Sur les murs de l’abbatiale
de Prüfening en Bavière, nous pouvons admirer une fresque très ancienne, datée du
second quart du XIIe siècle (autour de 1130). À cette époque, l’abbaye appartenait à la
congrégation bénédictine de Hirsau, une congrégation réformiste. Une fresque
n’est pas simplement une magnifique peinture destinée à soulever l’admiration
des fidèles. Comme un livre ouvert, elle porte un enseignement à ceux qui
peuvent le lire. « À Prüfening, le
contenu doctrinal remarquablement médité et structuré va de pair avec la forme
de haute qualité artistique. »
Dans une thèse de doctorat[1],
Heidrun Stein nous donne un accès à cette doctrine. Cette thèse est en effet
une « monographie complète de ce
décor » qui nous « rendre parfaitement
l’envergure du message ».
Le thème principal de la
fresque est l’Église selon différents aspects. Dans le chœur, couvrant la
coupole, elle est représentée sous la forme d’une impératrice. Par ses
dimensions, cette personnification domine toutes les autres images. Monumentale,
enveloppant l’autel majeur, elle est véritablement au centre de la fresque.
Vêtue des vêtements impériaux, elle représente l’Église triomphale.
Voir https://arsartisticadventureofmankind.wordpress.com/2016/04/09/romanesque-painting-and-sculpture-in-germany-and-england/ |
Sous son règne, nous pouvons
admirer le chœur des saints. Dans la vaste fresque, deux personnages tiennent
une place particulière : Saint Otton, évêque de Bamberg, le fondateur de l’abbaye (111), et l’Empereur Henri IV. Le premier représente l’autorité
religieuse, le second, l’autorité impériale. Alors que les saints apparaissent
immuables, les deux personnages se hâtent vers le Christ situé à l’abside. Ils
sont encore en quête de leur salut. Ainsi est représentée l’Église militante,
celle qui marche vers Dieu alors que le chœur des saints symbolise ceux qui
reposent déjà en Lui, l’Église triomphante.
L’évêque est paré de tous
les insignes de son autorité sacerdotale. Il est devant l’empereur qui ne
dispose que d’une couronne. Cette représentation évoque clairement la
prééminence du sacerdoce.
Voir https://artealasocho.com/tag/l-klosterkirche-st-georg-prufening/ |
Heidrun Stein examine ensuite
la fresque peinte sur les piliers de la croisée. Sur le pilier Nord-Est, Saint
Pierre en vêtement pontifical remet les glaives à un évêque et à un roi.
Au-dessus de son trône, l’Église est encore représentée. Elle semble embrasser
les trois personnages pour montrer certainement qu’ils sont dans l’Église. En
ayant au-dessus de lui une personnification de l’Église, Saint Pierre semble
représenter l’Église romaine, voire s’identifie avec elle, ou encore ses
successeurs. L’Église en la personne des successeurs de Saint Pierre remet donc
les deux glaives à l’évêque et au roi. Ainsi les pouvoirs religieux et
temporels proviennent directement du Pape. L’image évoque donc clairement la
théorie des deux glaives.
Sur le pilier Sud-Est, se
trouve une représentation de Moïse, accompagné d’Aaron et de Hur. Il nous
renvoie à la précédente image. Aaron et Hur sont des personnages de l’Ancien
Testament, le premier prêtre, le second prince. Juxtaposée à la précédente
image, cette représentation nous renvoie donc à l’Ancien Testament comme une
figuration de la théorie des deux glaives. « Saint Pierre remettant les deux glaives à un évêque et à un roi est
préfigurée par Moise assisté d’Aaron et de Hur. L’institution des deux glaives
dont dispose l’Église est donc présentée ici comme fondée sur un modèle précis
de l’Ancienne Alliance. »
Voir http://mapio.net/pic/p-58829113/ |
Sur le pilier Nord-Ouest, figurent
la personnification de trois vertus avec au-dessus le buste de Notre Seigneur
Jésus-Christ, source des vertus. Il n’est pas possible d’identifier précisément
les vertus, les inscriptions ayant disparu. Elles pourraient représenter les
vertus dites théologales que sont la foi, l’espérance et la charité. Comme
l’indique un traité d’un moine contemporain à la fresque, elles forment le
fondement sur lequel repose l’Église. Les trois vertus peuvent aussi être la
virginité, la grâce et la loi, comme elles sont représentées dans une
tapisserie romane d’Augsbourg. Elles nous rappellent alors à la vie de
l’Église. Remarquons que ces trois vertus font face à la représentation des
glaives religieux et temporels, peut-être pour souligner les exigences morales
de l’exercice du pouvoir. « L'exercice
de l'autorité ecclésiastique et du pouvoir laïc est inséparable des principes
qui régissent la conduite de l'homme, principes qui sont ramenés ici aux
commandements des trois vertus, fussent-elles théologales ou autres. »
Enfin, la fresque du pilier
Sud-Est représente la scène de l’Annonciation avec trois personnages, Sainte
Marie, Saint Gabriel, et un ange, sans-doute Saint Raphaël. Par le consentement
de Sainte Marie, l’œuvre de la Rédemption se réalise, annonçant ainsi l’Église.
« Parce qu'elle a engendré
Jésus-Christ, elle annonce l'Incarnation et, par la même, l'Église fondée sur
cette terre par son fils. Parce qu'elle apporte le libre consentement des
croyants, elle annonce déjà le triomphe de l'Église achevé au Dernier Jour. »
La théorie des deux glaives,
que le premier pilier représente de manière littérale, est ainsi repris sous plusieurs
formes (allégorique, tropologique[2], anagogique[3]), l’intégrant ainsi pleinement
dans l’œuvre de la Rédemption. « Plus
ils [les sens littéral, allégorique, tropologique, anagogique] sont liés les
uns aux autres, plus l'interprétation proposée par le commentateur se rapproche
de la vérité, qui est celle du Salut réalisé par et dans l'Église. »
La fresque manifeste ainsi
la plénitude des pouvoirs du Pape ainsi que la théorie des deux glaives, les
pouvoirs religieux et temporels agissant dans l’Église. Rappelons que cette
fresque remonte au XIIe siècle, ce qui signifie clairement qu’elle est déjà
bien présente dans les esprits et dans l’Église, bien avant l'élection des Papes dits théocrates…
Noteset référence
[1] Heidrun Stein , Die romanischen Wandmalereien in der Klosterkirche Prùfening, soutenu
comme thèse de doctorat à l'Université de Ratisbonne en 1984 et publié en 1987.
[2] Sens topologique ou sens moral.
[3] Sens anagogique ou sens mystique : interprétation mystique du sens littéral.
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