À la noblesse chrétienne de la nation allemande |
Les voies de la
réformation
En 1520, Luther propose
des réformes dans trois ouvrages. Dans le manifeste à la noblesse chrétienne de la
nation allemande sur l’amendement de l’état chrétien (août),
Luther décrit l’Église captive et propose de la délivrer. Elle serait prisonnière
de trois « murailles » :
- l’affirmation de la supériorité du pouvoir spirituel sur le temporel et la distinction entre l’état ecclésiastique et l’état laïc ;
- la prétention émise par l’Église romaine que seuls les clercs ont droit d’interpréter la Sainte Écriture ;
- le droit que s’est arrogé le Pape de pouvoir seul convoquer un concile général.
Les trois « murailles » ne seraient que des
inventions humaines que les autorités ecclésiastiques auraient élevées pour réduire les fidèles en esclavage. Pour libérer
l’Église, Luther demande donc de renverser les trois remparts. L’ouvrage est
écrit en allemand.
Dans le prélude sur la captivité
babylonienne de l’Église (octobre), il dénonce une Église enfermée dans
une doctrine et une pratique erronée des sacrements. Il accuse les prêtres
d’asservir les fidèles par les sacrements. L’ouvrage est écrit en latin.
Dans De la liberté chrétienne (novembre),
il développe l’idée selon laquelle tous les Chrétiens sont libres et égaux, et
par là maîtres du monde. Confiants en Dieu, ils domineraient la crainte de leur
devenir au-delà de la mort. Par la foi, le Chrétien serait un maître libre, qui
ne serait soumis à personne et n’aurait pas d’obligation. La foi l’unirait au
Christ qui le couvrirait de ses mérites. Justifié par la foi seule, il serait
affranchi de toute loi et devrait accomplir, par pur amour, tout ce que Dieu
commande, et pratiquer les œuvres dont le Christ lui a donné l’exemple.
La destruction du premier
rempart : le sacerdoce universel
Les propositions de Luther
ont donc pour objectif de détruire les trois murailles. La première muraille
est la plus importante. Elle soutient les deux autres. C’est pourquoi il y
concentre tous ses efforts.
Selon sa doctrine, devant
Dieu, les Chrétiens sont égaux. En outre, par le baptême, tous les Chrétiens
sont prêtres. Il prône donc le sacerdoce universel. Il n’existe donc pas
différence entre les états laïc et ecclésiastique. Un prêtre n’est qu’un fidèle
doté d’un ministère que la communauté lui a confié et qui a tout moment peut
lui être retiré. Il n’est qu’un « ministre ».
Il n’est pas un homme différent des autres, si ce n’est par sa fonction,
supérieur aux autres, jouissant d’un privilège quelconque. « Personne ne doit se laisser intimider par
cette distinction pour cette bonne raison que tous les chrétiens appartiennent
vraiment à l’état ecclésiastique ; il n’existe entre eux aucune
différence, si ce n’est celle de sa fonction »[1]
Si les clercs et les laïcs
ne se distinguent plus par nature, les premiers ne peuvent plus prétendre à une
puissance quelconque, à des exceptions ou à des droits spécifiques. Le droit
canonique n’est donc qu’invention humaine. Tous les Chrétiens sont donc assujettis
aux droits civils, c’est-à-dire aux autorités des cités, au pouvoir temporel.
La puissance temporelle a été constituée par Dieu pour punir les méchants et
protéger les bons. Tous doivent donc s’y soumettre. Précisons qu’à cette
époque, les clercs ne sont généralement justiciables que devant un tribunal
ecclésiastique, voire devant le Pape. Par conséquent, non seulement une
autorité spirituelle ne peut prétendre dominer une autorité temporelle, mais au
contraire elle doit s’y soumettre comme tout Chrétien.
Destruction de la deuxième
muraille : le libre examen
En outre, tout Chrétien
étant prêtre, il s’ensuit qu’il a le droit d’interpréter la Sainte Écriture
suivant que le Saint Esprit leur en donne l’intelligence. Luther défend donc le
libre examen. Les clercs ne peuvent non plus revendiquer d’être les seuls à
interpréter l’Évangile. La deuxième muraille peut être supprimée.
Destruction de la
troisième muraille : les droits du Chrétien
Enfin, quant au droit de
convoquer un concile réservé au Pape, ce n’est qu’un abus. Tout Chrétien peut
en en effet le faire quand la chose est
nécessaire. Cependant, « nul ne le
peut aussi bien que ceux qui ont en main le glaive temporel, surtout du moment
qu’ils sont, comme les autres, Chrétiens, prêtres, gens d’église, qu’ils
participent avec eux à tout leur pouvoir et que leur fonction et leur activité
qu’ils tiennent de Dieu doit s’exercer librement sur quiconque, quand il est
nécessaire et utile qu’elle s’exerce. »[2]
C’est même au pouvoir temporel de travailler à réformer l’Église et à l’unir
face au Pape. Luther propose ainsi aux
princes de convoquer un concile indépendant afin de réorganiser l’Église et de libérer
l’Allemagne de la domination romaine. Le manifeste est adressé à l’empereur
Charles-Quint afin qu’il opère la réforme.
Les remèdes que réclame
Luther pour libérer l’Église des trois murailles est donc le sacerdoce
universel, le libre examen et enfin l’assujettissement de l’Église au pouvoir
temporel. C’est toute la conception de l’Église catholique qui est ainsi remise
en cause.
Une nouvelle Église
Luther considère l’Église
catholique comme une institution humaine. Il voit dans son origine humaine la
cause des abus et des erreurs. Cette idée est déjà présente dans les 95 thèses
comme l’avait pressenti Cajetan. Elles contestent en effet au Pape et aux
clercs le privilège d’administrer les trésors des mérites de l’Église et que
l’Église assure la justification des fidèles en leur prescrivant des bonnes
œuvres. La remise en cause de l’origine et de la nature divine de l’Église
catholique est au cœur de ses contestations. Il voit l’Église uniquement dans
le peuple des fidèles qui forme à ses yeux le corps mystique du Christ.
L’Église visible, c’est-à-dire au travers de ses institutions et de son clergé,
n’y appartient pas. L’Église invisible est le centre de sa doctrine.
Certes, nous résumons
souvent la doctrine de Luther par la justification de la foi seule mais elle
n’est pas au cœur de sa pensée comme elle n’en est pas la source. C’est bien la
nature de l’Église qui fonde finalement tout son édifice doctrinal.
Une réforme soumise sous
la direction de l’autorité temporelle
Pour réformer l’Église,
Luther demande donc aux autorités temporelles d’aider les autorités spirituelles
à se réformer sans que les autorités ecclésiastiques ne puissent s’opposer à
leurs actions. Elles en ont le droit puisqu’elles participent au sacerdoce
universel. Pour cela, elles doivent s’opposer aux exigences abusives des chefs
ecclésiastiques, les obliger à suivre leurs conseils et leurs ordres dans les
domaines qui ne relèvent pas de la spiritualité. Il leur demande enfin d’exiger
un concile et de prendre les moyens nécessaires pour qu’ils obtiennent gain de
cause, c’est-à-dire pour appliquer le programme de Luther. Finalement, selon la
doctrine de Luther, l’autorité temporelle peut s’immiscer dans la vie de
l’Église, voire la diriger, s’opposant fortement à la théorie des deux glaives
que défend l’Église catholique.
Église nationale
Enfin, contre l’idée d’une
Église catholique aux mains de Rome, il décrit l’Église comme une association
d’Églises nationales jouissant d’une certaine autonomie. Il propose la
naissance d’une Église allemande dirigée par un primat assisté d’un
consistoire, réunissant les prélats allemands. Le Pape ne serait que l’autorité
suprême devant laquelle seront adressées en dernier rappel les affaires que les
évêques ne seraient pas parvenus à régler et les litiges qui opposeraient les
uns aux autres les archevêques et primats.
Ainsi Luther veut une
Église nationale, libérée de Rome et de toute autorité ecclésiastique, mais
soumise au pouvoir temporel, une Église dans laquelle les fidèles délèguent à
l’un des leurs l’exercice du culte.
Le programme du concile
Dans le Manifeste
à la noblesse chrétienne, Luther définit les questions que le concile
devrait traiter.
Sur le terrain
ecclésiastique, Luther réclame l’indépendance des évêques. Ils ne solliciteront
plus le pallium et ne demanderont plus à Rome la confirmation de leur élection.
Ils ne prêteront plus serment d’obédience au Pape. Le nombre de cardinaux devra
être diminué ainsi que le luxe de la curie pontificale. Tout envoi d’argent à
Rome sera interdit. Toute commende sera abolie.
Sur le terrain monastique,
Luther demande la suppression des vœux, la réduction du nombre de familles
religieuses, la réorganisation des ordres « comme ils l’étaient primitivement à l’époque des Apôtres ».
Sur le terrain politique,
Luther demande l’abolition de la suzeraineté du Pape sur certains territoires
et toute marque de dépendance du pouvoir temporel à l’égard du pouvoir
ecclésiastique dans les cérémonies. Il demande la suppression de la tiare
pontificale. Le Pape doit renoncer à la suzeraineté du Pape sur les royaumes de
Naples et de Sicile, et toute domination dans la marche d’Ancône, la Romagne et
dans d’autres territoires. Finalement, il lui supprime toute fonction
temporelle.
Luther en vient aussi à
définir les programmes des Universités, à vouloir contrôler le commerce et
l’économie, et à fermer les maisons publiques.
Contre les sacrements
catholiques
Dans le prélude sur la captivité
babylonienne de l’Église, Luther s’attaque à l’enseignement de l’Église
sur les sacrements. Il n’en retient que trois : le baptême, la pénitence
et la cène. Il subordonne l’efficacité des sacrements à la foi de celui qui les
reçoit. Il met en doute la doctrine de la transsubstantiation, sans remettre en
question la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ et réclame la
communion sous les deux espèces pour les laïcs. Il traite de monstrueux le fait
de regarder la messe comme un sacrifice et une bonne œuvre.
De nombreux ouvrages
Luther a énormément écrit.
On compte près de 600 œuvres de toute nature, en latin mais surtout en allemand
: traité religieux, pamphlet, traduction de la Sainte Écriture en langue
allemande. Il publie de nombreux ouvrages sur tout sujet, développant les
points doctrinaux de son programme de réforme. Par là, nous pouvons reprendre
les mots du cardinal Congar : « Il
a repensé tout le christianisme ». Nous pouvons citer :
- Confession auriculaire : il prêche l’abandon de la confession et donne la préférence à la confession faite à un simple chrétien sur la confession faite à un prêtre ;
- Abrogation de la messe privée (automne 1521) : il traite le saint sacrifice d’« abominable sacrifice », de « produits de l’enfer » et demande d’abolir les messes privées ;
- Sur les vœux monastiques : il se prononce pour la suppression des vœux monastiques et du célibat ;
- De la vie conjugale : il fait l’éloge du mariage, fixe les règles sur l’état conjugal, jugé bien supérieur à la vie monastique et détermine les cas possibles de divorce.
Luther a aussi écrit des
commentaires sur la Sainte Écriture, notamment les Commentaires sur quelques psaumes,
Cours
sur l’Épître aux Romains. Il s’écarte des interprétations de l’Église
pour asseoir sa doctrine de la justification conformément à son illumination.
Enfin, Luther a traduit la
Sainte Bible en langue vulgaire, la rendant accessible à tout Allemand. En
1522, il publie le Nouveau Testament depuis une traduction grecque d’Érasme.
De 1523 à 1534, il publie par partie l’Ancien Testament. En 1541, une nouvelle
édition de toute la Bible paraît. La diffusion de la Bible de Luther dans les
églises, les écoles et les foyers est sans nul doute le plus puissant moyen par
lequel il a pu propager ses doctrines. Les traductions ont l’avantage de rendre
accessible la Sainte Écriture à tous les fidèles, conformément à sa doctrine.
« Par la richesse de son
vocabulaire, par son style toujours simple et clair, parfois lyrique et
brillant […] elle est restée le premier modèle de l’allemand moderne »[4].
Conclusion
Par ses nombreux écrits,
Luther a développé une doctrine religieuse qui s’oppose fortement à celle que
défend l’Église catholique. Sa « réforme
» relève bien de l’ordre doctrinal. « C’est
contre les doctrines impies que je me suis dressé, et j’ai sévèrement mordu mes
adversaires, non pas à cause de leurs mauvaises mœurs, mais à cause de leur
impiété. »[5]
Elle se présente clairement comme en rupture avec la doctrine classique au
point qu’elle détruit les fondements de l’Église catholique. Elle s’oppose
aussi au combat que l’Église a traditionnellement mené pour son
indépendance à l’égard de toute autorité temporelle. Enfin, en prônant
l’égalité des Chrétiens, elle s’oppose au fondement d’une société qui s’appuie
fortement sur l’inégalité. Le système de Luther remet donc aussi en question
l’ordre social. Sa réforme est une révolution doctrinale, politique et sociale.
Mêlée à une forte personnalité, elle ne peut qu’être brutale et sans
concession. Au-delà des questions religieuses, nous voyons sans mal ce qu’elle
pourra donner : anarchie doctrinale et sociale, persécution et révolte,
pouvoir accru des autorités temporelles…
Notes et références
[1]
Luther, Prélude à la captivité babylonienne de l’Église dans Les différends
anthropologies dans la séparation entre catholiques et protestants ;
Approches historique, systémique et œcuménique, Maryvonne Nivoit, thèse pour le grade de Docteur de l’université
de Strasbourg en théologie catholique, 2015.
[2]
Luther, À la noblesse chrétienne de la nation allemande sur l’amendement de
l’état chrétien, dans Luther, Les grands écris réformateurs,
traduction par Maurice Gravier, Flammarion, 1992.
[3]
Sauf s’ils sont guidés par la curiosité et si le pèlerin a les moyens
financiers de les faire.
[4] A.
Boulanger, Tome III, les Temps modernes, volume VII, XVI
et XVIIème siècles, 1ère partie, La Réforme protestante, n°20, librairie E. Vitte, 1938.
[5]Werke
,
VII, 43 dans Histoire des conciles œcuméniques, Latran V et Trente, Tome
X, 1ère partie, Trente, Introduction, sous la direction de S.J. G.
Dumeige, Fayard, 1975.
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