" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 27 janvier 2018

La fièvreuse Florence, au temps de la Renaissance : Savonarole, Marsile Ficin, Pic de la Mirandole...

Devant les abus et les scandales d’un clergé infidèle, devant la misère d’une Église en détresse, de nombreuses voix réclament un redressement avant que ne sombre le navire livré à lui-même. Soucieuses des âmes et débordantes de foi, des chrétiens ne baissent pas les bras. Elles veulent rénover l’édifice, purifier les pratiques religieuses, supprimer les abus qui se sont accumulés au cours du temps. Ils ne craignent pas de combattre pour rénover l’Église. Elles rêvent alors d’une Église plus rayonnante de la présence de Dieu, d’un clergé plus soucieux des biens de leurs fidèles et de leur paroisse, d’un peuple fervent dans un culte dépouillé de toutes les scories de l’histoire. Comment faire ? La solution qui leur paraît la plus évidente est celle de revenir à l’Église primitive. Ainsi, sûres de leurs remèdes, ces âmes prêchent le retour à l’Évangile et aux premiers temps de la communauté chrétienne. Mais cette idée ne conduit-elle pas à une erreur ? N’ouvre-t-elle pas la voie à une plus amère désillusion, à une impasse ? Car une telle réforme conduit à refuser toute valeur à l’histoire du christianisme. Au XVIe siècle, cette erreur a ouvert la voie au protestantisme, c’est-à-dire à la rupture.

Savonarole, le prêcheur enflammé

John Colet (1467-1519) est un de ces hommes fervents en quête de réformes. Il est fils d’un lord-maire de Londres. Après ses études à Oxford, il se rend en Italie en 1493, à Florence. Perdu dans une foule innombrable, subjugué comme elle, il entend du haut de sa chaire un petit homme maigre et sec, aux traits creusés, au regard enflammé. Il entend sa voix enflammée qui envahit toute la nef de Sainte-Marie-la-Fleur et attire tous les regards. L’immense cathédrale florentine est emplie de cette voix qui brûle les cœurs et enthousiasme les consciences. Sa parole vibre de vérité. « Arrive, Église infâme : écoute ce que le Seigneur te dit : Je t’ai donné de beaux vêtements, mais tu en as couvert des idoles, des vases précieux, mais tu en as exalté ton orgueil ! Mes sacrements, tu les as profanés par ta simonie ; la luxure a fait de toi une fille de joie, défigurée. Et tu ne rougis plus de tes péchés ! Ah ! Fille publique ! Assise sur le trône de Salomon, elle fait signe à tous les passants. Qui a de l’argent entre chez elle et en use à sa guise, mais qui veut le bien est jeté dehors ! »[1] Comme Jérémie ou Isaïe, sa voix pénétrante roule comme un tonnerre et fracasse le silence. Qui peut ne pas comprendre ces paroles ardentes ? Elles crient la ruine de l’Église. Ce moine dominicain est Jérôme Savonarole (1452-1498). Depuis sept ans, il brise le silence, aimante les foules et flagelle l’inconduite de l’Église. Elle est souillée, qu’elle se purifie ! Elle est pleine de misère, qu’elle se réveille ! La désolation est dans ses murs ! L’Envoyé de Dieu annonce l’imminence du jugement de Dieu !

Savonarole, maître de Florence

Partis pour conquérir le royaume de Naples, les Français de Charles VII font leur entrée à Asti en septembre 1494, puis à Pavie et Plaisance. L’arrivée des Français jette les Florentins dans l’affolement. Elle semble confirmer les prédictions de Savoranole. Elle est annoncée comme un châtiment envoyé par Dieu pour punir l’Italie dépravée. Savoranole désigne le roi de France Charles VII comme l’homme providentiel pour sauver l’Italie et l’Église. Capitulant avec de lourdes conditions, les Médicis sont déclarés traîtres à la République et doivent s’enfuir. Savonarole devient alors le véritable roi de la cité.

Pauvre homme que ce prophète ! Nul ne peut résister à sa voix. La ville entière tremble de son éloquence. Elle se fige dans la crainte. Son prophète règne. Le « bûcher des vanités » consume tout un passé honni. Les femmes jettent bijoux et belles toilettes, les banquiers restituent l’argent mal acquis, les dettes s’effacent, les tavernes se ferment. La moindre faute est châtiée. La moindre parole de travers est traquée. Les femmes fardées comme les bourgeois trop bien vêtus sont rossés dans la rue. La ville de luxe n’est plus l’ombre que d’elle-même. Mais quand Dieu a parlé, qui peut se taire ? N’est-il pas la parole de Dieu ?

La fin d’un prophète

Mais la réalité n’entend guère les discours enflammés. Les affaires marchent mal. Les chômeurs sont plus nombreux. La misère est plus grande. Les oreilles se lassent aussi des interminables sermons, des danses et des chants, des pleurnichards. Rome s’impatiente aussi. Elle s’inquiète de ces discours qui remettent en cause l’autorité. Le Pape Alexandre VI finit par intervenir…

Le 25 juillet 1495, le Pape demande à Savonarole de venir s’expliquer pour prouver l’origine divine de son inspiration. Savonarole refuse prétextant sa mauvaise santé et la nécessité de demeurer à Florence. Le Pape lui interdit alors de prêcher. Puis il rattache le couvent de Saint Marc, dont il est prieur, à la congrégation de Lombardie. Savonarole devra donc obéir à son nouveau supérieur qui est chargé de lui désigner une nouvelle résidence. En cas de désobéissance, il sera excommunié. Un nouveau bref d’Alexandre VI l’informe qu’il est prêt à ne pas maintenir ses ordres s’il cesse de prêcher.

Mais Savonarole poursuit ses furieuses diatribes, dénonçant encore plus les vices qui s’étalent à Rome, la nouvelle Babylone. Dans un langage violent et outré, il la déclare corrompue. Et il tente de prouver qu’il est impossible d’obéir à un ordre qui s’oppose à la charité et à l’Évangile. Six mois après, le Pape finit par l’excommunier. Enragé, le prophète se lance dans un réquisitoire furieux. « Arrive ici, Église infâme […] Tu as élevé une maison de débauche, tu t’es transformée de haut en bas en maison infâme. […] C’est ainsi, Église prostituée, que tu as dévoilé ta honte aux yeux de l’univers entier, et ton haleine empoisonnée s’est élevée jusqu’au ciel : partout tu as étalé ton impudicité. »[2] Alexandre VI n’est pas vraiment Pape ! C’est un « simoniaque, hérétique, infidèle ». Qui oserait encore défendre ce prophète au langage si virulent ? De telles invectives finissent par l’isoler.

Les adversaires de Savonarole deviennent plus agressifs. Contre lui, sont réunis les fidèles des Médicis, les partisans de la ligue italienne antifrançaise et ceux qui ne supportent plus la dictature des vertus. Le gouvernement de Florence finit à son tour par lui interdire toute prédication. Le Pape l’excommunie pour le double motif qu’il répand des doctrines pernicieuses et qu’il persévère dans sa désobéissance. Mais soutenu par ses partisans, qui ont repris le pouvoir, Savonarole ne soucie guère de sa condamnation et poursuit sa prédication. Le rebelle dénonce l’abus de pouvoir du Pape.

En février 1498, après différents signes de bienveillance, le Pape menace de jeter l’interdit sur la ville de Florence. Du haut de sa chair, Savonarole en appelle alors au pape céleste. Il envoie aussi des lettres aux princes chrétiens pour réclamer la convocation d’un concile en vue de le déposer. Il s’engage à prouver qu’il est simoniaque, hérétique et infidèle, y compris par des miracles. Or cet appel à un concile n’est pas un vain mot. Le danger est bien réel en ce temps où le Pape est si critiqué.

Comment le Pape peut-il braver la parole de Dieu ! Sa mission est divine. Mais le trouble se répand dans la cité de Florence. L’épreuve de feu en serait une preuve éclatante, lance-t-il plusieurs fois. Un franciscain le prend alors au mot. Il s’offre à la subir avec lui. Savonarole se dérobe. Un dominicain, convaincu que le ciel interviendrait en faveur de son maître, prend sa place. Mais une dispute s’engage. Le dominicain veut porter le Saint Sacrement au lieu du crucifix alors que le franciscain et la foule protestent contre cette profanation. Et la pluie disperse la foule déçue. S’en est fini du prophète. Le couvent de Saint Marc est envahi par une foule en colère, qui se sent abusée de sa bonne foi et de sa crédulité. Le lendemain, il est arrêté, emprisonné, désavoué par ses disciples sauf deux. Les maîtres de la ville de Florence les condamnent à mort. Le lendemain, le 23 mai 1498, ils sont pendus. Un bûcher flambe pour lui et ses deux compagnons fidèles.

Que penser de Savonarole ? Certains, dont Saint François de Paul ou Saint Philippe de Néri, l'ont regardé  comme une victime injustement condamnée, un religieux aux mœurs irréprochables. D’autres n’ont vu que son rôle politique et l’ont condamné sévèrement. Il est vrai que son idéal a été corrompu par des pensées politiques. Il comptait trop sur le roi de France Charles VII pour opérer une réforme. Il a surtout été un agitateur au verbe excessif, à la violence verbale, dépassant parfois toute mesure. Enfin, il serait faux de le voir comme un précurseur du protestantisme comme certains luthériens le croyaient. Il n’a cherché qu’à réformer les mœurs sans toucher aux dogmes. Les deux ouvrages qu’il a écrits, le Traité de l’amour de Dieu et le Triomphe de la Croix, suffisent à contredire ce présupposé héritage.

Marsile Ficin (1433-1499), l’étoile de l’humanisme florentin

Durant son séjour en Italie (1493-1496), John Colet rencontre aussi Marcile Ficin, un des grands humanistes italiens, également chanoine. Théologien, il est un philosophe platonicien. La traduction latine des livres de Platon (1483-1484) est l’œuvre de sa vie. Il a aussi restitué d’autres livres d’auteurs antiques platoniciens ou néoplatoniciens (Plotin, Porphyre, Jamblique, etc.). Il s’oppose donc naturellement à l’aristotélisme de son époque, qu’il accuse de détruire la religion, et bien naturellement Saint Thomas d’Aquin.

Marcile Ficin tente une synthèse du christianisme et du platonisme, ou une certaine conciliation, notamment dans deux de ses livres, De Christiana Religion, en 1474, et Theologica Platonica, en 1482. Dans ces deux ouvrages, il démontre les vérités chrétiennes et l’immortalité de l’âme à l’aide du platonisme. Mais il s’agit plutôt de fondre la pensée platonicienne dans le christianisme. Il considère Platon comme un précurseur de Notre Jésus-Christ. Il défend en effet l’idée que les Grecs et les Romains ont conservé les dogmes chrétiens de la religion primitive. Pour le prouver, non seulement il démontre la valeur d’enseignement des mythes grecs que rapportent Pythagore ou Platon mais aussi la concordance entre les traditions platoniciennes et les vérités du christianisme. Il défend aussi l’idée d’une religion universelle où tous les hommes seraient unis. Cette religion ne pourrait qu’être la religion naturelle vers laquelle tout homme est naturellement porté, hors de tout mythe et de toute foi aveugle.

John Colet a-t-il profité de son séjour pour se rendre à l’académie platonicienne à Carregi que Marsile Ficin anime ? C’est Cosme de Médicis qui fonde cette académie en 1459. Il le protège et le soutient depuis qu’il a accédé au pouvoir en 1434. Son petit-fils Laurent le Magnifique est un mécène encore plus généreux. Il ne recule devant aucun sacrifice pour soutenir les humanistes florentins. Lorsque les Turcs envahissent la Grèce, il accueille tous les savants grecs. qui font découvrir les beautés de l'antiquité et les doctrines néoplatoniciennes. L’arrivée de nombreux philosophes grecs en Italie puis en Europe permet à la pensée philosophique occidentale de se rénover face à une scolastique en déclin et à un retour aux sources antiques.

Dans un cadre plaisant et poétique, dans un jardin joliment décoré, des humanistes se retrouvent comme seuls dépositaires des textes grecs et seuls interprètes de l’antiquité. Platon y règne. Mais les sages réunis ne traitent pas uniquement des problèmes littéraires et philosophiques. Des questions religieuses et sociales ainsi que de la réforme intellectuelle et morale sont aussi prises en compte. Tout est bon pour élever la dignité morale jusqu’à la perfection. On y écoute aussi la prédication de Savonarole qui, au moins pendant les premiers mois, semble répondre à la rénovation souhaitée du monde chrétien.

Savonarole ne laisse pas insensibles les humanistes florentins. Marsile Ficin l’écoute avec attention, même s’il n’apprécie guère ses accents catastrophiques. Au contraire du prophète, il considère son temps comme un âge d’or. « Si nous devons parler d’un âge d’or, c’est assurément de celui qui produit des esprits d’or. Et que notre siècle soit précisément celui-là, nul n’en peut douter qui considère ses admirables inventions : notre siècle, notre âge d’or, a ramené au jour les arts libéraux qui étaient presqu’abolis, grammaire, poésie, rhétorique, peinture, architecture, musique et l’antique chant de la lyre d’Orphée. Et cela à Florence. »[3] Les premiers mois de Laurent Le Magnifique sont pour Marsile Ficin un véritable rêve. Les mœurs de la Grèce sont de retour. Athènes renaît à Florence.

Pic de la Mirandole, un autre visage de l’humanisme

John Colet, a-t-il eu aussi le temps de connaître l’autre humaniste Jean Pic de la Mirandole (1463-1494), ou plus exactement Giovanni Pico della Mirandola, avant que ce dernier ne succombe à une terrible et mortelle fièvre ? Quel homme que celui-ci ! Extraordinaire érudit de la Renaissance italienne…

Après des études en droit à Bologne, Pic de la Mirandole décide de s’instruire dans tous les domaines de la connaissance en allant d’université en université, de Rome à Paris. Il possède une des bibliothèques les plus réputées de son temps. Il apprend l’hébreu et l’arabe auprès de maîtres juifs. Il connaît le chaldéen. Il s’initie aussi à la Kabbale. Il invite aussi tous les érudits à débattre avec lui sur ses fameuses neuf cents thèses qu’il publie sous le titre de Conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques, dans lesquelles il démontre la concordance de toutes les philosophies. Il défend notamment l’unité des religions chrétienne, juive et musulmane, comme de la culture païenne avec la religion révélée. Pour défendre ses idées, il n’hésite pas à s’appuyer sur des textes juifs, sur la doctrine ésotérique de l’orphisme et à la Kabbale. Mais le 31 mars 1487, certaines de ses conclusions sont jugées génétiques par une commission pontificale. Pour se défendre, Pic de la Mirandole dénonce l’ignorance de ces juges. Le 5 août 1487, le Pape condamne en bloc ses neuf cents thèses. Après un séjour dans le donjon de Vincennes, il est placé sous la protection de Laurent le Magnifique. À Florence, il se rapproche de Savonarole avant qu’il ne succombe à une étrange fièvre.

John Colet est sans-doute présent lors de ses funérailles. Savonarole y prononce son oraison funèbre. Peut-être a-t-il vu aussi l’enterrement de Politien, autre grand humaniste florentin. Peu à peu, les étoiles brillantes de Florence s’éteignent, les unes après les autres. 

Vers une nouvelle religion ?

Marsile Ficin et Pic de la Mirandole partagent un syncrétisme philosophique, voire religieux. Ils défendent l’idée que la vérité est présente partout, disséminée dans tous les systèmes. Ainsi, Pic de la Mirandole, cherche-t-il à récupérer la totalité du savoir humain afin d’identifier les concordances entre les philosophies, les mythes et les religions, et ainsi établir l’unité encyclopédique des connaissances. Contrairement à Ficin, il étend le domaine de la connaissance à Aristote et à ses commentateurs arabes, aux scolastiques et à la Kabbale juive. Ses neuf cents thèses s’appuient sur les philosophes et théologiens latins, sur les péripatéticiens arabes et grecs, sur les néoplatoniciens et enfin sur la tradition ésotérique. Les mythes ne sont pas délaissés. Il les considère comme des reliques de la sagesse des premiers théologiens. Or Marsile Ficin se restreint au platonisme et au néoplatonisme, méprisant les scolastiques. Il est aussi plus tourné vers la religion naturelle.

Un autre sujet divise Pic de la Mirandole et ses compagnons de lettres. Dans une lettre adressée à son amie Ermolao Barbaro, il condamne l’éloquence et la rhétorique des premiers humanistes. « Dans les assemblées des philosophes et des savants, il ne s’agit pas de discuter sur la mère d’Andromaque, ni sur les fils de Niobé et les vaines futilités de ce genre, mais sur les principes des choses humaines et divines »[4]. Ton beau langage suppose même un soupçon de corruption. En fait, Pic de la Mirandole est moins porté par la beauté contrairement à Marsile Ficin. 

La différence entre ces deux humanistes est encore plus révélatrice dans Commento (1486). Pic de la Mirandole commente un texte de Ficin, lui-même un commentaire d’un texte de Platon. Pour Ficin, la beauté terrestre, c’est-à-dire visible, participe à la beauté céleste. Or pour Pic de la Mirandole, ces deux beautés sont distinctes. « L’âme peut être très efficacement libérée de cette misérable prison par le chemin de l’amour qui, grâce à la beauté corporelle du monde sensible, réveille en elle la part intellectuelle et l’y convertit pour la faire passer de la vie terrestre, songé né d’une ombre comme l’écrit justement Pindare, à la vie éternelle où, purifiée par l’amoureuse flamme, elle revêt sa forme angélique dans la plus grande des félicités. »[5] Ficin défend l’ascension de l’âme du sensible vers l’intelligible. Pic de la Mirandole oppose le renoncement et le sacrifice du sensible comme condition préalable à l’initiation au pur intelligible. Se convertir vers l’un suppose qu’on se divertit de l’autre. Nous comprenons donc que les sermons de Savonarole soient plus accessibles à Pic de la Mirandole qu’à Marsile Fircin.

John Colet, l’un des réformateurs d’Oxford

Qu’a retenu John Colet de son séjour à Florence ? Il est gagné par le néoplatonisme au point qu’Érasme dit de lui : « lorsque je l’écoute, il me semble entendre Platon lui-même. »[6] Cependant, ce n’est pas cela qui le préoccupe. Il est encore vibrant de la voix de Savonarole. Il est convaincu de la nécessité d’une réforme dans l’Église. Certes, « il se fait l’avocat vigoureux d’une réforme de la discipline au sein de l’Église et dénonce la corruption, la simonie, la non-résidence, le mode de vie, enfin les excès de toutes sortes qui lui paraissent affecter le clergé anglais. »[7] 

Au cours de ses conférences qui attirent une foule considérable, John Colet remet notamment en cause le célibat des prêtres. Mais, il est surtout convaincu que la réforme passe nécessairement par le retour à l’Évangile. Ainsi il développe une exégèse plus abordable au grand public et cherche à rendre la Bible plus accessible aux fidèles. Dès 1496, il ouvre un cours public sur les Épîtres de Saint Paul. Il fait de nombreuses conférences à la cathédrale de Saint Paul, dans lequel il recourt constamment aux Écritures. Enfin, il traduit le Nouveau Testament en anglais.

Parmi ses élèves, nous pouvons noter la présence d’Érasme. Ses commentaires sur les épîtres de Saint Paul l’enthousiasme. Toutefois, Érasme regrette ses faiblesses en grec. La vaste culture de son maître et ami, sa formation théologique et philosophique, sa connaissance des Pères ainsi le soutien de la méditation et de la prière semblent suffire à John Colet. En outre, il insiste davantage sur le sens littéral qu’il considère comme la seule valable.

Le dernier discours

En l’année 1511, comme il est le doyen de Saint Paul, John Colet est chargé de prononcer le discours d’ouverture de l’assemblée du haut clergé réuni pour mettre fin à la propagande des Lollards. Cette secte provient des disciples de Wiclef, hérétique du XIVe siècle. Elle a survécu à de terribles répressions comme aux diverses condamnations. Son maître professait une totale détermination et donc la double prédestination des sauvés et des damnés. Il ne croyait qu’en une Église spirituelle, composée uniquement des prédestinés à la gloire. Il s’oppose donc à hiérarchie dans l’Église, aux enseignants attitrés. Seule compte la Bible. Seule, elle peut être le guide de tout élu. Les sacrements n’ont aucune valeur. Ainsi les Lollards n’ont eu aucune difficulté pour rejoindre les Luthériens…

Mais au lieu de fulminer contre la secte, John Colet s’attache à démontrer que la réforme intérieure de l’Église est urgente et qu’elle est le meilleur moyen pour lutter contre l’hérésie. Croyant entendre dans son discours la défense des Lollards, son évêque lance contre lui une accusation formelle d’hérésie sous prétexte qu’il a rejeté le culte des saints et des images. Protégé par l’archevêque de Cantorbéry, les poursuites cessent. Mais il se démet de ses fonctions et se cantonne à enseigner jusqu’à sa mort en 1519.

Conclusions

Au XVIe siècle, pendant qu’une voix se lamente de l’état affligeant de l’Église, d’autres, admiratifs des nouvelles connaissances qu’ils s’ouvrent à eux, songent à un nouveau christianisme, voire à une nouvelle religion. C’est un siècle où les idées fusent et s’entremêlent, où les autorités religieuses perdent leur crédibilité. Et ces idées se répandent dans cette société où les hommes circulent et échangent énormément. Mais est-ce suffisant pour enrichir les âmes et leur donner la paix ? Une telle diffusion sans contrôle sème la confusion. Elle brise les certitudes et bouscule l’esprit. Elle apporte rupture. Et au même moment, le spectacle des mœurs scandaleuses fait naître dans beaucoup d’âmes la vocation de prophètes, qui, sûrs d’eux-mêmes, s’arrogent le droit de désobéir aux autorités. Les hommes sont alors prêts à tout entendre. Mais Savonarole a fait l’amère expérience de leur versatilité et de la fragilité de la popularité. Tout est vain. Lâché politiquement, il a vu subitement son étoile brisée dans le feu.

Savonarole crie la fin du monde quand Marsile Ficin chante l’âge d’or de l’humanité. Deux aspects d’un même monde, deux regards sur la même société. Le premier voit les malheurs du temps quand le second se nourrit des connaissances qui s’ouvrent à lui. Quel contraste ! Vivent-ils dans la même réalité ?

John Colet a bien raison : au XVIe siècle, l’Église a urgemment besoin d’une réforme pour lutter contre les hérésies. Or Savonarole ne comprend pas que cette réforme ne peut passer que par le Pape et non contre lui. La réforme est en effet d’abord celle de l’autorité de l’Église. Là résident le problème et la solution. C’est en effet à elle de faire cesser les scandales et de consolider la doctrine. En un temps d’un tel fusionnement d’idée et de relâchement moral, la solution relève nécessairement de l’autorité. Mais que faire lorsque cette même autorité est défaillante ? Le succès de Luther s’explique par cette défaillance…



Notes et références 

[1] Savonarole, cité d’après Pastor, Histoire des Papes depuis la fin du Moyen-âge, 1925, VI, dans Histoire générale de l’Église, A. Boulenger, Tome II, Le Moyen-âge, volume VII, De Clément V à la Réforme, 1305-1517, n°144, 1936.
[2] Savonarole, cité d’après Pastor, Histoire des Papes depuis la fin du Moyen-âge, 1925, VI, n°144, dans Histoire générale de l’Église, A. Boulenger.
[3] Marsile Ficin dans Marsile Ficin et l’art, André Chastel, 2e édition, Librairie Droz, 1996.
[4] Pic de la Mirandole, Lettres à Remolat Barbaro, Œuvres philosophiques, 1993, dans www.jdarriulat.net, Pic de la Mirandole (1463-1494), 29 octobre 2007.
[5] Pic de la Mirandole, Commento, dans www.jdarriulat.net, Pic de la Mirandole (1463-1494).
[6] Érasme, dans L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une révolution religieuse : la réforme protestante, Librairie Arthème Fayard, 1955.
[7] Roland Marx, article « John Colet », Dictionnaire de la Renaissance, Encyclopedia universalis, 2016.

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