Vêtus
d’une ample tunique blanche aux larges manches, serrée par la ceinture, les
pieds chaussés de sandales, les moines marchent silencieusement en colonne, les
uns derrière les autres, traversant le cloître, les mains jointes, la tête couverte
d’un capuchon. Cette image reste encore gravée dans notre mémoire. Elle habite
des lieux de pierres, autrefois vastes monastères au nom glorieux, aujourd’hui des ruines éparses, un reste de nef, d’un chœur, d’un cloître. Si hier, ils
étaient les perles bien vivantes de la chrétienté, ils demeurent aujourd’hui
des vestiges silencieux, voire perdue dans l’ignorance du monde contemporain. Perchés
sur une colline ou isolés dans une vallée parfois inaccessible, ces restes du
passé gardent parfois le souvenir apaisant d’une communauté millénaire, de nos jours disparue ou encore présente dans d’autres lieux. En dépit d’un
silence qui le recouvre, le moine est sans-doute un des traits caractéristiques
de notre histoire. Lérins, Marmoutier, Luxeuil, Cluny, Cîteaux, Fontenay, …
Vaste et inlassable litanie de noms qui résonnent encore dans notre mémoire…
Mais,
à côté de ces images sans âge, des pierres laissées par l’histoire et des
monuments encore grandioses, se dressent des portraits peu flatteurs. Les
livres et les films abondent de figures de moines débonnaires et dépravés, ripaillant
et murmurant des mots inintelligibles. Une histoire du Moyen-âge peut-il être même
convaincante sans ces religieux au ventre dodu et aux mœurs douteuses ?
Érasme, Rabelais, et bien d’autres hantent aussi ces lieux de silence ou
d’abandon.
Comme
nous l’avons décrit dans l’article précédent, le moine est nécessairement
associé à une Règle à laquelle il est soumis, que complète des Règlements et
des Statuts, à des vœux définitifs, dont la profession est un acte sacré qui
l’engage devant Dieu et devant la communauté, acte aussi solennel qui le lie à
une communauté, et enfin à une autorité auquel il est soumis dans une parfaite
obéissance. Le moine est aussi lié à un monastère dont l’élection est reconnue
par l’Église, et qui relève d’un Ordre religieux. Mais, la vie monastique
n’est-elle qu’un ensemble de moyens ? Que recherche l’homme en devenant
moine ? Quelle est la finalité de la vie monastique ? Telles sont les
questions que nous nous posons. Et pour y répondre, nous vous suggérons de
revenir aux origines du monachisme, d’abord en Orient puis ensuite en Occident…
Saint
Antoine (251-355), le père des anachorètes
Saint Paul l'ermite (230-340) |
Aux
environ en l’an 270, en Égypte, près de Memphis, un jeune homme chrétien, âgé
d’environ vingt ans, assiste à une messe dans une église de son village. Orphelin
jeune, cet homme est un paysan aisé qui habite seul avec sa sœur. À la lecture
de l’Évangile, il entend le conseil de Notre Seigneur Jésus-Christ :
« si tu veux être parfait, va, vends
tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres, puis viens, suis-moi, tu auras un
trésor dans le ciel. » (Luc, XVIII, 22) Après la messe, il distribue les
biens qu’il a reçus de ses parents, vend tous ses meubles et distribue aux
pauvres l’argent qu’il en reçoit. Puis vers 270, il se réfugie dans le désert
de Nitrie, dans la vallée de Scitie, au sud de la grande ville d’Alexandrie. Pour
se donner tout à Dieu, il décide de mener une vie austère et rigoureuse en
compagnie d’un vieillard solitaire, puis, aspirant à une solitude plus grande,
il quitte son refuge pour s’isoler davantage dans la montagne. Vers 290, il
séjourne dans une de ces vastes chambres funéraires que les anciens Égyptiens
ont creusées pour déposer leurs morts, lieu le plus adapté pour cet homme qui
veut mourir au monde. Puis, après 35 ans de prières et de pénitence, il part
vers les montagnes désolées du pays de Pispir, et s’établit dans un château
désert, vivant « ainsi reclus près
de vingt ans, ne sortant pas, ne se montrant pas »[1].
Saint Antoine (v.270-356) |
Malgré sa solitude, Saint Antoine entend les douleurs du peuple chrétien persécuté. En 311, il rompt sa solitude pour soutenir les chrétiens enfermés dans la prison d’Alexandrie ou encore ceux qui travaillent dans les mines de Maximin. À la fin de sa vie, il se rend encore à Alexandrie pour mettre fin à la discorde que répandent les Ariens dans l’Église. Mais, « comme le poisson retourne à la mer »[4], il revient à la montagne pour ne pas oublier les choses intérieures. Enfin, entouré de deux ermites, dans une minuscule oasis de la haute Thébaïde, toujours « le visage joyeux »[5], Saint Antoine meurt en 356 à l’âge de cent cinq ans.
« Si
tu veux être parfait… »
Comme nous l’apprend la vie de Saint Antoine, de sa solitude rayonne une lumière attrayante. De nombreux disciples se regroupent autour de lui, brûlant d’imiter son exemple et l’implorant de les prendre sous sa direction spirituelle. Saint Antoine a beau fuir. Des hommes finissent par camper autour de sa retraite.
Saint
Antoine n’est pas le seul solitaire à vouloir suivre le chemin de la
perfection. « Fuis les hommes et tu
seras sauvé ! », nous dit l’un des Pères du Désert. L’isolement
absolu, tel est l’idéal des ermites. Néanmoins, l’exemple de Saint Antoine demeure
exceptionnel. Son ascétisme est intégral, sa résolution totale, sans faille. Il
veut être seul avec Dieu. Le terme de « moine » prend ainsi tout son sens. Tous les hommes n’en sont
certainement pas capables.
Des
villes de moines
Sainte Catherine du Sinaï |
Une
vie de prière et de travail
Les
ermites vivent d’ascèse. Ils renoncent à la vie du monde, et par conséquent à
son confort. Ils ne mangent guère, prenant une fois par jour quelques légumes
crus et de petites galettes de pain saupoudrées de sel, pesant ensemble environ
trois cents grammes. Les plus robustes se contentent d’eau et de
pain. Enfin, ils se contentent de peu de repos et d’heures de sommeil. « Mal vêtus, la faim aux entrailles, la gorge
séchée par la soif, luttant contre la tentation lancinante du sommeil, les
solitaires travaillent dur cependant. »[9]
Les moines ne chôment pas. Ils travaillent dans la boulangerie, au pressoir, au tissage de la toile ou dans leur cellule, fabriquent des corbeilles, tressent des nattes ou des cordes. Enfin, ils se louent comme ouvriers agricoles. En échange de leur travail, ils ne demandent que le strict nécessaire pour survivre.
Les moines ne chôment pas. Ils travaillent dans la boulangerie, au pressoir, au tissage de la toile ou dans leur cellule, fabriquent des corbeilles, tressent des nattes ou des cordes. Enfin, ils se louent comme ouvriers agricoles. En échange de leur travail, ils ne demandent que le strict nécessaire pour survivre.
Dans
leur cellule, l’ermite récite à des heures fixes du jour et de la nuit des
versets de la Sainte Écriture, suivant ainsi le conseil de Notre Seigneur
Jésus-Christ puis de Saint Paul. « Priez
sans cesse », lui disent-ils. Il est homme de prière. Ainsi, les
moines prient-ils en travaillant. La méditation ne cesse pas.
La
solitude
La
solitude demeure la voie la plus parfaite pour atteindre Notre Seigneur
Jésus-Christ. Certains moines n’hésitent pas à s’emmurer dans une grotte
pendant cinquante ans, recevant sa nourriture par une lucarne. Les plus
vaillants ne s’arrêtent pas au désert de Nitrie. Ils s’éloignent de la ville pour
se réfugier dans un silence extrême. Enfermés dans leur cellule, ces moines
brillent par leur mortification. Saint Macaire d’Alexandrie est ainsi resté
debout des jours et des nuits à la porte de sa grotte pour vaincre le sommeil.
Enfin,
plus loin encore dans le renoncement, se trouvent des moines dont la vie est
entièrement cachée en Dieu. Vers 410, Cassien rencontre dans la vallée de Scété
un de ses ermites nommé Paphnuce. « Le
désert l’appelait avec sa solitude. Il y courut, afin de rencontrer plus aisément
l’union divine. »[10]
La
tentation de l’orgueil
Néanmoins,
la vie du désert et l’isolement absolu ne sont pas choses aisées. Le combat
n’apporte pas toujours la victoire. Le diable est virulent contre de tels
soldats surtout s’ils sont seuls dans leur cellule. Les tentations sont aussi grandes
chez des hommes qui avant de se jeter dans cette aventure étaient coléreux,
rebelles, farouches, sensuels, orgueilleux. Les vices sont longs à combattre. Ils
ne disparaissent pas au désert. Au contraire, ils sont plus virulents, comme
attisés par le renoncement. Le véritable combat à mener est donc un combat
intérieur, contre soi-même, contre son corps si réticent à l’ascèse, contre son
esprit, si prompt à s’enorgueillir, y compris dans la souffrance. La mortification
n’est pas en effet une fin en soi. « Bonnes
choses sont la pauvreté volontaire, le jeûne et les veilles, mais elles servent
peu à ceux qui n’ont pas creusé en eux le fondement de l’humilité dont le
Christ est le modèle. »[11] Le
moine doit tout quitter pour qu’il soit « léger et libre de tout lien »[12], nous
dit Saint Jérôme. Un tel combat ne se fait pas sans heurt ni danger.
Pour
mener ce combat, des moines peuvent recourir à des méthodes plutôt radicales. Des
exercices peuvent se révéler héroïques, trop héroïques c’est-à-dire ostentatoires
ou encore trop excessifs, voire excentriques. Les moines peuvent en effet accumuler
les supplices et les mortifications allant jusqu’à l’épreuve du fer rouge. Ils
ne manquent pas d’imagination pour se torturer. Saint Macaire prend un cadavre pour
oreiller. Certains nourrissent de feuilles de palmier, boivent une eau boueuse,
s’astreignent à se tenir debout, les bras en croix, pendant des heures et des
jours. Les stylites, qui restent des années sur une colonne, pour éviter la
foule, est un de ses spectacles qui se multiplient en Orient. Ces épreuves
manifestent un zèle et une fervente étonnante…
Certains
moines rêvent surtout d’atteindre l’éternité dès ici-bas. Ils veulent se
dépasser pour se rapprocher davantage aux anges. Ils veulent tout renoncer au
point de vouloir détruire leur propre nature. Et cet héroïsme est justement, ô
comble de contradiction, leur principale menace. C’est la tentation de
l’orgueil. « Être le plus pauvre,
veiller et jeûner plus que tous les autres, redoubler de mortifications,
remporter sans cesse de nouvelles victoires sur soi-même, cette ascèse hardie,
si elle n’était pas mesurée par un prudent amour, risquait de dégénérer en une
véritable ivresse de la volonté. »[13] Le
risque est en effet de vouloir étonner par la prouesse au point de briller par
une excentricité inhumaine. Le moine doit-il alors renoncer au monde pour
finalement se lier dans un esclavage encore plus terrible ?
Certes,
les maîtres spirituels s’opposent à toute forme d’excès. Ils mettent en garde
contre les jeûnes immodérés, qui ne sont parfois que des pièges diaboliques.
« Ce n’est pas dans les combats de
la pénitence, mais dans le calme de la vertu que réside le Seigneur. »[14] Ainsi,
s’ils veulent suivre la voie du renoncement pour mieux suivre Notre Seigneur
Jésus-Christ, cette recherche doit être faite de discrétion et d’équilibre.
« On ne doit rien faire par
ostentation »[15],
nous rappelle Saint Antoine.
Mais
que sont-ils ces maîtres ? Ils n’ont aucune véritable autorité si ce n’est
au plus une autorité morale. Car finalement, les ermites sont livrés à
eux-mêmes, chacun fixant sa propre loi, chacun déterminant le genre de vie
qu’ils veulent mener. Dans leur cellule, ils sont parfaitement libres.
Or,
plus la vie du désert est auréolée d’un immense prestige, plus elle attire des chrétiens,
mêlant vrais croyants et aventuriers, plus ils sont avides d’eux-mêmes que de
renoncement. Et le monastère devient aussi un refuge pour ceux qui veulent fuir
les contraintes de la société, sa misère et ses exigences aussi.
La
vie commune, le cénobitisme
La
vie du désert n’est donc pas sans danger pour l’âme. Certes, la solitude est un
beau moyen pour fuir le monde mais le moine a-t-il renoncé à sa propre
volonté tant sa liberté est grande ? En se cachant dans une austérité
excessive, livré seul à de nombreuses tentations, ne risque-t-il pas de
sombrer, s’exaltant dans une fausse sécurité et finalement dans un orgueil
indomptable ? Et seul, ne perd-il pas cet amour des hommes indissociable à
l’amour de Dieu ? Certains ermites deviennent en effet « farouches au point d’avoir horreur de la
société des hommes. »[16] Est-ce
vraiment imité Notre Seigneur Jésus-Christ ?
La Thébaïde ou La Vie des saints pères
Paolo Uccello
|
Pour organiser cette vie communautaire, Packôme
rédige une Règle en tenant compte de leur faiblesse. C'est la première Règle... Il ne s’agit pas d’en
faire des héros de la mortification, des hommes exceptionnels dans l’ascèse
mais d’en faire des saints. « La
volonté de Dieu, c’est qu’on se mette au service des hommes pour les inciter à
aller à Lui, c’est de travailler les âmes des hommes pour en faire des saints à
présenter à Dieu… »[18]
C’est
ainsi que des villages de moines apparaissent derrière de hauts murs
d’enceintes. Et derrière cette barrière physique et morale, un monastère
déploie une activité débordante selon une organisation rigoureuse et
rationnelle. Fermé partiellement au monde, le moine est capable de vivre entièrement
sur lui-même. Et entre deux travaux manuels, il s’applique à la prière, à la
lecture de la Sainte Écriture et à la méditation dans sa cellule. Cette vie
laborieuse et de prière ne permet pas des jeûnes excessifs. Certains moines
peuvent certes en faire mais elle doit se faire sans ostentation, dans une très
grande discrétion. Des conférences qui expliquent la Sainte Écriture viennent aussi
ponctuer la vie des moines.
Saint Pakhôme, recevant sa Règle d'un ange, XVIe |
Mais
le moine est libre pour quitter le monastère afin de se retirer dans le désert
car la solitude demeure encore l’idéal à atteindre. Il est aussi possible de le
réintégrer si le moine le souhaite.
Les
monastères sont ainsi de véritables villes de moines, pouvant habiter mille,
voire deux mille religieux. Il ressemble à une fourmilière ou à une ruche
ouvrière qu’à un asile pour les âmes contemplatives. Bien administré,
rigoureusement organisé, avec douceur et humilité, ils demeurent néanmoins peu
propices à la solitude en raison de son gigantisme et du difficile équilibre
entre le travail et la prière.
Les
laures de Palestine
Vivant
seuls dans une cellule comme Saint Antoine ou regroupés dans un véritable
village, soumis à une obéissance strict comme les disciples de Saint Pakhôme,
les moines peuvent encore choisir une autre voie qui alterne l’anachorétisme et
le cénobitisme dans les laures de Palestine.
Saint Antoine et son disciple saint Théodose, fondateurs de la Laure des Grottes de Kiev |
De
petites colonies anachorétiques essaiment aussi en Mésopotamie selon le même
processus. Jacques de Nisible et Saint Julien Sabas en sont les premiers
fondateurs.
Un
monastère où s’épanouit la charité
Après
Saint Antoine et Saint Packôme, le monachisme franchit une nouvelle étape avec
Saint Basile. Contrairement aux premiers, Saint Basile
entreprend un voyage en Egypte, en Palestine et en Syrie afin de s’informer sur
les diverses formes de monachisme. Moine avec quelques amis dans un lieu retiré
de sa propriété, il bâtit un monastère, menant une vie de prière, de travail
manuel et de travail intellectuel. Pendant cinq ans, il vit dans cette
communauté et compose une grande partie de sa Règle.
Saint Basile (330-379) |
La solitude n’est donc pas la finalité du monde. Ce n’est qu’un moyen certes
efficace mais périlleux, extrêmement dangereux, destiné à une certaine élite
spirituelle. Ces âmes d'élite finissent par se former dans les monastères de Saint Basile
avant de mourir définitivement au monde dans une cellule isolée, ignorée.
Finalement, la vie en communauté est un moyen sûr pour préserver le moine des dangers de la
solitude tout en lui permettant de renoncer au monde et à lui-même. Elle
garantit l’épanouissement des vertus chrétiennes. Elle doit constituer une
unité surnaturelle, c’est-à-dire le corps mystique du Christ ou plutôt un
membre du grand corps de l’Église. Tout en se séparant du monde, le monastère
offre hospitalité et bienfaisance pour les pauvres et en général pour tous les
hommes. Il est donc pleinement ancré dans l’Église.
Devenu
évêque de Césarée, Saint Basile fonde un monastère à côté de sa cathédrale. Il
est à la foi maison de vie commune, de prière, de travail et d’apostolat. Il
comprend en effet une hôtellerie, une école, un orphelinat, un hôpital, dans un
bâtiment à part des moines. Ces derniers participent aux messes avec les
chrétiens de la ville. Le monastère s’intègre ainsi dans la vie ecclésiastique…
Saint
Basile donne au monachisme une de ses premières grandes règles, connues sous le
nom de Regulae fusius tractatae. Ce recueil est constitué d’une suite
de conférences sur la vie monastique. Elle supplante toutes les autres règles
établies. Elle est aujourd’hui la règle du monachisme oriental.
Conclusion
La
vie monastique répond à un fort besoin de sanctification et de perfection
évangélique : renoncer au monde pour mieux suivre Notre Seigneur Jésus-Christ.
Ainsi les premiers moines sont des ermites. Ils se réfugient dans la solitude la
plus austère pour se retrouver seuls devant Dieu, libérés des liens qui les
attachent à un esprit éloigné de Dieu. Le moine est donc un homme en rupture
avec le monde. Et pour répondre à leur vocation, le désert est le lieu le plus propice.
Mais il ne reste pas seul longtemps. Il est souvent rejoint par d’autres qui
cherchent à l’imiter, à vivre sous son parrainage, à entendre et pratiquer son
enseignement, sa sagesse. Ainsi des communautés se créent, des monastères se
constituent. Telle est l’origine du cénobitisme, œuvre spontanée provenant
d’une initiative individuelle. Saint Pakhôme et Saint Basile ont tiré de cette
expérience les leçons suffisantes pour développer un monachisme plus mature et
organisé.
Seul
ou en vie communautaire, le moine a plusieurs moyens pour atteindre la vie
absolue en Dieu, tous tournés vers les trois occupations principales : la
prière, la lecture assidue de la Sainte Écriture, le travail manuel. Cette vie
est aussi imprégnée de sacrifices, nombreux et variés, parfois d’une extrême
ingéniosité, voire 'exubérance.
Mais
cette vie de solitude a ses propres dangers, ses propres tentations. Elle est
réservée à des âmes d’élite. Le plus grand danger est de s’enorgueillir de ses
efforts, de se glorifier dans son ascèse, de se rendre aveugle de son état au
point que l’homme finit par se reposer en lui-même. Certes, il a renoncé au
monde mais il ne s’est pas renoncé à lui-même. Certains fuient l’esprit du
monde pour devenir finalement ennemis des hommes, ce qui ne correspond guère à
l’esprit de charité. Dans le désert, des ermites cherchent Dieu mais finissent
par se perdre dans leur moi. Abandonné à leur propre délire, ils peuvent alors
souffrir du dégoût de la vie, de la tristesse, de l’angoisse du cœur, en un mot
de l’« acedia ». Le péril
est alors grand de se distraire dans des mortifications les plus excentriques
et ostentatoires…
La
vie en communauté est un remède efficace contre les pièges de la vie solitaire.
Elle assure au moine le renoncement de soi-même, non dans l’éclat des
mortifications ou dans d’excessives austérités, mais dans l’humble obéissance
et la douce discrétion. « Tout ce
qui n’est point exactement borné ne dure guère » [22], nous
dit Saint Synclétique. La
démesure est un véritable danger contre lequel s’oppose le cénobitisme.
L’obéissance implique l’humilité et donc le suprême renoncement puisqu’elle est
abandon de la volonté propre. Le moine peut alors atteindre plus sûrement l’« ataraxie », c’est-à-dire le calme
absolu, le total détachement.
Ainsi la vie monastique donne à chacun le moyen d’exercer les vertus chrétiennes de manière équilibrée et contrôlée, avec modération comme l’a bien compris Saint Pakhôme, et avec charité comme le souligne Saint Basile. « Notre tradition est toute conforme à la raison »[23], déclare Théonas. La perfection évangélique n’est donc plus réservée à des athlètes du Christ mais à tous les hommes. Ce ne devient plus un acte héroïque en soi mais un état.
Travail
et prière, selon une discipline rigoureuse, telles sont les activités qui
rythment le moine, seul dans une cellule ou au sein d’une communauté. Le
monastère n’est pas une vie oisive. Il ne faut pas non plus qu’elle bouillonne
au point de rendre impossible la nécessaire solitude et de ne point développer
l’âme de la communauté. Saint Basile donne une certaine humanité et équilibre
dans le monachisme. Le moine peut alors s’appuyer sur la communauté pour
grandir en Dieu comme il participe de manière discrète à son épanouissement.
Mais
le monastère n’est pas non plus seul ; il appartient à l’Église. Il est membre
du Corps mystique du Christ. La vie qui l’anime et qu’il élève est aussi celle
de l’Église. La force qui règne en lui renforce aussi les autres membres de
l’Église. Elle rayonne sur l’Église. Ainsi né dans le refus du monde, le
monachisme se trouve néanmoins engagé dans le monde avec l’esprit de Notre
Seigneur Jésus-Christ…
Notes et références
[1] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine, trad. B. Lavaud, Desclée de Brouwer, 1943 dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre, éd. du Centurion, 1965.
[2] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine.
[3] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine.
[4] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine.
[5] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine.
[6] Gabriel Le Bras , Les Ordres religieux, la vie et l’art, sous la direction de Gabriel Le Bras, Tome I, Flammarion, 1979.
[7] Palladius, Histoire lausiaque, trad. A. Lucot, 1912 dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[8] J.-Cl. Guy, dans Petite Histoire de la vie monastique, Frère Philippe, V.
[9] Michel Mourre, Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, I.
[10] Cassien, Conférences, III, I, dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[11] Saint Macaire d’Alexandrie, Liber de custodia cordis, 12 dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[12] Saint Jérôme, Lettre ad Demetriadem, CXXX, 14, dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[13] Michel Mourre, Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, I.
[14] Cassien, Conférences, XII, II, dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[15] Apophtegmes, dans Les Ordres religieux, la vie et l’art, sous la direction de Gabriel Le Bras.
[16] Cassien, Conférences, XIX, 10.
[17] On retrouve aussi l’orthographe Pacôme.
[18] Pakhôme, Catéchèse, éd. Th.Lefort, 2, 15 , Michel Mourre.
[19] Saint Basile, Regulae jusius tractae, VII dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[20] Saint Basile, Regulae jusius tractae, VII.
[21] Saint Basile, Regulae jusius tractae, VII.
[22] Cité dans Les Ordres religieux, la vie et l’art, sous la direction de Gabriel Le Bras.
[23] Cité dans Les Ordres religieux, la vie et l’art, sous la direction de Gabriel Le Bras.
[1] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine, trad. B. Lavaud, Desclée de Brouwer, 1943 dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre, éd. du Centurion, 1965.
[2] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine.
[3] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine.
[4] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine.
[5] Saint Athanase, Vie et conduite de notre saint père Antoine.
[6] Gabriel Le Bras , Les Ordres religieux, la vie et l’art, sous la direction de Gabriel Le Bras, Tome I, Flammarion, 1979.
[7] Palladius, Histoire lausiaque, trad. A. Lucot, 1912 dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[8] J.-Cl. Guy, dans Petite Histoire de la vie monastique, Frère Philippe, V.
[9] Michel Mourre, Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, I.
[10] Cassien, Conférences, III, I, dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[11] Saint Macaire d’Alexandrie, Liber de custodia cordis, 12 dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[12] Saint Jérôme, Lettre ad Demetriadem, CXXX, 14, dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[13] Michel Mourre, Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, I.
[14] Cassien, Conférences, XII, II, dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[15] Apophtegmes, dans Les Ordres religieux, la vie et l’art, sous la direction de Gabriel Le Bras.
[16] Cassien, Conférences, XIX, 10.
[17] On retrouve aussi l’orthographe Pacôme.
[18] Pakhôme, Catéchèse, éd. Th.Lefort, 2, 15 , Michel Mourre.
[19] Saint Basile, Regulae jusius tractae, VII dans Histoire vivante des moines des Pères du désert à Cluny, Michel Mourre.
[20] Saint Basile, Regulae jusius tractae, VII.
[21] Saint Basile, Regulae jusius tractae, VII.
[22] Cité dans Les Ordres religieux, la vie et l’art, sous la direction de Gabriel Le Bras.
[23] Cité dans Les Ordres religieux, la vie et l’art, sous la direction de Gabriel Le Bras.
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