" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 7 juillet 2018

La primauté de l'Église par l'image


Sur les murs de l’abbatiale de Prüfening en Bavière, nous pouvons admirer une fresque très ancienne, datée du second quart du XIIe siècle (autour de 1130). À cette époque, l’abbaye appartenait à la congrégation bénédictine de Hirsau, une congrégation réformiste. Une fresque n’est pas simplement une magnifique peinture destinée à soulever l’admiration des fidèles. Comme un livre ouvert, elle porte un enseignement à ceux qui peuvent le lire. « À Prüfening, le contenu doctrinal remarquablement médité et structuré va de pair avec la forme de haute qualité artistique. » Dans une thèse de doctorat[1], Heidrun Stein nous donne un accès à cette doctrine. Cette thèse est en effet une « monographie complète de ce décor » qui nous « rendre parfaitement l’envergure du message ».

Le thème principal de la fresque est l’Église selon différents aspects. Dans le chœur, couvrant la coupole, elle est représentée sous la forme d’une impératrice. Par ses dimensions, cette personnification domine toutes les autres images. Monumentale, enveloppant l’autel majeur, elle est véritablement au centre de la fresque. Vêtue des vêtements impériaux, elle représente l’Église triomphale.

Voir https://arsartisticadventureofmankind.wordpress.com/2016/04/09/romanesque-painting-and-sculpture-in-germany-and-england/

Sous son règne, nous pouvons admirer le chœur des saints. Dans la vaste fresque, deux personnages tiennent une place particulière : Saint Otton, évêque de Bamberg, le fondateur de l’abbaye (111), et l’Empereur Henri IV. Le premier représente l’autorité religieuse, le second, l’autorité impériale. Alors que les saints apparaissent immuables, les deux personnages se hâtent vers le Christ situé à l’abside. Ils sont encore en quête de leur salut. Ainsi est représentée l’Église militante, celle qui marche vers Dieu alors que le chœur des saints symbolise ceux qui reposent déjà en Lui, l’Église triomphante.




L’évêque est paré de tous les insignes de son autorité sacerdotale. Il est devant l’empereur qui ne dispose que d’une couronne. Cette représentation évoque clairement la prééminence du sacerdoce.

Voir https://artealasocho.com/tag/l-klosterkirche-st-georg-prufening/

Heidrun Stein examine ensuite la fresque peinte sur les piliers de la croisée. Sur le pilier Nord-Est, Saint Pierre en vêtement pontifical remet les glaives à un évêque et à un roi. Au-dessus de son trône, l’Église est encore représentée. Elle semble embrasser les trois personnages pour montrer certainement qu’ils sont dans l’Église. En ayant au-dessus de lui une personnification de l’Église, Saint Pierre semble représenter l’Église romaine, voire s’identifie avec elle, ou encore ses successeurs. L’Église en la personne des successeurs de Saint Pierre remet donc les deux glaives à l’évêque et au roi. Ainsi les pouvoirs religieux et temporels proviennent directement du Pape. L’image évoque donc clairement la théorie des deux glaives.

Sur le pilier Sud-Est, se trouve une représentation de Moïse, accompagné d’Aaron et de Hur. Il nous renvoie à la précédente image. Aaron et Hur sont des personnages de l’Ancien Testament, le premier prêtre, le second prince. Juxtaposée à la précédente image, cette représentation nous renvoie donc à l’Ancien Testament comme une figuration de la théorie des deux glaives. « Saint Pierre remettant les deux glaives à un évêque et à un roi est préfigurée par Moise assisté d’Aaron et de Hur. L’institution des deux glaives dont dispose l’Église est donc présentée ici comme fondée sur un modèle précis de l’Ancienne Alliance. »

Voir http://mapio.net/pic/p-58829113/


Sur le pilier Nord-Ouest, figurent la personnification de trois vertus avec au-dessus le buste de Notre Seigneur Jésus-Christ, source des vertus. Il n’est pas possible d’identifier précisément les vertus, les inscriptions ayant disparu. Elles pourraient représenter les vertus dites théologales que sont la foi, l’espérance et la charité. Comme l’indique un traité d’un moine contemporain à la fresque, elles forment le fondement sur lequel repose l’Église. Les trois vertus peuvent aussi être la virginité, la grâce et la loi, comme elles sont représentées dans une tapisserie romane d’Augsbourg. Elles nous rappellent alors à la vie de l’Église. Remarquons que ces trois vertus font face à la représentation des glaives religieux et temporels, peut-être pour souligner les exigences morales de l’exercice du pouvoir. « L'exercice de l'autorité ecclésiastique et du pouvoir laïc est inséparable des principes qui régissent la conduite de l'homme, principes qui sont ramenés ici aux commandements des trois vertus, fussent-elles théologales ou autres. »


Enfin, la fresque du pilier Sud-Est représente la scène de l’Annonciation avec trois personnages, Sainte Marie, Saint Gabriel, et un ange, sans-doute Saint Raphaël. Par le consentement de Sainte Marie, l’œuvre de la Rédemption se réalise, annonçant ainsi l’Église. « Parce qu'elle a engendré Jésus-Christ, elle annonce l'Incarnation et, par la même, l'Église fondée sur cette terre par son fils. Parce qu'elle apporte le libre consentement des croyants, elle annonce déjà le triomphe de l'Église achevé au Dernier Jour. »

La théorie des deux glaives, que le premier pilier représente de manière littérale, est ainsi repris sous plusieurs formes (allégorique, tropologique[2], anagogique[3]), l’intégrant ainsi pleinement dans l’œuvre de la Rédemption. « Plus ils [les sens littéral, allégorique, tropologique, anagogique] sont liés les uns aux autres, plus l'interprétation proposée par le commentateur se rapproche de la vérité, qui est celle du Salut réalisé par et dans l'Église. »

La fresque manifeste ainsi la plénitude des pouvoirs du Pape ainsi que la théorie des deux glaives, les pouvoirs religieux et temporels agissant dans l’Église. Rappelons que cette fresque remonte au XIIe siècle, ce qui signifie clairement qu’elle est déjà bien présente dans les esprits et dans l’Église, bien avant l'élection des Papes dits théocrates…



Noteset référence
[1] Heidrun Stein , Die romanischen Wandmalereien in der Klosterkirche Prùfening, soutenu comme thèse de doctorat à l'Université de Ratisbonne en 1984 et publié en 1987.
[2] Sens topologique ou sens moral.
[3] Sens anagogique ou sens mystique : interprétation mystique du sens littéral.


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