Devant
les abus et les scandales d’un clergé infidèle, devant la misère d’une Église
en détresse, de nombreuses voix réclament un redressement avant que ne sombre
le navire livré à lui-même. Soucieuses des âmes et débordantes de foi, des
chrétiens ne baissent pas les bras. Elles veulent rénover l’édifice, purifier
les pratiques religieuses, supprimer les abus qui se sont accumulés au cours du
temps. Ils ne craignent pas de combattre pour rénover l’Église. Elles rêvent
alors d’une Église plus rayonnante de la présence de Dieu, d’un clergé plus
soucieux des biens de leurs fidèles et de leur paroisse, d’un peuple fervent
dans un culte dépouillé de toutes les scories de l’histoire. Comment faire ? La solution qui leur
paraît la plus évidente est celle de revenir à l’Église primitive. Ainsi, sûres
de leurs remèdes, ces âmes prêchent le retour à l’Évangile et aux premiers
temps de la communauté chrétienne. Mais cette idée ne conduit-elle pas à une
erreur ? N’ouvre-t-elle pas la voie à une plus amère désillusion, à une
impasse ? Car une telle réforme conduit à refuser toute valeur à
l’histoire du christianisme. Au XVIe siècle, cette erreur a ouvert la voie au
protestantisme, c’est-à-dire à la rupture.
Savonarole,
le prêcheur enflammé
John
Colet (1467-1519) est un de ces hommes fervents en quête de réformes. Il est fils d’un lord-maire de
Londres. Après ses études à Oxford, il se rend en Italie en 1493, à Florence. Perdu dans
une foule innombrable, subjugué comme elle, il entend du haut de sa chaire un
petit homme maigre et sec, aux traits creusés, au regard enflammé. Il entend sa
voix enflammée qui envahit toute la nef de Sainte-Marie-la-Fleur et attire tous
les regards. L’immense cathédrale florentine est emplie de cette voix qui brûle
les cœurs et enthousiasme les consciences. Sa parole vibre de vérité. « Arrive, Église infâme : écoute ce que
le Seigneur te dit : Je t’ai donné de beaux vêtements, mais tu en as
couvert des idoles, des vases précieux, mais tu en as exalté ton orgueil !
Mes sacrements, tu les as profanés par ta simonie ; la luxure a fait de
toi une fille de joie, défigurée. Et
tu ne rougis plus de tes péchés ! Ah ! Fille publique ! Assise
sur le trône de Salomon, elle fait signe à tous les passants. Qui a de l’argent
entre chez elle et en use à sa guise, mais qui veut le bien est jeté dehors ! »[1] Comme
Jérémie ou Isaïe, sa voix pénétrante roule comme un tonnerre et fracasse le
silence. Qui peut ne pas comprendre ces paroles ardentes ? Elles
crient la ruine de l’Église. Ce moine dominicain est Jérôme Savonarole (1452-1498). Depuis
sept ans, il brise le silence, aimante les foules et flagelle l’inconduite de
l’Église. Elle est souillée, qu’elle se purifie ! Elle est pleine de
misère, qu’elle se réveille ! La désolation est dans ses murs ! L’Envoyé de
Dieu annonce l’imminence du jugement de Dieu !
Savonarole,
maître de Florence
Partis
pour conquérir le royaume de Naples, les Français de Charles VII font leur
entrée à Asti en septembre 1494, puis à Pavie et Plaisance. L’arrivée des
Français jette les Florentins dans l’affolement. Elle semble confirmer les
prédictions de Savoranole. Elle est annoncée comme un
châtiment envoyé par Dieu pour punir l’Italie dépravée. Savoranole désigne le
roi de France Charles VII comme l’homme providentiel pour sauver l’Italie et
l’Église. Capitulant avec de lourdes conditions, les Médicis sont déclarés
traîtres à la République et doivent s’enfuir. Savonarole devient alors le
véritable roi de la cité.
Pauvre
homme que ce prophète ! Nul ne peut résister à sa voix. La ville entière
tremble de son éloquence. Elle se fige dans la crainte. Son prophète règne. Le
« bûcher des vanités »
consume tout un passé honni. Les femmes jettent bijoux et belles toilettes, les
banquiers restituent l’argent mal acquis, les dettes s’effacent, les tavernes
se ferment. La moindre faute est châtiée. La moindre parole de travers est
traquée. Les femmes fardées comme les bourgeois trop bien vêtus sont rossés
dans la rue. La ville de luxe n’est plus l’ombre que d’elle-même. Mais quand
Dieu a parlé, qui peut se taire ? N’est-il pas la parole de Dieu ?
La
fin d’un prophète
Mais
la réalité n’entend guère les discours enflammés. Les affaires marchent mal.
Les chômeurs sont plus nombreux. La misère est plus grande. Les oreilles se
lassent aussi des interminables sermons, des danses et des chants, des pleurnichards.
Rome s’impatiente aussi. Elle s’inquiète de ces discours qui remettent en cause
l’autorité. Le Pape Alexandre VI finit par intervenir…
Le
25 juillet 1495, le Pape demande à Savonarole de venir s’expliquer pour prouver
l’origine divine de son inspiration. Savonarole refuse prétextant sa mauvaise
santé et la nécessité de demeurer à Florence. Le Pape lui interdit alors de
prêcher. Puis il rattache le couvent de Saint Marc, dont il est prieur, à la
congrégation de Lombardie. Savonarole devra donc obéir à son nouveau supérieur
qui est chargé de lui désigner une nouvelle résidence. En cas de désobéissance,
il sera excommunié. Un nouveau bref d’Alexandre VI l’informe qu’il est prêt à
ne pas maintenir ses ordres s’il cesse de prêcher.
Mais
Savonarole poursuit ses furieuses diatribes, dénonçant encore plus les vices
qui s’étalent à Rome, la nouvelle Babylone. Dans un langage violent et outré,
il la déclare corrompue. Et il tente de prouver qu’il est impossible d’obéir à
un ordre qui s’oppose à la charité et à l’Évangile. Six mois après, le Pape
finit par l’excommunier. Enragé, le prophète se lance dans un réquisitoire
furieux. « Arrive ici, Église infâme
[…] Tu as élevé une maison de débauche, tu t’es transformée de haut en bas en
maison infâme. […] C’est ainsi, Église prostituée, que tu as dévoilé ta honte
aux yeux de l’univers entier, et ton haleine empoisonnée s’est élevée jusqu’au
ciel : partout tu as étalé ton impudicité. »[2] Alexandre
VI n’est pas vraiment Pape ! C’est un « simoniaque, hérétique, infidèle ». Qui oserait encore défendre
ce prophète au langage si virulent ? De telles invectives finissent par
l’isoler.
Les
adversaires de Savonarole deviennent plus agressifs. Contre lui, sont réunis
les fidèles des Médicis, les partisans de la ligue italienne antifrançaise et
ceux qui ne supportent plus la dictature des vertus. Le gouvernement de Florence
finit à son tour par lui interdire toute prédication. Le Pape l’excommunie pour
le double motif qu’il répand des doctrines pernicieuses et qu’il persévère dans
sa désobéissance. Mais soutenu par ses partisans, qui ont repris le pouvoir,
Savonarole ne soucie guère de sa condamnation et poursuit sa prédication. Le
rebelle dénonce l’abus de pouvoir du Pape.
En
février 1498, après différents signes de bienveillance, le Pape menace de jeter
l’interdit sur la ville de Florence. Du haut de sa chair, Savonarole en appelle
alors au pape céleste. Il envoie aussi des lettres aux princes chrétiens pour
réclamer la convocation d’un concile en vue de le déposer. Il s’engage à
prouver qu’il est simoniaque, hérétique et infidèle, y compris par des
miracles. Or cet appel à un concile n’est pas un vain mot. Le danger est bien
réel en ce temps où le Pape est si critiqué.
Comment
le Pape peut-il braver la parole de Dieu ! Sa mission est divine. Mais le
trouble se répand dans la cité de Florence. L’épreuve de feu en serait une
preuve éclatante, lance-t-il plusieurs fois. Un franciscain le prend alors au
mot. Il s’offre à la subir avec lui. Savonarole se dérobe. Un dominicain,
convaincu que le ciel interviendrait en faveur de son maître, prend sa place.
Mais une dispute s’engage. Le dominicain veut porter le Saint Sacrement au lieu
du crucifix alors que le franciscain et la foule protestent contre cette
profanation. Et la pluie disperse la foule déçue. S’en est fini du prophète. Le
couvent de Saint Marc est envahi par une foule en colère, qui se sent abusée de
sa bonne foi et de sa crédulité. Le lendemain, il est arrêté, emprisonné,
désavoué par ses disciples sauf deux. Les maîtres de la ville de Florence les
condamnent à mort. Le lendemain, le 23 mai 1498, ils sont pendus. Un bûcher
flambe pour lui et ses deux compagnons fidèles.
Que penser de Savonarole ? Certains,
dont Saint François de Paul ou Saint Philippe de Néri, l'ont regardé comme une victime injustement condamnée, un religieux aux mœurs irréprochables.
D’autres n’ont vu que son rôle politique et l’ont condamné sévèrement. Il est vrai que son
idéal a été corrompu par des pensées politiques. Il comptait trop sur le roi de
France Charles VII pour opérer une réforme. Il a surtout été un agitateur au
verbe excessif, à la violence verbale, dépassant parfois toute mesure. Enfin, il
serait faux de le voir comme un précurseur du protestantisme comme certains
luthériens le croyaient. Il n’a cherché qu’à réformer les mœurs sans toucher
aux dogmes. Les deux ouvrages qu’il a écrits, le Traité de l’amour de Dieu et
le Triomphe de la Croix, suffisent à contredire ce présupposé héritage.
Marsile
Ficin (1433-1499), l’étoile de l’humanisme florentin
Durant
son séjour en Italie (1493-1496), John Colet rencontre aussi Marcile Ficin, un
des grands humanistes italiens, également chanoine. Théologien, il est un
philosophe platonicien. La traduction latine
des livres de Platon (1483-1484) est l’œuvre de sa vie. Il a aussi restitué d’autres
livres d’auteurs antiques platoniciens ou néoplatoniciens (Plotin, Porphyre,
Jamblique, etc.). Il s’oppose donc naturellement à l’aristotélisme de son
époque, qu’il accuse de détruire la religion, et bien naturellement Saint
Thomas d’Aquin.
Marcile
Ficin tente une synthèse du christianisme et du platonisme, ou une certaine
conciliation, notamment dans deux de ses livres, De Christiana Religion,
en 1474, et Theologica Platonica, en 1482. Dans ces deux ouvrages, il
démontre les vérités chrétiennes et l’immortalité de l’âme à l’aide du platonisme.
Mais il s’agit plutôt de fondre la pensée platonicienne dans le christianisme.
Il considère Platon comme un précurseur de Notre Jésus-Christ. Il défend en
effet l’idée que les Grecs et les Romains ont conservé les dogmes chrétiens
de la religion primitive. Pour le prouver, non seulement il démontre la valeur
d’enseignement des mythes grecs que rapportent Pythagore ou Platon mais aussi
la concordance entre les traditions platoniciennes et les vérités du
christianisme. Il défend aussi l’idée d’une religion universelle où tous les
hommes seraient unis. Cette religion ne pourrait qu’être la religion naturelle vers laquelle tout homme est naturellement porté, hors de tout mythe et de
toute foi aveugle.
John
Colet a-t-il profité de son séjour pour se rendre à l’académie platonicienne à Carregi
que Marsile Ficin anime ? C’est Cosme de Médicis qui fonde cette académie en
1459. Il le protège et le soutient depuis qu’il a accédé au pouvoir en 1434. Son
petit-fils Laurent le Magnifique est un mécène encore plus généreux. Il ne
recule devant aucun sacrifice pour soutenir les humanistes florentins. Lorsque
les Turcs envahissent la Grèce, il accueille tous les savants grecs. qui font découvrir les beautés de l'antiquité et les
doctrines néoplatoniciennes. L’arrivée de nombreux philosophes grecs en Italie
puis en Europe permet à la pensée philosophique occidentale de se rénover face
à une scolastique en déclin et à un retour aux sources antiques.
Dans
un cadre plaisant et poétique, dans un jardin joliment décoré, des humanistes
se retrouvent comme seuls dépositaires des textes grecs et seuls interprètes de
l’antiquité. Platon y règne. Mais les sages réunis ne traitent pas uniquement
des problèmes littéraires et philosophiques. Des questions religieuses et
sociales ainsi que de la réforme intellectuelle et morale sont aussi prises en
compte. Tout est bon pour élever la dignité morale jusqu’à la perfection. On y
écoute aussi la prédication de Savonarole qui, au moins pendant les premiers
mois, semble répondre à la rénovation souhaitée du monde chrétien.
Savonarole ne laisse pas insensibles les humanistes florentins. Marsile Ficin
l’écoute avec attention, même s’il n’apprécie guère ses accents catastrophiques.
Au contraire du prophète, il considère son temps comme un âge d’or. « Si nous devons parler d’un âge d’or, c’est
assurément de celui qui produit des esprits d’or. Et que notre siècle soit
précisément celui-là, nul n’en peut douter qui considère ses admirables
inventions : notre siècle, notre âge d’or, a ramené au jour les arts
libéraux qui étaient presqu’abolis, grammaire, poésie, rhétorique, peinture,
architecture, musique et l’antique chant de la lyre d’Orphée. Et cela à
Florence. »[3] Les
premiers mois de Laurent Le Magnifique sont pour Marsile Ficin un véritable
rêve. Les mœurs de la Grèce sont de retour. Athènes renaît à Florence.
Pic
de la Mirandole, un autre visage de l’humanisme
John
Colet, a-t-il eu aussi le temps de connaître l’autre humaniste Jean Pic de la
Mirandole (1463-1494), ou plus exactement Giovanni Pico della Mirandola,
avant que ce dernier ne succombe à une terrible et mortelle fièvre ? Quel homme que celui-ci !
Extraordinaire érudit de la Renaissance italienne…
Après
des études en droit à Bologne, Pic de la Mirandole décide de s’instruire dans
tous les domaines de la connaissance en allant d’université en université, de
Rome à Paris. Il possède une des bibliothèques les plus réputées de son temps. Il
apprend l’hébreu et l’arabe auprès de maîtres juifs. Il connaît le chaldéen. Il
s’initie aussi à la Kabbale. Il invite aussi tous les érudits à débattre avec
lui sur ses fameuses neuf cents thèses qu’il publie sous le titre de Conclusions
philosophiques, cabalistiques et théologiques, dans lesquelles il
démontre la concordance de toutes les philosophies. Il défend notamment l’unité
des religions chrétienne, juive et musulmane, comme de la culture païenne avec
la religion révélée. Pour défendre ses idées, il n’hésite pas à s’appuyer sur
des textes juifs, sur la doctrine ésotérique de l’orphisme et à la Kabbale. Mais
le 31 mars 1487, certaines de ses conclusions sont jugées génétiques par une
commission pontificale. Pour se défendre, Pic de la Mirandole dénonce
l’ignorance de ces juges. Le 5 août 1487, le Pape condamne en bloc ses neuf
cents thèses. Après un séjour dans le donjon de Vincennes, il est placé sous la
protection de Laurent le Magnifique. À Florence, il se rapproche de Savonarole
avant qu’il ne succombe à une étrange fièvre.
John Colet est sans-doute présent lors de ses funérailles. Savonarole y prononce son oraison funèbre. Peut-être a-t-il vu aussi l’enterrement de
Politien, autre grand humaniste florentin. Peu à peu, les étoiles brillantes de
Florence s’éteignent, les unes après les autres.
Vers
une nouvelle religion ?
Marsile Ficin et Pic de la Mirandole partagent un syncrétisme philosophique,
voire religieux. Ils défendent l’idée que la vérité est présente partout,
disséminée dans tous les systèmes. Ainsi, Pic de la Mirandole, cherche-t-il à
récupérer la totalité du savoir humain afin d’identifier les concordances entre
les philosophies, les mythes et les religions, et ainsi établir l’unité
encyclopédique des connaissances. Contrairement à Ficin, il étend le domaine de
la connaissance à Aristote et à ses commentateurs arabes, aux scolastiques et à
la Kabbale juive. Ses neuf cents thèses s’appuient sur les philosophes et
théologiens latins, sur les péripatéticiens arabes et grecs, sur les
néoplatoniciens et enfin sur la tradition ésotérique. Les mythes ne sont pas
délaissés. Il les considère comme des reliques de la sagesse des premiers
théologiens. Or Marsile Ficin se restreint au platonisme et au néoplatonisme,
méprisant les scolastiques. Il est aussi plus tourné vers la religion
naturelle.
Un
autre sujet divise Pic de la Mirandole et ses compagnons de lettres. Dans une
lettre adressée à son amie Ermolao Barbaro, il condamne l’éloquence et la
rhétorique des premiers humanistes. « Dans
les assemblées des philosophes et des savants, il ne s’agit pas de discuter sur
la mère d’Andromaque, ni sur les fils de Niobé et les vaines futilités de ce
genre, mais sur les principes des choses humaines et divines »[4]. Ton
beau langage suppose même un soupçon de corruption. En fait, Pic de la
Mirandole est moins porté par la beauté contrairement à Marsile Ficin.
La
différence entre ces deux humanistes est encore plus révélatrice dans Commento
(1486). Pic de la Mirandole commente un texte de Ficin, lui-même un commentaire
d’un texte de Platon. Pour Ficin, la beauté terrestre, c’est-à-dire visible,
participe à la beauté céleste. Or pour Pic de la Mirandole, ces deux beautés
sont distinctes. « L’âme peut être
très efficacement libérée de cette misérable prison par le chemin de l’amour
qui, grâce à la beauté corporelle du monde sensible, réveille en elle la part
intellectuelle et l’y convertit pour la faire passer de la vie terrestre, songé
né d’une ombre comme l’écrit justement Pindare, à la vie éternelle où, purifiée
par l’amoureuse flamme, elle revêt sa forme angélique dans la plus grande des
félicités. »[5] Ficin défend
l’ascension de l’âme du sensible vers l’intelligible. Pic de la Mirandole oppose le renoncement
et le sacrifice du sensible comme condition préalable à l’initiation au pur
intelligible. Se convertir vers l’un suppose qu’on se divertit de l’autre. Nous
comprenons donc que les sermons de Savonarole soient plus accessibles à Pic de
la Mirandole qu’à Marsile Fircin.
John
Colet, l’un des réformateurs d’Oxford
Qu’a
retenu John Colet de son séjour à Florence ? Il est gagné par le
néoplatonisme au point qu’Érasme dit de lui : « lorsque je l’écoute, il me semble entendre Platon lui-même. »[6] Cependant,
ce n’est pas cela qui le préoccupe. Il est encore vibrant de la voix de
Savonarole. Il est convaincu de la nécessité d’une réforme dans l’Église.
Certes, « il se fait l’avocat
vigoureux d’une réforme de la discipline au sein de l’Église et dénonce la
corruption, la simonie, la non-résidence, le mode de vie, enfin les excès de
toutes sortes qui lui paraissent affecter le clergé anglais. »[7]
Au cours
de ses conférences qui attirent une foule considérable, John Colet remet notamment en
cause le célibat des prêtres. Mais, il est surtout convaincu que la réforme
passe nécessairement par le retour à l’Évangile. Ainsi il développe une exégèse
plus abordable au grand public et cherche à rendre la Bible plus accessible aux
fidèles. Dès 1496, il ouvre un cours public sur les Épîtres de Saint Paul. Il
fait de nombreuses conférences à la cathédrale de Saint Paul, dans lequel il
recourt constamment aux Écritures. Enfin, il traduit le Nouveau Testament en
anglais.
Parmi
ses élèves, nous pouvons noter la présence d’Érasme. Ses commentaires sur les
épîtres de Saint Paul l’enthousiasme. Toutefois, Érasme regrette ses faiblesses
en grec. La vaste culture de son maître et ami, sa formation théologique et
philosophique, sa connaissance des Pères ainsi le soutien de la méditation et
de la prière semblent suffire à John Colet. En outre, il insiste davantage sur
le sens littéral qu’il considère comme la seule valable.
Le
dernier discours
En
l’année 1511, comme il est le doyen de Saint Paul, John Colet est chargé de
prononcer le discours d’ouverture de l’assemblée du haut clergé réuni pour
mettre fin à la propagande des Lollards. Cette secte provient des disciples de Wiclef, hérétique du XIVe siècle. Elle a survécu à de terribles répressions comme aux
diverses condamnations. Son maître professait une totale détermination et donc
la double prédestination des sauvés et des damnés. Il ne croyait qu’en une
Église spirituelle, composée uniquement des prédestinés à la gloire. Il
s’oppose donc à hiérarchie dans l’Église, aux enseignants attitrés. Seule
compte la Bible. Seule, elle peut être le guide de tout élu. Les sacrements
n’ont aucune valeur. Ainsi les Lollards n’ont eu aucune difficulté pour
rejoindre les Luthériens…
Mais
au lieu de fulminer contre la secte, John Colet s’attache à démontrer que la
réforme intérieure de l’Église est urgente et qu’elle est le meilleur moyen
pour lutter contre l’hérésie. Croyant entendre dans son discours la défense des
Lollards, son évêque lance contre lui une accusation formelle d’hérésie sous
prétexte qu’il a rejeté le culte des saints et des images. Protégé par
l’archevêque de Cantorbéry, les poursuites cessent. Mais il se démet de ses
fonctions et se cantonne à enseigner jusqu’à sa mort en 1519.
Conclusions
Au
XVIe siècle, pendant qu’une voix se lamente de l’état affligeant de l’Église, d’autres,
admiratifs des nouvelles connaissances qu’ils s’ouvrent à eux, songent à un
nouveau christianisme, voire à une nouvelle religion. C’est un siècle où les
idées fusent et s’entremêlent, où les autorités religieuses perdent leur
crédibilité. Et ces idées se répandent dans cette société où les hommes
circulent et échangent énormément. Mais est-ce suffisant pour enrichir les âmes
et leur donner la paix ? Une telle diffusion sans contrôle sème la
confusion. Elle brise les certitudes et bouscule l’esprit. Elle apporte
rupture. Et au même moment, le spectacle des mœurs scandaleuses fait naître
dans beaucoup d’âmes la vocation de prophètes, qui, sûrs d’eux-mêmes,
s’arrogent le droit de désobéir aux autorités. Les hommes sont alors prêts à
tout entendre. Mais Savonarole a fait l’amère expérience de leur versatilité et
de la fragilité de la popularité. Tout est vain. Lâché politiquement, il a vu
subitement son étoile brisée dans le feu.
Savonarole
crie la fin du monde quand Marsile Ficin chante l’âge d’or de l’humanité. Deux
aspects d’un même monde, deux regards sur la même société. Le premier voit les
malheurs du temps quand le second se nourrit des connaissances qui s’ouvrent à
lui. Quel contraste ! Vivent-ils dans la même réalité ?
John
Colet a bien raison : au XVIe siècle, l’Église a urgemment besoin d’une
réforme pour lutter contre les hérésies. Or Savonarole ne comprend pas que
cette réforme ne peut passer que par le Pape et non contre lui. La réforme est
en effet d’abord celle de l’autorité de l’Église. Là résident le problème et la
solution. C’est en effet à elle de faire cesser les scandales et de consolider
la doctrine. En un temps d’un tel fusionnement d’idée et de relâchement moral,
la solution relève nécessairement de l’autorité. Mais que faire lorsque cette
même autorité est défaillante ? Le succès de Luther s’explique par cette
défaillance…
Notes et références
[1]
Savonarole, cité d’après Pastor, Histoire des Papes depuis la fin du Moyen-âge,
1925, VI, dans Histoire générale de l’Église, A. Boulenger, Tome II, Le
Moyen-âge, volume VII, De Clément V à la Réforme, 1305-1517,
n°144, 1936.
[2]
Savonarole, cité d’après Pastor, Histoire des Papes depuis la fin du
Moyen-âge, 1925, VI, n°144, dans Histoire générale de l’Église, A.
Boulenger.
[3]
Marsile Ficin dans Marsile Ficin et l’art, André Chastel, 2e édition,
Librairie Droz, 1996.
[4]
Pic de la Mirandole, Lettres à Remolat Barbaro, Œuvres
philosophiques, 1993, dans www.jdarriulat.net, Pic
de la Mirandole (1463-1494), 29 octobre 2007.
[5]
Pic de la Mirandole, Commento, dans www.jdarriulat.net, Pic
de la Mirandole (1463-1494).
[6]
Érasme, dans L’Église de la Renaissance et de la Réforme, Une
révolution religieuse : la réforme protestante, Librairie Arthème
Fayard, 1955.
[7]
Roland Marx, article « John Colet »,
Dictionnaire
de la Renaissance, Encyclopedia universalis, 2016.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire