Au
début du XXe siècle puis dans les années 60, les rapports entre l’Église et
l’État étaient au centre d’un véritable débat. Aujourd’hui, il semble que ce
débat n’ait plus lieu d’être dans notre société laïcisée, déchristianisée,
désacralisée. Pourtant, à plusieurs reprises, les médias se déchaînent sur des
faits qui pourraient remettre en cause
la laïcité. Une crèche de la Nativité dans une mairie ou une croix dans la
sphère publique provoquent un tollé chez les biens pensants. Aujourd’hui, cinquante
ans après le Concile de Vatican II, l’Église reste silencieuse face à ce
déchaînement médiatique comme elle demeure absente dans tout débat politique.
Elle respecte la loi devenue sacrée de
la séparation des pouvoirs spirituel et temporel.
L’image
d’une Église théocratique
Les
bien-pensants se déchaînent parfois contre des restes de cultures chrétiennes,
ces restes qui nous relient si fragilement à une époque pas si lointaine que
cela. Dans cette folie médiatique, qui ne dure qu’un moment, le temps que les
passions s’essoufflent ou qu’elles s’emportent sur un autre sujet, quelques
voix anachroniques rappellent une époque oubliée, où, parait-il, l’Église
voulait dominer la société comme un tyran. Elles évoquent alors le Moyen-âge en
termes méprisables pour souligner la politique que les Papes ont menée dans leur volonté de soumettre l’État. Et les rares voix instruites parlent alors de théocratie ou encore d’augustinisme politique pour désigner
leur politique. Aujourd’hui peut-être dans certaines mémoires, ces mots
portent encore une connotation
péjorative. Ils condamnent ce qu’ils désignent. Ils éveillent surtout
l’image d’une soi-disant Église
oppressive qui prétendrait diriger la société et les États.
En
inventant le concept d’« augustinisme
politique », Mgr Arguillière
tente de répondre à ces accusations comme nous l’avons évoqué dans le précédent
article. Il cherche en effet à s’opposer à tous ceux qui, s’appuyant sur
l’histoire et les œuvres de Saint Augustin, dénoncent la volonté de l’Église de
soumettre la société et l’État. Pour mieux appuyer leur accusation, ils parlent
de théocratie, terme suffisant clair pour que tous puissent comprendre ce qu’il
veut bien signifier. Le Moyen-âge est alors
la cible de leurs attaques. Les Papes de ce temps supposé obscur auraient
eu la volonté de s’accaparer de tous les pouvoirs, spirituel et temporel. Ainsi
en notre temps où la démocratie semble être le seul régime politique légitime
et bénéfique, où la laïcité est devenue un dogme intangible, où le pluralisme
et l’individualisme sont des mots d’ordre, l’Église
apparaît alors comme un coupable tout désigné, coupable d’oppression et
liberticide. Voltaire, Diderot, Holbach, Condorcet et bien d’autres encore plus
récents ont ainsi dénoncé l’emprise de
la religion chrétienne sur l’État et ont prôné la séparation entre le religieux et la politique. On en vient
même à supprimer dans l’Église tout souci d’intervention dans la vie sociale et
politique.
Contre
la conception théocratique de l’Église
Conscient
de cette image désastreuse, que porte l’opinion et que soutient l’État, des
penseurs catholiques ont cherché à relativiser
cette prétendue volonté théocratique en la justifiant par le contexte
historique et en développant l’idée selon laquelle elle était nécessaire dans
une société où le spirituel et le temporel étaient si inextricablement mêlés. « Je veux prouver que le christianisme
catholique n’est pas essentiellement théocratique et que l’ordre théocratique
du Moyen Age n’a été qu’une phase passagère et un état purement relatif aux
circonstances du temps et des mœurs. »[1] L’Église
n’aurait en soi aucune prétention théocratique. La politique qu’elle a menée au Moyen-âge, politique justifiée à cette
époque, ne serait alors plus d’actualité. Devenue obsolète, elle
n’a aucune raison d’être. Ainsi, dans notre monde étrange où on veut séparer le spirituel et le
temporel, l’Église ne cherche aucunement à s’immiscer dans l’État
ou à influencer le politique. Elle défend même l’idée selon laquelle la séparation des pouvoirs spirituel et
politique est gage de liberté. Le Concile de Vatican II annonce ou
sacralise cette position de l’Église à l’égard de l’État. Ainsi la
religion chrétienne est parfaitement compatible avec la démocratie et la laïcité.
Telle est l’Église dite moderne…
Un
tel discours tente aussi de désarmer
ceux qui s’appuient sur l’histoire pour défendre la nécessité d’une étroite
collaboration entre l’Église et l’État, voire la primauté de la première
sur le second. Ils abhorrent donc toute idée de séparation entre ces deux
autorités. Ainsi ils rejettent toute idée de démocratie et de laïcité, prouvant
son incompatibilité avec la doctrine chrétienne. Ils ont alors pour référence
la politique qu’ont menée les Papes à partir du XIe siècle.
Retour
aux principes chrétiens
Quand
nous devons étudier les relations qui doivent régir l’Église et l’État, nous ne
devons pas oublier les trois mouvements que nous venons rapidement de décrire.
Ils ont la particularité, fort légitime, d’associer au sujet la question de la
démocratie. C’est donc au regard de la
situation politique et sociale actuelle que les relations entre l’Église et
l’État sont ainsi étudiées, ce qui certainement ne peut qu'influencer notre jugement.
Comme
nous l’avons pu le noter, l’Église a enseigné dès ses origines la distinction –
et non la séparation - des deux pouvoirs spirituel et temporel, pouvoirs qui
régissent le monde, tout en insistant sur la primauté du spirituel sur le
temporel, et sur leur nécessaire collaboration pour le bien de l’État. Tel est l’enseignement traditionnel de l’Église.
Saint
Augustin nous expose deux cités aux principes contraires, la Cité de Dieu et la
cité temporelle, cités mêlées ici-bas mais rivales et à la destinée différente.
Le bonheur éternel appartient à ceux qui demeurent dans la Cité de Dieu. Il ne s’agit pas de confondre la Cité de Dieu avec l’Église et la
cité terrestre avec l’État. Contrairement à certains commentateurs, Saint
Augustin ne semble pas traiter des relations entre l’Église et l’État mais il
cherche, dans son ouvrage, à identifier dans la marche du
monde le développement de deux principes propres à ces cités.
Dans un contexte particulier, pressentant aussi l’avenir, il cherche plus à désolidariser une civilisation particulière
avec le christianisme. Nous-aussi, nous devons ne pas associer la société
médiévale ou encore un régime particulier avec le christianisme, encore moins
les confondre. Ce serait oublier la belle leçon de Saint Augustin.
Conclusion
Jusqu’au
Ve siècle, l’Église a énoncé et défendu des principes clairs qui proviennent de
Notre Seigneur Jésus-Christ. Ces principes, elle les a en effet défendus
contre des autorités païennes mais encore plus contre des autorités
chrétiennes. Le contexte dans lequel elle évolue rend certains de ces principes plus
insistants que d’autres. Face aux autorités politique païennes, elle prône davantage la distinction
des pouvoirs. Face aux autorités politiques chrétiennes, elle protège davantage la primauté du
spirituel. Mais chaque fois, elle cherche à défendre sa liberté face aux
abus du pouvoir temporel. Ainsi, le discours peut varier en fonction des
circonstances sans que les principes ne soient reniés ou oubliés.
Dans
ces deux cas, dans l’Empire romain païen ou chrétien, l’Église est face à une
autorité temporelle bien constituée, forte d’une histoire et d’une tradition. Mais
à partir du Ve siècle, se développe une nouvelle civilisation dont l’Église a
fortement contribué à la naissance et au développement. Une civilisation
chrétienne se lève peu à peu en Occident. Désormais, notre étude se porte sur
ce Moyen-âge afin de connaître au-delà
des préjugés et des positions idéologiques, l’enseignement de l’Église sur ses
rapports avec l’État. L’Église est-elle restée fidèle à ses principes ou a-t-elle évolué au point qu’elle s’est déviée de sa route ?
Cette question est primordiale encore aujourd’hui. Elle est aussi complexe.
Elle est encore plus indispensable de nos jours pour distinguer la vérité dans les discours contemporains, si habiles en
critiques et en remises en question faciles. Nombreux sont aussi ceux qui abusent de l’histoire pour de vains intérêts
politiques…
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