut se rappeler que Luther ne reconnaît pas l’autorité des conciles. Cela ne
l’empêche pas d’en faire appel en 1518 puis en 1520 afin que sa doctrine soit
jugée en fonction de la Sainte Écriture. Certes, ne manquant pas de
contradictions, il rappelle la supériorité de l’autorité des conciles[5] sur
celle des papes tout en rajoutant que même s’il est au-dessus du pape, le
concile n’est pas l’autorité ecclésiale suprême puisque « c’est l’Écriture qui doit être pour moi le
juge des conciles »[6]. Mais il
oublie vite que le fondement d’une décision conciliaire s’appuie aussi sur la
Sainte Écriture. Reste qu’il faut bien une autorité pour valider son
interprétation. Mais refusant tout magistère, Luther laisse à chacun le droit
de l’interpréter à sa guise tant que l’interprétation ne contredise pas sa
doctrine. Il ne supporte guère en effet la moindre opposition.
Qu’est-ce
qu’un concile légitime ?
Depuis
sa clôture, le concile de Constance a soulevé plusieurs interrogations, voire
des doutes, au sein des autorités religieuses et des docteurs, sur sa
légitimité et sur la portée de ses décrets. Sont-ils vraiment acceptés par
l’Église ? Et s’ils le sont, ont-ils une portée absolue ou sont-ils
restreints au contexte de l’époque, c’est-à-dire au cas du Grand Schisme d’Occident
? La proclamation de l’infaillibilité pontificale définie par le premier
concile de Vatican[7]
n’est-elle pas contradictoire avec le décret Haec Sancta Synodus[8] ?
Le deuxième concile de Vatican ne fait-il que reprendre le travail du concile
de Constance interrompu par plus de cinq siècles ? Ces questions sont
d’importance.
Certaines « assemblées », qui se disaient « concile œcuménique », comme le fameux brigandage d’Éphèse en
449, n’ont pas été considérées par l’Église comme d’authentiques conciles puisque
le pape ne l’a pas accepté. L’assemblée de Pise n’a pas non plus été retenue
dans la liste des conciles œcuméniques. En effet, pour être considéré comme œcuménique ou général, un concile doit remplir quelques critères :
- il
doit être convoqué par le pape ou du moins avec son consentement ;
- être au moins présidé par un de ses
représentants ;
- l’ensemble des évêques de l’Église
doivent y être invités.
Le concile de Vatican
II nous le rappelle encore : « il
n'y a jamais de concile œcuménique que ne ce soit comme tel confirmé ou au
moins reçu par le successeur de Pierre ; et c'est la prérogative du pontife
romain de convoquer ces conciles, de les présider et de les confirmer »[9]
Remise en cause du
concile de Constance
Concile de Constance selon Lessing |
Aujourd’hui, l’Église
reconnaît comme seul pape légitime Grégoire XII au temps du Grand Schisme,
jusqu’à sa démission. Or par l’intermédiaire de ses mandataires, il n’a
convoqué le concile qu’au cours de la treizième session. Ce n’est donc qu’à
partir de ce moment-là que le concile deviendrait légitime et œcuménique. Mais
le pape démissionne aussitôt. À partir de cette session, le trône pontifical
est donc vacant. Que vaut alors un concile en absence d’une telle
vacance ? Il faut alors attendre le 11 novembre 1147 pour que l’Église se
dote d’un nouveau pape. Par conséquent, le concile est en union avec le pape qu’à
partir de la quarante-unième session. Telle serait la conclusion que pourrait
porter un partisan du droit.
Mais
certains pourront répliquer que les pères conciliaires considéraient le « pape de Pise » Jean XXIII, qui a
convoqué le concile, comme pape légitime jusqu’à sa destitution même si cela s’est
avéré faux. Tous les papes semblent même être considérés comme légitimes. Par
conséquent, en s’appuyant sur leur sincérité, le concile pourrait être
considéré œcuménique jusqu’à la destitution du dernier « pape ».
Soulignons
que jusqu’à la cinquième session, toutes les obédiences ne sont pas
représentées au concile. Certains en déduisent qu’il ne peut donc être
œcuménique. Or, pour être œcuménique, il n’est pas nécessaire que toute
l’Église y soit représentée. Le point essentiel réside dans la convocation de
l’ensemble des évêques de l’Église. Si les personnes convoquées ne veulent
point y participer pour diverses raisons, cela n’enlève en rien à l’œcuménicité
du concile.
Enfin,
le pape Martin V a bien déclaré dans la bulle Inter Cunctas du 22
février, qui confirme la condamnation de Wiclef et de Jean Hus, que :
« les fidèles doivent approuver et
tenir ce que le concile de Constance, représentant l’Église universelle, a
approuvé et approuve en faveur de la foi et pour le salut des âmes, et qu’ils
doivent tenir pour condamné ce qu’il a condamné et condamne comme contraire à
la foi et aux bonnes mœurs. » Les paroles sont suffisamment claires.
Le doute ne peut guère subsister. Comment peut-il encore subsister quand l’Église
considère le concile de Constance comme le XVIe concile œcuménique ? La véritable
question porte plutôt sur la validité de ses décisions...
Remise
en cause de la légitimité des décrets du concile de Constance
Un décret publié par
un concile œcuménique n’est pas nécessairement reconnu et accepté dans l’Église. Pour être
valides, il faut en effet que les décisions conciliaires soient confirmées par
le pape. Le 24e canon du concile de Chalcédoine, concile
authentiquement œcuménique, n’a jamais été ratifié. Il proclame la supériorité
du siège de Constantinople sur celui de Rome. C’est un exemple d’un concile
œcuménique légitime qui a publié des décrets qui n’ont pas tous été reconnus
par l’Église. Or si la légitimité du concile de Constance est une certitude, il
est plus délicat de se prononcer sur la réception de ses décrets.
Un
pape les a-t-il confirmés ? La réponse paraît ne pas être évidente. Martin
V a eu en effet une attitude qui manque de clarté. Certes, il semble avoir
approuvé tout ce que le concile a édicté mais sa déclaration est suffisamment
ambiguë pour qu’elle fasse l’objet d’un nombre intarissable de débats. Voici ce
que dit pourtant un spécialiste du concile de Constance en
1970 : « Il paraît
maintenant acquis que Martin V n'a pas donné une approbation solennelle in
forma au concile de Constance. »[10] En
effet dans la dernière session, il déclare « admettre, approuver et ratifier, et il promet de garder intégralement
tout ce qui a été établi, conciliariter circa materiam fidei »[11] « mais non pas autrement et d’une autre façon »[12]. Toute
la difficulté provient du terme « concilariter »,
qui signifie de « manière
conciliaire » ou encore « conciliairement ».
Cela signifierait, selon certains commentateurs, que sont confirmés seulement
les décrets établis selon les règles normalement en usage dans les conciles,
c’est-à-dire approuvés en session générale et par tout le concile. Mais, le
déroulement du concile de Constance ainsi que les modes de vote ne ressemblent
guère aux autres conciles. C’est notamment la première fois qu’un concile œcuménique
vote par nation. Or le vote par nation n’est pas un vote par tout le concile. Lors
du vote du décret Haec Sancta Synodus, certains cardinaux refusent d’y assister,
d’autres protestent. Une partie notable du concile refuse aussi.
Par
ailleurs, il est nécessaire de situer le contexte dans lequel Martin V
s’exprime. Les représentants de la Pologne et de la Lituanie réclament la
condamnation solennelle et publique d’un ouvrage du dominicain Jean Falkenberg.
Or le pape refuse de les écouter. Ils protestent alors puisque s’il a ratifié
les erreurs de Wiclef et de Hus, pourquoi ne le ferait-il pas avec ce
dominicain ? Et pour faire cesser le tumulte, Martin V fait sa fameuse déclaration.
Alors la question vient naturellement : ses paroles s’appliquent-elles
exclusivement à cette affaire particulière ou au concile dans sa totalité ? Le
doute ne subsiste guère pour Héfélé-Leclercq et Noël Valois. Les erreurs de
Wiclef et de Hus ont été condamnées par le concile en session solennelle,
c’est-à-dire « conciliater ».
« Il serait indigne d'une critique
sérieuse d'exploiter les paroles tombées ainsi de la bouche du Saint Père au
cours d'une session tumultueuse, pour les détourner de leur sens évident, en
étendre arbitrairement la portée et en conclure à l'acceptation par le pape du
principe de la suprématie conciliaire. »[13]
Remarquons
aussi que Martin V a bien confirmé officiellement certains décrets : celui
de la condamnation des erreurs de Wiclef et de Jean Hus, d’une proposition
erronée sur le tyrannicide, et sur la communion sous les seules espèces du
pain.
L’ambiguïté
de Martin V peut s’expliquer en raison de sa situation à l’égard du concile. Il
tient en effet sa légitimité de ce concile, d’une élection particulière
de cardinaux des trois obédiences et de représentants de nations. « Un pape qui eût pris parti dans la question
du schisme et condamné rétrospectivement une des anciennes obédiences eût
détruit, en un jour, l'œuvre de dix années : à l'apaisement aurait soudain
succédé la discorde ; toutes les anciennes querelles se seraient réveillées ;
l'intérêt, l'amour-propre, la jalousie auraient de nouveau disloqué cette
catholicité si péniblement reconstruite. »[14] Et fort
de son succès, le concile ne peut guère être remis en question sans que cela ne cause un nouveau conflit et génère un nouveau schisme. Le pape doit être
prudent et suffisamment subtil pour ne pas provoquer un nouveau conflit. Mais comme la résolution du schisme a nécessité du temps, de même il
faut attendre encore pour que ce problème trouve sa solution.
Finalement,
« en somme, ni Martin V n'a ratifié,
d'une manière générale, tous les décrets du concile de Constance, ni les pères
n'ont sollicité semblable ratification. »[15] Comment
des conciliaristes auraient-ils pu accepter une telle dépendance à l’égard du
pape ?
Des
positions défavorables à la confirmation générale des décrets
Peu
après la clôture du concile, Martin V a l’occasion de s’exprimer une nouvelle
fois sur le sujet. Mécontentent de ne pas avoir obtenu la condamnation de
Falkenberg selon leurs souhaits, les ambassadeurs polonais font appel au
prochain concile, que prévoit le décret Frequens[8].
Au cours d’un consistoire public, tenu le 10 mai 1418, le pape fait lire une
bulle[17], qui
n’a jamais été publiée, dans laquelle il annule l’appel des Polonais en
s’appuyant sur le principe suivant : « Il n’est permis à personne d’en appeler du juge suprême, c’est-à-dire
du Saint-Siège, du pontife romain, vicaire de Jésus-Christ, ni de se dérober à
son jugement dans les affaires de la foi ; celles-ci, en effet, étant plus
importantes, doivent être déférées au tribunal du pape. »[18] Il
rappelle ainsi le principe déjà établi par Saint Gélase[19]
au IVe siècle. Le théologien Jean Gerson, partisan d’une certaine forme de
conciliarisme, ne se trompe pas sur la déclaration du pape. Il remarque
judicieusement qu’elle renverse l’œuvre du concile de Constance[20]. Ne
voulant pas rompre avec Martin V, Gerson finit par conclure que la bulle du
pape répondait à son tour à un cas particulier. Il déclare alors que si un pape
régnant mène correctement sa tâche, l’appel à un concile est alors condamnable.
Certes,
plus tard, en 1446, le pape Eugène VI, successeur de Martin V, est contraint de
ratifier le concile de Constance tout entier et tous ses décrets mais il en fait
une réserve importante : « sauf
ceux qui lèsent les droits, la dignité et la prééminence du Saint-Siège. »
Ainsi
au lendemain du concile de Constance, toute l’attitude pontificale est marquée
par la prudence et l’intelligence de la situation favorable aux partisans du
conciliarisme. Tout cela indique, comme l’usage du mot « conciliater », que Martin V puis
son successeur ne veulent pas approuver tous les décisions du concile,
notamment le décret Haec Sancta Synodus s’il est compris dans son sens absolu hors
du cas particulier du Grand Schisme. Le doute ne subsiste guère. C’est donc
l’interprétation de ce décret qui soulève leur réticence.
La
question principale qui soulève de nombreux débats concerne principalement la
portée du décret Haec Sancta Synodus. Elle varie en effet selon le regard de
celui qui l’interprète, et plus précisément, selon ses rapports avec le
conciliarisme. Si nous oublions le contexte dans lequel ils ont été écrits,
nous pourrons penser que le concile détient une autorité absolue. Mais si nous les
replaçons dans ce temps douloureux, temps d’incertitude et de déchirement, temps
où rien ne semble mettre fin au grand scandale du schisme, ce décret peut être
interprété comme un remède extraordinaire à une crise extraordinaire.
Il
est vraisemblable que ce malentendu ait aussi subsisté au sein du concile de
Constance. Certaines positions montrent en effet que des pères conciliaires
n’ont point voulu porté atteinte à la primauté pontificale mais seulement
chercher une solution à une crise profonde. Lorsque le cardinal d’Ailly veut
que le concile condamne par lui-même les erreurs de Wiclef et de Jean Hus sans
que la mention du pape ne soit apportée à la condamnation, il soulève de
nombreuses protestations au point qu’il abandonne sa proposition. Ces
protestataires ont ainsi voulu souligner que les prérogatives du concile sont
limitées et ne peuvent enfreindre celles du pape.
Remarquons
qu’au lieu de présenter le décret Haec Sancta Synodus tel qu’il a été
voté à la cinquième session, certains ouvrages[23] présentent
le décret sous sa première forme avant qu’elle n’ait été modifiée puis validée
par le concile. La proposition du décret élargit la supériorité du concile sur
le pape en matière de réforme. Or le décret final ne porte que sur la foi et la
résolution du schisme.
Pourtant,
les conciliaristes s’appuient sur le décret Haec Sancta Synodus pour
restreindre l’autorité pontificale alors que leurs adversaires minimisent son
aspect dogmatique et les accusent de les interpréter de bien mauvaises façons.
Finalement, le temps sera aussi nécessaire pour les départager.
Un
décret dépendant du contexte
Or,
revenons au fait. Au moment où le concile promulgue le décret, l’Église dispose
de trois hommes qui se disent « pape ».
La question de leur légitimité ne se pose plus tant elle paraît insoluble.
Mais, le retour de l’unité de l’Église passe nécessairement par la
reconnaissance d’un seul pape. Remarquons que les pères conciliaires
reconnaissent que le pape est garant de l’unité de l’Église.
En
absence de démission de deux « papes »
au profit d’un seul pour le bien de l’Église, il apparaît alors nécessaire que les
trois abandonnent leurs prétentions et qu’un pape soit désormais élu de façon à
emporter l’adhésion de toute la chrétienté. En raison de leur obstination, la
seule solution réside finalement dans leur déposition. Mais de quel droit est-il
possible de le déposer puisqu’un pape légitime ne relevant d’aucune autorité ne
peut être destitué ? En outre, les trois individus sont sûrs de leurs
droits. Ils peuvent donc s’appuyer sur la primauté pontificale pour s’accrocher
à leur trône. Mais qui des trois disposent légitimement de cette
primauté ? Nul ne le sait. Nul ne veut le savoir. Ainsi le décret Haec
Sancta Synodus est élaboré et voté pour destituer les « papes douteux ». Il est un
instrument aux mains des pères conciliaires pour dénouer un problème inextricable.
Pire
encore. Il est voté après la fuite de Jean XXIII. Voyant en effet sa position
s’affaiblir et craignant sa perte, il a quitté le concile pour se réfugier
auprès d’un allié sûr. Les pères conciliaires peuvent alors craindre à une
réaction de sa part, par exemple à la dissolution du concile qu’il l’a lui-même
convoqué. Il est donc nécessaire de pallier à ce danger par un acte d’autorité
fort et implacable. Tel est l’origine du décret Haec Sancta Synodus.
Quel
en est l’issue ? Jean XXIII se résigne à abandonner sa charge. Grégoire
XII démissionne. Et après avoir été abandonné par tous, qui peut encore croire à
la légitimité de Pedro de Luna ? En un mot, le décret n’a touché aucun
pape… Puis Martin V apparaît comme un pape légitimement élu par les partisans
de toutes les obédiences. L’unité est enfin retrouvée. Le Grand Schisme s’est
achevé car on a trouvé un moyen d’obtenir la démission des trois « papes » ou de les rendre
impuissants. Et ce moyen a été rendu possible car la chrétienté s’est enfin
unie pour faire cesser le scandale. Elle a fini par prendre conscience du drame
et par réagir. La solution s'appuie donc sur leur entente. Telle est la
réussite du concile de Constance. Ce n’est pas celle du conciliarisme…
Vers
une Église de nouveau divisée au détriment de la réforme tant désirée ?
L’entente
est néanmoins bien fragile. Quand elle est fondée sur un danger, elle dure
autant que dure la perception de ce même danger. Les premières dissensions
apparaissent aussi quand cette entente ne permet pas de s’opposer à un danger
plus grand ou au contraire quand elle le nourrit et l’affermit.
Or
la crise a permis aux différentes doctrines conciliaristes de grandir et de
s’imposer au sein de l’Église. La réussite du concile de Constance leur donne
une certaine notoriété. Ses partisans peuvent en effet désormais s’appuyer sur
ses décisions pour imposer leurs idées au détriment des partisans de la
monarchie pontificale. Ainsi ce qui paraît comme une solution urgente à une
crise sans précédent devient un principe sur lequel peuvent s’affirmer les
doctrines conciliaires. La suprématie conciliaire est ainsi ouvertement prônée
au détriment de la suprématie pontificale, s’opposant ainsi à la doctrine que
l’Église enseignait avant le Grand Schisme. Or au lendemain de l’élection de
Martin V, cet enseignement traditionnel est toujours considéré valable par une partie de
l’Église et de la chrétienté. L’entente ne peut alors guère durer…
Après
le concile de Constance, le décret Haec Sancta Synodus n’est pourtant
pas l’objet des préoccupations. C’est plutôt le décret Frequens qui occupe les
pensées. Par son aspect pratique, il est beaucoup plus important. En érigeant
une obligation de convoquer de manière fréquente un concile, une nouvelle
méthode de gouvernement se met en place. Nous dirions aujourd’hui, avec une
analogie sans-doute très approximative, que la monarchie absolue du pape
s’effrite concrètement au profit d’un régime parlementaire.
Toutefois
les conciles se montrent rapidement impuissants. Le premier s’ouvre à Pavie le
23 avril 1423. Peu de prélats y assistent. Les Italiens sont étrangement
absents. Mais une peste éclate et touche la ville, ce qui oblige le pape à le
transférer dans la ville de Sienne. Le nouveau concile est à peine ouvert en
juillet 1423 qu’un conflit éclate entre le pape et des membres du concile, puis
entre les partisans du pape et les conciliaristes. Rapidement, deux partis se
font face. Dans ce contexte, il n’est guère envisageable de mener efficacement des réformes.
Conclusions
Le
Grand Schisme naît d’une confrontation entre un pape et des membres du Sacré
Collège. Il apparaît en effet comme le lieu d’affrontement entre le Souverain
Pontife et les cardinaux. Dans ce conflit, les cardinaux finissent par perdre
toute crédibilité au point que leur existence est remise en cause. Le concile
de Constance met finalement un terme au schisme comme il sonne le glas à la
tentative oligarchique des cardinaux.
Mais
la réussite du concile fait naître de nouvelles interrogations et surtout un
nouvel affrontement pour le gouvernement de l’Église. L’idée d’une sorte de gouvernement
de type parlementaire s’affirme face au monarchisme pontifical. Deux courants
de pensée se font face. Deux partis se forment. Si au concile de Constance, ils
demeurent dans un curieux équilibre, équilibre forcé il est vrai du fait de la
nécessité de trouver une solution à la situation tragique dans laquelle gémit l’Église
depuis de très longues années, ils ne peuvent guère coexister, la paix
retrouvée. Fatalement, ils se livreront bataille. Deux clans
s’affronteront : les partisans de la monarchie pontificale et ceux du
conciliarisme radical.
Mais ne nous trompons pas. La véritable question touche
surtout la nature même de l’Église. N’est-elle qu’une association ou encore une
corporation ? Doit-elle alors
choisir un représentant ou un délégué pour la diriger, confiant à l’un de ses
membres un certain pouvoir pour son bien ? Ou est-elle un corps gouverné par
une tête dont la légitimité viendrait du Christ Lui-même ? …
Mais
pour quelles raisons des conciles doivent-ils être convoqués si
fréquemment ? L’une des raisons évoquées est la réforme de l’Église. Remarquons
alors un changement considérable qui s’affirme au fur et à mesure que le
schisme perdure. Alors que les esprits
s’agitent pour mettre fin au Grand Schisme, la nécessité d’une réforme dans
l’Église apparaît de plus en plus nettement. Au lendemain du concile de
Constance, tous les regards se tournent dorénavant vers cet objectif. Mais que
voit-on dans ce mot si ce n’est la volonté de réduire les pouvoirs du
pape ? Que cherchent tous ceux qui veulent « purifier » l’Église si ce n’est restreindre ses droits en
terme financier et fiscal ? Les partisans de la réforme parlent de
bénéfices, d’annates, de taxes diverses et variées. Pour quelles raisons ?
Les
conflits entre la papauté et les États ainsi que le Grand Schisme révèlent le
sens profond et véritable de la réforme dont a besoin l’Église dans son chef et
ses membres. Que voyons-nous dans tout cela si ce n’est le désir du gain,
l’intérêt purement personnel et temporel, l’ambition effrénée des États et
des individus ? Ces crises reflètent un mal terrible qui ne cesse de
grandir et de toucher les membres de l’Église : le fort esprit de cupidité et
d’orgueil qui habitent dans le cœur des autorités religieuses et temporelles.
Là commence la véritable réforme. Que les prélats s’occupent davantage des âmes
qui relèvent de leur responsabilité au lieu d’accumuler des sources de revenus
et de vivre dans des palais bien loin de leurs brebis ! Ce n’est qu’une
affaire de pureté de cœur, qu’un retour aux valeurs chrétiennes. Mais le cœur
atteint, est-il possible que la pensée en sort indemne ? Devons-nous alors
voir la cause de tant d’abus dans la nature du gouvernement de l’Église ?
Combat pernicieux que mène le conciliarisme. Qui en sortira vainqueur ? Si
ce n’est l’esprit du monde…
Notes et références
[1] Le conciliarisme est
un mouvement de pensée qui défend l’idée que l’autorité du concile est
supérieure à celle du pape. On distingue le conciliarisme absolu du
conciliarisme contextuel. Le premier défend le conciliarisme de manière absolue
quand le second ne le défend que pour résoudre une crise, comme le Grand
Schisme d’Occident.
[2] Voir A. Franzen,
[3] Herder Korr, Konzil
der Einheit, dans Cinq siècles et demi après Constance,
Travaux récents sur le Concile de Constance (1414-1418), J.-H. Walty,
Revue des sciences philosophiques et théologiques, vol. 51, n°4,
octobre 1967, www. Jstor.org.
[4] Luther, De
captivate babylonica.
[5] Notamment dans Tractatus
de libertate christiana, Luther.
[6] Luther, Du commentaire de l’Épître romain, dans Luther et la Réforme à la Messe allemande, sous la direction de Jean-Marie Valentin, éditions Desjonquère, 2001.
[7] Voir Constitution
dogmatique Pastor aeternus sur
l’Église du Christ, 1er concile du Vatican, 4e session,
18 juillet 1870, Denzinger n° 3052.
[8] Voir Émeraude, octobre 2018, article "Le concile de Concile : un événement, une révolution ?".
[9] Concile de Vatican
II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 5ème session, Chap.
III, 22, 21 novembre 1964, Denz. 4146.
[10] De Vooght Paul, Les
controverses sur les pouvoirs du concile et l'autorité du pape au Concile de
Constance dans la Revue théologique de Louvain, 1ᵉ année, fasc. 1, 1970.
[11] Cité par Les controverses sur les pouvoirs du concile et l'autorité du pape au
Concile de Constance dans la Revue
théologique de Louvain, De Vooght Paul.
[12] Dans Histoire
générale de l’Église, Tome II, Le Moyen-âge, Volume VI, De
Clément
V à la Réforme 1305-1517, Abbé A. Boulenger, Emmanuel Vitte, 1936
[13] Noël Valois, La
crise religieuse du Ve siècle, Le Pape et le concile (1418, 1450), Tome
I, Introduction, 1909.
[14] Noël Valois, La
crise religieuse du Ve siècle, Le Pape et le concile (1418, 1450), Tome
I, Introduction.
[15] Noël Valois, La
crise religieuse du Ve siècle, Le Pape et le concile (1418, 1450), Tome
I, Introduction.
[17] Bossuet a remis en
cause cette histoire. Pourtant, elle est relatée par Gerson et par Pierre de
Wormedith, peu disposé à la monarchie pontificale. Bossuet croyait que le
consistoire avait eu le 10 mars, au lieu du 10 mai, suite à une erreur de
copie.
[18] Dans Histoire
générale de l’Église, Tome II, Le Moyen-âge, Volume VI, De
Clément
V à la Réforme 1305-1517, Abbé A. Boulenger, chap. IV, n°74.
[19] Voir Émeraude, avril 2018, article "Église et État au temps de l'Empire romain chrétien avant la chute de Rome".
[20] Voir Gerson, Opera,
II, II.
[21] Joseph Gille, S. J., Constance
et Bâle-Florence, Bâle, chap. I, éditions de l’Orante, 1962.
[22] Noël Valois, La
crise religieuse du Ve siècle, Le Pape et le concile (1418, 1450), Tome
I, chap.I.
[23] Voir par exemple Encyclopédie
théologique, volume 33, dictionnaire théologique dogmatique,
tome I, Migne, article « Constance »,
1850.
[24] Mathias
Trennert-Helwig, curé de la Cathédrale Notre-Dame (Münster) à Constance,Voir
article Allemagne: Jubilé pour les 600 ans du Concile de Constance, 19.03.2014
par webmaster@kath.ch, https://www.cath.ch/newsf/evenements-oecumeniques-culturels-et-artistiques-de-2014-a-2018/.
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