Certes,
ce n’est pas la première fois qu’un homme se prétend être pape. Mais quand un
antipape surgissait dans le passé, il finissait par perdre toute crédibilité et; abandonné, il abandonnait son combat. Sa mort suffisait parfois à faire cesser
la querelle. Mais dans le cas du Grand Schisme, chaque « pape » maintient l’équilibre de
pouvoir. Aucun ne parvient à dominer et à écraser l’autre. En outre, à peine
mort, des cardinaux élisent un successeur qui fait ainsi perdurer le scandale.
Et les « papes » se
montrent bien réticents à quitter leur trône en dépit de leurs promesses. Alors
le concile apparaît comme la meilleure
voie pour résoudre la tourmente qui frappe l’Église. Mais de quelle autorité peut-il intervenir dans cette affaire pour
faire cesser la division de la Chrétienté ?
Face
à l’obstination des « papes »,
la solution passe nécessairement par leur déposition volontaire ou non. Or la
destitution d’une personne à une charge n’est possible que par une autorité
supérieure à la sienne. Cela signifie clairement que le concile ne peut le
révoquer que si son autorité est supérieure à celle du pape. Par conséquent, la solution conciliaire repose sur l’idée
de la supériorité du concile sur le pape, ce qui revient à remettre en cause la monarchie pontificale
de l’Église telle qu’elle existe depuis les origines.
La
remise en question de l’autorité absolue du pape
Comme
nous l’avons évoqué dans un précédent article[1], en
s’appuyant sur les gloses du décret de Gratien, l’idée qu’un pape puisse être
jugé en cas de déviation de foi est communément acceptée dès le XIIe siècle.
Or, Notre Seigneur Jésus-Christ n’a-t-il pas déclaré que Saint Pierre ne
pouvait pas défaillir en matière de foi ? Mais certains commentateurs
voient dans cette promesse non pas le pape et ses successeurs mais l’Église en
elle-même. Ils s’appuient en effet sur une interprétation erronée d’un texte de
Saint Augustin. Les pouvoirs qui sont conférés à Saint Pierre et donc aux papes
ne lui appartiennent pas à titre personnel mais comme une délégation de
l’Église par disposition du Christ Lui-même. Ainsi le pape peut errer en
matière de foi. Cela signifie aussi que l’Église peut le déposséder de son
pouvoir. Or le concile n’est-il pas le lieu où l’Église est représentée ?
Ou mieux encore, le concile n’est-il pas l’Église ? Ainsi, on en vient à
déclarer qu’un concile peut juger un
pape et le déposer en cas d’hérésie. Néanmoins, certains théologiens et
canonistes étendent le motif de déposition. Si l’Église est en danger en raison
de l’attitude d’un pape, ne faut-il pas le déposer pour le bien commun ?
Si une personne en charge d’une fonction en devient indigne, ne faut-il pas la
renvoyer ?
Ces
idées ne forment pas une doctrine. À l’origine, ce n’étaient que des opinions et des interprétations qui se
diffusaient dans les Universités. Mais à partir des querelles qui opposaient
les princes et les papes, certaines d’entre elles, plus radicales, sont devenus
publiques. C’étaient des armes aux mains
des adversaires de la papauté pour affaiblir sa position. Le roi de France
Philippe le Bel comme l’empereur Louis de Bavière n’ont eu aucun scrupule
à les utiliser. Mais quand éclate le Grand-Schisme, ces idées sont revenues en
force, non plus portées par des princes dans le cadre de leur conflit, mais au
sein même de l’Église. Elles apportent dorénavant une base juridique pour remédier à la crise que les « papes » ne peuvent résoudre.
À
partir des travaux des siècles passés, le
cardinal Zarabella réunit toutes les idées pour en former un corps
de pensées cohérentes. Il affirme ainsi qu’en cas de vacances ou « quasi-vacances » du Saint-Siège, l’autorité de l’Église réside dans la
congrégation des fidèles qui s’exprime par le concile général, c’est-à-dire
par les plus raisonnables, c’est-à-dire par les meilleurs de l’Église. Néanmoins,
d’autres commentateurs soulignent la représentativité du concile général. Il
est en effet l’institution qui représente au mieux l’Église par le nombre et la
diversité de ses membres. En un mot, il est l’institution représentative de l’Église. Enfin, une troisième
opinion contourne l’obstacle de la monarchie pontificale. En cas d’hérésie ou
de scandales, le concile ne fait en effet qu’interpréter la volonté de Dieu, ou
déclarer la déchéance du pape puisque le
pape lui-même s’est exclu de sa dignité pontificale.
Reste
un dernier problème. Dans le cadre du Grand-Schisme, qui correspond au cas de
« quasi-vacances », qui
peut convoquer un concile ? Car selon les règles de l’Église, seul le pape
peut convoquer un concile. Selon les décrétistes, notamment Zarabella, le
Sacré-Collège pourrait être l’instance la plus appropriée. Si ces derniers
refusent, ce serait la communauté chrétienne elle-même et en dernier recours
l’Empereur.
Le
cas du « concile de Pise »
Devant
les attitudes de leurs « papes »,
des cardinaux des deux obédiences se réunissent et convoquent un concile à Pise
pour le bien de l’Église. Ils appliquent ainsi la solution qu'a notamment proposée Zarabella. Mais les cardinaux révoltés ont besoin que leur assemblée
soit représentative de l’Église afin de légitimer leur convocation, étant en
effet conscients des difficultés canoniques que soulève leur convocation. Il
est vrai, aux dires des témoins, que cette « assemblée » a brillamment répondu à leurs vœux par le nombre
de participants, même si les « papes »
de Rome et d’Avignon n’y sont pas représentés. Cependant, le « concile de Pise »
demeure un échec. La déposition des deux « papes » et l’’élection d’Alexandre V ne conduisent pas à la
fin du schisme. Au contraire, elles l’aggravent en donnant à l’Église une
troisième tête. Ainsi en 1414, trois « papes » gouvernent
l’Église : Ange Correr (Grégoire XII), Pierre de Luna (Benoît XIII) et
Balthazar Cossa (Jean XXII), chacun se reconnaissant comme étant le seul pape
légitime.
Au
concile de Constance, la question de la légitimité du « concile de Pise » est de nouveau
posée. Est-il en effet possible de déposer Jean XXIII alors que son élection
est le résultat indirect du concile de Pise ? Et c’est en raison des
décisions du « concile de Pise »
que Jean XXIII est dans l’obligation de convoquer le concile de Constance. Ainsi,
comme le déclare le cardinal Pierre d’Ailly, la légitimité du concile de
Constance tire de celle du « concile
de Pise ». Mais après un brusque changement de position, le même
cardinal déclare que ce qu’un concile peut faire pour le bien de l’Église, un
autre peut le défaire. Il en vient même à penser que le concile n’est pas
infaillible. Comment une solution serait-elle possible sans cette nouvelle
astuce juridique ?
Un
concile porteur d’innovations, annonciatrice de bouleversement dans le gouvernement
de l’Église
Constance, bâtiment du concile |
Le second mémoire d’origine française expose l’ensemble des solutions pour unir l’Église et présente la démission des trois « papes » comme étant la meilleure. Il propose aussi que si Jean XXII refuse de démissionner, le concile devra le déposer, car, dit-il, le concile lui est supérieur dans ce qui relève de l’universalité de l’Église. Selon ce mémoire, c’est bien la valeur de « représentativité » qui lui donne sa légitimité.
Il
est alors demandé que les décisions du
concile ne soient pas votées par les seuls évêques mais par tous ceux qui
représentent une autorité, c’est-à-dire les pasteurs d’âmes, et par les détenteurs d’un savoir
théologique ou canoniste. L’idée que le concile est une représentation de
l’Église s’affirme ainsi concrètement. L’évêque, c’est-à-dire le successeur des
Apôtres, n’est plus considéré comme la seule voix décisionnelle de l’Église
comme le considéraient tous les conciles œcuméniques précédents. Un discours du
cardinal Pierre d’Ailly justifie ce changement. Il l’explique en effet par
leurs fonctions de chargeur d’âme et d’enseignement. Le jugement d’un docteur
n’est-il pas plus efficace que celui d’un prélat ignorant ? Il prend comme
jurisprudence le cas des conciles de Pise et de Rome où ils avaient en effet
une voix active. Il défend aussi ce droit pour les représentants des rois et
des princes. Défendue par d’autres cardinaux, en particulier par le cardinal
Guillaume Filastre, cette opinion finit par prévaloir. Tout ce qui représente
une autorité ou un savoir a droit au vote. Cela
change le visage du concile et le fondement de son autorité. L’Esprit Saint
souffle-t-il mieux dans de telles têtes ? …
La
question de vote fait soulever une autre demande. Doit-on voter par tête ou par
nation ? En raison du nombre important de représentants italiens, au moins
la moitié des électeurs, ils devraient emporter la majorité des voix et imposer leur volonté
au concile. Or les Italiens sont généralement partisans de Jean XXIII. Ils
peuvent donc exploiter leur avantage pour faire pérenniser la situation et
ainsi bloqué toute solution viable - entendons par là sa destitution. Pour
éviter une telle emprise, il est décidé que le vote se fera par nation, chacune représentant finalement une
voix dans les débats. Ainsi les votes sont regroupés en cinq nations : les
Italiens, les Français, les Anglais, les Allemands et les Espagnols. Ce mode de
scrutin a aussi pour conséquence de donner plus
de valeur au « nationalisme »
dans l’Église. Ce n’est plus un évêque qui vote en tant que chef d’une
Église située dans un diocèse mais une autorité représentant une nation
particulière. L’Église serait-elle finalement une union d’Églises nationales,
le concile, une assemblée de nations ?
Or,
comme le déclare le cardinal Pierre d’Ailly, comment les Anglais peuvent-ils
représenter une nation, compte-tenu de leur faible proportion dans la
Chrétienté ? Sa position entraîne une vive dispute au sein du concile, qui
faillit l’interrompre, mais pour bien de l’union de l’Église, elle n’est pas
retenue par la majorité des membres.
Ce
« nationalisme » est encore
renforcé par les résultats du concile. Celui-ci donnera lieu à des concordats, c’est-à-dire à des accords
entre l’Église et un État comme puissances séparées et indépendantes. Le
mode de scrutin et ces concordats donnent alors une certaine consistance à
l’idée d’une Église nationale.
Un
problème bien pratique : les bénéfices
Le
deuxième point à noter est l’insistance des pères conciliaires à s’attaquer au
problème des bénéfices[9], c’est-à-dire à réduire
les prérogatives du pape dans leur collation. La demande a déjà été faite
au « concile de Pise » sans
réussite. Au concile de Constance, ils obtiennent satisfaction. Le problème de la fiscalité est considéré
comme une des causes de la crise qui frappe l’Église. Mais qui sortira
vainqueur de la désignation des bénéfices ? Souvenons-nous de la
soustraction d’obédience dans le
royaume de France[2]. D’abord satisfait d’une plus grande liberté, le clergé
d’abord naïf a ensuite vite compris son malheur et tous les inconvénients de
son autonomie face à des seigneurs beaucoup plus réalistes. Ils ont rapidement
déchanté.
Toucher
aux collations revient à combattre une
pratique qui tend au clientélisme. Le concile prétend ainsi combattre un
abus qui s’est répandu dans l’Église. Mais il ne fait que déplacer le problème,
voire le multiplier. Certes le
clientélisme ne sera plus au niveau du sommet de l’Église mais il demeurera au
niveau local. C’est en fait un retour en arrière. Car pourquoi le pape s’est-il
arrogé un droit qui relevait effectivement de l’évêque ou du
chapitre ? Est-ce par cupidité ? Revenons en arrière. Les élections
d’abbé pouvaient faire l’objet de bataille au sein du monastère. Le seigneur
pouvait aussi y intervenir pour imposer son protégé. La situation dans un
diocèse pouvait être pire. Un diocèse pouvait être divisé entre les fidèles en
raison du choix d’un évêque indigne. Ces disputes donnaient alors lieu à des
procès au tribunal pontifical. Le pape devait alors intervenir pour faire
cesser ces et ses interventions ont réduit ces querelles et apporté une
certaine sérénité dans l’Église. C’est en fait l’abus de la collation du bénéfice qui doit être réprimé, un abus
qui nourrit le clientélisme et le népotisme. Quand ce droit sera remis aux
États, l’Église connaîtra vite le désarroi …
La
proposition réduit aussi une des
principales sources de revenus du pape. Elle affaiblisse ainsi son pouvoir
et par conséquent son autorité. Les pères conciliaires cherchent-ils à répondre
aux besoins financiers de la papauté au moment même où on lui demande tant de
choses, où les regards se tournent si souvent vers ses services, où le
gouvernement de l’Église doit être à la hauteur d’un gouvernement
moderne ? Certes, cette mesure impose de réduire le train de vie de la
cour pontificale mais est-ce vraiment le fond du problème ? La véritable question ne concerne-t-elle
pas plutôt la fiscalité pontificale en elle-même ?
Cette
proposition répond au mécontentement qu’a provoqué le développement de la
fiscalité pontificale et la multiplication des taxes et des impôts au temps de
la papauté à Avignon. Désormais, le concile veut l’encadrer. Telle était aussi le
vœu des cardinaux lorsqu’avant l’élection d’Innocent VI, ils ont essayé
d’imposer leur autorité dans le gouvernement de l’Église [10]. Le concile est dans
la même logique. Il ne peut gouverner
sans contrôler les revenus pontificaux…
Le
décret Haec Sancta Synodus (6 avril 1415)
Chronique du concile de Constance Remise de la mitre par le antipape Jean XXIII à un Abbé |
Conscient
d’être un concile œcuménique et convaincu de son autorité divine, le concile de
Constance exige l’obéissance de tous les fidèles en matière de foi et de
schisme, y compris le pape. Celui-ci est donc justifiable devant lui sur ces
deux sujets. La plénitude du pouvoir
pontificale est donc encadrée par l’autorité du concile. Le concile déclare
aussi qu’il représente l’Église.
Le
décret Haec Sancta Synodus est tiré d’une
proposition des trois nations réunies que sont la française, l’allemande et l’anglaise.
Néanmoins, elle n’a pas été prise dans sa totalité. Elle comprend en effet une
partie qui oblige le pape à obéir aussi à tout ce qui touche « la réforme de l’Église dans son chef et dans
ses membres », ce qui aurait alors donné à ce décret une plus grande portée.
Sur l’intervention de plusieurs cardinaux, cette mention a été supprimée.
Le
décret Haec Sancta Synodus a fait l’objet de
nombreux débats et interprétations sur la portée doctrinale qu’il peut avoir.
Selon Pichler[4] ou de Vooght[5],
il n’est pas lié aux circonstances et dicte véritablement un principe alors que
Baudrillart[6]
admet qu’il n’a pas une portée absolue, qu’il n’est qu’une mesure d’urgence. D’autres
lui renient toute portée doctrinale en se fondant sur l’absence d’un formalisme
précis. Il est vrai que le décret n’a pas la forme usuelle d’une définition
dogmatique[8]. La
plupart des théologiens soulignent enfin sa nouveauté, l’excluant ainsi de la
tradition quand d’autres démontrent sa cohérence avec les textes anciens, y
compris avec les Évangiles. Dans tous les cas, sans ce décret, le concile de
Constance n’aurait pas pu déposer deux « papes » et pousser le troisième à la démission. Cependant, le texte est suffisamment ambigu pour qu’il
génère autant de discussions. Instaure-t-il une autorité supérieure à celle
du pape dans le gouvernement de l’Église ou le concile intervient-il uniquement
en cas d’erreurs, de scandales, d’abus ? Selon le cardinal Zarabella, le
concile devrait prendre sur le pas sur le pape lorsque son autorité ne s’exerce
plus ou mal.
Par
le décret Frequens, le concile de Constance met en place une périodicité des conciles : le
premier concile doit être convoqué au bout de cinq ans, le second dans les sept
années suivantes, les autres, par la suite, de dix en dix ans. Ainsi, le
concile devient une assemblée qui ne dépend plus de la convocation d’un pape.
Il fait partie prenante du gouvernement
de l’Église.
Un
concile peut aussi se réunir d’urgence en cas de nouveau schisme, sans même
être convoqué, et il demeure seul juge du conflit. Sa supériorité sur le pape est
ainsi mise en pratique mais se limite dans le cas précis d’un événement exceptionnel. Dans
ce cas, le concile demeure alors l’instance
suprême dans l’Église.
Le
concile de Constance ordonne aussi au futur pape de mener des réformes en
relation avec le concile ou du moins avec des députés de nations qu’elles
désigneraient.
Lors
de la 12e session, le concile publie un décret qui décide qu’aucune
élection pontificale ne pourra avoir lieu dans le consentement du concile,
quelle que soit la raison de la vacance du trône.
Finalement,
le concile est désormais considéré comme une
institution permanente de l’Église, une
institution qui partage avec le pape le gouvernement de l’Église, mettant
ainsi fin à la plénitude des pouvoirs du Souverain Pontife. Il est même perçu
comme une institution suprême dans
certains cas. La condamnation de Jean XXIII est assez significative. Le
concile l’accuse d’avoir « mal
rempli ses fonctions de gouverneur de l’Église »[9]. Le pape
n’est-il réduit qu’à être un gouverneur ? Et de quoi est-il accusé ? Il
est jugé indigne de sa fonction. Son sceau papal est brisé en raison de ses
mœurs et d’accusation de simonie. Il ne s’agit plus de prouver qu’il a dévié de
sa foi ou qu’il est hérétique. Les pères conciliaires vont plus loin que ceux
du « concile de Pise » et
du décret de Gratien.
Au
cours du concile de Constance, un projet de réforme est établi. Il préconise
qu’un concile général pourra destituer un pape « non seulement pour cause d’hérésie, mais aussi pour simonie ou pour
tout autre crime, quel que fût le scandale causé dans l’Église de Dieu, s’il ne
s’amendait pas dans l’année suivant l’admonition qui lui en serait faite ».
L’admonition doit être faire par les deux tiers du Sacré-Collège ou par trois
synodes nationaux. Le concile se déclare
bien comme une instance suprême.
Remarquons
enfin l’attitude de Jean XXIII quand une commission du concile notifie la
décision de sa déposition. Résigné, il s’exclame : « le concile ne peut pas se tromper ».
Est-il donc par lui-même infaillible ?
Conclusions
Les
doctrines désignées communément sous le nom unique de conciliarisme dominent le
concile de Constance. Elles apparaissent comme un remède de circonstance à la
crise que connaît l’Église. Elles sont clairement influencées par les idées de
Marsile de Padoue et de Guillaume d’Ockham sans atteindre néanmoins leur
radicalité. Ce n’est pas seulement le gouvernement de l’Église qui est remise
en cause mais également l’idée même de l’Église.
Le
conciliarisme défend la supériorité de l’autorité du concile sur celle du pape.
Il se fonde sur l’idée que le concile est l’Église universelle par sa
représentativité ou, dit autrement, elle est l’expression de l’ensemble
des fidèles, « la congrégation des
fidèles », qui est l’Église. Ainsi le pape reçoit son pouvoir du peuple
chrétien, non pas directement, mais par le concile.
Son
autorité se fonde aussi sur celle de Notre Seigneur Jésus-Christ comme le
déclare le décret Haec Sancta Synodus. Néanmoins, il est suffisamment ambigu pour
voir dans ce texte soit la définition dogmatique d’un principe, soit la
solution que se donne le concile en raison du contexte du Grand Schisme et de l’attitude des « papes »,
notamment de celle de Jean XXIII. Tout
dépend finalement du regard qui le scrute et de l’interprétation qui en est
faite. Pour un partisan du conciliarisme absolu, ce décret exprimerait
clairement leur thèse. Pour ses adversaires, son périmètre n’est réduit qu’à un
événement, sans aucune portée dogmatique et absolue. Le conciliarisme ne serait
donc que contextuel…
Cependant,
le décret Frequens est sans aucun-doute un texte plus important, plus
clair dans son intention. Il insère en
effet le concile dans le gouvernement de l’Église. Le pape ne peut plus régner seul. C’est alors une victoire subtile d’une
certaine forme de conciliarisme. Il réussit à encadrer l’autorité pontificale
par la mise en place d’une assemblée représentative de l’Église.
Ainsi
le Grand Schisme a pour conséquence de limiter
l’autorité du pape par une instance qui, à vrai dire, se croit suprême. Le
Souverain Pontife est désormais justifiable devant lui. Certes, au concile de
Constance, il s’agit de résoudre une grave crise. Pourtant, c’est bien une
révolution qui fait fi de plus de dix siècles d’histoire et de pratiques. Mais ce
succès est-il durable ? Que se passera-t-il quand à la place des papes
sans envergure ou douteux, se trouvera sur le siège de Rome des personnalités
fortes et plus conscientes de la dignité pontificale ? Que deviendra
l’Église si les partisans du conciliarisme poursuivent leur logique au point
d’enlever toute ambiguïté et d’imposer sa souveraineté sur celle du chef de
l’Église ?
Mais,
dans tout cela, qui est le véritable
vainqueur ? Le concile est-il en effet une réalité autonome en
soi, qui réfléchit et agit par lui-même comme s’il était un corps à part
entière ? Qui se cache derrière tel cardinal influent, tel clan qui se forme ? Qui impose à
l’assemblée de suivre telle voie ou de rejeter tel autre ? Car dans cette
assemblée qu’on veut représentative, nous voyons une volonté politique ou une opinion
dominante intervenir dans les débats, créant des partis, bougeant les uns et
menaçant les autres. Le Saint Esprit y souffle-t-il
aussi librement qu’on veut bien le dire, surtout quand elle se prend
finalement comme le seul maître du jeu ?
Notes et références
[1]
Voir Émeraude, septembre 2018, article "Le conciliarisme, une doctrine contre la suprématie pontificale [1] : est-il né du Grand Schisme ?".
[2]
Voir Émeraude, septembre 2018, article "Le Grand Schisme, la fin, victoire de la voie conciliaire".
[3]
Concile de Constance, 5e session, Denzinger, préambule du § de Grégoire XII, tiré de COD 408. Il existe
plusieurs traductions.
[4]
Voir
Die Verbindlichkeit der Konstanzer Dekrete, J. Pichler, Vienne, 1967.
[5]
Voir Les controverses sur les
pouvoirs du concile et l'autorité du pape au Concile de Constance, de Vooght, dans Revue théologique de Louvain, 1er année, fasc. 1, 1970, dans www.persee.fr.
[6]
A. Baudrillart, Constance (Concile de), dans Dictionnaire de Théologie
catholique, 3,
[7]
En effet, le décret ne contient par les termes habituellement utilisés :
« ordonne, définit, établit, décrète
et déclare ». Puis, il n'anathématise pas ceux qui n’y adhère pas.
[8]
Concile de Constance, 10e session, Histoire des conciles œcuméniques,
Constance
et Bâle-Florence, Josep Gill, S. J., Chap. I, éditions de l’Orante,
1965.
[9] Voir Émeraude, août 2018, article "La révolution religieux, un problème de taxe : la fiscalité pontificale, source de bien de mécontentement au XIVe siècle".
[10] Voir Émeraude, septembre 2018, article "Les leçons du Grand Schisme, pape et cardinaux, attitudes irresponsables au sommet de l'Église".
[10] Voir Émeraude, septembre 2018, article "Les leçons du Grand Schisme, pape et cardinaux, attitudes irresponsables au sommet de l'Église".
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