" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 4 novembre 2017

Le monachisme, quelques précisions

Aujourd’hui, il n’est guère bon d’être catholique, encore moins pratiquant, même si le terme  de catholique non pratiquant nous semble bien peu compréhensible. Au XVIe siècle, c’est plutôt le religieux qui fait l’objet de toutes les satires et critiques. Rabelais nous a laissé un portrait peu flatteur du moine, « bel expéditeur d’heures, beau débrideur de messes, bau décrotteur de vigiles, bref pour tout dire un vrai moine s’il en fut jamais depuis que le monde moinant moina de moinerie, par ailleurs clerc jusqu’aux dents en matière de bréviaire. »[1]

Les coups proviennent soit des humanistes, dont Érasme est sans-doute l’un des plus acerbes, soit des protestants, avec Luther qui s’attaque notamment aux vœux monastiques. Contrairement aux critiques des siècles passés, ils ne recherchent pas à dénoncer des abus qui sévissent dans certains monastères ou couvents puis à les réformer, mais ils remettent en cause la légitimité de la vie monastique. Pour les humanistes, le monachisme ne répond plus aux besoins des chrétiens et ne présente donc plus d’intérêts. Au contraire, il nuit à l’homme et à son élévation, il le déshumanise, nous disent-ils. La doctrine du salut par la foi seule, telle qu’elle est défendue par les premiers protestants, est contraire à l’ascétisme, à toute forme de sacrifices, ou encore aux vœux religieux. La cible de leurs attaques est bien la vie religieuse en elle-même.

Avant de répondre à leurs critiques, rappelons quelques fondamentaux sur le monachisme. Cela permettra notamment d’éviter des malentendus et contradictions. Ces rappels suffiront même pour réduire en silence certaines critiques. Car l’ignorance est souvent source de médisance et de calomnie.

D’abord, posons-nous une question évidente. Qu’est-ce qu’un moine ou plus globalement qu’est-ce qu’un religieux ? Cette question en apparence simple ne l’est pas tant les confusions sont nombreuses. Certes, depuis le XVIIe siècle, la vie religieuse est mieux encadrée par des textes, en particulier par des constitutions apostoliques ou par le code canon. Mais elle s’est aussi complexifiée par l’apparition de nouvelles formes de vie religieuse. Toutefois, n’oublions pas que les critiques des humanistes et des protestants concernent une époque où toute cette clarification n’existe pas. Pour mieux répondre à leurs attaques, nous devons éviter tout anachronisme et demeurer au temps de leurs écrits et de leurs invectives, c’est-à-dire avant le XVIIe siècle. Nous allons donc décrire ce que sont le religieux et le moine au temps d’Érasme et de Luther.

Un monde complexe

Aujourd’hui, comme à la veille des Temps modernes, il est bien difficile de ne pas se perdre dans les dénominations religieuses. L’évolution et la diversité du monde religieux chrétien peuvent nos rendre perplexes. Érasme ou Luther s’attaquent par exemple aux « moines mendiants » alors qu’au sens strict des termes, les Dominicains ou les Franciscains ne sont pas des moines. Il est en effet classique de faire des amalgames, d’entendre par « moine » ce qui est finalement un religieux, voire un clerc ou un prêtre. En outre, il est très simple d’opposer les différents termes, sans-doute dans une volonté de simplification. Ainsi oppose-t-on les religieux avec les prêtres, les réguliers avec les séculiers. Or un moine peut être un simple laïc, c’est-à-dire non ordonné prêtre. S’il n’est pas ordonné, le religieux prend alors la dénomination de frère (convers[2] ou chœur[3]). Un religieux peut aussi être un séculier. Certes, par l’opposition des termes, nous pouvons retirer une certaine connaissance, par exemple identifier ce qui les distingue et ce qui les rapproche. Mais évitons de pratiquer un dialectisme ravageur et orienté. Il est donc indispensable d’identifier les termes importants et de les définir. Qu’est-ce que donc un religieux ? Qu’est-ce qui différencie finalement le religieux d’un curé ou d’un simple laïc ?

Qu’est-ce qu’un religieux ?

Commençons par le terme de « régulier ». Au sens strict, un régulier est un religieux soumis à une règle de vie. Ce terme nous renvoie donc à deux autres termes, celui de « religieux » et celui de « règle ».

Le terme de «  religieux  est moins aisé à définir. Seules sont appelés ordres religieux ceux qui exigent des vœux solennels et définitifs dans le cadre d’une Règle religieuse déterminée. Cette définition, qui date de 1566, a été rendue nécessaire par l’émergence de nouvelles formes de vie religieuse. Mais jusqu’à la fin du Moyen-âge, cette distinction n’est pas nécessaire.

Lorsque nous évoquons le terme de « régulier », nous pouvons aussi penser à un autre terme qui lui est souvent opposé, c’est-à-dire à celui de « séculier ». Ce dernier désigne celui qui vit dans le siècle. Le régulier est en effet celui qui vit retiré du monde, dans une communauté, et soumis à une vie particulière.

Pour essayer de comprendre le monde d’hier, soyons encore prudents. Évitons de plaquer nos références actuelles à un temps qui n’est plus le nôtre.

Avant le XVIe siècle, les familles religieuses ne sont composées que de réguliers. Les communautés religieuses du Moyen-âge constituent ce que nous appelons aujourd’hui les Ordres anciens. À partir du XVIIe siècle, une nouvelle forme de vie apparaît, celle des religieux séculiers. Ces nouvelles familles religieuses sont dites congrégations. Ce sont par exemple les Eudistes, les Lazaristes, les Filles de la Charité. Finalement, au temps d’Érasme et de Luther, une très grande majorité de religieux sont des réguliers et dépendent d’un Ordre.

Des hommes soumis à une Règle


Revenons à la notion de règle, indissociablement liée au terme de « régulier ». Il n’est pas en effet envisageable de parler de régulier, encore moins de moine, sans les associer à une règle. Nous appelons « Règle » l’ensemble des principes sur la vie religieuse vécue au sein d’une communauté, définie et rédigée par les premiers organisateurs de ce genre de vie. Les principales Règles en Occident sont celles de Saint Augustin (Ve siècle), de Saint Benoît (VIe siècle), et de Saint François d’Assise (XIIIe siècle). Des Règles ont fini par disparaître comme celles du monastère de Lérins (Ve siècle) ou celle de Saint Colomban (fin VIe siècle). Nous pouvons aussi ajouter les Règles toujours en vigueur en Orient, essentiellement celle de Saint Basile. Les bénédictins et cisterciens suivent la Règle de Saint Benoît. La plupart des chanoines réguliers et les Dominicains ont adopté la Règle de Saint Augustin. Les Franciscains sont fidèles à la Règle de Saint François d’Assise. Derrière la Règle, se trouve en fait une certaine sensibilité ou spiritualité religieuse, ou encore filiation. Elle est soit bénédictine, augustinienne ou franciscaine.

Précisons enfin que depuis le IVe concile de Latran (1215), l’Église limite le nombre de Règles officielles. Seules sont reconnues les Règles de Saint Augustin, de Saint Benoît et de Saint Basile. Les Ordres doivent donc choisir l’une d’entre elles. En 1223, une exception est faite en faveur de la Règle de Saint François.

L’observance à une vie réglée

La Règle est constituée d’une série d’articles relatifs à la vie quotidienne des religieux. Elle comporte des points sur la direction et l’organisation de la communauté, l’entrée en religion, les différentes formes de prières, l’office liturgique, l’habit et la nourriture, les malades, le travail, la pauvreté, l’attitude des uns envers les autres. C’est plus qu’un règlement ou une constitution. Elle apparaît plus comme un modèle de vie. « Ce petit livre vous sera comme un miroir où vous pourrez vous regarder »[4], nous dit Saint Augustin de sa Règle. La Règle n’est pas seulement le fruit d’un fondateur cherchant à organisation sa communauté. Elle est aussi fortement inspirée de la Sainte Écriture. Les références bibliques y sont généralement nombreuses. Elle est enfin née de l’expérience monastique acquise au cours des générations.

La Règle est la référence première de la vie des réguliers. Tous doivent s’y soumettre. Mais chose étant humaine, sa pratique, dite encore observance, varie selon les époques et les communautés. Selon la manière de se situer par rapport à la Règle, elle est dite commune, stricte ou étroite. Ce terme caractérise parfois certaines branches d’un même ordre. Les Franciscains sont ainsi divisés entre la commune et la stricte observance.

La Règle est néanmoins suffisamment souple pour être adaptée au lieu et au temps. Elle est bien différente de nos multiples lois souvent rédigées pour répondre rapidement à des circonstances, sans se soucier des cas particuliers, ignorant la diversité de situations ou croyant en une humanité désincarnée. Toutefois, la Règle paraît parfois insuffisante, notamment pour régler la vie des femmes qui souhaitent embrasser une vie régulière. Elle est généralement écrite par des hommes et pour des hommes. Elle est alors complétée par des Statuts ou des Constitutions propres. Parfois, l’usage leur attribue le nom de « Règle ». Pourtant, contrairement à la Règle, qui est figée et intemporelle, des Statuts ou des Constitutions sont modulables ou évolutifs par principe. Enfin, les Statuts et les Constitutions sont aussi complétés à leur tour par des Règlements, c’est-à-dire des dispositions pratiques applicables à l’ensemble de la communauté. L’ensemble de ces textes, Statuts, Constitutions, Règlements, forment les Coutumes ou textes coutumiers. Ils manifestent en fait des usages importants différents selon les communautés, découlant d’une même Règle. Ils traduisent donc la diversité dans un Ordre, préservant à la fois la spécificité et l’unité.


Diversité des Ordres anciens

Nous pouvons différencier les Ordres anciens selon leur fonction principale :

- contemplatifs : Bénédictins, Cisterciens, Grandmontains ; 
- érémitiques : Chartreux, Camaldules ;  
- mendiants : Dominicains, Franciscains, Carmes ;         
- de rachat et de captifs : Trinitaires, Mercédaires ;  
- de chanoines : Augustin, Prémontrés, Génovéfains, Victorins, etc. ; 
militaires et hospitaliers : Templiers, Lazarites, Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Chevaliers teutoniques, Hospitaliers de Saint-Jean de Dieu ;  
- des Jésuites.

Chacun des Ordres a ainsi sa spécificité. Certains privilégient la prière ou l’hospitalité, d’autres, l’apostolat ou l’aide auprès des prisonniers par exemple, cherchant toujours à garder l’esprit et l’intention première de leur fondateur. Un Ordre est porté soit vers la contemplation, soit vers l’action, sans cependant éloigner les religieux de la vie intérieure et priant. Néanmoins, un même Ordre peut regrouper des religieux engagés dans le monde, dans l’enseignement par exemple, et des religieux contemplatifs. Le cas des Dominicains est exemplaire. Les Frères prêcheurs sont missionnaires, enseignants alors que les moniales sont contemplatives et cloîtrées. Avant le XVIIe siècle, il est vrai que les religieuses ne peuvent qu’être cloîtrées.

Prière et travail

Que le religieux soit actif ou contemplatif, la prière demeure le centre de sa vie religieuse, sous forme de prière individuelle ou communautaire. Le chœur est ainsi au centre de la vie religieuse, rythmée par les offices, rendus quasi-obligatoires. Le temps consacré à la prière et sa régularité sont variables en fonction des spécificités des Ordres et de leurs Statuts. Les religieux chargés de missions apostoliques comme les Dominicains réduisent leur présence au chœur pour les offices du jour. Il varie aussi selon la fonction des religieux au sein de la communauté. Les moines se différencient ainsi entre les frères convers, occupés par leurs tâches matérielles, et les frères de chœur, plus assidus à l’office.

Le travail fait aussi parti de l’existence du religieux. Il est même nécessaire pour que le monastère puisse subvenir à ses besoins. Son importance et sa nature varient aussi selon les Ordres. Il peut être manuel, intellectuel ou apostolique. Un monastère peut être autarcique, comme dans l’Ordre cistercien, ou employer suffisamment d’employés non religieux pour devenir un centre économique fiable et autonome comme dans l’Ordre clunisien. En outre, dans chaque communauté, certains religieux occupent des fonctions indispensables au bon fonctionnement de la maison, généralement par rotation et pour un temps déterminé. La part du manuel et de l’intellectuel est aussi en fonction des familles religieuses.

Diversité dans les habits

La diversité des religieux se révèle dans celle de leur tenue, chacune des familles religieuses se distinguant par son habit. Certes, la forme est globalement la même mais la couleur les différencie. Les Bénédictins sont en noir alors que les Cisterciens ont choisi le blanc. Les Dominicains ont un habit noir et blanc, les Franciscains gris ou noir. Le Templier porte un manteau noir avec une croix rouge. Les Hospitaliers ont une croix blanche. C’est pourquoi il est classique de parler de moines noirs, de moines blancs, de frères gris pour les désigner. La couleur reflète l’intention du fondateur. Le noir est le symbole de la pénitence. Le blanc évoque le désert, c’est-à-dire la source du monachisme.

Les vœux religieux

La principale différence entre les différentes familles religieuses réside dans la profession de vœux.  Au Moyen-âge, tous les religieux sont soumis à des vœux solennels définitifs, sorte de contrats et d’engagement sacrés. En prononçant ses vœux, le religieux s’engage solennellement dans l’Église devant Dieu et devant la communauté qui en est à la fois le garant et le dépositaire. C’est ainsi par les vœux qu’il adhère pleinement à son Ordre. L’appartenance au sens strict se définit d’ailleurs par les seuls vœux. Les vœux sont donc d’une extrême importance au point qu’une rupture de ses vœux est considérée comme une apostasie. En les trahissant, il trahit en effet Dieu et son Ordre. Ce dernier peut alors légitimement le poursuivre et le condamner. Le non respect des vœux est aussi considéré comme un péché. Toutefois, il est possible d’obtenir une dispense de vœux, mesure néanmoins exceptionnelle.

Avant la naissance des congrégations religieuses, les vœux ne sont que solennels et définitifs. Pour les séculiers, les vœux peuvent être simples, c’est-à-dire temporaires et renouvelables. Comme leur nom l’indique, les vœux solennels sont prononcés publiquement lors d’une cérémonie alors que certains vœux simples peuvent être privés.

L’état du religieux dépend des vœux prononcés. Il est postulant s’il n’a prononcé aucun vœu et s’il sollicite son admission dans une communauté religieuse. Il est novice, c’est-à-dire « nouveau venu », s’il se forme à la vie religieuse afin de prononcer ses vœux définitifs. Il est enfin profès lorsqu’il s’est engagé par des vœux définitifs. Ainsi avant d’embrasser la vie religieuse, le religieux suit une première période de probation en temps que postulat puis une seconde, dite période de noviciat.

Les vœux solennels traditionnels sont ceux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Le religieux apparaît donc comme un homme chaste qui renonce à la tentation de la chair et domine son corps. Il est aussi un homme humble et pauvre, abandonnant tous ses biens à son entrée dans une communauté, une fois son noviciat achevé. Le vœu d’obéissance consiste à renoncer à sa volonté propre, se soumettant à l’autorité religieuse. Ainsi, par ses trois vœux, le religieux se dépouille, s’abandonne, se renonce.

Certaines familles religieuses peuvent rajouter aux trois vœux traditionnels un quatrième, comme la fidélité directe au Pape pour les Jésuites, ou encore un engagement solennel comme celui de stabilité au sein d’un monastère ou de l’Ordre.

En 1566, constatant la multiplication de nouvelles formes de vie religieuse, Saint Pie V précise ce que sont les Ordres religieux. La profession de vœux solennels et définitifs en est une condition. Dans le code canonique de 1917, la distinction entre les congrégations selon les vœux est de nouveau affirmée. Cette distinction disparaît avec le nouveau droit canonique, défini en 1983. Les termes de religieux ont même disparu. Il parle désormais de « vie consacrée », de « vie cloîtrée », d’« entrée au couvent ».

Des hommes hors du monde

Enfin, rappelons que lorsque nous évoquons le terme de « régulier », nous l’opposons parfois au terme de « séculier », c’est-à-dire celui qui vit dans le monde. Le « régulier » est en effet celui qui non seulement se renonce par ses vœux mais aussi celui qui s’exclut du monde. C’est un religieux cloîtré, une religieuse à l’abri derrière sa clôture. Ces deux termes « cloître » et « clôture » désignent un espace d’où sont exclues certaines personnes extérieures et dont les religieux ne peuvent sortir sans autorisation. Dans un sens formel, ils signifient aussi les lois qui déterminent cette double interdiction. Un régulier est donc fortement enraciné à un espace, c’est-à-dire à une maison religieuse.

Pour montrer son détachement du monde, les religieux portent la tonsure, signe de séparation avec le siècle. Elle n’est pas spécifique aux moines puisqu’elle est avant tout propre aux clercs. Cette habitude date du IXe siècle. Elle est devenue un rite pour entrer dans la vie monastique au point qu’elle est le symbole même du moine. Le sacrifice de la chevelure traduit le renoncement aux choses terrestres, la consécration à Dieu. La forme du cercle évoque l’engagement définitif. Il n’a ni fin ni début. Enfin, la répétition nécessaire du geste de la « rasure » évoque la persévérance de l’engagement, le combat continu contre le monde.

Les moines, des religieux réguliers, soumis à une autorité



 
Lorsqu’une maison religieuse ou couvent rassemble des réguliers d’un Ordre, soumis à la même Règle, ou plus exactement au moins un nombre minimum de profès, et soumis à une seule autorité, nous parlons de monastère. Et ces religieux sont soit des moines ou des moniales, soit des chanoines réguliers selon la Règle adoptée.

Le terme de « moine » ou de « moniale » vient de « monachos », lui-même de « monos », c’est-à-dire « seul », « unique ». Selon certains commentateurs, il signifie celui qui est retiré dans un lieu solitaire. Ce terme nous renvoie alors au premier âge du monachisme, c’est-à-dire aux ermites qui se sont retirés dans le désert. Selon d’autres commentateurs, il est « seul » car célibataire. Enfin, ce terme peut signifier celui qu’il vit séparé du monde, y compris au sein d’une communauté. Dans la Vie de Saint Antoine par Saint Athanase, le terme de « moine » désigne tout cela. Le terme de « moine » peut enfin nous renvoyer à une manière de vivre, à un comportement, à une disposition intérieure. Le moine est celui qui « cherche une unification intérieure, qui cherche à devenir monos, un, unifié, et non pas divisé. »[5]

Les moines se répartit entre deux catégories :
- les ermites, ou encore les anachorètes, ceux qui « qui se retirent d’un lieu habité », retirés du monde ;
- les cénobites, ceux qui vivent en communauté.

Parfois, un monastère peut comprendre les deux formes de vie, mêlant la vie solitaire avec la vie communautaire, telles les laures orientales. Aujourd’hui, comme au XVIe siècle, le terme de « moine » désigne en fait en Occident les cénobites.



 
Toute communauté est dirigée par un supérieur dont le nom varie selon l’Ordre ou la congrégation. Il peut être nommé par l’assemble des moines rassemblés en chapitre ou par une autorité extérieure. Dans une communauté, certains membres exercent une fonction particulière, appelée office ou obédience. Parmi les fonctions, nous pouvons citer le maître des novices, l’armoirier (bibliothécaire), le chantre, responsable de l’animation des chants lors des offices religieux, le cellérier ou économe, chargé de l’intendance de la communauté, etc. La vie communautaire est donc bien structurée, chaque membre ayant une place particulière en fonction de son âge, de son statut, de ses compétences. Toute cette structure est définie dans la Règle et les coutumes.

Chaque religieux est enfin soumis à la vie conventuelle, c’est-à-dire relative à la communauté, mais il peut obtenir une certaine liberté par rapport à ceux-ci au moyen de dispenses. La dispense parait sage puisque certaines activités liées aux fonctions peuvent empêcher un religieux de vivre avec rigueur l’observance. Elle peut concerner des membres comme toute une communauté.

Des hommes dans un espace structuré

La vie conventuelle est donc très structurée au niveau de ses membres, en fonction de leur état religieux, des différentes fonctions ou offices, mais aussi au niveau de l’espace de vie. L’organisation spatiale du monastère, la disposition des bâtiments, leur architecture concrétisent de manière concrète la vie religieuse. Elles reflètent la vocation du religieux. La clôture manifeste la mort au monde, l’enclos matérialise le retrait du monde.

Les bâtiments sont regroupés selon leurs fonctions. Nous pouvons généralement identifier cinq espaces : 

- un espace de prière, dont l’élément principal est constitué par l’église, qui réunit régulièrement les religieux pour les offices ; 
- un espace de travail, regroupant les différents ateliers ; 
- un espace de repos et de soin : les cellules individuelles ou le dortoir, l’infirmerie et le cimetière ; 
- un espace de restauration : le réfectoire, la cuisine ; 
- un espace d’accueil des hôtes : la porterie, le parloir et l’hôtellerie.

Les espaces sont cloisonnés de façon à séparer les différents religieux selon leur état. Le cloître permet de communiquer ces différentes espaces.

La reconnaissance de l’Église

Un régulier est lié à une Règle, donc à un Ordre. Un moine est lié à un monastère donc à une Règle. Mais comme nous l’avons déjà expliqué, une Règle doit être reconnue par l’Église. Cela est aussi vrai pour toute famille religieuse ou monastère. Car tous appartient à l’Église. Il est donc obligatoire d’obtenir l’approbation d’une autorité légitime, soit du Pape, soit de l’évêque. Selon le niveau, ils relèvent en effet soit de la Papauté, soit du diocèse. Cela signifie aussi que la vie religieuse et la vie monastique sont régies par des règles précises, par un droit spécifique.

Conclusion

Au XVIe siècle, en Occident, le moine est un élément important de la société chrétienne, qu’elle soit occidentale ou orientale. Le monde religieux est marqué par une forte diversité mais aussi par une certaine unité, ce qui explique certaines confusions dommageables. Divers dans les fonctions, la tenue, dans les Statuts, il est néanmoins soumis à une Règle, au nombre de trois en Occident, à des vœux solennels définitifs, à une même vocation, ou comme diront certains, à un même idéal, à une recherche d’une harmonie, aussi bien intérieure qu’extérieure. La vie religieuse est ainsi une vie parfaitement réglée, avec des codes et une spiritualité particulière, avec une même volonté de se détacher du monde pour s’unir davantage à Dieu. Au-delà des moyens mis en œuvre, il est donc important de comprendre la diversité du monde religieux tout en discernant son unité, un monde marqué par l'ordre, tout orienté vers Dieu.

Détaché du monde, mort au monde, le religieux ou le moine vivent dans une communauté régie par un cadre précis et dans un espace construit pour répondre à leurs besoins. Fortement marqué par une spiritualité particulière et par une histoire qui remonte à un fondateur, les Ordres anciens demeurent une caractéristique d’une société chrétienne, et même de l’Église.

Si la Règle, l’habit, l’aménagement d’un monastère, le travail, la prière, …, ne sont que des moyens, ils  sont fortement marqués d’une volonté, d’un objectif, d’une finalité au point que les remettre en cause revient sans aucun doute à s’attaquer à un genre de vie propre au christianisme. Et dans les attaques contre le monachisme, c’est bien cette vie qui est attaquée…

Aujourd’hui encore présente, la vie spécifique des religieux peut nous paraître insaisissable ou incompréhensible, ce qui soulève chez certains des critiques, voire de l’ironie. Ces attaques est peut-être la manifestation d’une certaine ignorance et donc de l’inquiétude, voire de l’envie. Derrière les mots et les rires, il faut donc déceler l’erreur, les malentendus, les confusions afin de défendre un genre de vie que le christianisme a fait naître et protégé…




Notes et références
[1] Rabelais, Gargantua, chapitre XXVII, 1534, Léon Pichon, 1921, gallica.bnf.fr.
[2] Frère plus chargé des affaires matérielles, des travaux manuels.
[3] Frère tenu à la récitation de l’office au chœur à la différence du frère convers.
[4] Saint Augustin, Règle, n°8, 2.
[5] Frère Philippe, Petite histoire de la vie monastique, Siloë, 1992.

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