« Théocratie », « hiérocratie », les mots reviennent
inlassablement pour accuser les Papes d’avoir voulu imposer leur domination sur
l’État et sur toute la société au Moyen-âge. Ils auraient, nous dit-on, voulu soumettre
tout pouvoir à leur juridiction. Telle serait l’œuvre des Papes depuis la
réforme grégorienne. Le XIIIe siècle serait alors la période où triompherait
cette ambition. Or, comme nous l’avons longuement vu dans nos précédents
articles, les Papes n’ont pas d’autres ambitions que de libérer l’Église de la
tutelle des princes en se conformant aux principes établis depuis sa fondation.
Les critiques seraient-elles donc infondées ?
Il
est vrai qu’à partir du XIIe siècle, des hommes énergiques et de forte
personnalité occupent le siège pontifical. Ils ont une haute idée de leur
dignité et la défendent avec fermeté, notamment face aux Empereurs germaniques
et aux rois. Parmi ces Papes, prenons l’exemple de Saint Grégoire VII et
d’Innocent III. Ils sont les principaux acteurs de la réforme grégorienne. Écoutons-les
afin de mieux entendre leurs intentions. Nous pourrons plus facilement nous
défaire des clichés que notre mémoire a emmagasinés, parfois à notre dépend.
Saint
Grégoire VII et la réforme grégorienne
Commençons
par Saint Grégoire VII. Comme son lointain prédécesseur Saint Gélase Ier, il reconnaît
les deux autorités qui dirigent le monde. « Parmi les dignités de ce monde, il y en a deux, qui par la volonté de
Dieu sont supérieurs aux autres : ce sont la dignité apostolique et la
dignité royale, destinées à conduire les hommes. » Ce sont « deux flambeaux plus éclatants que les
autres, le soleil et la lune, de même, il lui a donné la dignité apostolique et
la dignité royale pour le guider dans ses divers devoirs. » Il
reconnaît à la dignité apostolique une supériorité à celle des chefs d’États. Comme
le soleil flamboyant dans le ciel, il est supérieur à la dignité royale en
raison de ses responsabilités lors du jugement dernier. « Au jugement dernier, la dignité apostolique
est pontificale représentera les rois chrétiens, ainsi que tous les autres
devant le tribunal et rendra compte à Dieu de leurs fautes. »[1]
Saint Grégoire VII reconnaît clairement l’origine divine de tout pouvoir, en particulier celle des rois, mais en pratique, le pouvoir a été créé par la volonté des hommes. Il distingue donc le « pouvoir » qui appartient à Dieu seul et la « volonté » dont Dieu dispense l’usage aux hommes. Dieu est ainsi l’auteur de toute puissance mais Il n’empêche pas les hommes de se donner de mauvais rois. Il n’oublie pas non plus la part de la volonté dans l’exercice de ce pouvoir.
Or
reprenant les paroles de Nicolas Ier, Saint Grégoire VII rappelle que lors de
son sacre, l’Empereur a reçu des mains du Pape la couronne impériale, et par
conséquent, il peut aussi la lui retirer si, au lieu de s’en servir pour la
défense de la chrétienté, il en use contre ses propres sujets ou contre
l’Église. La couronne n’est donc pas un objet de propriété inamissible. Elle
est simplement confiée à une personne et le Pape peut la lui reprendre si par
ses péchés, elle se montre indigne de la porter. Le Pape peut donc juger de
cette indignité et sanctionner le prince. Telle est la notion première du
« glaive spirituel »
dont dispose le Pape. Ainsi, « au
nom de la suprématie romaine, le Pape entend exercer un contrôle permanent sur
le gouvernement des rois et des seigneurs, imposer à ceux-ci la pratique des
préceptes de la morale évangélique et, s’ils ne s’y conforment pas, les
excommunier et les déposer ratione peccati. »[2]
« Ratione
peccati »
Cependant,
« la doctrine traditionnelle, qu’il
a la ferme intention d’observer, ne comportait pas cette intervention du
pouvoir pontifical dans le domaine séculier. » [3] Le Pape
Nicolas Ier le dit nettement. Le Pape ne doit pas intervenir dans les affaires
temporelles. Saint Bernard s’élève aussi contre tout empiétement du Pape dans
ce domaine. Il faut laisser le prince agir. « Celui qui fait partie de la milice de Dieu ne doit en aucune façon
s’engager dans les affaires temporelles, pas plus que celui qui s’est engagée
dans les affaires temporelles ne doit paraître se mettre à la tête des choses
spirituelles. »[4]
Saint
Grégoire VII demeure pourtant fidèle à cette doctrine. Il refuse de se
substituer aux princes et de s’occuper des intérêts temporels de la Chrétienté.
Il réaffirme au contraire la distinction des deux pouvoirs ainsi que leur
périmètre de responsabilité qui leur est propre. Rien d’innovant. Ce n’est
qu’une reprise des propos de Saint Gélase Ier…
Mais
Saint Grégoire VII n’accepte pas que les princes soient sous l’emprise du péché
et donc deviennent esclaves du démon. S’ils refusent de « marcher sur les traces des prêtres du
Seigneur », les rois seront l’objet de censures canoniques. Comme le
rappelait Saint Ambroise, un prince demeure dans l’Église et ne doit pas agir
en dehors des commandements de l’Église comme tout chrétien. Tout péché est
objet de sanction, même s’il est commis par un roi. Or un roi excommunié
peut-il gouverner ses sujets selon la loi de Dieu ? C’est dans ce sens
qu’il faut interpréter la sentence de Saint Grégoire VII : « les prêtres du Christ doivent être
considérés comme les pères et les maîtres des rois, des princes et des fidèles. »[5] Pour justifier l’autorité pontificale, Saint
Grégoire VII évoque le pouvoir de lier et de délier.
Pour
le salut du roi et de ses sujets
Responsable
du salut des rois comme celui de tous les fidèles, le Pape doit donc veiller à
ce qu’ils ne s’écartent pas des voies du salut et à ce qu’ils ne risquent pas
de se priver de la béatitude éternelle en gouvernant contrairement à la loi. C’est
bien d’abord son salut qui fait l’objet de la sollicitude pontificale. Mais se
joue aussi le salut de ses sujets. Il ne peut aller à l’encontre de leur
sanctification. En outre, le Pape doit veiller à ce que leurs sujets soient
gouvernés selon les lois de la justice et de la charité, et par conséquent que
les vertus chrétiennes soient pratiquées par ceux qui les gouvernent et les
dirigent. C’est le sens du serment du roi des Francs lors de son sacre. L’autorité
royale est donc soumise à son contrôle. Ce contrôle limite le pouvoir temporel et
prévient tout arbitraire de sa part. Nous dirions aujourd’hui qu’il est un
contre-pouvoir particulièrement puissant.
Le sacre de Philippe III le Hardi |
Devant la volonté impériale de gouverner l’Église, et soucieux d’apporter les véritables remèdes à la crise qu’elle connaît, Saint Grégoire VII veut ainsi appliquer les principes traditionnels qui doit régir les rapports entre le Pape et l’Empereur, principes aussi valables pour ses relations avec les rois. En raison de la Querelle des Investitures, les discours sont certes tournés vers l’Empereur mais tout prince est concerné. Il est donc faux de voir dans sa réforme la volonté de diriger les rois ou de régir l’État. Il est un réformateur conscient de son rôle et de sa dignité dans la direction des âmes.
L’affaire
de Canossa, une véritable leçon de la suprématie pontificale
Pour
bien comprendre l’intention de Saint Grégoire VII, nous vous invitons à une des scènes les plus célèbres de l’histoire, celle de Canossa. Elle
reflète certainement un des points clés de sa pensée.
Revenons
donc en l’an 1076. Furieux de se faire réprimander par Saint Grégoire VII pour
avoir désigné ses créatures sur des sièges épiscopaux d’Italie, ignorant
sciemment ses dernières décisions contre l’investiture laïque[7],
l’Empereur Henri IV injurie le Pape et l’accuse d’usurpation et de mœurs
malsaines. Il le déclare déchu et invite les fidèles et le clergé de lui donner
un successeur. Mais Saint Grégoire VII ne se laisse pas faire. Il le dépose et
délie tous les chrétiens du serment qu’ils ont contracté envers lui. Cette
décision trouble ses adversaires. Une assemblée de princes et d’évêques
reconnaissent que le Pape a raison et qu’Henri IV ne doit plus régner. Les
nobles de l’Empire s’agitent en terres germaniques. Henri IV est dans une
situation périlleuse. Il décide alors de se rendre à Canossa le 25 janvier
1077.
Canossa
est une ville du Nord de l’actuelle Italie, proche de Parme et de Modène. Henri
IV franchit les Alpes avec une faible escorte et traverse l’Italie du Nord. Au
loin, il voit le château sur un nid d’aigle. C’est là que Saint Grégoire VII
s’est réfugié sous la protection de la comtesse Mathilde dans un château réputé
pour être imprenable. Mais Henri IV ne vient pas pour l’assiéger. Il est sans
couronne, ni pourpre, vêtu de bure et nu-pieds. Il attend trois jours aux
abords de la forteresse. Le roi supplie le Pape de l’entendre. La comtesse
Mathilde ainsi que des cardinaux interviennent auprès du Pape en sa faveur.
Saint Grégoire VII finit par le recevoir. Henri IV se prosterne alors devant
lui et demande pardon. Il prête serment en de termes vagues et le Pape lève
l’excommunication. Il peut alors garder sa couronne et se maintenir sur le
trône impérial…
Le
roi a-t-il joué une comédie pour sauver son trône ? Un serment ambigu
méritait-il l’absolution ? Le pardon du Pape est-il finalement une faute
politique ? Cette question répond finalement à nos interrogations et à
tous ceux qui voient dans les Papes des ambitieux en quête de domination
universelle. Saint Grégoire VII a agi en Pape. Le geste qu’il fait est « l’expression de l’infinie miséricorde à
laquelle nul pécheur ne fait appel sans qu’elle l’accueille ; jamais le
Pontife n’a été plus grand qu’en cet instant. » Son action dépasse
celle de la politique. C’est pourquoi sa dignité est supérieure…
Innocent
III, un Pape énergique et infatigable
Innocent
III est l’autre Pape que nous devons désormais évoqué. Il est en effet souvent
présenté comme le responsable de la prétendue « théocratie ». À trente-huit ans, il accède au trône pontifical.
Son pontificat est alors riche en éclats. Il a évincé d’Italie l’Empereur,
établi sa tutelle sur la Sicile et sa suzeraineté sur le royaume d’Angleterre
comme sur le duché de Pologne ou encore le royaume du Danemark. Il a disposé de
la couronne germanique, contrôlé la Hongrie, l’Aragon, la Castille. Il a enfin
relancé la Chrétienté dans la croisade et a combattu une hérésie. S’il est vrai
que « son action innombrable révèle
un caractère de taille exceptionnelle »[8], ne pouvons-nous
pas y voir aussi une confusion dans les pouvoirs ?
Innocent
III est, comme Saint Grégoire VII, très conscient de la dignité du Souverain
pontifical. Comme lui, il utilise la même comparaison pour distinguer les
dignités pontificales et royales : « De même que Dieu, le créateur de l’Univers, a fixé deux grands
luminaires au firmament du ciel, le plus grand pour qu’il préside au jour, le
plus petit pour qu’il préside la nuit, de même il a établi au firmament de
l’Église universelle qui est appelée « ciel » deux grandes
dignités ; une plus grande pour que, comme pour le jour, elle préside aux
âmes, et une plus petite pour que, comme pour les nuits, elle préside au corps,
et ce sont l’autorité pontificale et le pouvoir royal. »[9]
Ainsi
il distingue deux pouvoirs, non en fonction des responsabilités mais en
fonction de leur objet, l’un dirigeant les âmes, l’autre les corps. Comme le
soin de l’âme est supérieur à celui du corps, la dignité pontificale surpasse
celle des rois. Le motif de la suprématie a donc évolué.
Conscient
alors de cette dignité, Innocent III met toute son énergie et ses capacités de
travail, capacités par ailleurs extraordinaires, à l’affirmer et à la défendre.
Il met en œuvre une politique pour la faire respecter, notamment au sein du
clergé, y compris à Rome. Son pontificat est aussi marqué par la naissance de
deux Ordres religieux particuliers, les Ordres mendiants. Innocent III appuie
et encourage en effet les deux saints que sont Saint François d’Assise et Saint
Dominique. L’Église se dote de nouvelles troupes et d’un nouvel élan, répondant
aux vœux du Pape de disposer de nouveaux prédicateurs.
Très
décidé à poursuivre la réforme grégorienne, Innocent III s’avère être opiniâtre
et ferme à appliquer les règles définies pour lutter contre les abus. Imprégné
des considérations de Saint Bernard, il est marqué par un grand zèle et
soucieux des âmes, il n’hésite pas à intervenir dans les diocèses lorsque cela
s’avère nécessaire.
Le
zénith de l’autorité pontificale sous Innocent III
Mais
comment Innocent III peut-il appliquer la réforme si Rome et les États de
l’Église sont dirigés par des notables insolents ou par les troupes
germaniques ? Les États de l’Église sont donc repris en main. Le Pape
devient maître de la ville et les vassaux de l’Empereur sont chassés de son
domaine. Dans le conflit du Sacerdoce et de l’Empire, il excommunie l’Empereur
Otton IV et reconnaît son pupille, alors âgé de 17 ans, comme successeur, le
futur Frédéric II. Le Pape parvient ainsi, dans le domaine temporel, à
remporter de grandes victoires. Et comme nous l’avons signalé, son influence
s’étend sur toute l’Europe, au Portugal qui lui paie tribut, à Aragon, mis sous
sa tutelle, en Norvège, en Suède, en Pologne, en Hongrie, fief pontifical. Il
est certainement le premier souverain de la Chrétienté. Son prestige est
immense.
Son
prestige atteint son point culminant lors du IVe concile de Latran, tenu en
1215. Ce concile est le point culminant de son prestige. Il illustre l’autorité
pontificale. Il réunit 412 évêques et 800 abbés ou prieurs ainsi que des
ambassadeurs de tous les pays. Les principaux canons concernent la réforme
morale, mettant en œuvre ce que les Papes n’ont pas cessé d’affirmer depuis
Saint Grégoire VII.
Les
conflits entre Innocent III et Philippe Auguste
Innocent
III ne défend pas seulement son autorité dans l’Église et face aux Empereurs.
Il veille aussi sur les rois. Fidèle à ses pensées, il leur rappelle en effet
leur dignité de chrétien qui doit primer sur leur dignité royale. Ainsi dit-il
au roi de France Philippe Auguste (1180-1223) : « La dignité royale ne peut être au-dessus des
devoirs d’un chrétien, et, à cet égard, il nous est interdit de faire la
distinction entre prince et fidèle. Si, contre toute attente, nous serons
obligés, bien malgré nous, de lever notre main apostolique. »[10] Le roi
a en effet répudié son épouse pour se remarier, violant ainsi les règles de
l’Église. Philippe Auguste refusant de
quitter sa seconde femme, Innocent III jette l’interdit sur le royaume. Mais
peu d’évêques ont suivi l’ordre du Pape. Il est vrai que ceux qui l’exécutent,
leurs biens sont aussitôt confisqués.
Couronnement de Philippe Auguste |
Le
glaive spirituel
Dans
sa volonté de faire respecter la dignité pontificale, Innocent III ne peut ne
pas être engagé dans les luttes politiques de son temps. Les actions d’une si
forte personnalité et animées d’une ferme volonté de faire respecter ses
décisions et la réforme grégorienne ont certainement dépassé ses intentions.
Mais par ses actions et celles de ses prédécesseurs, le rôle du Pape s’est
accru dans le domaine politique pour que son autorité soit respectée. Comment
ne l’aurait-il pu être autrement tant la réforme nécessitait un combat contre
ceux qui privilégiaient leurs intérêts à ceux de l’Église ?
Car
dans toute lutte, il doit y avoir une morale, y compris en politique. Et les
lois de l’Église sont aussi à appliquer en politique comme en privé. Il
appartient à l’Église d’observer leur application en tout domaine. Et le Pape
ne peut guère s’en désintéresser sans renier ce qu’il est. Il veille sur la
Chrétienté comme un père et un chef. Et son prestige est grand aux yeux de
tous. Il a beau être menacé, enfermé, emprisonné, et même insulté, sa dignité
s’impose. Son autorité est avant tout spirituelle, morale. Il transcende les
partis. Jouissant d’un rayonnement universel, il est aussi un arbitre entre les
princes. Et sa force réside aussi dans son pouvoir qui est double, un pouvoir
de jugement et de décision. Il ne faut pas oublier leur rôle dans la recherche
de la paix, notamment au travers des Trèves de Dieu, de la lutte contre les
duels et contre toute violence.
Comme
nous l’avons déjà évoqué, Innocent III ne veut point empiéter dans le domaine
des rois. Il rappelle au roi Philippe Auguste qu’il n’a aucun droit pour
intervenir dans les affaires féodales. Lorsque le comte de Montpellier lui
demande de légitimer son fils bâtard pour qu’il puisse le succéder, il lui
rappelle que cette décision ne relève que de son seigneur[12]. Il est
donc parfaitement conscient de la distinction des pouvoirs et de leur autonomie.
Il y a bien distinction de trois jugements : spirituel, temporel et mixte,
et dans le dernier cas, la décision du Pape prime sur tout autre jugement en
cas de difficulté ou de complexité. Mais dans la même lettre adressée au comte
de Montpellier, Innocent III affirme que tout jugement en son principe émane du
Pape. C’est la réaffirmation de la théorie des deux glaives au sens premier.
Innocent III rappelle néanmoins aux princes qu’ils ont le même but. Le glaive temporel qu’ils détiennent doit aussi servir à punir le mal. Le Pape invite le roi Philippe Auguste en ces termes très clairs : « Très cher fils, ce glaive que tu as reçu du Seigneur pour le châtiment des malfaiteurs et la louange des hommes de bien, joins-le à notre glaive pour qu’ensemble nous sévissions contre des malfaiteurs si scélérats et inhumains. »[13] Il y a donc une nécessaire collaboration entre le Pape et le souverain temporel…
Mais
alors pourquoi le Pape est-il devenu le suzerain de tant de royaumes ? Il
faut noter que certains rois ont demandé cette tutelle pour se protéger des
ambitions de leurs ennemis. Le roi d’Aragon, entouré de cinq petits royaumes, vient
ainsi à Rome pour se faire sacrer par le Pape avant de déposer son sceptre et
sa couronne sur le tombeau de Saint Pierre. Il fait ainsi don de son
royaume : « Ce royaume, je le
constitue censitaire de Rome au taux de 25 pièces d’or que mon trésor paiera
chaque année au Siège apostolique. Et je jure, pour moi et mes successeurs, que
nous demeurerons tes vassaux et tes obéissants sujets. » [14] De même, en Hongrie, au Portugal ou en Bohême,
le roi reçoit des mains du Pape. De jeunes royaumes sont ainsi créés. Et qui
légitime l’accession des Carolingiens ou des Capétiens ? Menacés par ses
barons et par le roi de France, Jean sans Terre « ne veut plus tenir son royaume que du Pape et de l’Église de Rome à
titre de vassal. »[15] Même le
lointain royaume de Kiev est vassal du Saint Siège.
Toutes
ces suzerainetés ne sont en fait que purement nominales. Certes cette
suzeraineté consiste en pratique à payer un cens annuel mais parfois, comme
dans le cas du royaume d’Angleterre, la rétribution du cens n’est qu’un vain
mot. Il est vrai que le non-paiement du cens entraîne parfois des
excommunications comme au Portugal. Le Pape se trouve parfois aussi impliqué
dans des conflits où ses vassaux sont engagés. S’il est vrai que ces
suzerainetés manifestent le prestige du trône pontifical, elles ne sont pas
sans risque. L’intervention du Pape dans le conflit entre les royaumes
d’Angleterre et de France en est un exemple. Elles impliquent nécessaire un
devoir de protection de la part du Pape.
Conclusions
Aujourd’hui,
quelques articles nous rappelle heureusement ce que nous devons aux actions
des Papes du Moyen-âge. Certains historiens n’hésitent pas à rappeler que les
principes que notre société défend et dont elle croît en être l’initiatrice
viennent de là ! Sans leurs actions et leur persévérance, comment des
princes excommuniés auraient-ils pu se soumettre à des clercs désarmés ?
Avec les Papes tels que Saint Grégoire VII ou Innocent III, les forces
spirituelles et morales avaient une importance dans la politique des nations.
Cela
est possible parce que le Pape a le droit de juger et qu’il est au-dessus des
princes. Cela a été rendu possible parce que les Papes de cette époque avait une
foi profonde, exigeante, en leur mission. Il serait faux d’y voir un orgueil ou
une folle ambition de dominer. Cela a enfin été rendu possible parce qu’« elle répondait à l’aspiration des peuples,
en sauvegardant la justice chrétienne et en créant le droit dans cette société
de nations chrétiennes que constituait la Chrétienté au Moyen-âge »[16]. Mais
si les conditions ont évolué ainsi que « l’aspiration des peuples », rendant désormais impossible
l’application de la primauté de l’Église sur l’État, cela ne signifie pas que
le principe de primauté spirituelle est devenu obsolète et donc vain. La vérité
reste vraie même si les hommes n’y croient plus…
Notes et références
[1] Saint Grégoire VII, lettre à Guillaume le Conquérant, Registrum , VIII, 25, 8 mai 1080 dans La Réforme grégorienne, II, Grégoire VII, Augustin Fliche, Spicilegium Sacrum Lovaniense, études et documents, fascicule 9, 1925 et dans La théocratie pontificale et Innocent III, Marcel Dietler, Les Échos de Saint Maurice, 1966, abbaye de Saint Maurice, 2013, www.digi-archives.org.
[2] Augustin Fliche, La
Réforme grégorienne, II, Grégoire VII.
[3] Augustin Fliche, La
Réforme grégorienne, II, Grégoire VII.
[4] Nicolas Ier, Epistolae,
t. VI dans La Réforme grégorienne, II, Grégoire VII, Augustin
Fliche.
[5] Saint Grégoire VII,
Lettre à Hermann, évêque de Metz, 15 mars 1081 dans La Réforme grégorienne,
II, Grégoire
VII, Augustin Fliche, et dans Saint Grégoire VII et la réforme de l’Église
au XIe siècle, Abbé O. Delarc, Tome I, archive.org, 1889.
[6] Marcel Dietler, La
théocratie pontificale et Innocent III.
[7] Voir Émeraude, juin 2018, article "L'empereur germanique face au Pape, l'Empire contre le Sacerdoce".
[8] Daniel-Rops, L’Église
de la Cathédrale et de la Croisade, IV, Fayard, 1952.
[9] Innocent III, lettre
adressée au consul Acerbus de Florence en 1198.
[10] Daniel-Rops, L’Église
de la Cathédrale et de la Croisade, IV.
[11] Daniel-Rops, L’Église
de la Cathédrale et de la Croisade, V.
[12] Voir lettre
d’Innocent III au comte Guilhem VIII, Per venerabilem, 1202.
[13] Innocent III, Register
11, n° 26, 36 dans Innocent III, Introduction, Julien THÉRY-ASTRUC, Université
Paul-Valéry Montpellier, Cahier de Fanjeaux.
[14] Daniel-Rops, L’Église
de la Cathédrale et de la Croisade, V.
[15] Daniel-Rops, L’Église
de la Cathédrale et de la Croisade, V.
[16] Mgr Arquillière, dans
Daniel-Rops, L’Église de la Cathédrale et de la Croisade, V.
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