Kant s’oppose au dogmatisme de Wolf et au
scepticisme de Hume. Le premier formalise une certaine métaphysique abîmée de
rationalisme quand le second refuse non seulement toute métaphysique mais aussi
toute science. L’un et l’autre ruinent aussi toute morale. Kant développe une nouvelle philosophie souvent appelée kantisme ou criticisme. Il « consiste
à échapper au scepticisme en ruinant le dogmatisme qui lui fournit les armes,
et à déboucher sur une forme originale d’idéalisme »[1]. Kant se
heurte à ces philosophes et tente d’apporter des réponses, ces réponses
elles-mêmes ouvriront la porte à d’autres erreurs…
Synthèse
du kantisme
Kant
ne remet en question ni la science ni la morale. Ce sont deux faits
indubitables. Il y a des connaissances vraies et des obligations vraies qui
s’imposent à toute conscience raisonnable. Il se pose alors deux questions.
Comment la science et la morale sont-elles possibles ? Comment les
concilier, l’une supposant la nécessité des lois naturelles, l’autre la liberté
des actes humains ? Pour y répondre, il expose une méthode : la
critique de la raison sous deux aspects : spéculatif et pratique. La
raison spéculative permet de connaître ce que nous pouvons savoir, la raison pratique, ce que
nous devons faire. L’une fonde la science, l’autre la moralité.
La
nécessité des lois scientifiques ne provient pas de l’expérience mais de notre
esprit qui applique certaines lois générales de notre pensée aux choses pour
les percevoir et les comprendre. Ce sont des lois a priori indépendantes de
l’expérience et de toutes conditions expérimentales. Ainsi nous ne pouvons pas
connaître les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes mais seulement ce qui
nous apparaît en soumettant les phénomènes à nos propres lois. Nous
ne pouvons pas connaître les choses en elles-mêmes par raison pure. Il s’oppose donc à Wolf. Puis les lois sont nécessaires puisque l’expérience ne valent que par la
soumission aux lois de l’esprit. Il s’oppose ainsi à Hume.
Mais
Kant accomplit une véritable révolution qui dépasse même la philosophie. Il en
est conscient. Il lui donne un nom : « révolution
copernicienne ». Avant lui, les philosophes pensaient que l’esprit
devait se régler sur les choses pour les connaître. Kant dit le
contraire : c’est l’objet qui se règle sur l’esprit pour pouvoir être
connu. « La connaissance de l’objet
doit à présent dépendre de celle du sujet, et c’est le sujet qui lui donne sa
consistance. »[2] L’objet
de la connaissance est en effet scindé en deux choses :
- le noumène[6], chose en soi ;
- le phénomène[3], chose pour moi, représentation de la chose.
L’objectivité
et donc la vérité ne sont donc plus l’adéquation entre la chose en soi et sa
représentation. Kant les renferme dans l’étude des représentations particulières
et universelles de la chose. L’idée du kantisme est de considérer que :
- les noumènes existent mais sont inconnaissables ;
- les phénomènes sont les seules choses que l’homme peut connaître.
Ainsi
la nécessité n’est pas incompatible avec la liberté. La nécessité s’applique en effet
sur les phénomènes alors que la liberté s'exerce dans le monde des choses en soi.
En
outre comme la raison a des lois pour connaître, elle a aussi des lois pour
guider l’action. Le devoir est une règle d’action qui émane a priori de la
raison. La conscience se donne donc elle-même ses lois. Le devoir n’a besoin
d’aucune justification, d’aucun fondement puisqu'il s’impose par lui-même à
tout être raisonnable. Étant absolu, il justifie ses conditions. Elles ne
peuvent être connues de manière certaine puisqu'elles appartiennent au monde
des choses en soi donc inconnaissable selon la critique de la raison pure. Nous
devons donc admettre et tenir pour vrai ce qui est impliqué par le devoir, ce
qui est exigé pour rendre possible la vie morale. Il faut les poser par un acte
de foi. Ce sont des postulats de la raison pratique. Ce sont des principes de
base, non justifiables, qui servent au raisonnement. Ce sont la liberté,
l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. Ce sont des vérités sans
lesquelles l’homme ne peut pas bien vivre.
Le
problème critique
Kant
commence par un fait observable : l’expérience ne peut pas fournir toute
la connaissance. Elle ne peut que nous faire connaître des choses
particulières, contingentes, sur un certain nombre de cas observés. Tout ce qui
est nécessaire et universel ne peut pas provenir de l’expérience.
Kant
distingue deux sortes de jugements : le jugement analytique et le
jugement synthétique. Il
définit un jugement analytique quand le prédicat est inclus dans le sujet de
manière confuse et implicite de telle sorte que l’esprit n’a qu’à analyser le
sujet pour pouvoir porter le jugement en vertu du principe d’identité. Il a un
rôle d’éclaircissement, de développement, d’explicitation. Il apporte clarté et
distinction. Mais il ne fait pas progresser la connaissance puisqu’il n’apporte
aucune acquisition nouvelle. Le jugement n’est qu’explicatif. Un tel jugement
n’est qu’a priori. Il n’a pas besoin de recourir à l’expérience.
Un
jugement est dit synthétique lorsque l’esprit rapporte au sujet un
prédicat qui n’est pas contenu en lui. Il apporte seule une nouvelle
connaissance. Il étend donc notre connaissance. Il est extensif. Il peut être aussi
bien a priori qu’a posteriori. L’expérience peut fonder un jugement synthétique
a posteriori. La difficulté réside
dans le jugement synthétique a priori. Il ne peut recourir ni à l’expérience
puisqu'il est a priori ni au principe de raisonnement puisqu'il est
synthétique. Kant tente d’élucider cette difficulté. Qu’est-ce qui permet de
fonder un jugement synthétique a priori ? Toute la critique de la raison
pure dérive de cette question…
Les
axiomes mathématiques, le principe de causalité, les principes physiques sont
des jugements synthétiques a priori. La métaphysique en contient aussi. Mais
Kant considère que les mathématiques et la physique sont incontestablement des
sciences, ce qui n’est pas le cas de la métaphysique. Par conséquent, cette
dernière doit faire l’objet d’une critique pour devenir une science. La
critique est donc une « préface
obligée », une « propédeutique »,
ou encore un « prolégomène ».
La critique cherche les sources et les limites de la connaissance a priori.
Elle a pour objet la raison en tant qu’elle juge a priori la nature des choses.
La
méthode critique : l’analyse transcendantale
La
méthode qu’utilise Kant est l’analyse transcendantale. « J’appelle transcendantale toute connaissance
(recherche ou méthode) qui s’occupe non pas des objets, mais de nos concepts
(représentations ou jugements) a priori des objets. » Ce n’est ni les
propriétés de l’être qui se trouvent dans tout être comme l’unité, la vérité,
la bonté, ni ce qui existe en soi, hors de l’esprit. Ce qu’il appelle
transcendantal est immanent. Le transcendantal n’est pas logique. Selon Kant, la logique ne
s’intéresse pas à la vérité de la connaissance. Elle garantie la cohérence
interne de la pensée en posant les lois sans lesquelles il n’y aurait pas de
pensée. Le transcendantal concerne la connaissance et sa vérité quand il s’agit
de connaissances a priori. « Toute
connaissance a rapport à un objet, et quand la connaissance est a priori, son
rapport à l’objet est assuré non par l’expérience, mais par des principes que
Kant appelle transcendantaux. »[4] Le terme
de transcendantal est finalement tout ce qui concerne la connaissance a priori
des objets.
Le
terme d’analyse doit être compris dans un sens logique. Il s’agit de remonter
d’un fait à ses causes, d’une conséquence à ses principes. « L’analyse consistera donc à remonter du jugement
effectué aux principes d’où il dérive, qui l’expliquent ou le fondent. »[5]
La
recherche est orientée vers le sujet connaissant puisque son objet est la
connaissance a priori donc élaborée par l’esprit indépendamment de toute
expérience. Elle n’est pas d’ordre psychologique. Il procède par voie
rationnelle.
Kant
discerne trois fonctions de connaissance : la sensibilité, l’entendement
et la raison. Il applique la critique sur ces trois plans, donnant
successivement l’esthétique transcendantale, qui fonde la science mathématique,
l’analytique transcendantale, qui fonde la science physique et enfin la
dialectique transcendantale, qui démontre l’impossibilité d’une métaphysique
dogmatique...
[2] Initiation à la
philosophie moderne, CTU 2012-13, Kant et le
criticisme.
[3] Phénomène : du grec « fainomenon », « ce qui apparaît ».
[4] Roger
Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, Beauchesne, chapitre
VI.
[5] Roger
Verneaux, Histoire de la Philosophie moderne, Beauchesne, chapitre
VI.
[6] Terme ancien qu'utilise Platon pour désigner les "Idées". Il provient du terme grec "nooumenon', qui signifie "ce qui est su".
[6] Terme ancien qu'utilise Platon pour désigner les "Idées". Il provient du terme grec "nooumenon', qui signifie "ce qui est su".
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