" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 19 janvier 2018

L'anglicanisme, une voie médiane entre catholiques et protestants ? Non... Une église soumise au roi...

Vivant dans le monde, l’Église a un passé, une histoire. Au XVIe siècle, certains ont cru qu’avec le temps, elle s’était corrompue dans ses institutions et dans son enseignement comme si l’Église authentique avait disparu. Ils ont alors reproché à Rome d’avoir altéré la foi et les pratiques de l’Église primitive. Mais l’histoire révèle clairement que ces prétendus réformateurs ont en fait apporté des innovations et de profonds bouleversements dans le dépôt de la foi. Bravant ses adversaires avec rage et colère, Luther s’est emporté dans ses audaces et a révolutionné les esprits. De sa révolte est née une nouvelle religion. Elle peut plaire et satisfaire des âmes. Elle n’est pas celle de Notre Seigneur Jésus-Christ. Plus réfléchi, Calvin construit à son tour une nouvelle Église, plus structurée et cohérente, mais froide et rigide comme la raison. Elle n’est pas non plus celle qu’a fondée Notre Seigneur Jésus-Christ. De la passion de Luther ou de l’intelligence de Calvin sont ainsi sortis deux systèmes religieux en rupture avec le christianisme. La conclusion est évidente. « Le protestantisme n’est pas le christianisme de l’histoire. »[1] Le luthéranisme et le calvinisme sont deux exemples de réforme de rupture.

Au XVIe siècle, l’Église catholique est accusée de s’être égarée dans de malheureuses innovations. Le protestantisme s’avère erroné. Certains ont alors cru à une voie intermédiaire, à un retour de l’Église des premiers siècles, qui n’est ni le catholicisme, ni le protestantisme, mais l’anglicanisme. Avant qu’elle ne soit anglicane, l’Église, ou la foi qui portent ce titre, était purement anglaise. Revenons à ses débuts…

La passion d’un roi à l’origine d’un schisme

Henri VIII
L’histoire de l’anglicanisme commence lui-aussi par une révolte personnelle. Il est étrange que des hommes aient autant façonné le monde et changé le cours du temps. Tout commence en effet par une passion, celle d’un roi anglais, Henri VIII, follement épris de sa maîtresse, Anne Boleyn, plus ambitieuse et habile qu’amoureuse. Elle ne veut se donner à lui qu’à titre d’épouse légitime. Fol d’elle, il veut alors annuler le mariage qu’il a contracté avec Catherine d’Aragon pour des raisons politiques. Digne et courageuse, son épouse s’y oppose et défend la légitimité de son mariage. Face aux pressions et au mépris dont elle fait l’objet, elle réclame justice et n’hésite pas à faire appel au Pape. Croyant à une passion passagère et plus sensible à cette femme humiliée, le Pape tente de gagner du temps et de temporiser son projet. Le peuple ne s’y trompe pas non plus. Il soutient la cause de cette femme, victime des ambitions d’un clan, et supportant mal l’attitude hautaine et méprisable d’une ambitieuse sans scrupule. Voyant sa cause compromise, Henri VIII n’a plus qu’un choix : créer sa propre église.

Telle est la vision sentimentale que nous pouvons porter sur ces événements historiques. Un autre regard ne verrait que la raison d’État dans cette histoire. Le mariage qu’il a contracté avec Catherine d’Aragon, fille de Ferdinand et d’Isabelle la Catholique et tante de Charles le Quint, devait sceller l’alliance entre l’Angleterre et l’Espagne. Or, les relations entre les deux royaumes se sont refroidies. En outre, l’Empereur Charles Quint, maître d’Italie, ne peut que soutenir sa tante auprès de la Curie romaine.

Une Église aux mains du roi d’Angleterre

Thomas Cranmer (1489-1556)
À force d’intrigue et d’argent, Henri VIII et ses conseillers réussissent à soumettre entièrement le clergé anglais. Il se fait ainsi reconnaître seul maître de l’Église d’Angleterre. En 1533, le nouvel archevêque de Cantorbéry, Thomas Cranmer, ambitieux parvenu et dépourvu de toute conscience, accomplit les vœux de son maître, consommant ainsi le schisme anglican. Mais cela ne suffit pas. La deuxième étape consiste à valider la rupture avec Rome sur le plan législatif.

Avant que ne se prononce Rome sur la demande d’annulation du mariage, le Parlement anglais, acquis à une politique antiromaine, vote successivement trois lois qui dépouillent le Pape de toute autorité sur le sol anglais. La nomination des évêques ne relève désormais que du roi seul. Le Denier de Saint Pierre et les autres taxes autrefois payées à Rome sont désormais supprimés. Aucun canon ecclésiastique n’est promulgué sans l’assentiment du souverain.

La troisième phase consiste à gagner la confiance des fidèles, des prêtres et des religieux. Par l’Acte de Soumission, voté en 1534, le Parlement demande à chaque Anglais de déclarer l’invalidité du premier mariage et de reconnaître pour héritier du trône Élisabeth, fille d’Anne Boleyn et d’Henri VIII. Il est aussi demandé au clergé réuni en convocation de reconnaître que rien dans la Sainte Écriture ne fonde l’autorité pontificale. Enfin, un serment plus difficile à tenir est exigé de la part des religieux. Ils doivent non seulement reconnaître que le roi est le « chef suprême de l’Église d’Angleterre » mais aussi que le Pape n’a aucune autorité sur les autres évêques, et renoncer à tous les décrets pontificaux contraires à l’autorité du roi. Le but d’Henri VIII est de pousser les religieux à quitter le sol anglais afin de confisquer leurs biens. Notons que les lois schismatiques soulèvent peu de résistances. Il est vrai que les réfractaires sont envoyés en prison ou expulsés.

Enfin, pour achever la rupture entre l’Église d’Angleterre et Rome, trois nouvelles lois sont votées, toujours en 1534. La première, dite Acte de suprématie, ordonne que « le roi soit accepté, regardé, reconnu comme unique et suprême chef, sur la terre de l’Église d’Angleterre et qu’à sa couronne soient joints et unis pour les posséder en jouir avec ce titre et cette qualité, tous pouvoirs d’examiner, répudier, redresser, réformer et amender telles erreurs, hérésies, abus, offense et irrégularités, qui doivent ou peuvent être réformés légalement par autorité ou juridiction spirituelle »[2]. Elle donne ainsi la juridiction spirituelle au roi d’Angleterre. Une seconde loi confère au roi le droit de nommer et de déposer les évêques, en dehors de toute procédure canonique. Par une troisième loi, le Parlement autorise le roi à percevoir les annates en lieu et en place du Pape.


Cet ensemble de textes est complété par les lois sur la trahison. Elles déclarent notamment coupable de haute trahison toute personne « d’avoir publié ou proclamé avec malice par des paroles ou des écrits formels que le roi est hérétique, schismatique, infidèle, etc. ». Elles permettent alors à Henri VIII d’envoyer à l’échafaud tous ceux qui s’opposent à sa politique religieuse et qui refusent de le reconnaître comme le chef de l’Église d’Angleterre. Nombreux souffriront le martyr. Saint Thomas More en est le plus célèbre…

La fin du monachisme en Angleterre

Une des victimes de cette politique religieuse est la vie monastique. Le Trésor est dans un état lamentable. Il est alors tentant de confisquer les biens monastiques. Mais comment y parvenir sans craindre la colère du peuple et la condamnation du Pape ? Les princes luthériens d’Allemagne ont montré la voix. Il suffit de les imiter. La sécularisation de tous les monastères ne deviendra en fait possible qu’au jour où ils seront soustraits à l’autorité de Rome. Les bénéfices qu’Henri VIII peut espérer d’une telle opération pourrait le motiver à se séparer de la papauté.

Ruines de l'abbaye cistercienne de Tintern,
vendue en 1536 (Wikipedia)
Devenu maître de l’Église d’Angleterre, Henri VIII se montre étonnamment préoccuper des abus qui règnent dans les monastères. Une enquête la plus sévère et dissuasive est alors entreprise. Face aux abus constatés, un remède radical s’impose alors à lui : la suppression des maisons religieuses elle-même, d’abord les monastères les plus petits. Une loi est ainsi votée, ordonnant la dissolution des petits monastères en 1536. Deux ans après, ce sont les grands monastères qui disparaissent. 158 grands monastères et 327 couvents sont supprimés. 8 000 religieux sont priés de quitter leur maison. C’est la fin du monachisme en Angleterre. Certains fuient l’Angleterre et fondent de nouvelles maisons à l’étranger, d’autres entrent dans le clergé séculier ou dans le monde.

Au niveau matériel, quelle aubaine ! Quel gaspillage aussi ! Les monastères sont pillés et détruits. Tout est vendu au rabais. Mais cette manne n’est pas perdue pour tout le monde. Les courtisans du roi et les grands seigneurs en profitent pour agrandir leur domaine et pour s’enrichir. Le duc de Suffolk obtient les biens de trente monastères, Cromwell, ceux de six monastères. Henri VIII peut ainsi les lier définitivement à sa politique antimonastique et anticatholique.

Certes, une loi, encore une autre, est votée pour que les revenus des biens monastiques servent au bien public, par exemple alléger les impôts, faire des aumônes, améliorer les services publics, etc. Mais ce ne sont que des promesses qui ne seront jamais tenues. La confiscation des biens monastiques ne profitera finalement qu’aux riches comme en Allemagne. De nombreuses familles, enrichies par la sécularisation des biens monastiques, seront ainsi les défenseurs du nouvel ordre. Tout retour en arrière sera une remise en question de leur situation financière et sociale. C’est ainsi que les révolutions se gagnent et s’achètent, sans scrupule ni conscience …

Or quelle catastrophe pour les pauvres et les faibles ! « Rien n’a causé plus de dommage que la destruction des abbayes, qui procuraient du travail à beaucoup d’ouvriers du pays, secouraient les pauvres, hospitalisaient les voyageurs et fournissaient des subsides aux souverains en temps de guerre. » La misère s’accroît de manière effrayante. N’oublions pas non plus les dommages que la spoliation des monastères a causés au niveau intellectuel. Les monastères envoyaient en effet de nombreux boursiers dans les universités d’Oxford et de Cambridge. Et que dire de l’aspect spirituel ?...

Une Église entre luthéranisme et catholicisme

Tout cet ensemble législatif constitue ainsi l’Église d’Angleterre. Il donne la suprématie au roi sans partage ni contestation. Les questions de dogmes, de cultes et de discipline sont désormais soumises à son autorité. Or, si la question de l'autorité est désormais réglée, rien n'est encore fait pour définir la foi et le culte de la nouvelle Église. Ce n’est pas simple pour Henri VIII. Certes, il est tentant de se rapprocher du protestantisme. Il est entouré de protestants, d’abord des luthériens puis des calvinistes. Puis pour s’opposer à la politique de Charles Quint et de François Ier, il doit chercher l’appui des princes luthériens. Pour des raisons de politique extérieure, il doit faire quelques concessions sur le plan religieux au parti protestant. Mais il doit aussi se soucier des évêques qui veulent maintenir les dogmes catholiques, et son peuple, plutôt attaché à la foi traditionnelle. En octobre 1536, les comtés du Nord se révoltent pour protester contre la suppression des monastères et pour réclamer le retour de la foi catholique. N’oublions pas enfin sa propre foi. Il est aussi attaché à la foi catholique. Avant le schisme, il s’est même opposé à Luther et a écrit des ouvrages apologétiques contre sa doctrine, obtenant la reconnaissance du Pape. Ainsi pressé par les exigences de la politique tant intérieure qu’extérieure, Henri VIII fluctue entre deux tendances, protestantes et catholiques. Mais quand les relations internationales lui permettent, il s’empresse de réaffirmer les doctrines orthodoxes.

L'Église henricienne, affirmation progressive du catholicisme

L’Église anglicane connaît plusieurs confessions de foi successives. La première, promulguée en octobre 1536, est un compromis entre les doctrines catholiques et luthériennes. Les points convergents sont passés sous silence. Ainsi la première confession de foi paraît ne pas s’écarter de l’orthodoxie. Néanmoins, la soumission de l’Église d’Angleterre au roi est rappelée. Le Pape perd toute autorité.

La seconde confession de foi, qui se substitue à la première, est promulguée en septembre 1536. La tendance catholique est accentuée mais elle fait quelques concessions aux luthériens, notamment sur la justification et sur le Purgatoire. En 1539, la tendance catholique s’affermit encore par la loi des Six articles, intitulée « Acte pour abolir la diversité des opinions ». Elle est nettement anti-luthérienne. En 1543, une nouvelle confession est définie. Elle est plus précise et complète que la précédente. Elle affirme avec force la doctrine catholique sur la sainte Messe. Elle défend la transsubstantiation, l’efficacité de la communion sous une seule espèce et l’utilité des messes privées. Elle défend aussi l’utilité des bonnes œuvres pour la justification, le culte de la Vierge et des saints, le célibat ecclésiastique, etc. La liturgie traditionnelle est maintenue.

Ainsi, l’Église anglicane apparaît à ses origines comme étant une Église « catholique » dont l’autorité du Pape est désormais détenue par le roi. Bref, une Église nationale… Une Église aussi construite dans le sang, le sang de fidèles catholiques. Que de martyrs en effet !

De l’Église henricienne à l’Église protestante

À la mort d’Henri VIII, en 1547, Édouard VI, le nouveau roi, n’est âgé que de 9 ans. Le royaume est alors dirigé par le duc de Sommerset, son oncle maternel, à titre de régent (1547-1549). En matière religieuse, il est aidé par un conseil dont les principaux membres sont gagnés aux idées protestantes. Il abroge la loi des Six articles et introduit un nombre de réformes d’esprit luthérien dans l’Église d’Angleterre, dans la liturgie et le culte, notamment au moyen d’ordonnances promulguées en 1547. En 1549, une grande réforme liturgique est mise en œuvre, réduisant les livres liturgiques en deux ouvrages, la Bible et le Prayer Book, encore intitulé Book of Common Prayer.

Les réformateurs cherchent à aller aussi loin que possible dans la voie des innovations et des suppressions. Quand ils craignent de soulever l’opposition des catholiques ou une partie des fidèles, ils ont recours à des formules imprécises, aux interprétations multiples. Certaines réformes sont pourtant claires : le remplacement du latin par l’anglais, la suppression des textes liturgiques ou du bréviaire ne provenant pas de la Sainte Bible. Mais sur la nature de la messe ou sur le sacrement de l’Eucharistie, rien n’est dit clairement. En première lecture, il est difficile de savoir s’il prêche la présence réelle, la transsubstantiation comme le croient les catholiques ou la consubstantiation comme le pense Luther, ou la présence virtuelle comme le défend Calvin. Le mot « messe » y apparait encore mais elle ne figure qu’en sous-titre. La transformation se fait ainsi de manière prudente, progressive et sournoise afin de ne pas effrayer clergé et fidèles.
Parallèlement à cette réforme liturgique, le parti protestant mène une politique iconoclaste. Les images, les peintures, les sculptures, les vitraux sont détruits dans les églises. Les murs sont blanchis à la chaux. Les fresques disparaissent. Tous les objets de « superstition » sont ainsi supprimés.
Ainsi, en deux ans, sous la régence du duc de Sommerset, le protestantisme sous la forme luthérienne s’introduit essentiellement dans le culte

Sous la régence du duc de Warwick (1549-1553), la politique religieuse est encore plus radicale. La forme calviniste s'impose. Une loi ordonne la destruction de tous les anciens livres liturgiques, toutes les images et peintures encore intactes. Les autels sont remplacés par de simples tables afin de marquer que la Cène n’est pas un sacrifice, mais un simple repas symbolique, dans lequel les communiants ne nourrissent que spirituellement du corps et du sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. Un décret ordonne la destruction des autels, puis un autre autorise le mariage des prêtres. Puis en 1552, un second Prayer Book est adopté et imposé. Tout ce qui peut induire à croire que la Cène est un sacrifice et comporte une présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ est éliminé.

L’échec du renouveau du catholicisme sous le règne de Marie Tudor (1553-1558)

Marie Tudor
Pendant cinq ans, Marie Tudor, reine d’Angleterre, tente de restaurer le catholicisme dans le Royaume d’Angleterre. À son début de règne, elle a toute la confiance de son peuple. Sa persévérance dans sa foi et le courage qu’elle a montré pour demeurer fidèle a attiré de nombreuses sympathies. En outre, le peuple n’a pas tardé à s’apercevoir que la sécularisation des monastères n’a profité qu’à certains nobles et bourgeois, proches du pouvoir, alors que la pauvreté a progressé. Enfin, les réformes religieuses ont mécontenté une grande partie de la population. Larrivée au pouvoir d’étrangers, sous prétexte de prêcher la bonne nouvelle, a fini par déconsidérer le pouvoir.

La politique de Marie Tudor est échec. Certes, la population a apprécié le retour à l’ancien culte et le bannissement des protestants étrangers. Les liens avec Rome se sont rétablis. Mais le report de la législation des règnes précédents ne suffit pas à rétablir la foi. Le rétablissement des taxes au profit de Rome n’enchante guère la population. Son mariage avec Philippe II d’Espagne, fils de Charles Quint, mécontente ses sujets, qui auraient préféré la voir se marier avec un anglais. Des maladresses dans sa politique intérieure la rendent rapidement impopulaires. En outre, ses adversaires sont nombreux. Le parti des privilégiés, enrichis par les biens monastiques, s’oppose à son règne.  Elle a beau déclaré que les acquéreurs ne seraient pas inquiétés. Ils ne désarment pas. Le parti protestant s’avère plus dangereux encore. Il mène des complots pour détrôner la reine. Leur opposition la pousse dans une politique énergétique contre les protestants. D’abord portée vers la tolérance, Marie Tudor se montre rapidement implacable à leur égard. Mais elle ne parvient pas à désarmer ses adversaires. Les complots se multiplient. Ses échecs dans sa politique extérieure la minent. Finalement, à la mort de Marie Tudor, le protestantisme sort plus fort des épreuves. Son influence a encore grandi.

L’établissement de l’anglicanisme sous le règne d’Elizabeth (1558-1603)

En 1558, le royaume d’Angleterre a une nouvelle reine, Elizabeth. Plutôt indifférente en religion, voie sceptique, elle cherche surtout à bâtir un État où son pouvoir serait absolu, où la religion ne serait qu’un moyen de gouvernement. Sans doute pense-t-elle qu’il est bon d’invoquer Dieu pour requérir l’obéissance aux monarques de la terre ou que l’Église exerce sur le commun des mortels une influence propice à l’État ? L’éclat des cérémonies liturgiques satisfait-elle son goût de la représentation et du faste ? Mais comment peut-elle supporter la fidélité des catholiques à un Pape étranger ou voir la hiérarchie ecclésiastique supprimée comme l’admettent les calvinistes ? Et les doctrines sur la justification ou sur l’Eucharistie dépassent bien son entendement. Enfin, elle est bien consciente que la majorité de la population est catholique, même si le calvinisme a progressé, notamment dans la bourgeoisie. Ainsi, entre les catholiques et les protestants, elle cherche une voie moyenne sur le double terrain de la foi et du culte, avec une nette affirmation de l’autorité du souverain sur l’Église d’Angleterre.

Sa politique religieuse, forte habile, sera celle du compromis mais avec une préférence plus affirmée pour le protestantisme. Trois lois définissent l’autorité du roi, qui demeure le maître incontesté de l’Église anglicane, l’unité de culte et l’unité de foi.

L’Acte de suprématie de 1559 déclare le souverain « suprême régulateur de l’Église anglicane, suprême gouverneur de l’Église ». La juridiction du Pape est abolie. Le roi a donc le pouvoir suprême en matière religieuse comme en matière civile. Il remplace finalement le Pape. Il exerce ce pouvoir par l’intermédiaire d’une commission ecclésiastique. Sera déclarée hérétique toute opinion contraire à l’Écriture, aux quatre premiers conciles généraux et aux doctrines autorisées par le parlement et l’assemblée du clergé. Mais, à la grande surprise de la reine, tous les évêques le refusent, comme dix pour cent des prêtres Des évêques sont vite alors sacrés. Une nouvelle hiérarchie se reconstitue rapidement. La reine s’acquière ainsi d’un personnel tout dévoué.

L’Acte d’Uniformité, voté aussi en 1559, promulgue un nouveau Prayer book. Il est une reproduction du second Prayer book mais avec des modifications qui manifestent un recul de l’influence du calvinisme. Néanmoins, l’exclusion de toute idée de sacrifice et l’insinuation de la présence virtuelle sont maintenues. Il est vrai que les formules sont suffisamment ambiguës pour croire à une présence réelle.

Enfin, après avoir réalisé l’unité de culte, reste à obtenir l’unité de foi. Telle est la raison d’être des XXXIX articles de religion, élaborés en 1563 et modifiés en 1571. Ils forment le Credo officiel de l’Église anglicane. C’est un mélange de catholicisme et de protestantisme.

La foi de l’anglicanisme

La doctrine relative à la Sainte Trinité, à Notre Seigneur Jésus-Christ, au Saint Esprit est celle de la doctrine catholique. Le Credo anglican accepte l’autorité des quatre premiers conciles œcuméniques. Plusieurs points sur les sources de la foi et sur les sacrements s’opposent à la foi catholique.

Saint John Rigby (c. 1570 – 21 Juin, 1600),
martyr catholique sous Élizabeth
La Sainte Écriture est la seule règle de foi. Elle contient toutes les choses nécessaires au salut (VIe article). « Il n’est pas permis à l’Église d’ordonner rien qui soit contraire à la parole écrite de Dieu » (XXe article). Tout ce qui n’est pas attesté par la Bible est sans valeur. Il n’existe pas d’autres autorités de foi. La tradition et le magistère de l’Église sont donc niés implicitement. Les conciles ne peuvent se réunir que sur ordre et la volonté des princes. Ils peuvent se tromper, même sur des points concernant Dieu (XXIe article).

Le Credo donne une définition incomplète de l’Église. Elle est « la société des fidèles où est enseignée la pure parole de Dieu et où les sacrements sont administrés conformément à l’institution du Christ dans toutes les choses nécessaires pour cela. » (XIXe article). Il affirme en outre que l’Église de Rome a erré en matière de foi et de moral. « La doctrine romaine concernant le purgatoire, les indulgences, le culte et l’adoration tant des images et des reliques, ainsi que l’invocation des saints, est une invention frivole qui n’est appuyée sur aucun texte de l’Écriture, mais qui est plutôt contraire à la parole de Dieu. » (XXIIe article) Il défend la souveraineté du roi d’Angleterre (XXXVIIe article). « L’évêque de Rome n’a aucune juridiction dans ce royaume d’Angleterre. »

La doctrine de la justification par la foi seule est présente comme étant une doctrine très saine et très consolante (XIe article). Le libre arbitre est défendu (XIIe article). Les œuvres accomplies avant la grâce sont des péchés (XIIIe article). Les œuvres surérogatoires n’ont aucune valeur (XIVe article).

Il n’accepte que deux sacrements institués par Notre Seigneur Jésus-Christ (baptême, cène). Les autres sont « sortis d’une fausse tradition apostolique » ou sont de nature différente de celle des autres (XXVe article). La définition de la messe, dite la Cène, est aussi un autre point majeur de divergence. Le XXVIIIe article condamne la transsubstantiation et prône la valeur spirituelle de la communion. Le Credo observe que les sacrements n’ont pas été institués pour être contemplés et transportés, élevés et adorés (XVe article). Il n’existe qu’un seul sacrifice, offert une fois par Notre Seigneur Jésus-Christ (XVe article). Le XXXIe article définit l’unique oblation du Christ sur la Croix. « C’est pourquoi les sacrifices des messes où, disait-on communément, le prêtre offrait le Christ pour les vivants et pour les morts, pour obtenir la rémission de la peine ou coulpe, n’étaient que fables impies et dangereuses illusions. » Le Credo rejette purement et simplement la messe en tant que sacrifice. Le XXIXe article défend la communion sous les deux espèces. C’est même un droit pour les laïcs. Le mariage des prêtres est autorisé (XXXIIe article).

Conclusion

L’Église d’Angleterre est une église nationale, dont l’autorité suprême est le roi. Ce point est la pierre sur laquelle tout a été érigé et se justifie. Elle n'est pas bâtie sur Saint Pierre. Tout est alors construit pour s’opposer au Pape et lui enlever tout pouvoir sur les fidèles et le culte. Le reste n’en est qu’une conséquence. 


Cathédrale Saint Paul, Londres
Pour préserver l’unité nationale tout en restant acteur de la politique européenne, son culte comme sa foi fluctuent entre diverses tendances, catholiques et protestantes. Tout n’est que compromis ou pragmatisme. La religion n’est qu’un moyen de gouvernement. Par étapes, la reine Élisabeth impose ses volontés en matière religieuse, cherchant à rallier aussi bien les catholiques que les luthériens et les calvinistes, sans oublier les acquéreurs des biens monastiques. Néanmoins, cet alliage étrange ne satisfait ni les catholiques rattachés à l’orthodoxie romaine et au rite liturgique, ni les protestants qui jugent les réformes insatisfaisantes. Elle n’a donc pas d’autres choix que de réprimer les oppositions et de briser les résistances. L’Église anglaise naît ainsi dans la répression et dans la violence. D’elle naîtrons différentes sectes. Que pouvons-nous en effet attendre d’une Église bâtie par ordonnances, limitée à un royaume, construite par opposition à Rome ?

L’anglicanisme n’est fidèle ni à un christianisme apostolique, ni à une histoire du christianisme. Il exprime encore moins la tradition chrétienne. Elle ne peut non plus se prévaloir d’une prétendue réforme. Certes, on peut toujours reconstruire l’histoire de manière à prouver ce qu’on recherche. Mais les origines de l’Église anglicane sont suffisamment claires pour y voir uniquement la main de l’homme ou plutôt la main d’un souverain. Elle ne résulte pas non plus d’une croissance ou d’une extension naturelle de l’Église. Les évolutions qu’elle a subies au grès des forces en présence, les résistances qu’elle a connues au sein des chrétiens ainsi que les oppositions qu’elle a soulevées comme la répression qu’elle a menée sont des signes éclatants d’un profond bouleversement dans le christianisme ou dit autrement d’une véritable rupture. Or s’il y a rupture, elle ne peut être unie à l’Église. Certes, elle peut contenter les parties et satisfaire les politiques, elle ne peut se nourrir de la sève qui anime toute l’Église. Elle est détachée de l’arbre de vie…



Notes et références
[1] John Henri Newman, Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, Ad Solem, trad. Marcel Lacroix, 2007.
[2] Statutes of the ralm., 26, Henri VIII, chap. I ; cité d’après Trésal, 1908 dans Histoire générale de l’Église, Tome III, Les Temps Modernes,  Volume VII, XVI et XVIIe siècles, 1517-1648, 1ère partie : la Réforme protestante, Librairie catholique Emmanuel Vitte, 1938, n°85, chap. IV.

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