De 1378 à 1417, la
Chrétienté est profondément divisée entre deux puis trois « papes ». Dans nos précédents
articles, nous avons longuement décrit cette longue et tragique histoire intitulée « le Grand Schisme d’Occident ». Il mérite en effet le titre
de « Grand », moins pour la
durée que pour ses conséquences tant il a profondément
bouleversé l’Église, la société et les mentalités. Il est sans aucun doute un
des chocs de l’histoire qui, par ses impacts et ses remous, provoquent à son
tour de grands événements, dont les soubresauts continuent encore de se faire
sentir aujourd’hui. Pendant de longues années, il a été suffisamment fort et prégnant pour perturber les esprits
et permettre à des idées d’abord esseulées et marginales de se développer et de
s’imposer. Il est ainsi une des causes
lointaines de la révolution religieuse qu’a déclenchée Luther en 1517. Le
deuxième concile de Vatican lui est probablement redevable.
Notre but n’est pas de
désigner et de condamner les responsables de ce drame comme si nous présidions
le tribunal de l’histoire. Nous n’avons pas cette prétention, même s’il nous
est bien difficile de ne pas porter un jugement. Notre intention est plutôt
d’identifier les germes du protestantisme dans cette tragédie et de suivre les
doctrines comme les acteurs qui ont influencé les relations entre les pouvoirs
religieux et temporel jusqu’à nos jours. Notre but est de saisir ce que cet événement porte en lui. L’histoire est,
pensons-nous, un livre qui recueille de nombreuses leçons riches et utiles.
N’est-ce pas la main de Providence qui l’a écrite en quelques sortes ?
La question de la vérité
Faut-il condamner ceux qui
se disaient pape parce qu’ils n’ont pas renoncé à leur titre pour l’unité et la
paix de l’Église ? Étaient-ils si peu soucieux des biens des âmes comme de
véritables pasteurs à l’imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Ce
serait si simple de les considérer comme des ambitieux avides de leurs pouvoirs.
Mais ce serait aussi vite oublier qu’ils étaient sûrs de leurs droits et de leur légitimité. Leur abdication aurait
signifié une certaine trahison à l’égard de la dignité pontificale dont chacun
se sentait profondément gardien. Pourquoi « le pape de Pise » se serait-il en effet considéré
illégitime puisque sa légitimité repose sur le « concile de Pise » ? Évitons donc tout jugement téméraire. Lorsque
nous sommes sûrs de nos droits, il est bien difficile de ne pas les défendre et
de les laisser violenter impunément. Ce serait remettre en cause le droit en
lui-même. Il y a en effet une certaine
personnification du droit. Celui qui porte une fonction a tendance à
confondre ses intérêts avec ce qu’il représente. Soucieux de défendre ce qui
leur apparaissait être la vérité, certains « papes » ont confondu leur intérêt à celui de l’Église sans
qu’il n’y ait nécessairement une volonté de lucre ou d’ambitions de leur part.
Cela explique en partie l’obstination de Boniface IX qui a refusé, jusqu’à la
mort, concession et accommodement…
La véritable question que
soulève cette histoire est de savoir si
la vérité mérite un tel drame. Il est clair que les témoignages, les
enquêtes, les documents de l’époque n’ont pas permis, et ne permettent pas encore,
de connaître clairement la vérité. Il est en effet bien difficile de savoir si
les cardinaux ont été suffisamment libres pour choisir Urbain VI. Laissons cela
au jugement divin. Ne sachant pas répondre clairement à cette question, il a
paru évident que la nécessité de l’union
et de la paix de l’Église a prévalu sur la question de la légitimité des « papes ».
Lorsque cette nécessité a
emporté l’adhésion des principaux acteurs, la solution a été rendue possible. L’absence
d’unanimité au temps du « concile de
Pise » a été la cause de son échec. La volonté de ne pas désigner le
pape légitime n’a pas impliqué une remise en cause de sa légitimité. C’est une
question laissée en suspens. Mais il a fallu du temps pour que cette nécessité fût
comprise, que cette adhésion se fît et fût agissante. Dans ces événements
dramatiques et difficiles, le temps est
un facteur essentiel à prendre en compte afin que se dégage clairement une
hiérarchie des biens parmi les biens communs et particuliers et qu’ainsi les
remèdes les plus efficaces soient trouvés et appliqués.
Mais qui est le vrai
pape ?
Notons surtout qu’en 1523, le
pape Jules de Médicis prend le nom de Clément VII, en 1724, le pape Pietro
Francesco Orsini celui de Benoît XIII, et enfin en 1958, le pape Angelo
Roncalli celui de Jean XXIII. En reprenant les noms des « papes d’Avignon » et d’un « pape de Pise », ils ont reconnu
implicitement leur illégitimité et celle de leur lignée. Par conséquent, ils
ont aussi implicitement reconnu la légitimité des « papes de Rome », c’est-à-dire Boniface IX, Innocent VII et
Grégoire XII. Ainsi, ces derniers sont aujourd’hui reconnus par l’Église comme
étant des papes, et les autres comme des antipapes. La question de légitimité ne se pose plus aujourd’hui dans l’Église, sauf
peut-être pour ceux qui veulent ne point l’entendre et préfère se perdre dans
des débats sans fin comme l’ont fait tant de canonistes et d’historiens…
Soulignons enfin qu’en
déposant le « pape de Pise »,
mis en place par le « concile de
Pise », et en acceptant la démission de Grégoire XII, le concile de
Constance a remis en cause les décisions du « concile de Pise ». Mais, un concile ne peut-il pas défaire ce
qu’un autre a fait selon le cardinal Pierre d’Ailly ?
Le doute au cœur du drame
Dans son ouvrage de
référence[1], Noël
Valois montre que Barthélemy Prignano, le futur Urbain VI, était parfaitement « palpable » et donne des éléments favorables à la validité
de son élection. Cependant, il n’en conclut pas à la mauvaise foi des cardinaux
qui l’ont élu. Ils ont en effet pu être sincères, nous dit-il. « N'est-il pas permis de croire qu'au sortir
du conclave ils n'avaient pas eux-mêmes, pour la plupart, une vue bien nette de
la réalité et que, dans leur esprit encore troublé, les souvenirs les plus contradictoires,
les idées les plus opposées se heurtaient confusément ? Dans cet état de doute
ou, si l'on veut, d'étourdissement moral, leur jugement devait vaciller comme
la flamme exposée aux vents : de là l’incohérence de leurs paroles et de
leurs actes»[2]
Quel est alors l’élément qui
a déclenché en eux un doute suffisamment fort au point de remettre en cause une
élection si cruciale ? Le
comportement inquiétant d’Urbain V ?... « Que des scrupules se soient fait jour dans l’esprit de plusieurs
d’entre eux, qu’avec le temps ces soupçons aient pris corps, de même que
l’intention de suppléer par de nouveaux suffrages à ce qui manquait aux
premiers, que peu à peu la nécessité d’une réélection ait apparu plus nettement
à la plupart d’entre eux, puis qu’ils se soient pris à songer qu’un autre parti
s’offrait à eux, que Barthélemy, en définitive, n’était guère digne de la
tiare, et qu’il y avait mieux à faire que de lui en assurer la possession tant
dans l’intérêt de l’Église que dans leur intérêt particulier : cette sorte
d’évolution inconsciente et lente cadrerait mieux avec les actes, souvent
contradictoires, dont le souvenir est venu jusqu’à nous ; elle serait,
dans tous les cas, facilement explicable par l’impression qu’a dû produire la
bizarre conduite d’Urbain. »[3]
Mais est-ce la seule
raison ? Les cardinaux n’ont-ils pas connu une autre peur que celle qu’ils ont connue le jour du
conclave ? Ils ont sans-doute vite compris qu’ils allaient perdre leurs
privilèges et voir leur autorité rabaissée au profit d’un pape italien qui
n’avait pas appartenu au Sacré-Collège et avait supporté leur arrogance et leur
conduite à Avignon lorsqu’il travaillait à la Curie…
Attitude irresponsable chez
les « papes »
Antipape Benoît XIII |
Pourtant, ce n’est pas leur
personnalité qui retient surtout notre attention. Ce sont plutôt les moyens
qu’ils ont employés pour accroître leur influence, maintenir ou renforcer leur
obédience. Leurs libéralités et leurs
complaisances à l’égard des rois et des princes ont appauvri l’Église et aliéné
ses biens. Ils leur ont monnayé leur service, parfois à des prix
exorbitants en raison de leurs positions de faiblesse. Puis usant au mieux la
fiscalité mise en place par les « papes
d’Avignon », ils l’ont encore développée et accrue pour répondre au
mieux à leurs dépenses, ou à celles de leur soutien, contribuant ainsi à nourrir le mécontentement, voire la colère
chez le clergé et les fidèles. L’administration centralisée a montré toute
sa force mais aussi ses limites. Quelle manne alors pour les adversaires de
l’Église !…
Au plus grand bénéfice des
princes
Sigismond entrant à Strasbourg |
Mêlant affaires religieuses
et temporelles
En jouant avec les intérêts
de certains princes contre d’autres, ou en les mêlant à leur sort, les « papes » n’ont pas vraiment
simplifié le problème. La conquête du royaume de Naples est ainsi au cœur des
intrigues. Appuyant certains seigneurs au détriment d’autres pour un même duché
ou royaume, les « papes »
ont fragilisé des trônes et facilité la division comme ils ont causé, encouragé
et entretenu des guerres. Plus grave encore. Ils ont parfois usé des armes
spirituelles, telles que les anathèmes et l’excommunication, à des fins
temporelles. « Dans ces luttes, en
réalité plus politiques que religieuses, l'argent des clercs était dépensé sans
mesure, ainsi que les trésors spirituels de l'Église : des catholiques marchant
contre des catholiques se voyaient concéder les indulgences que le Saint-Siège
réservait d'ordinaire aux défenseurs de la chrétienté contre l'envahissement de
l'islamisme. »[5] Tout
cela n’a pu que discréditer davantage l’autorité pontificale et l’Église…
Une Église bien affaiblie
La Grand-Schisme d’Occident
a profondément abîmé la dignité pontificale et fragilisé l’Église. Les « papes » ne sont guère montrés à la
hauteur de leurs fonctions et des événements, quelle que soit leur légitimité.
Leurs politiques bien trop humaines et temporelles ont causé un vif et profond
mécontentement et une colère pleine d’aigreur. Or au même moment, se développent des doctrines contraires à la
souveraineté pontificale et favorables à la primauté des puissances temporelles
sur celles des puissances religieuses, telles celles de Wyclif, de Guillaume
d’Occam ou de Marsile de Padoue[6]. Et pire
encore, sans être aussi radicales, elles ont été présentées et discutées à
l’assemblée de Pise et au concile de Constance sans que cela n’ait provoqué de
réactions d’hostilité ou de rejet de la part des prélats, montrant ainsi une
certaine accoutumance…
Confrontation entre
monarchie et oligarchie
Robert de Genève, alias Clément VII antipape |
Au début du drame, leur
autorité s’est affirmé avec arrogance comme ces cardinaux rebelles défiant
Urbain VI de manière révoltante, voire violente. Ce qui apparaît en premier est
en effet une nette affirmation de leur autorité. Au cours du schisme, ils n’ont
pas hésité à défier les « papes »,
y compris ceux de leur obédience, des « papes » qui, souvent, les ont créés et enrichis. Il est vrai
que les cardinaux ont pris de l’importance dans le gouvernement de l’Église.
Nommés à vie et électeurs du pape, à la tête de service important, ils sont apparus
comme des hommes clés de la papauté, surtout au sein du consistoire, sorte de
conseil auprès du pape. La crise résulte assurément d’une confrontation entre
leurs pouvoirs et ceux du pape, entre une caste d’élite et un monarque. C’est
pourquoi « le Grand Schisme
d’Occident a été interprété dans les dernières décennies comme un moment
exceptionnel de l’affrontement structurel entre absolutisme pontifical et
tendances oligarchiques du Sacré Collège. »[7] Le drame
pour l’Église est de voir de si grands pouvoirs entre les mains d’hommes
inconséquents et nourris d’ambitions, bien peu désintéressés ou du moins
préoccupés de la seule Église…
Un aveuglement terrible
Voyons d’abord l’attitude
des cardinaux au moment du conclave qui a abouti au choix d’Urbain VI et les
trois mois qui l’ont suivie. Ils ont employé un stratagème bien indigne pour
duper les Romains au point de rendre illisible la régularité de l’élection.
Certains d’entre eux, supportant mal la dureté et les emportements d’Urbain VI,
l’ont trompé pour fuir à Lodi et pour comploter. Usons du terme exact de leur
manœuvre. C’était bien un complot au sein de l’Église. Et, après s’être assurés
de l’appui du roi de France, ils ont déclenché la révolte sans prendre
conscience de ses conséquences. Croyaient-ils qu’Urbain VI allait se démettre
ou que la Chrétienté toute entière allait les soutenir dans un contexte où elle
était déjà divisée ? Ils l’ont condamné avec dédain et arrogance, le
considérant comme un intrus et un usurpateur. Pourtant, n’oublions pas la
prudence d’Urbain VI. Il s’était assuré auprès d’eux de la légalité des
élections…. Auraient-ils agi de même si le pape leur avait prodigué des
bénéfices et des faveurs, et s’ils n’avaient obtenu aucun appui de la part du
roi de France ? Leur comportement révèle sans-doute le mal qui habitait le
gouvernement de l’Église et finalement la blessait gravement...
Les cardinaux ne supportaient
guère le caractère irascible d’Urbain VI. La situation leur apparaissait
probablement dramatique. Qu’auraient-ils pu faire si ce n’était de supporter
avec résignation les conséquences de leur choix ? Il est vrai que dans
les règles de l’élection pontificale, rien ne prévoyait, et ne prévoit pas, la
destitution d’un pape dément ou déséquilibré. Dès qu’un pape est élu, il
demeure intangible si de lui-même il ne démissionne pas comme Benoît XVI. Ainsi,
faute de solutions les autorisant à le déposer, les cardinaux ont trouvé dans
les circonstances de son élection les prétextes qui, pensaient-ils, les ont habilité
à le destituer.
Un entêtement douloureux
Antipape Benoît XIII |
Des cardinaux finalement
irresponsables
Abandonné par ses cardinaux,
Benoît XIII a stigmatisé avec justice « l’inconséquence des cardinaux, tour à tour si indifférents et si
téméraires, si humbles dans leurs protestations de fidélité et si arrogants
dans leurs déclarations de guerre »[10],
changeant d’obédience selon les circonstances, ne se souciant guère de leurs
contradictions.
Mais la légèreté et
l’incohérence des cardinaux deviennent moins brumeuses quand nous songeons à
leur attitude de dépendance à l’égard des États et des richesses de ce monde.
Car, nous dit encore Noël Valois, « le
XIVe siècle avait réalisé ce type de cardinal-courtisan […] : personnage déplaisant, dont le rôle
devient odieux en cas de conflit du pouvoir civil et de l'Église, quand
l'intérêt transforme ces conseillers nés du Saint-Siège en traîtres, en espions
soudoyés par les adversaires du souverain pontife. »[11] Combien
d’entre eux n’ont-ils écouté que les conseils du roi de France au détriment des
intérêts de l’Église, notamment au cours de la soustraction d’obédience à
l’égard de Benoît XIII ? De quel droit des cardinaux ont-ils si
promptement obéi à un roi ? Cette servitude vient-elle du séjour des papes
à Avignon ou encore des conséquences de l’inexorable attentat d’Anagni [12] ?
Une confusion regrettable
Antipape Clément VII et le duc d'Anjou |
Des causes bien plus
lointaines ?
L’obstination des « papes » ou l’inconséquence des
cardinaux auraient-ils permis à elles-seules la perpétuation du schisme ?
Un tel scandale aurait-il été durable sans une réelle et profonde division de
la Chrétienté ? La séparation des fidèles en deux obédiences équilibrées
et fortes aurait-elle été possible sans le temps de la papauté à Avignon ?
La période d’Avignon est
souvent regardée comme une des principales causes lointaines du Grand Schisme.
Certes, il est habituel de la considérer comme un temps de déclin et d’abus.
Cette image est bien trop caricaturale pour en être véridique. Les
contemporains Italiens ont été les premiers à l’avoir favorisé et diffusée.
Dans son ouvrage dédié aux Papes d’Avignon[13], Jean
Favier relativise les méfaits de cette période.
Mais comme cet historien le
montre encore, le gouvernement pontifical à Avignon s’est modernisé comme le
faisaient aussi les États modernes, notamment le royaume de France. Avec Jean
XXII, il s’est montré très performant à la hauteur de ses exigences. Après une
longue période de pérégrination, la papauté s’est sédentarisée à Avignon avec
des ressources moindres et des tâches plus nombreuses. Chef de l’Église, au
centre de la Chrétienté, le pape et ses services ont dû aussi répondre à un
besoin grandissant des fidèles et affermir sa place dans le concert des
nations. Ce séjour a donc apporté des modifications importantes dans l’Église
et dans son gouvernement. La centralisation de l’administration pontificale et
de sa fiscalité en a été une conséquence. Elle existait aussi dans les royaumes
de France et d’Angleterre. En fait, le pape était à la tête d’une puissance qui
ressemblait fort à un État.
La papauté n’a pas cessé de
s’affirmer et de se doter des moyens à la hauteur de ses ambitions au même
titre qu’un État moderne et puissant de l’époque. Et dans cet effort, un
personnage a pris de l’importance : le cardinal. Nommé à vie, électeur du
pape qu’il conseille et assiste, chefs des services de l’administration
pontificale, le cardinal est devenu un personnage clé du gouvernement de
l’Église. Simples membres du clergé romain, ils étaient autrefois en charge de
fonctions réduites à Rome. Réunis dans le Sacré Collège, en consistoire ou en
conclave, les cardinaux sont dorénavant des personnages considérables et très
influents que nul ne peut ignorer s’il veut obtenir un bénéfice, une aide ou
une protection.
Au temps de la papauté d’Avignon, les
cardinaux ont essayé de limiter le pouvoir pontificale à leur profit. En 1352,
avant d’élire le successeur de Clément VI, ils ont défini des règles pour
limiter le pouvoir pontifical, notamment dans la nomination des prélats, la
levée des décimes ou encore dans la législation ecclésiastique. En un mot, le
consistoire a voulu exercer une autorité au sein du gouvernement de l’Église.
Mais à peine élu, Innocent VI a mis rapidement fin à leur tentative. Par la
constitution Sollicitudo pastoralis du 6 juillet 1353, il a rappelé que le
pape gouvernait seul l’Église, même s’il prenait volontiers conseil, et en
premier lieu des cardinaux…
Revenons au Grand-Schisme.
Il est né de la contestation des cardinaux de la validité de l’élection
d’Urbain VI. Sans remettre en cause le doute qui habite en eux, il n’est
peut-être qu’un paravent d’une véritable révolte intérieure avant d’être collective.
Ce sont des cardinaux révoltés qui trompent le « pape » pour préparer leur sédition. Le comportement odieux du
pape, ils ne le supportent plus comme ils ne peuvent que craindre la fin de leur
place privilégiée.
Puis, après l’échec de la
voie de convention entre Benoît XIII et Grégoire XII, des cardinaux de chaque
obédience se sont révoltés de nouveau et, contre tous les usages, ils ont convoqué
un "concile", celui de Pise, pour rétablir l’unité de l’Église. Dans une lettre
qu’ils ont adressée à Grégoire XII, les cardinaux romains justifient leur
désobéissance par l’état déplorable dans lequel se trouve l’Église. Ils se
présentent en effet « comme
des fils désobéissants mais comme les membres d'un corps soucieux du salut de
leur tête »[14]. Ils étaient
certains qu’ils étaient sur le bon chemin pour le bien de l’Église.
Conclusions
Le Grand Schisme d’Occident est
un moment de peine et de scandale, de souffrance aussi. Il manifeste clairement
une crise profonde dans l’Église. Ce sont avant tout des hommes qui ont conduit
à une division profonde de la Chrétienté, blessant profondément l’Église dont
le supplice n’a pas cessé de croître. Qui aurait pu porter sa croix ? Abusant
de leurs pouvoirs, mêlant trop leurs intérêts à ceux de l’Église, fermes ou insouciants,
ils portent une responsabilité dans ce drame. Aujourd’hui encore, des
comportements au plus niveau de l’Église peuvent blesser des âmes et envahir
les fidèles de doutes, si propices à la division et aux querelles. Mais n’est-ce
qu’une histoire de personnalités ?
Ce drame, d’où
vient-il ? Comment s’est-il tant aggravé ? Par des actes de
désobéissance au sein même de l’Église. La crainte, les ambitions, la naïveté
peuvent expliquer la désobéissance de certains mais justifient-elles l’irresponsabilité,
la duplicité, l’arrogance qui s’expriment si puissamment dans cette histoire
tragique. Et aujourd’hui, ne voyons-nous pas encore des prêtres qui osent dire
que le pape n’est point pape dans un monde qui lutte tant contre
l’Église ? Ne voyons pas aussi de hautes autorités religieuses prendre des
positions irresponsables ? Quelle aubaine pour ses adversaires !
Il est néanmoins vrai que le
porteur de l’autorité pontificale en assume aussi une responsabilité dans ce
schisme. Qu’il soit légitime ou non, il a discrédité la fonction qu’il exerce
et l’a amoindrie au point de soulever l’indignation et la colère. Une telle
perte d’autorité n’est pas sans profit pour d’autres pouvoirs qui veulent
s’affirmer au détriment de celle du pape. Car nombreux sont en effet ceux qui
veulent en profiter…
Notes et références
[1] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident en
quatre tomes, accessible sur Gallica.
[2] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident,
tome II.
[3] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident,
tome I, chap. I.
[4] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident,
tomes IV, chap. V, I.
[5] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident,
tomes IV, chap. V, I.
[6] Voir Émeraude, par exemple février 2018, article "Wiclef, un précurseur de Luther", mars 2018, articles "Marsile de Padoue : de la suprématie du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel", et "Ockham contre l'autorité du pape".
[7] Armand Jamme, Renverser le pape. Droits,
complots et conceptions politiques aux origines du Grand
Schisme d’Occident., Coups
d’État à la fin du Moyen Âge ? Aux fondements du pouvoir politique en Europe
occidentale dans F. Foronda, J.-P. Genet, J. M. Nieto Soria, Casa de
Velazquez, hal.archives-ouvertes.fr. La thèse est notamment défendue par
les historiens anglais Walter Ullmann et M. Souchon Die Papstwahlen in der Zeit des
Grossen Schismas.
[8] Noël Valois (1855-1915), La France et le Grand Schisme d'Occident. Il cherche, non pas à réhabiliter le royaume de
France, mais plutôt à réduire sa part de responsabilité dans ce drame et à lui
donner des circonstances atténuantes. Nous pouvons aussi rajouter la thèse
Édouard PERROY, L’Angleterre et le Grand Schisme d’Occident, Étude sur la politique
religieuse de l’Angleterre sous Richard II, Paris, Librairie J.
Monnier, 1933.
[9] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident,
tomes IV, chap. V, I.
[10] Benoît XIII, De
novo Subscismate dans La France et le Grand
Schisme d'Occident, Noël Valois, tomes IV, chap. II, II.
[11] Noël Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident,
tomes IV, chap. V, I.
[12] Voir Émeraude, juillet 2018, article "L'attentat d'Anagni, un Pape humilié, une Église meurtrie".
[13] Voir Les
papes d’Avignon, Jean Favier.
[14] Millet Hélène, La représentativité, source de la légitimité
du concile de Pise (1409) dans Théologie et droit dans la science politique de
l'État moderne, actes de la table ronde de Rome (12-14 novembre 1987),
École Française de Rome, 1991, publications de l'École française de Rome, 147, www.persee.fr.
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