" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 22 juillet 2018

L'attentat d'Anagnie, un Pape humilié, une Église meurtrie


Selon ses habitudes, le Pape Boniface VIII (1230-1303) passe quelques mois d’hiver à Rome puis après Pâques, il séjourne dans le palais pontifical Traietto à Anagni jusqu’en automne. Anagni est une ville agréable et fortifiée de la région du Latium au centre de l’Italie, à une cinquantaine de kilomètre au sud-est de Rome. Elle comprend quelques palais comme celui de Segni, qui vit naître le Pape Grégoire IX (1227-1241). C’est aussi la ville de naissance de Boniface VIII, une ville qu’il n’a cessé d’enrichir. C’est donc dans sa demeure que se déroule une des scènes les plus célèbres du Moyen-âge, connue sous le nom d’attentat d’Anagni.

L’attentat d’Anagni : le Pape molesté et emprisonné

Que se passe-t-il en cette nuit du 7 septembre 1303 ? C’est la vigile d’une des fêtes de Saint Marie. Mais en ce jour, au moment des vêpres, les esprits sont sans-doute ailleurs. La population est en effet fortement agitée. Elle entend une troupe armée pénétrer dans la ville. Le gouverneur de la ville lui a ouvert les portes. Avec l’argent des banquiers florentins en lutte contre le Pape, les portes se sont ouvertes plus facilement. Et de cette troupe, nous pouvons entendre s’écrier : « Mort au Pape ! Vive le Roi de France ! ». À la tête de la troupe, se trouve en effet Guillaume Nogaret, l’émissaire du roi de France Philippe le Bel. Il n’est pas seul. À ses côtés, nous pouvons reconnaître Da Supino, capitaine de Ferentino, ville ennemie d’Anagni[1], et surtout Sciarra Colonna.

Sciarra Colonna est le neveu de deux cardinaux que Boniface VIII a condamnés et dépouillés de leurs biens. Les cardinaux Giacomo et Pietro Colonna sont les pires ennemis du Pape. Les Colonna sont traditionnellement des partisans de l’Empereur germanique. Ils s’opposent aux Orsini et aux Chatini. Et depuis l’accession au trône pontifical de Boniface VIII, ils ont perdu beaucoup de privilèges et d’influence. Dans plusieurs libelles, ils ont remis en cause la légitimité du Pape Boniface VII, n’hésitant pas à l’accuser d’avoir tué son prédécesseur Célestin V. Il semblerait même que les Colonna aient comploté contre lui. Le Pape a fini par les excommunier et par raser leur propriété familiale à Palestrina.

La population est tendue. Selon une rumeur, on veut s’emparer du Pape et le mettre à mort. Alors que la troupe assiège le palais, la cloche communale sonne. Pour assurer la sécurité de la ville, la population nomme Adinolfo di Mattia comme capitaine du peuple. C’est aussi un ennemi de Boniface VIII.

Arrivés au pied du palais, Sciarra et Nogaret veulent négocier avec le Pape. Ils lui demandent sa déposition et la remise du trésor pontifical. En vain. Puis après de longues heures, ils décident de l’investir. Rapidement, ils découvrent le moyen d’y entrer. Il existe un passage entre le palais et la vieille cathédrale qui le jouxte. Pour pénétrer dans la cathédrale, ils mettent le feu à la porte puis dans l’église, une porte barre de nouveau leur avancée, ils la brûlent. Le champ est désormais libre. La fin du Pape paraît éminente. Peu de cardinaux restent auprès de lui. Y restent fidèles, Niccolo Boccasini, le futur Benoît XI, et Pierre d’Espagne, cardinal-évêque de Sabine. Boniface VIII les attend dans sa chambre...

Alors que la troupe pille le trésor pontifical, Nogaret et Sciarra se précipitent dans la chambre du Pape. Il les attend. Il est là devant eux, assis et coiffé de la tiare, avec dans ses mains un crucifix taillé dans le bois de Golgotha. Rapidement, les insultes fusent sur le Pape. Certains diront qu’il a été frappé mais ce n’est sans-doute qu’une légende qui dénote néanmoins l’atmosphère de la scène. Nogaret lui notifie son arrestation pour le traduire devant un concile en vue de sa destitution. Ainsi comme le dira Dante, nous voyons « dans Anagni entrer la fleur de lis et le vicaire du Christ fait prisonnier. » La troupe continue de piller et entasse son butin. 

Le 9 septembre, apprenant qu’on veut mettre à mort le Pape, la population finit par se révolter. Les agresseurs doivent s’enfuir rapidement. Libéré, Boniface VIII est porté sur la place de la cathédrale. Il accorde le pardon aux habitants d’Anagni. Puis, il part à Rome sous bonne escorte, mais à peine est-il arrivé qu’il meurt, le 11 octobre, sans-doute d’humiliation.

La gifle d’Anagni

Selon une légende, Boniface VIII aurait été frappé. Elle semble apparaître pour la première fois dans la Chronique de Saint Denis. Ce serait Nicole Gilles, mort en 1503, notaire et secrétaire du roi Louis XI, qui l’aurait rajouté au chronique à la fin du XVe siècle. Un chevalier des Colonna « frappa de la main armée du gantelet sur le visage, jusqu’à grand’effusion de sang »[2]. Nous la retrouvons ensuite dans de nombreux ouvrages du XVIIIe siècle. Selon Jean Favier, elle aurait pris naissance au XIXe siècle[3]. Désormais, Sciara Colona en serait l’auteur de la gifle. Renan est l’un de ceux qui rappellent aussi cette légende. « Quoi qu’on en ait écrit cependant, il n’y eut pas, de la part de Nogaret, d’injures proprement dites ; de la part de Sciarra, il n’y eut pas de voies de fait. […] Une tradition forte acceptée veut que Sciarra ait frappé Boniface de son gantelet. »[4]


D’autres légendes entourent ce récit. Dans la chronique de Saint Alban[5], Nogaret et Sciarra affament le Pape, l’attachent à l’envers sur un cheval et le font tourner jusqu’à perde le souffle et l’équilibre. Boniface VIII est revêtu d’une peau d’âne dans l’Historia Anglicanae scriptores decem de 1652. Il est rué de coups, piétiné et frappé à mort dans les Annales Lubicenses (1264-1324)[6].

Un Pape humilié

Comme nous le voyons, l’attentat d’Anagni a très tôt été entouré de fables. Elles décrivent Boniface VIII humilié et souffrant sous les coups de ses adversaires. Elles reflètent probablement un fait véridique : l’impact qu’a produit ce coup de force dans l’opinion

Toutefois, le Pape Boniface VIII a fait l’objet d’insultes, voire d’une certaine agressivité physique. Dans un rapport écrit le 27 novembre 1303 à Rome par un témoin de la scène, William de Hundelby, « plusieurs assaillirent le pape avec des injures et le traitèrent violemment. »[7] La dignité pontificale a été outragée. Finalement, la gifle est plus que morale que physique. Pourtant, le prestige du Pape n’a pas totalement disparu. Selon Villani, nul n’ose en effet le toucher[8]. Il a sans-doute tempéré l’ardeur belliqueuse de ses adversaires.

Dante nous garde aussi un souvenir de cette épisode tragique de la papauté. « Dans son Vicaire je vois le Christ captif ; une seconde fois je le vois insulté ; je vous renouveler le vinaigre et le fiel ; entre deux larrons nouveaux je le vois supplicié ! » Les paroles de Dante sont douloureuses. Ce ne sont pas que des mots pour de beaux vers. La scène d’Anagni est comparée à celle de Passion. Pourtant, Dante n’a jamais été favorable envers Boniface VIII. Il ne l’aime guère. Il le voit même en enfer ! Mais dans ses vers, il oublie ses rancœurs à son égard. Il oublie ses douleurs. Il voit un Pape outragé et dans l’outrage, il n’y voit que la grandeur de la victime. Il ne se peut que se prosterner devant lui.

En juin 1304, sur la place de Pérouse, le Pape Benoît XI, successeur de Boniface VIII et témoin proche de la scène, compare, dans un discours, le sort Boniface VIII à celui du Christ entre les mains de Ponce Pilate et de ses soldats.

Les raisons de l’attentat d’Anagni : l’autorité du Pape vs l’autorité du roi

L’attentat d’Anagni conclut le conflit qui oppose Boniface VIII et Philippe le Bel. Dans notre précédent article, nous avons rapidement décrit les principaux événements qui ont marqué leurs « différends ». Ce sont bien deux conceptions du pouvoir qui sont en lutte : le premier défend la plénitude du pouvoir pontificale selon la doctrine que l’Église a fermement défendue au moins depuis Saint Grégoire VII, le second défend une monarchie de droit divin, indépendant de la Papauté et seule maître de l’Église de France.

Revenons à l'affaire de Bernard Saisset[13]. Au mépris du droit en vigueur, Philippe le Bel arrête l’évêque de Pamiers. Pour répondre à cet abus de pouvoir, le Pape Boniface VIII convoque tous les évêques, chapitres et docteurs du royaume de France à un concile qui se tiendrait à Rome au plus tard le 1er novembre 1302. Ce concile aurait pour objet de délibérer sur cette affaire et de lutter contre les abus ecclésiastiques. Le roi, ou un de ses représentants, y est invité. Deux bulles pontificales lui sont aussi envoyées. Dans la bulle Salvator Mundi, adressée au roi, le Pape révoque tous les privilèges qu’il lui a accordés, en temps de guerre, notamment les impôts prélevés sur le clergé, en raison des abus auxquels ils ont donné lieu. Dans la bulle Ausculta Fili, il rappelle au roi qu’en tant que Vicaire du Christ et seul chef de l’Église, le Pape est « établi par Dieu sur les rois et sur les royaumes, pour arracher et détruire, édifier et planter, affermir ce qui vacille, guérir ce qui est malade »[9]. Par conséquent, il supplie le roi de ne pas se laisser persuader par ses conseillers qu’il n’a pas de supérieur et qu’il ne doit pas se soumettre au Pape. Puis, il énumère une énumération de griefs que l’Église a contre lui. Enfin, il le prévient qu’il fera l’objet d’une sentence de punition s’il n’écoute pas ses conseils avant de l’informer de la convocation du concile de Rome. La bulle Ausculta Fili reprend ainsi la doctrine pontificale sur la suprématie du Pape. Notons que les griefs que mentionne Boniface VIII relèvent du droit ecclésiastique et des abus du pouvoir royal dans les affaires de l’Église.

Falsification et mensonge dans le camp de Philippe le Bel


Le roi Philippe le Bel ne peut guère accepter la bulle Ausculta Fili. C’est une remise en cause de son pouvoir dans l’Église de France. Son entourage fait alors diffuser une fausse bulle, Deum time, afin de soulever l’opinion contre lui. « Apprenez que vous nous êtes soumis pour le spirituel et pour le temporel »[10]. Devant les trois États du royaume, clergé, noblesse et tiers états, le chancelier Pierre Flotte annonce que dans une lettre remise au roi, le Pape prétend qu’ils lui sont soumis, même dans les affaires temporelles, et que c’est de lui qu’ils tiennent la couronne, et qu’il a convoqué les évêques pour corriger les excès commis par le roi et les ministres. Pierre Flotte s’efforce ensuite de prouver que c’est bien le Pape qui opprime l’Église et l’accuse de nombreux maux, notamment son népotisme. La noblesse envoie au Pape une lettre particulièrement offensante, énumérant les griefs du roi contre le Pape. Le clergé lui remet aussi une lettre suppliant de rétablir la concorde et d’annuler la convocation du concile. Enfin, la bulle pontificale Ausculta Fili est brûlée.

Alors que les cardinaux répondent aux nobles de prendre connaissance de la bulle Ausculta Fili, le Pape dénonce au clergé sa lâcheté en face du roi et l’intrigue que mène Pierre Flotte, leur rappelant enfin l’obligation de se rendre au concile de Rome. Dans un consistoire tenu en août 1302, aux ambassadeurs français, Matteo d’Acquasparta, évêque de Porto, récuse la bulle apocryphe Deum time et rappelle que le Pape détient la plénitude des pouvoirs dans les choses spirituelles. Puis le Pape condamne l’intriguer de Pierre Flotte, « totalement aveugle du cerveau, cet homme de vinaigre et de fiel […] cet hérétique ». « Nous sommes docteur en droit depuis quarante ans, et nous savons fort bien qu’il y a deux puissances ordonnées par Dieu : comment croire que nous ayons pris pareille chose sous notre bonnet ? … Nous ne voulons pas empiéter sur la juridiction du roi ; mais le roi ne peut nier qu’il nous est soumis ratione peccati. »[11]

Vers le dénouement

Pierre Flotte
Philippe le Bel n’est pas dans une situation favorable. Il vient d’être battu par les Flamands dans la bataille de Courtrai. Pierre Flotte est parmi les morts. Il veut donc se rapprocher de Boniface VIII. Le duc de Bourgogne demande alors à des cardinaux d’intervenir auprès du Pape pour qu’il se réconcilie avec le Pape et qu’il témoigne au roi plus de condescendance. Dans leur réponse, après lui avoir rappelé l’ingratitude du roi ainsi que le crime de la destruction et de la falsification de la bulle Ausculta Fili, les cardinaux déclarent que le Pape se montrera condescendant si le roi reconnaît qu’il a été trompé par de mauvais conseillers et répare ses fautes. Quoique hautaine, cette réponse est parfaitement juste. La tentative de réconciliation est un échec.

Le concile de Rome se réunit le 30 octobre 1302. C’est au cours de ce synode que sont publiées la bulle Unam Sanctam ainsi qu’une sentence générale d’excommunication contre tous ceux qui empêchent les fidèles de se rendre à Rome. Le roi de France n’y est pas nommé. Une tentative de rapprochement mené par le Pape échoue. Du fait qu’il a empêché des évêques d’aller au concile, Philippe le Bel est sous le coup de l’excommunication. Une bulle est envoyée au légat pontifical en avril 1303.

Guillaume de Nogaret
(1260-1313)


Mais tout est déjà joué. Un mois avant l’expédition de la bulle, le nouveau chancelier, Guillaume de Nogaret, dresse devant le roi un violent réquisitoire contre Boniface VIII. Il le traite d’usurpateur, de simoniaque, de blasphémateur, coupables de grands crimes… Il lui demande alors de convoquer un concile général pour le faire juger. En attendant sa réunion, il lui propose de s’emparer de Boniface VIII et de l’enfermer jusqu’à de nouvelles élections pontificales. Devant une nouvelle assemblée des États réunie au Louvre, Guillaume de Plaisans, le bras droit de Nogaret, renouvelle les accusations portées contre Boniface VIII, l’accusant d’hérésie et de vouloir détruire le royaume. Un mémoire de 29 articles leur est lu. L’assemblée, y compris les membres du clergé présents, acquiesce à toutes les requêtes du roi. Des commissaires du royaume sont envoyés dans tout le royaume, y compris à l’Université de Paris, dans les chapitres des églises cathédrales et collégiales, dans les principaux couvents et monastères. Des orateurs haranguent les foules dans les villes et les villages. Les religieux ou ecclésiastiques qui refusent d’adhérer aux décisions prises sont soit expulsés du royaume, soit emprisonnés, comme quelques chapitres, l’abbé de Cîteaux, les abbés de Cluny et de Prémontré, les Dominicains de Montpellier, les Franciscains de Nîmes, etc.

Réfugié à Anagni, Boniface VIII dénonce tous ces mensonges et ces calomnies. Il sanctionne ceux qui adhèrent à cette intrigue comme l’Université de Paris. Dans la bulle Nuper ad audientam, spécialement dirigée contre Philippe le Bel, le Pape reproche au roi de ne pas avoir tenu compte ses admonestations et de s’être vengé par des injures et la menace d’un concile général que seul le Pape a le droit de convoquer. Enfin, le 8 septembre, doit paraître une seconde bulle Super Petri solio, fulminant l’excommunication solennelle contre Philippe et déliant ses sujets du serment de fidélité, sans toutefois prononcer formellement une sentence de déposition.

Mais cette bulle n’a jamais pu être publiée. Le 7 septembre, l’attentat d’Anagni… À ses agresseurs, Boniface VIII leur aurait dit en les voyant pénétrer dans sa chambre : « Voici mon cou, voici ma tête ».

Vers la réconciliation après la mort de Boniface VIII

Benoît XI (1240-1304)
Pape en 1303, béatifié en 1736.
Succédant à Boniface VIII, le Pape Benoît XI cherche à rétablir la concorde avec le roi de France et à apaiser les Colonna. Mais Philippe le Bel persiste dans sa demande de convoquer un concile général pour juger Boniface VIII, qu’il accuse d’hérésie. Sans cela, il ne peut guère justifier son action à Anagni. Car le mécontentement gronde dans le royaume. En cas de succès, le roi apparaîtrait alors comme le défenseur de l’orthodoxie. À la demande d’émissaires du roi, Benoît XI révoque les sentences d’excommunication portées contre Philippe le Bel tout en lui demandant de se montrer désormais un fils soumis de l’Église. Cependant, la demande de convoquer un concile pour juger Boniface reste sans réponse…

En outre, alors que les décrets de son prédécesseur sont abrogés ainsi que les peines portées contre le royaume de France, en juin 1304, dans la bulle Flagitiosum scelus, Benoît XI excommunie les participants à l’attentat d’Anagni et les cite à comparaître le 29 juin auprès du Saint Siège alors en résident à Pérouse. Il désigne nommément Nogaret et Sciarra Colonna ainsi que treize nobles. La publication de la bulle provoque de fortes réactions dans les cours européennes. La politique de Benoît XI est habile. Il sépare la cause de Philippe le Bel de celle de Nogaret. 

Clément V et Philippe le Bel
au concile de Vienne
Mais le 7 juillet, jour prévu pour la proclamation solennelle de leur excommunication, Benoît XI meurt suite à une indigestion des figues. Selon une rumeur, il serait mort d’un empoisonnement. Mais une enquête diligentée par le Pape Jean XXII n’apportera aucune preuve de culpabilité.

En 1304, Clément V succède à Benoît XI. Le roi Philippe le Bel le rencontre et renouvelle sa demande. Il exige la convocation d’un concile afin de juger Boniface VIII. Ce sera le concile de Vienne (1311-1312). Lors d'un consistoire tenu à Poitiers, Clément V prend le parti de faire juger les actes du Pape défunt avant le concile, c’est-à-dire en février 1309. Le 13 septembre, il cite à son tribunal les accusateurs. Des défenseurs sont nommés. Le procès commence par une bataille de procédure. Il finit par s’arrêter. Au concile de Vienne, aucun procès ne sera tenu contre Boniface VIII...

Conclusions

Par la bulle Rex gloria, le 27 avril 1311, le Pape Clément V absout les participants de l’attentat d’Anagni. Philippe le Bel est disculpé de toute atteinte à l’honneur de l’Église. Au contraire, tout « ce que le roi a fait, il l’a fait pour la défense de l’Église, comme champion de la foi. »[12] Que dire de cette conclusion scandaleuse ?

Le conflit entre Boniface VIII et Philippe le Bel peut-il se réduire à une querelle de personne ? Certes, de manière unanime, les historiens soulignent la forte personnalité du Pape, un esprit dominateur, sans oublier son caractère altier, volontaire, passionné. Ses maladresses, son absence de ménagement, son manque de douceur ont certainement suscité de vives réactions chez ses adversaires. Mais très intelligent et d’une grande pureté de mœurs, il se montre juste et fidèle à l’enseignement de l’Église, soucieux de redresser l’autorité du Pape, affaiblie au cours des pontificats précédents. Philippe le Bel est lui-aussi animé d’une forte conscience de la dignité royale. Il se montre pieux et fort instruit. A-t-il été le jouet de ses conseillers comme le pensait Boniface VIII ? Le conflit qui les oppose marque plutôt la forte tension que suscite la montée en puissance d’une royauté sûre d’elle-même et soucieuse d’une souveraineté absolue. Une telle prétention ne peut accepter la suprématie pontificale…

Le 13 juillet 1308, le Pape Clément V annonce l’ouverture du procès de Boniface VIII, mais ce n’est qu’une déclaration qui n’aboutira pas. Philippe le Bel ne parvient pas en effet à faire juger son ennemi. Le concile de Vienne aurait dû être l’occasion de faire ce procès. Mais les pères conciliaires ont réfusé. Le Pape ne mentionne même pas ce motif dans sa convocation. Ce serait mettre à bas toute la doctrine pontificale que l’Église a enseignée depuis des siècles. Le Pape ne peut être jugé par personne. Mais cette doctrine, que vaut-elle après l’attentat d’Anagni et tous les événements qui l’ont précédé ? Que de mensonges et de crimes pour renier finalement l’autorité du Pape au profit d’une souveraineté abusive ! Le pouvoir temporel a vaincu le pouvoir spirituel par les armes du monde. Dans cette affaire, la Papauté a perdu de la crédibilité, une crédibilité qui ne cessera de se réduire. Que vaudra désormais l’autorité du Pape ? Bientôt, l'Église connaîtra de terribles épreuves...





Notes et références
[1] Voir Histoire de France, tome 3, Philippe le Bel, Charles VII, volume 3, Jules Michelet, 2015, éditions des Équateurs
[2] Nicole Gilles, Annale et Chroniques de France, XIVe siècle, tom 5, 1837, dans Guillaume de Nogaret. Un Languedocien au service de la monarchie capétienne, Bernard Moreau, 2012, Lucie éditions. Dans les Annales et chroniques de France, depuis la destruction de Troye jusques au temps du roy Louys onziesme jadis composées […], par maistre Nicolle Gilles, 1562, vol. 1, feuillet 134, gallica.bnf.fr, « […] par vn Cheualier de ceulx de la coulonne, fi ne fuft qu’on le deftourna : toutesfois il le frappa de la main armee du gantelet fur le vifage, iufques à grand’effufion de fang » Voir Philippe le Bel, Georges Minois, 2014, édition edi8.
[3] L’historien Henri Martin reprend le récit dans Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, 1855.
[4] Ernest Renan, Guillaume de Nogaret, légiste, dans Histoire littéraire de la France, tome XXVII, 1877.
[5] Chronique anglo-saxonne d’une famille du XIVe et au XVe siècle.
[6] Voir Philippe le Bel, Georges Minois.
[7] Hundleby, dans Philippe le Bel, Georges Minois.
[8] Voir Cronica di Giovanni Villani, tome III, Firenzz, 1823.
[9] Voir Boniface VIII, dans Histoire générale de l’Église, Abbé A. Boulanger, tome II, Le Moyen-âge, volume V, de Grégoire VII à Clément V, 1073-1305, n°127, Librairie E. Vitte, 1935.
[10] Voir Boniface VIII, dans Histoire générale de l’Église, Abbé A. Boulanger, tome II, Le Moyen-âge, volume V, de Grégoire VII à Clément V, 1073-1305, n°127.
[11] Boniface VIII, dans Histoire générale de l’Église, Abbé A. Boulanger, tome II, Le Moyen-âge, volume V, de Grégoire VII à Clément V, 1073-1305, n°127.
[12]Clément V, Bulle Rex gloria, dans Le Régime du culte catholique antérieur à la loi de la séparation, Léon Duguit, collection XIX, 2016.
[13] Voir Émeraude, juillet 2018, article "Boniface VIII et Philippe le Bel, des démêlés révélateurs".  Le prochain article reviendra plus longuement sur cette affaire.

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