" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 28 avril 2018

Retour aux principes chrétiens contre ceux qui abusent de l'histoire


Au début du XXe siècle puis dans les années 60, les rapports entre l’Église et l’État étaient au centre d’un véritable débat. Aujourd’hui, il semble que ce débat n’ait plus lieu d’être dans notre société laïcisée, déchristianisée, désacralisée. Pourtant, à plusieurs reprises, les médias se déchaînent sur des faits qui pourraient remettre en cause la laïcité. Une crèche de la Nativité dans une mairie ou une croix dans la sphère publique provoquent un tollé chez les biens pensants. Aujourd’hui, cinquante ans après le Concile de Vatican II, l’Église reste silencieuse face à ce déchaînement médiatique comme elle demeure absente dans tout débat politique. Elle respecte la loi devenue sacrée de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel.

L’image d’une Église théocratique

Les bien-pensants se déchaînent parfois contre des restes de cultures chrétiennes, ces restes qui nous relient si fragilement à une époque pas si lointaine que cela. Dans cette folie médiatique, qui ne dure qu’un moment, le temps que les passions s’essoufflent ou qu’elles s’emportent sur un autre sujet, quelques voix anachroniques rappellent une époque oubliée, où, parait-il, l’Église voulait dominer la société comme un tyran. Elles évoquent alors le Moyen-âge en termes méprisables pour souligner la politique que les Papes ont menée dans leur volonté de soumettre l’État. Et les rares voix instruites parlent alors de théocratie ou encore d’augustinisme politique pour désigner leur politique. Aujourd’hui peut-être dans certaines mémoires, ces mots portent encore une connotation péjorative. Ils condamnent ce qu’ils désignent. Ils éveillent surtout l’image d’une soi-disant Église oppressive qui prétendrait diriger la société et les États.

En inventant le concept d’« augustinisme politique », Mgr Arguillière tente de répondre à ces accusations comme nous l’avons évoqué dans le précédent article. Il cherche en effet à s’opposer à tous ceux qui, s’appuyant sur l’histoire et les œuvres de Saint Augustin, dénoncent la volonté de l’Église de soumettre la société et l’État. Pour mieux appuyer leur accusation, ils parlent de théocratie, terme suffisant clair pour que tous puissent comprendre ce qu’il veut bien signifier. Le Moyen-âge est alors la cible de leurs attaques. Les Papes de ce temps supposé obscur auraient eu la volonté de s’accaparer de tous les pouvoirs, spirituel et temporel. Ainsi en notre temps où la démocratie semble être le seul régime politique légitime et bénéfique, où la laïcité est devenue un dogme intangible, où le pluralisme et l’individualisme sont des mots d’ordre, l’Église apparaît alors comme un coupable tout désigné, coupable d’oppression et liberticide. Voltaire, Diderot, Holbach, Condorcet et bien d’autres encore plus récents ont ainsi dénoncé l’emprise de la religion chrétienne sur l’État et ont prôné la séparation entre le religieux et la politique. On en vient même à supprimer dans l’Église tout souci d’intervention dans la vie sociale et politique.

Contre la conception théocratique de l’Église

Conscient de cette image désastreuse, que porte l’opinion et que soutient l’État, des penseurs catholiques ont cherché à relativiser cette prétendue volonté théocratique en la justifiant par le contexte historique et en développant l’idée selon laquelle elle était nécessaire dans une société où le spirituel et le temporel étaient si inextricablement mêlés. « Je veux prouver que le christianisme catholique n’est pas essentiellement théocratique et que l’ordre théocratique du Moyen Age n’a été qu’une phase passagère et un état purement relatif aux circonstances du temps et des mœurs. »[1] L’Église n’aurait en soi aucune prétention théocratique. La politique qu’elle a menée au Moyen-âge, politique justifiée à cette époque, ne serait alors plus d’actualité. Devenue obsolète, elle n’a aucune raison d’être. Ainsi, dans notre monde étrange où on veut séparer le spirituel et le temporel, l’Église ne cherche aucunement à s’immiscer dans l’État ou à influencer le politique. Elle défend même l’idée selon laquelle la séparation des pouvoirs spirituel et politique est gage de liberté. Le Concile de Vatican II annonce ou sacralise cette position de l’Église à l’égard de l’État. Ainsi la religion chrétienne est parfaitement compatible avec la démocratie et la laïcité. Telle est l’Église dite moderne…

Un tel discours tente aussi de désarmer ceux qui s’appuient sur l’histoire pour défendre la nécessité d’une étroite collaboration entre l’Église et l’État, voire la primauté de la première sur le second. Ils abhorrent donc toute idée de séparation entre ces deux autorités. Ainsi ils rejettent toute idée de démocratie et de laïcité, prouvant son incompatibilité avec la doctrine chrétienne. Ils ont alors pour référence la politique qu’ont menée les Papes à partir du XIe siècle.

Retour aux principes chrétiens

Quand nous devons étudier les relations qui doivent régir l’Église et l’État, nous ne devons pas oublier les trois mouvements que nous venons rapidement de décrire. Ils ont la particularité, fort légitime, d’associer au sujet la question de la démocratie. C’est donc au regard de la situation politique et sociale actuelle que les relations entre l’Église et l’État sont ainsi étudiées, ce qui certainement ne peut qu'influencer notre jugement.

Comme nous l’avons pu le noter, l’Église a enseigné dès ses origines la distinction – et non la séparation - des deux pouvoirs spirituel et temporel, pouvoirs qui régissent le monde, tout en insistant sur la primauté du spirituel sur le temporel, et sur leur nécessaire collaboration pour le bien de l’État. Tel est l’enseignement traditionnel de l’Église.

Saint Augustin nous expose deux cités aux principes contraires, la Cité de Dieu et la cité temporelle, cités mêlées ici-bas mais rivales et à la destinée différente. Le bonheur éternel appartient à ceux qui demeurent dans la Cité de Dieu. Il ne s’agit pas de confondre la Cité de Dieu avec l’Église et la cité terrestre avec l’État. Contrairement à certains commentateurs, Saint Augustin ne semble pas traiter des relations entre l’Église et l’État mais il cherche, dans son ouvrage, à identifier dans la marche du monde le développement de deux principes propres à ces cités. Dans un contexte particulier, pressentant aussi l’avenir, il cherche plus à désolidariser une civilisation particulière avec le christianisme. Nous-aussi, nous devons ne pas associer la société médiévale ou encore un régime particulier avec le christianisme, encore moins les confondre. Ce serait oublier la belle leçon de Saint Augustin.

Conclusion

Jusqu’au Ve siècle, l’Église a énoncé et défendu des principes clairs qui proviennent de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ces principes, elle les a en effet défendus contre des autorités païennes mais encore plus contre des autorités chrétiennes. Le contexte dans lequel elle évolue rend certains de ces principes plus insistants que d’autres. Face aux autorités politique païennes, elle prône davantage la distinction des pouvoirs. Face aux  autorités politiques chrétiennes, elle protège davantage la primauté du spirituel. Mais chaque fois, elle cherche à défendre sa liberté face aux abus du pouvoir temporel. Ainsi, le discours peut varier en fonction des circonstances sans que les principes ne soient reniés ou oubliés.

Dans ces deux cas, dans l’Empire romain païen ou chrétien, l’Église est face à une autorité temporelle bien constituée, forte d’une histoire et d’une tradition. Mais à partir du Ve siècle, se développe une nouvelle civilisation dont l’Église a fortement contribué à la naissance et au développement. Une civilisation chrétienne se lève peu à peu en Occident. Désormais, notre étude se porte sur ce Moyen-âge afin de connaître au-delà des préjugés et des positions idéologiques, l’enseignement de l’Église sur ses rapports avec l’État. L’Église est-elle restée fidèle à ses principes ou a-t-elle évolué au point qu’elle s’est déviée de sa route ? Cette question est primordiale encore aujourd’hui. Elle est aussi complexe. Elle est encore plus indispensable de nos jours pour distinguer la vérité dans les discours contemporains, si habiles en critiques et en remises en question faciles. Nombreux sont aussi ceux qui abusent de l’histoire pour de vains intérêts politiques


Référence
[1] Abbé Henri-Louis-Charles Maret, L’Église et l’État : cours de Sorbonne inédit (1850-1851), Cours-Chapitre II, Beauchesne Paris, 1979.

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