" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


vendredi 20 janvier 2017

L'humanisme chrétien contre Luther

Fort d’un soutien politique et populaire, Luther mène une véritable révolution doctrinale, politique et sociale, rompant brutalement avec l’enseignement et les politiques traditionnelles de l’Église catholique. Bien avant ses protestations et dans un esprit de fidélité à l’Église, de véritables réformateurs travaillent à réformer les hommes par la religion, dessinant ainsi le mouvement qui suivra le Concile de Trente. Deux voies se dessinent ainsi au début du XVIème siècle. De nombreuses raisons, notamment la faiblesse des autorités religieuses et politiques de l’époque, rendent la voie luthérienne plus attrayante. Elle s’impose rapidement en Allemagne puis dans de nombreux royaumes et États européens. Cependant, très rapidement, des voix s’élèvent pour dénoncer les erreurs de Luther et prévoient déjà les effets néfastes de sa révolution.

Le virulent polémiste Thomas Murner (1475-1537)

Frère mineur conventuel, Thomas Murner mène un inlassable combat contre le luthéranisme. Docteur en théologie puis en droit, il est un des grands prédicateurs allemands de son époque. Il est aussi un des adversaires les plus acharnés de Luther. Il compose plus d’une trentaine de traités et de pamphlets contre lui et les protestants. L’un de ses principaux ouvrages est Le Grand Fou luthérien dans lequel il représente Luther et l’esprit réformateur.

Né à Obernai au pied du Mont-Sainte-Odile dans une famille aisée et appréciée, Thomas Murner entre à 15 ans au couvent des Franciscains de Strasbourg. En 1494, il devient prêtre. Grand prédicateur, il sait capter et convaincre son auditoire. De 1495 à 1500, il voyage en France, dans l’actuelle Allemagne et en Pologne. Il visite les grandes universités. En 1510, il est docteur en théologie, en droit civil et en droit canon. Il parle allemand, latin, grec et il sait lire l’hébreu. Ses connaissances sont extraordinaires. Il traduit notamment l’Énéide de Vigile en allemand. Pédagogue et novateur, il invente des jeux pour mieux enseigner la logique et le droit. Il défend aussi l’étude de la littérature ancienne, en particulier la poésie païenne, y compris pour les religieux, notamment pour les former à l’art oratoire, ce qui lui valent une opposition de la part de certains ecclésiastiques…

Thomas Murner, un réformateur satirique

Thomas Murner est un des auditeurs de Jean Geiler de Kaysersberg (1445-1510), célèbre pour ses sermons vifs et sans concession, qui s’en prend sans ménagement aux vices du clergé et des moines. Il lit en particulier un des ouvrages populaires les plus imprimés du XVIème siècle, La Nef aux fous, publié en 1494, dont l’auteur est l’humaniste et juriste de Bâle Sébastien Brant (1458-1521). À son tour, Murner critique sans ménagement la faiblesse et la folie de ses contemporains sur un ton satirique et moralisateur. « Né railleur comme il le dit […], ayant observé pendant ses voyages les mille travers de ses contemporains, il les dépeint avec une verve inépuisable. Cependant, il ne se contente point de faire rire, mais il a une intention morale et elle éclate parfois avec une énergie voisine de la brutalité. »[1]

Murner se veut réformateur des mœurs. Il critique vigoureusement les clercs corrompus qui négligent leurs tâches pastoraux et délaissent l’idéal de pauvreté. Dans toutes ses satires, il ne fait pas que dénoncer les vices de son temps, il exhorte aussi à la pénitence et appelle au repentir. Son principal but est d’avertir les hommes pour les empêcher de se perdre dans l’enfer.

Thomas Murner, farouche adversaire de Luther

Le Grand fou luthérien







Murner est un fervent adversaire des mouvements protestants au point que, sous la pression des protestants, il doit fuir de nombreuses villes. Son langage lui vaut aussi de nombreux ennuis. Il se montre outrancier, vulgaire, impétueux comme la plupart des polémistes de son temps. À de nombreuses reprises, pour ses injures, il est convoqué à comparaître devant des tribunaux. Mais dans la défense de la messe, il se montre plus mesuré et plus digne.

Au début de la prédication de Luther et de la publication de ses ouvrages, quand Luther s’attaque à l’indignité des prêtres, Murner adhère à ses critiques mais quand il s’est mis à attaquer les dogmes de l’Église, il s’oppose à lui, n’hésitant pas à l’affronter au travers de pamphlets. Il le traite d’homme coléreux et insensé, de fou désireux de se venger du pape. Il s’oppose surtout à ses écrits et à son enseignement. En octobre 1520, pour mieux éclairer les laïcs sur les erreurs de Luther et leurs perversions, il traduit en allemand son traité Sur la captivité babylonienne de l’Église. De 1520 à 1521, il publie quatre traités dont le premier est encore empreint d’une certaine modération. Dans ses écrits, il dénonce surtout les effets de sa révolution. De façon sincère, il décrit la détresse des catholiques et dénonce les divisions et les soulèvements. « Jusqu’à sa mort, il éprouve le besoin d’une activité passionnée au service du peuple et de l’Église. »[2]

L’exagération de Luther

Que reproche-t-il à Luther ? À ses yeux, le « réformateur » va trop loin dans la critique. Il s’attaque à toutes les institutions traditionnelles : le pape, les docteurs, la tradition, le droit... Or, nous dit Murner, c’est à celles-ci qu’il revient d’opérer la réforme. Or Luther, au contraire, va dresser le peuple contre les autorités et susciter des révoltes. Il le peint sous les traits d’un dangereux agitateur. Sous prétexte de répandre des théories égalitaires, Luther  va alors mettre la chrétienté à feu et à sang. Le raisonnement qu’il utilise dans l’ordre spirituel - les chrétiens sont tous prêtres – il l’appliquera nécessairement dans l’ordre temporel, nous prévient-il.

Les remèdes que Luther adresse à l’Église sont aussi excessifs. Au lieu de guérir, il supprime. Les pèlerinages sont coûteux et appauvrissent les familles, et il demande leur suppression. Des moines sont malheureux parce qu’ils prononcent des vœux, et il propose la suppression des vœux. Le raisonnement de Luther nous revient à son histoire personnelle et intime. Il voit que ses exercices de mortification lui servent à rien, alors il affirme leur inutilité dans le salut des hommes. Murner s’oppose donc à sa manière d’agir. Il invite alors Luther à faire la distinction entre les abus et la vérité. Il lui demande aussi de mener des réformes sans une telle brutalité. Il accuse finalement Luther de causer plus de mal que de bien. Il récuse sa révolution religieuse.

Le respect de l’ordre

Murner ne critique pas simplement Luther et sa méthode brutale et sans discernement. Il examine ses propositions de réformes. Il rejette d’abord toutes celles qui remettent en question les dogmes. Celles qui concernent les institutions laïques ou la curie romaine, il les renvoie à des experts compétents. Celles qui intéressent la discipline religieuse, il les examine avec soin et le plus souvent les déclarent acceptables, pourvu que l’on renonce à toute forme de violence dans leur application. Il demande aussi la réunion d’un concile avec l’aide des autorités, y compris laïques, mais en appelant le pape à le réunir afin que l’Église se réforme légalement, tout en préservant les dogmes et sa tradition. Il défend fortement le caractère sacrificiel de la messe et combat pour la messe traditionnelle.

Le Grand fou luthérien

Le Grand fou luthérien



Murner devient la cible des attaques des pamphlétaires luthériens. Violemment attaqué, il se lance alors tout entier dans la bataille. En 1522, il publie un des plus virulents pamphlets intitulé Le Grand Fou luthérien. Le temps n’est plus à la modération. Après avoir rappelé toutes les attaques dont il a fait l’objet, il décrit surtout l’Église catholique et sa foi gravement menacées. Il n’argumente plus. Il ne discute plus. Il attaque.

Le pamphlet se compose de trois parties. Dans la première, Murner s’adresse aux disciples de Luther qui, au nom de sa doctrine, fomentent des révoltes. Dans la deuxième, au travers de parodie, il s’attaque de façon exagérée aux conceptions religieuses d’un pamphlétaire luthérien de manière à les présenter comme une attaque licencieuse contre la foi chrétienne. Sous forme de récit, il raconte des histoires de « l’armée luthérienne », ramassis de gueux qui ont pris pour capitaine Luther, irrespectueux à l’égard du Pape, de l’Empereur et des sacrements. Il le décrit à la tête de cette troupe, menant la guerre contre l’Empire et tous les saints, arguant d’une liberté comprise au sens anarchique et révolutionnaire. Dans la troisième partie, sous forme de farce, il imagine le mariage de la fille de Luther avec lui.

Murner s’attarde longtemps sur les effets concrets du luthéranisme, souligne les conséquences néfastes de son enseignement et de ses actions. Tout mouvement doit être en effet jugé selon ses fruits. Il montre que les paroles et les actions de Luther entraînent nécessairement des révoltes. Il le présente comme le nouvel Catilina de la nation allemande. Dans Le Grand Fou luthérien, il le décrit comme un séducteur qui sait « comment on graisse les souliers des paysans, c’est-à-dire comment on suscite la révolte par de douces paroles et de belles promesses. »[3] La liberté que Luther prône est en fait le « libertinisme ». Les hommes finissent en effet par se détacher de toute discipline et de toute participation au culte de l’Église. « Celui qui désire être un bon luthérien se détourne de tous les sacrements comme notre Luther nous l’a enseigné ; détruire les couvents et les églises, lacérer à coups de couteaux les images des saints … renverser toutes choses, c’est accomplir l’ordre de l’Évangile, c’est ainsi que nous sommes tous devenus luthériens »[4]. Visionnaire, il prédit les différentes révoltes que connaîtra la société allemande à partir de 1530…

Le devoir d’agir

Murder a fait l’objet de nombreuses critiques, surtout de la part de ses adversaires et des protestants. Sa personnalité est troublante selon ses biographes. Elle est à l’image de son époque, « réunissant tous les contrastes de son temps »[5]. Certes, il se montre railleur, parfois léger et pédant, virulent contre les abus et les vices dans l’Église, compromettant ainsi le respect dû aux autorités religieuses, mais contrairement à Luther, « il a toujours reconnu que le droit d’abolir les abus et d’améliorer la situation morale du peuple et du clergé ne revenait qu’aux autorités ecclésiastiques. »

Il est en outre conscient de ses audaces et « pour conjurer les dangers qu’il avait contribué à faire naître, il devint le champion de son Église. […] Il fut impitoyable pour les laïcs qui empiétaient sur les privilèges du clergé, qui s’emparaient de ses biens et qui ne réclamaient la réforme des couvents que pour s’en attribuer les revenus. »

En 1521, dans une de ses satires, Murner explique la raison de son combat. « Il y déclare que, puisqu’on a publié à Strasbourg des traités de Luther, qui lui ont semblé contenir des attaques injustes contre le Saint-Siège, il s’est vu obligé par son vœu d’obéissance et par sa qualité de docteur en théologie de les réfuter et d’engager la lutte contre Luther. »[6]

Jérôme Emser (1477-1527)

D’une vieille famille Souabe, Jérôme Emser est prêtre en 1518. Il s’attache d’abord à l’évêque de Gurk, le cardinal Raimond Péraudi, qu’il suit dans la prédication en Allemagne de l’indulgence plénière pour la croisade contre les Turcs. Il ne se noue ensuite avec le duc Georges de Saxe, ferme défenseur de l’Église catholique.

Très lié aux humanistes, Emser a d’abord entretenu de bonnes relations avec Luther jusqu’à la dispute de Leipzig qui lui révèle le danger de sa doctrine. En 1519, dans une lettre publique, il rapproche son enseignement à celui des hussites. Luther lui répond avec une extrême violence. À son tour, Emser lui répond, révélant son véritable tempérament. « Il ne t’est donc pas possible de publier quelques chose sans faire éclater ta rage cynique, sans mordre comme un dogue en furie ? Ton père s’appelle Bélial, c’est celui de tous les moines révoltés. Dans ton langage insultant et plein d’orgueil, je ne reconnais pas l’esprit du Christ. Malheur à toi qui trouble l’Église et fomentes les disputes et la discorde ! »[7]

Comme Murner, Jérôme Emser reproche à Luther de ne pas faire une réforme des abus et des scandales mais de détruire la chose elle-même. Dans un ouvrage, il entreprend de réfuter le manifeste à la noblesse allemande. Il discute chacune de ses propositions. Il répond aussi aux attaques de Luther contre l’état ecclésiastique, la messe catholique, les messes privées. Il corrige enfin les erreurs de la traduction de la Bible entreprise par Luther et publie en 1527 une Bible catholique en allemand.

Jean Dobeneck dit Cochlaeus (1479-1552)


 
Né d’une famille paysanne au diocèse d’Eichstätt en Bavière, Jean Dobeneck, dit Cochlaeus, mène des études de théologie à Cologne. Professeur à l’école Saint-Laurent de Nuremberg en 1510, il rédige plusieurs manuels scolaires sur la grammaire, la musique, la nature. Il publie notamment l’un des premiers manuels de géographie de l’Allemagne. En voyage en Italie, il est promu docteur en théologie à Ferrare en 1517. À Rome, il poursuit ses études et approfondit ses connaissances sur l’hébreu, les Pères de l’Église. Il entre dans l’Oratoire du Divin Amour. En 1518, il est ordonné prêtre.

Rentré à Francfort, Cochlaeus prie Luther de faire la paix avec l’Église. Si au début il adhère à ses idées, il s’écarte progressivement de lui après la publication de son manifeste à la noblesse chrétienne. Il ne cesse alors de dénoncer ses erreurs tout en cherchant un rapprochement éventuel. Il voit dans ses propositions une menace pour la paix sociale, l’unité de l’Église et la civilisation des lettres. Au colloque de Worms, il lui dit : « J’ai toujours vénéré les belles lettres, mais je prise encore plus la foi catholique. »[8]

À partir de Worms, Luther devient un ses plus grands adversaires. Il est pour lui l’incarnation du mal à éradiquer par tous les moyens qu’offrent la controverse et la polémique. Il se consacre jusqu’à sa mort à la défense de l’Église catholique, combattant la sédition, le schisme et la barbarie dont Luther est responsable.

Dans son combat, Cochlaeus se rend compte que Rome ne mesure pas l’enjeu à son véritable niveau. Il se plaint notamment auprès de Léon X de l’incapacité des évêques allemands à faire face au mouvement luthérien et du manque de réaction de Rome. Il se sent en fait bien seul en Allemagne pour l’affronter. À Clément VII, il propose un programme de réforme pour rendre l’Allemagne à la foi catholique. En réponse, le Pape lui propose une place à la Pénitencerie romaine mais il refuse la proposition, prétextant son devoir de rester en Allemagne. Ainsi, Cochlaeus est sans-doute « le premier parmi les intellectuels allemands à mesurer l’ampleur de la crise germanique, le véritable enjeu de l’attaque luthérienne et le niveau exact où elle se situait. »[9]

Depuis 1521, il participe alors à tous les événements et rencontres entre les catholiques et les protestants allemands, débats qui doivent sauver l’unité de l’Église, aux diètes d’Augsbourg (1530) et de Ratisbonne (1532). Il y apparaît comme le meilleur défenseur de l’Église. Il influence les évêques allemands dans le sens d’une réforme et critiquent le relâchement de la discipline. Il appelle aussi de ses vœux à un concile qui doit triompher des erreurs et réconcilier les princes. Dès l’élection du Pape Paul III en 1534, il l’exhorte à le réunir. Il suit ainsi avec un vif intérêt les délibérations du Concile de Trente.

Érasme contre Luther

Né à Rotterdam, en 1466 ou 1469, Érasme est un des plus grands humanistes de son temps. Il a influencé les réformateurs et les futurs protestants. Né d’une liaison entre un prêtre et une fille de médecin, il entre dans une école de Deventer tenu par les frères de la vie commune. Mais ses parents morts, victimes de la peste, ses tuteurs le font entrer chez les chanoines augustins de Steyn en 1487 où il prononce ses vœux. Il est ordonné prêtre en 1492.

À Deventer et surtout à Steyn, Érasme découvre la littérature païenne qu’il dévore sans mesure alors qu’il s’écarte peu à peu de l’enseignement classique, notamment de la scolastique qu’il n’apprécie guère et à laquelle il s’opposera.

La vie religieuse ne lui plaise pas. Dispensé, Érasme parvient à s’engager auprès de l’évêque de Cambrai et découvre la vie de la noblesse, puis, engagé dans des études de doctorat de théologie, la vie universitaire à Paris. Mais révolté contre la discipline religieuse et la scolastique, il quitte ses études pour vivre du préceptorat. Il rencontre de nombreux humanistes, poètes et savants, dont Lefèvre d’Etaples. En 1499, il est appelé à Londres puis à Oxford où il se lie d’amitié avec Saint Thomas More et le théologien Colet.

De retour à Paris en 1500, Érasme publie de nombreux ouvrages sur la pédagogie, la philologie, la politique mais aussi sur la théologie. À partir de Bâle et d’un réseau de disciples, il parvient à les diffuser dans toute l’Europe. Sollicité de partout, il devient un des acteurs les plus importants de ce qui sera appelé l’humanisme chrétien, c’est-à-dire la conciliation entre l’humanisme et le christianisme. En 1504, il publie le Manuel du soldat chrétien dans lequel il énonce un programme de réforme. En 1511, il publie son ouvrage de référence L’Éloge de la Folie dans lequel il prononce un féroce réquisitoire contre les abus de toute sorte et les déviations de l'Église. Il prône le retour à la Sainte Écriture et à un christianisme dépoussiéré. « On en est arrivé au point que l’essentiel de la religion dépend moins des prescriptions du Christ que des définitions et du pouvoir des évêques »[10].

Lorsque Luther devient connu, Érasme commence d’abord à l’apprécier. Son opposition à la scolastique et son appel au retour au texte attirent sa bienveillance, même si les excès de langage, sa fougue et ses exagérations le déplaisent. Toutefois, ambiguë, il ne prend pas position, ce qui lui vaut des reproches de la part des catholiques et des disciples de Luther. Les premiers l’accusent d’être responsable de sa doctrine quand les seconds dénoncent sa pusillanimité. Son attitude devient rapidement intenable. Mais la querelle est inévitable entre Érasme qui prône le retour des auteurs antiques et Luther qui dénonce l’influence d’Aristote dans le christianisme. « Je hais Érasme du fond du cœur »[11], dira Luther.

En 1524, c’est « le choc véhément de deux conceptions qui se heurtent, sans médiation possible. »[12] Le 1er novembre, Érasme sort de sa réserve. Par sa Diatribe sur le Libre-arbitre, il attaque un des fondements du système de Luther, la doctrine du serf-arbitre. Érasme défend une certaine liberté et dignité de l’homme dans l’œuvre du salut et récuse toute idée de prédestination. Il attaque finalement la conception de Luther sur les rapports entre Dieu et l’homme. Luther est touché. « Toi, tu ne me fatigues pas avec des chicanes à côté, sur la papauté, le purgatoire, les indulgences et autres niaiseries qui leur servent à me harceler. Seul tu as saisi le nœud, tu as mordu à la gorge. Merci, Érasme ! » [13] Nous revenons en fait à l'origine de sa révolte : sa propre relation avec Dieu. En décembre 1525, Luther répond : il récuse toute liberté à l’homme face à la toute-puissance de Dieu. Érasme constate l’incompatibilité entre l’humanisme chrétien et la doctrine de Luther. De nombreux humanistes se détachent finalement de Luther. C’est la rupture…

Conclusion

Des catholiques, érudits et humanistes, se sont opposés à Luther et à ses disciples avant que le mouvement luthérien se répand avec succès. Ils ont nettement montré le caractère brutal et excessif de sa « réforme », source d’agitation et de violence. Ils ont en effet rapidement pris conscience du danger qu’elle représente non seulement pour l’Église mais aussi pour la société. S’ils constatent et combattent les abus qui entachent l’Église, ils sont soucieux de la paix et de l’ordre qu’ils jugent indispensables pour mener une véritable réforme, même si par leurs critiques acerbes, certains d’entre eux ont favorisé ce mouvement en ridiculisant les autorités religieuses.

Ces adversaires sont des érudits dans les sciences religieuses et profanes. Ils ont combattu, à leur manière, les abus qu’ils ont observés tout en demeurant fidèles à l’Église. Ce sont enfin des hommes de leur temps avec leurs défauts et leurs qualités. C’est bien un humanisme réellement chrétien qui s’oppose à Luther. Il est donc faux de voir en lui le représentant du savoir et du progrès. Il est avant tout un révolté qui va longuement apporter tristesse et misère à des peuples déjà en détresse…




Notes et références
[1] Dictionnaire de théologie catholique, article « Murner  Thomas», éditeur Letouzey, dans www.JesusMarie.com, 1902-1905, extrait le 8 janvier 2016.
[2] Bernard Vogler, Dictionnaire de l’Histoire du christianisme, article « Murner Thomas (1475-1537) », Encycopaedia Universalis, 2015.
[3] T.Murner, Le Grand Fou luthérien, dans Les pamphlets anti-luthériens de Tomas Murner, M.Lienhard, dans Les frontières religieuses en Europe du XVe au XVIIe siècle : actes du XXXIe Colloque international d’études humanistes, A. Ducellier, J. Garrisson, R. Sauzet, G. Audisio.
[4] T.Murner, Le Grand Fou luthérien, dans Les pamphlets anti-luthériens de Tomas Murner, M.Lienhard
[5] Ch. Schmidt, Histoire littéraire de l’Alsace, tome II, 1879 dans Dictionnaire de théologie catholique, article « Murner  Thomas».
[6] Dictionnaire de théologie catholique, article « Murner  Thomas».
[7] Emser, dans L’Allemagne et la réforme, tome VII, La civilisation en Allemagne depuis la fin du Moyen-âge jusqu’au commencement de la guerre de 30 ans, Jean Janssen, 1907.
[8] Cochlaeus dans Colloquium cum Luthero Wormatiae olim habitum, 1540, dans Le Divorce d’Henry VIII d’Angleterre, études et documents, Guy Bedouelle et Patrick le Gal, Librairie Droz S. A., 1987.
[9] Gabriel Audision, Compte rendu de M. Samuel-Scheyder, Johannes Cochlaeus Humaniste et adversaire de Luther, Revue de l’histoire des religions, année 1997, volume 214, n° 3, www.persee.fr.
[10] Érasme, Éloge de la Folie, dans Humanisme et religion, L’éternel salut du moi, Bernard Chedozeau, http://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr.
[11] Luther, Tischreden, dans Un destin, Martin Luther, Lucien Fèbvre,PUF, 1928.
[12] Lucien Fèbvre, Un destin, Martin Luther.
[13] Luther dans Un destin, Martin Luther, Lucien Fèbvre,PUF, 1928.
[14] Catalina (v. 108-68 av. J.C.) Homme politique romain connu pour ses conjurations visant la prise de pouvoir.

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