À partir du IVe
siècle, en Orient comme en Occident, des chrétiens veulent abandonner le monde
pour vivre leur foi avec zèle et ferveur. Ils quittent leur ville,
leur situation, leurs parents afin de répondre à l'appel de Notre Seigneur
Jésus-Christ. « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as,
donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et
suis-moi. » (Matthieu, XIX, 21) Depuis Saint Antoine dans le
désert égyptien, le monachisme s'est développé sous les formes les plus variées,
de l'érémitisme au cénobitisme, de la retraite au désert à la présence dans les
villes.
Mais cette
existence enfouie dans la solitude, loin de la société des hommes, n'est pas
sans danger. Certains renoncent aux biens de ce monde mais finissent par se
perdre dans l'amour de soi. Se renoncer d'abord, renoncer à sa volonté propre,
afin que la volonté de Dieu emplisse l'âme, qu'elle puisse être seule avec Lui.
C'est cette solitude que recherche finalement le moine, solitude indispensable
pour cette unité d'amour, la véritable unité. La solitude extrême apparaît donc
comme un moyen d'y parvenir. Mais elle est réservée aux âmes d'élites, donc à
un petit nombre. Pour les autres, pour la plupart des affamés de Dieu, la vie
en communauté, sous l'obéissance d'un maître et d'une règle, dans la charité et
l'humilité, est la voie la plus sûre. Telle est la leçon que nous ont laissée
les premiers moines en Orient comme en Occident.
Mais la vie
communautaire ne peut demeurer sans organisation, donc sans règle. Chaque
monastère se dote d'une Règle que leur fondateur lui a léguée. En Orient, Saint
Pakhôme puis Saint Basile nous ont transmis la leur. En Occident, au VIe
siècle, les règles prolifèrent. Aujourd'hui, trois grandes Règles dominent le
monachisme occidental : celle de Saint Augustin, la plus ancienne, celle
de Saint Benoît, la plus répandue, puis celle de Saint François d'Assise. Mais
comment un texte ancien, censé organiser la vie monastique à un moment et à un
lieu donné, peut-il encore demeurer valable de nos jours ? Au XVIe siècle,
Érasme et bien d'autres soulèvent encore bien d'autres questions, non pour
comprendre la vie monastique mais pour la remettre en cause. Pour y voir plus
clair, cherchons d'abord à mieux comprendre ce qu'est la Règle. Examinons avec
respect la Règle de Saint Benoît.
Apprenons d’abord à
connaître son auteur, Saint Benoît. Il est né d'une famille noble de Nursie, au
centre de la péninsule italienne. Après avoir acquis les premières
connaissances en science et en art, il se rend à Rome pour poursuivre ses
études selon l'usage des bonnes familles provinciales et ainsi postuler à une
brillante carrière à laquelle sa naissance lui prédestine. Mais rapidement,
cette vie romaine lui apporte désillusion et désenchantement. Les mœurs romaines
sont dissolues, le luxe pavoise dans la pauvreté générale, et les prêtres ne se
montrent guère à la hauteur de leur vocation. Les intrigues, les calomnies,
l'hérésie divisent en outre les Chrétiens. Triste Rome en ce début du VIe
siècle ! Cherche-t-il à s'oublier dans les études, dans la grammaire, la
rhétorique ou encore dans le droit ? Mais « la pompe grandiloquente
régnait en maîtresse dans tout le haut enseignement, et les sciences juridiques
d'alors n'en étaient pas entièrement dégagées. »[2]
Scandalisé et
conscient des périls dans lequel il se trouve, Saint Benoît décide
d'interrompre ses études et la voie brillante qui lui est destinée. Vers 500,
il quitte Rome. Il rejoint d'abord une communauté d'hommes sages et instruits à
la Sainte Écriture et aux textes des Pères de l’Église, peut-être des ascètes,
dans la petite ville d'Enfide, aujourd'hui Afile. Mais appelé à une vie plus
austère et voulant plaire à Dieu seul, il la quitte et se retire dans un lieu
particulièrement sauvage, à Sublacum, aujourd'hui Subiaco, à 75 km à l'Est de
Rome, près des ruines d'un ancien palais de l'empereur Néron. Il mène une vie
d'ermite, de plus en plus stricte. Il finit par se retirer dans une grotte
perdue dans une vallée déserte.
Après une retraite
de trois ans, Saint Benoît est rejoint par des moines qui lui demandent de
diriger leur monastère selon ses principes, fruits de ses longues méditations
d’ermite. Mais, c'est un échec. Les moines ne supportent pas la vie austère et
rude qu'il veut leur appliquer. Saint Benoît finit par retourner dans la
solitude de sa grotte. Des hommes viennent de nouveau le voir pour devenir ses
disciples. Ils sont si nombreux que Saint Benoît finit par fonder douze
monastères, chacun se composant de douze moines placés sous la direction d'un
abbé. À côté de ces monastères est bâtie une école afin de former les jeunes
gens qui se présentent à lui sur le service divin, les règles du chant et sur
bien d’autres choses encore. Il leur enseigne aussi les connaissances
religieuses rudimentaires. Les communautés de Subiaco deviennent célèbres au
point que la noblesse romaine leur envoie ses fils. Et parmi les moines, nous
trouvons aussi des Goths. Notre Seigneur Jésus-Christ ne fait pas de
distinction entre les peuples et sait les unir dans la même foi.
Appelé de nouveau à
la solitude vers 529, prenant quelques moines avec lui, Saint Benoît quitte
Subiaco et fonde un nouveau monastère à Cassinum, le Mont-Cassin, dans un
ancien temple païen. Sur ce point culminant, se dresse désormais l'autel de
Dieu. Ce monastère deviendra le modèle de nombreux autres monastères. C'est
dans ce monastère que vers la fin de sa vie, Saint Benoît écrira sa Règle pour
son monastère...
Au service de Notre
Seigneur Jésus-Christ
La Règle est
constituée d'un prologue dans lequel Saint Benoît définit les principes de la
vie monastique. Le monastère est une école du service de Notre Seigneur
Jésus-Christ. Ainsi est-Il est au centre de la vie monastique, au cœur de la
Règle.
Dirigé par un père,
c’est-à-dire un abbé, le moine s'exerce dans le monastère à la pratique des
différentes vertus chrétiennes, principalement celles de l'obéissance et de
l'humilité, dans le silence. Pour cela, il doit renoncer à sa volonté propre
afin qu'il combatte pour Notre Seigneur Jésus-Christ. Être moine, c'est en
effet d'abord obéir, se renoncer pour devenir son soldat discipliné. La vie au
service de Notre Seigneur Jésus-Christ n’est donc pas une vie de repos. Dès le
début de sa Règle, Saint Benoît parle en effet de combat, de lutte contre le
démon. Et gare à celui qui n'emploie pas les biens qu'Il a mis en lui ou qui
n'a pas voulu Le suivre jusqu'à la gloire comme un mauvais serviteur !
Notre Seigneur Jésus-Christ nous demande de réaliser de bonnes œuvres. Dans le chapitre IV de sa Règle, Saint Benoît énumère une série d’obligations et d’interdictions. « Il faut donc préparer nos cœurs et nos corps aux combats de la sainte obéissance à ses commandements. » (Prologue, 40) Mais comme l’indique l’intitulé du chapitre, cette série ne constitue pas des œuvres mais des instruments des bonnes œuvres. En les usant, les moines parviendront aux bonnes œuvres que Dieu nous demande d’accomplir. Et s’ils sont suivis, « jour et nuit, sans relâche », dit-il, Dieu nous donnera la récompense qu’Il a promise lui-même. « Or l’atelier où nous devons travailler diligemment avec tous ces instruments, c’est le cloître du monastère avec la stabilité dans la communauté. » (IV, 78) [1]
Mais il n'y a pas de combat efficace sans stabilité, sans patience et persévérance. Le moine doit en effet rester dans son monastère. Ce n’est pas en changeant d’écuries selon son envie qu’il remportera la course. La stabilité est donc un des caractères essentiels de la vie monastique telle que définit Saint Benoît.
Saint Benoît remettant la Règle à un de ses disciples |
La vie monastique
permet donc à chacun de ses membres de se sauver en usant des instruments que
Notre Seigneur Jésus-Christ nous a donnés. Il lui donne les moyens appropriés
pour y parvenir. De même, « bien
formés par une longue épreuve dans le monastère », les anachorètes
« ont appris, grâce au soutien de
nombreux frères, à lutter contre le démon. Bien exercés, ils passent de
cette armée fraternelle au combat solitaire du désert. » (I, 3-5) L’ermite
n’est plus au premier temps où sa simple ferveur lui suffisait pour affronter
les dangers de la vie solitude. C’est pourquoi Saint Benoît se détourne de
cette voie pour privilégier le cénobitisme, plus adapté à la société chrétienne
et plus approprié aux hommes pour servir Notre Seigneur Jésus-Christ.
L’abbé tient lieu
de Notre Seigneur Jésus-Christ
Le moine est sous
la direction d’un abbé. Ce dernier dirige le monastère. Il tient la place de Notre Seigneur
Jésus-Christ. Son autorité est donc sans limite, au moins théoriquement. Saint
Benoît décrit longuement comment il doit diriger les moines. Plusieurs fois, il
insiste sur l’exigence de sa charge, sur « le fardeau qu’il a reçu » (LXIV, 7). « L’abbé doit toujours se rappeler qu’il est exigé
davantage à qui a été confié davantage. » (II, 30) Il lui rappelle
alors ses devoirs. « L’abbé ne doit
donc rien enseigner, établir ou commander qui s’écarte des préceptes du
Seigneur ; mais ses ordres et son enseignement doivent se répandre dans
l’esprit de ses disciples, comme un levain de la divine justice » (II,
4).
Saint Benoît définit les qualités d’un bon abbé. « Il doit donc être docte dans la loi divine, afin de savoir et d’avoir où puiser les leçons anciennes et nouvelles. Qu’il soit chaste, sobre, miséricordieux ; que toujours il préfère la miséricorde à la justice, afin d’obtenir pour lui-même le traitement semblable. Qu’il haïsse les vices, mais qu’il aime les frères. » (LXIV, 8-11) Il doit se conduire avec discernement, modération et prévoyance. Il définit ensuite les défauts qu’il doit éviter : la turbulence, l’inquiétude, l’excessivité, l’opiniâtreté, la jalousie, « sinon, il n’y aura jamais de repos. » (LXIV, 16) Saint Benoît insiste suffisamment sur ces points pour quoi ce qu’il recherche. Reprenant les paroles de Jacob, il nous rappelle (LXIV, 19) que « si je fatigue mes troupeaux en le faisant trop marcher, ils périront tous en un jour. » (Gen., XXXIII, 13)
Saint Benoît rappelle
souvent dans sa Règle que l’abbé devra rendre compte à Dieu de tous ses
jugements et de tous ses actes. « L’abbé, une fois établi, pensera sans-cesse
[…] à Celui à qui il devra rendre compte de son administration. »
(LXIV, 7) Il doit donc exercer son autorité avec cette crainte de déplaire à
Dieu. « Que l’abbé cependant songe
qu’il doit rendre compte à Dieu de toutes ces décisions, de crainte que le feu
de l’envie ou de la jalousie ne vienne à brûler son âme. » (LXV, 22)
Et comme tous les
moines, l'abbé doit aussi se soumettre à la Règle. « En toutes choses, donc, tous suivront cette maîtresse qu’est la Règle,
et personne ne se permettra de s’en écarter de son propre cœur. »
(III, 7-8) Donc, si les moines doivent se soumettre à leur abbé, sans jamais
oser contester son autorité, « l’abbé,
toutefois, doit faire toutes choses dans la crainte de Dieu et selon la Règle,
persuadé que, sans doute aucun, il aura à rendre compte de toutes ses décisions
à Dieu, ce juge souverainement équitable » (III, 11) Ainsi l’autorité
de l’abbé, théoriquement sans limite, est en fait très encadrée.
Mais l’abbé n’est
pas simplement un chef ou un directeur de monastère. Il est un maître
spirituel. Il doit donc enseigner. Et comme tout maître, il est un pédagogue. Son
enseignement porte sur les commandements divins, plus par l’exemple que par les
paroles, avec le souci de s’adapter à chacun de ses moines. « Aux disciples réceptifs, il enseignera par
ses paroles […] ; aux cœurs durs et simples, il les fera voir par son
exemple. C’est aussi par les actes qu’il apprendra à ses disciples »
(II, 12-13). Souvent, Saint Benoît rappelle ce devoir d’adaptation et
d’attention. Aucun des moines ne doit être oublié quelle que soient ses qualités et
son caractère. L’abbé ne doit faire acception de personne puisque tous sont en
uns en Notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi il « témoignera donc à tous une égale charité ; et il n’y aura pour
tous qu’une même discipline, appliquée selon les mérites de chacun. »
(III, 22) Belle leçon d’humanité et d’équité ! L’abbé a donc ce devoir
d’aider le moine à progresser dans la voie de son salut.
Saint Benoît décrit ainsi ce que doit être l’abbé à l’égard des moines, c’est-à-dire l’art de les diriger. Il doit savoir mêler « douceurs et menaces, montrant tantôt la sévérité d’un maître, tantôt la tendresse d’un père. » (II, 24). Il doit refuser de laisser les vices se fortifier et plutôt les détruire « avec prudence et charité, en adaptant les moyens à chaque caractère » (LXIV, 14) Il doit se montrer attentif à chacun, exigeant à leur égard, sachant user des bons moyens de punition. « L’abbé doit donc se conformer et s’adapter aux dispositions et à l’intelligence de chacun, en sorte qu’il puisse, non seulement préserver de tout dommage le troupeau qui lui est confié, mais encore se réjouir de l’accroissement de ce bon troupeau. » (II, 32) L’abbé doit donc exercer son autorité de façon différente suivant les hommes et les circonstances, s’accommodant aux caractères de chacun.
Ainsi, l’autorité
de l’abbé est imprégnée de la charité chrétienne. Elle en est tempérée,
adoucie, éclairée. Il est comme le Bon Pasteur à l’égard de son troupeau ou
comme un père envers ses enfants, évitant tout excès, toute naïveté aussi. Le
titre même qu’il porte, « abba »,
résume à lui-seul ce qu’il doit être. Il est au service de chacun de ses moines
comme Notre Seigneur Jésus-Christ nous a appris de le faire. Il cherche avant
tout à aimer et à être aimé. Car le chemin que doit mener les moines à Dieu
sous sa direction est celui de la charité.
L’abbé n’est ni un
despote ni un oppresseur. « Toutes les fois qu’il y aura dans le
monastère quelque affaire importante à décider, l’abbé convoquera toute la
communauté et exposera lui-même ce dont il s’agit. » (III, 1) Il doit la
réunir pour prendre une décision grave. Le chapitre désigne la réunion de
l’ensemble des moines. Chaque moine, même le plus jeune, aura le « droit au chapitre ». Contrairement
à nos assemblées bruyantes et agitées, où se déploient souvent la vanité et
l’insolence, l’autorité de l’abbé doit être respectée au cours des discutions.
Les moines « n’auront donc pas la
hardiesse de soutenir effrontément leur manière de voir, mais il dépendra de
l’abbé de décider ce qu’il jugera le mieux ; et tous alors devront lui
obéir. » (III, 4) Ils devront « donner leur avis en toute humilité et soumission ». Puis après
consultation, l’abbé décidera seul. Pour des affaires moins importantes, il
peut se contenter de réunir le conseil des anciens, composé de quelques moines
expérimentés et occupant des fonctions dans le monastère.
Saint Benoît
définit les règles pour choisir l’abbé et pour son institution. Le choix se
fait par élection de toute la communauté, soit d’un commun accord, soit d’une
partie, même faible. Le critère du choix doit reposer sur les vertus et
les qualités du candidat. « Dans
cette élection, on aura égard au mérite de la vie et à la doctrine spirituelle
du candidat, quand bien même il occuperait le dernier rang dans la
communauté. » (LXIV, 2) Néanmoins, en cas de mauvais choix, consentis
par la communauté, l’évêque diocésain, des abbés et des chrétiens peuvent
empêcher l’élection. Ils ont le devoir d’y intervenir et de donner au monastère
un digne abbé.
Le moine exercé aux
vertus d’obéissance et d’humilité
C’est après avoir
longuement rappelé les devoirs de l’abbé, les limites de son autorité et
l’esprit dans lequel il doit l’exercer que Saint Benoît en vient à décrire les
devoirs des moines à son égard, c’est-à-dire l’obéissance. « Dès que le supérieur a commandé quelque
chose, ils ne peuvent souffrir d’en différer l’exécution, tout comme si Dieu
lui-même en avait donné l’ordre. » (V, 4) Ils doivent renoncer à toute
volonté propre et à leur propre intérêt. Ils se soumettent promptement « sans trouble, sans retard, sans tiédeur,
sans murmure, sans parole de résistance » (V, 14), et de bon cœur. Car
l’obéissance est d’abord rendue à Dieu. Elle doit donc être bien reçue de Dieu.
Ainsi, Saint Benoît décrit l’esprit qui doit animer l’obéissance du moine,
toujours tournée vers Notre Seigneur Jésus-Christ.
L’obéissance ne
s’exerce pas uniquement à l’égard de l’abbé ou de la Règle. « Tous les frères doivent rendre le bien de
l’obéissance ; il faut encore qu’ils obéissent les uns aux autres. Ils
sauront que c’est par cette voie de l’obéissance qu’ils iront à Dieu. »
(LXXI, 1-2) Il y a néanmoins un ordre dans l’obéissance. Après l’abbé et les
différents responsables qu’il a établis, le moine doit obéir aux anciens,
« en toute charité et empressement. » (LXXXI, 5) Tout esprit de
contestation doit être châtié.
La seconde vertu
est celle de l’humilité. Elle doit être acquise par degré. Saint Benoît en
définit ainsi les différentes marches. Pour grandir dans l’humilité, marche
après marche, le moine usera des instruments des bonnes œuvres. Animé de la
crainte de Dieu, remémorant les châtiments qu’Il réserve aux pécheurs et les
récompenses qu’Il offre aux bonnes âmes, Lui qui du haut du ciel regarde et
connaît tout, le moine montera la première marche. Il « estimera que Dieu, du haut du ciel, le
regarde à tout moment, qu’en tout lieu le regard de la divinité voit ses actes
et que les anges les lui rapportent à tout moment. »(VII, 13) La
deuxième marche consiste à ne pas aimer sa volonté propre et à ne pas accomplir
ses désirs. Les autres marches sont dans l’ordre : la soumission à la
volonté de son supérieur, la patience dans les adversités et les injustices, à
l’imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ, la confession de ses fautes à
l’abbé, l’aveu sincère de sa misère et de son indignité, la retenue dans ses
paroles et le silence, la sobriété dans le langage. « Après avoir gravi tous ces degrés d’humilité, le moine parviendra
bientôt à cet amour de Dieu, qui, devenu parfait, bannit la crainte. Grâce à
cet amour, il accomplira sans peine, comme naturellement et par habitude, ce
qu’auparavant il n’observait qu’avec frayeur. Il n’agira plus sous la menace de
l’enfer, mais par amour du Christ, par l’accoutumance même du bien et par
l’attrait des vertus. »(VII, 68-69)
L’organisation du
monastère
Après avoir décrit
l’esprit qui doit animer le moine et son comportement, Saint Benoît définit
l’organisation et le déroulement des offices (VIII – XIX) et l’importance de la
prière (XX), insistant sur sa brièveté et sa pureté, sur le maintien du moine.
Puis, Saint Benoît énumère, sans véritable plan, différents points, dont
le recrutement (LVIII), les outils et objets du monastère (XXXII), les frères
malades (XXXVI), les vieillards et les enfants (XXXVII), la nourriture et la
boisson (XXXIX-XLIV). Remarquons que certains sujets reviennent au cours du
texte comme le code pénitentiel, c’est-à-dire les règles à suivre pour
déterminer les fautes, les moyens de corriger les fautifs, dont l'excommunication (XXIII-XXX puis XLIV-XLVI), ou encore tout ce qui touche à la
propriété (XXXIII, LIV, LV). Sont ainsi
réglées les multiples activités de la journée, notamment l’hospitalité (LIII).
Enfin, Saint Benoît
définit les différentes fonctions à tenir dans le monastère : le
cellérier, le prieur, les portiers. Concernant le prieur, il montre le danger
qu’il représente pour le monastère s’il s’attribue une autorité qui n’est pas
la sienne, une autorité sans contrôle. Il s’agit d’éviter qu’il ne
s’enorgueillisse et que par son attitude, il puisse causer des dissensions dans
la communauté et les pires désordres. « Or,
si l’abbé et le prieur sont opposés de sentiments, il est impossible que, dans
une telle discorde, leurs âmes ne se trouvent pas en danger. » (LXV,
8) Ainsi, pour les éviter, « il faut
que le gouvernement de son monastère dépende entièrement de l’abbé. » (LXV,
11) L’abbé peut être aidé par des doyens, dont le nombre permet d’éviter de
concentrer une autorité sur un seul individu. La charge d’un prieur n’est donc
pas obligatoire pour un monastère. Elle doit répondre à un besoin. Si elle
s’avère désirable ou souhaitable, c’est bien l’abbé qui l’établira et choisira
le prieur avec le conseil de la communauté. Et « le prieur exécutera avec respect tout ce que son abbé lui prescrira,
sans jamais contrevenir à sa volonté et à ses ordres. Car plus il est élévé au-dessus des autres,
plus il doit observer consciencieusement les préceptes de la Règle. » (LXV,
16-17)
Ainsi Saint Benoît
cherche à préserver l’autorité de l’abbé sur laquelle repose la communauté. À
de nombreuses reprises, il définit les moyens pour éviter les occasions de
conflits et par conséquent toute occasion de présomption.
Prière et travail
La Règle contient
de nombreuses citations de la Sainte Écriture au point que la Parole de Dieu
occupe certainement plus de la moitié du document. L’office divin et la prière
occupent aussi naturellement une grande partie de l’activité du moine. C’est même sa
préoccupation principale. « On ne
préfèrera donc rien à l’œuvre de Dieu. » (XLIII, 3) Chaque jour, le
moine doit célébrer l’office divin. Huit fois par jour, la communauté se réunit
pour prier ensemble et louer. Le monastère est donc une maison de prière dont
le centre est l’oratoire. Saint Benoît insiste dans sa Règle sur l’attitude à
avoir pendant la prière et les offices. Le moine consacre aussi de nombreuses
heures à « Lectio divina »,
c’est-à-dire à la lecture de la Sainte Écriture.
Comme « l'oisiveté est l’ennemie de l’âme »
(XLVIII, 1), il faut occuper les moines. En outre, le monastère doit vivre par ses propres moyens. Par
conséquent, le moine doit consacrer certaines heures au travail manuel et à
toutes sortes d’activités pour satisfaire les besoins de la vie en communauté.
Saint Benoît nous rappelle qu’« ils
seront vraiment moines, lorsqu’ils vivront du travail de leurs mains »
(XLVIII, 8). Que le moine gagne son pain à la sueur de son front ! Le
travail est même une autre façon de prier. Et les restrictions alimentaires
comme le déroulement de la journée doivent prendre en compte les conditions de
travail. Tout doit être fait avec modération, en fonction de la force des uns
et des faiblesses des autres.
Le monastère est
donc centré autour de deux pôles, la prière et le travail, dans un équilibre
entre l’application spirituelle et l’effort physique. Afin de concilier la
prière et le travail, Saint Benoît définit la chronologie de la journée,
proposant des horaires pour chaque activité…
Conclusion
Simple et concise,
la Règle est donc d’une grande souplesse. Mais elle contient suffisamment de
formules percutantes pour frapper l’esprit et donner les idées essentielles qui
doivent animer la vie monastique. Elle demeure logique, cohérente, équilibrée, d'une grande sagesse.
Notre Seigneur Jésus-Christ occupe
aussi la place centrale. Tout est orienté vers Lui. Le moine exerce ses vertus
pour L’imiter. Il doit se montrer obéissant et humble comme Il a été obéissant.
Il est aussi présent partout, notamment dans les offices, dans l’abbé dont il
tient la place, chez son frère et dans l’étranger que le moine doit accueillir.
S’il doit garder le silence, c’est pour être attentif à sa parole, c’est pour
demeurer à son écoute. Notre Seigneur Jésus-Christ est bien au cœur de la vie
monastique. Le moine renonce à sa volonté propre pour se donner totalement à
Lui.
[1] Les citations de la Règle sont tirées de Règle de saint Benoît, traduction et concordance par Philibert Schmitz, 5ème édition, Brepols, 1987.
[2] Dom Léon Chaussin, Saint Benoît de Nursie, dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre, IV, éditions du Centurion, 1965.
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