" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 3 juillet 2013

Le baptême des enfants, un argument apologétique en faveur du péché originel

En 410, Rome est prise. Les voies romaines se remplissent de fuyards. Des groupes de réfugiés quittent la Ville éternelle et atteignent des terres plus pacifiques. Des fugitifs débarquent en Afrique encore épargnée. Parmi ces rescapés, Pélage et ses disciples. Ils apportent avec eux les germes d’une crise violente qui va secouer l’unité chrétienne. Du pélagianisme [1], le christianisme sortira néanmoins renforcé et consolidé, la foi approfondie. L’hérésie s’attaque à un des points essentiels et difficiles de l’enseignement chrétien : le péché originel [2]. 

L’enseignement du péché originel est ancien. Ses racines remontent aux premières pages de la Genèse. La Sainte Écriture le révèle de manière progressive [3]. Sous la lumière du Saint Esprit et du fait de la Rédemption, Saint Paul nous éclaire sur ce mystère [4]. Les premiers Pères de l’Église enseignent aux catéchumènes et aux chrétiens les mêmes vérités tout en l’explicitant davantage. La solidarité des hommes en Adam est nettement affirmée. Tous ont péché en Adam, tel est l’enseignement de l’Église. 

Mais le christianisme ne réside pas uniquement dans la Sainte Bible ou dans les discours des chrétiens les plus éminents. Il réside aussi dans la pratique, notamment dans les sacrements. L’usage du baptême administré aux enfants avant leur naissance, appelé aussi pédobaptisme, est une autre preuve indiscutable de l’origine antique du dogme du péché originel. Cette pratique est courante avant le IVème siècle, avant même la naissance de Saint Augustin. 

La nécessité du baptême

Rappelons les effets du baptême. « Le baptême est le sacrement par lequel l’homme, au moyen de l’eau et de la parole de Dieu, renaît spirituellement et est admis dans le Royaume de Dieu » [5]. Les effets du baptême sont doubles : la régénération spirituelle et l’admission dans le Royaume de Dieu. Nous ne pouvons pas renaître spirituellement si nous ne sommes pas morts spirituellement. Il y a aussi rémission des péchés, de tous les péchés. Le baptême nous revête aussi du « vêtement de l’immortalité », expression courante de l’antiquité chrétienne pour le désigner. Né enfant de colère, le baptisé devient enfant adoptif de Dieu.

Par la faute d’Adam, l’homme naît tout en étant mort spirituellement. Il est incapable d’entrer dans le Royaume de Dieu. Le péché originel transmis par la génération naturelle depuis Adam le rend enfant rebelle. Il a besoin de vivre surnaturellement et de voir les portes du Paradis de nouveau ouvertes. Par le baptême, il renaît dans l’amitié de Dieu et peut désormais entrer dans le Royaume de Dieu…

Cette régénération spirituelle est ouverte à tous les hommes sans exception. Elle est à portée universelle. Si tous sont solidaires en Adam, tous peuvent être sauvés en étant solidaires dans le Christ, quels que soient leur âge, leur sexe, leur origine, leur statut social, etc. Personne n’est donc dépourvu de l’aptitude à recevoir le baptême. Le baptême est nécessaire à tous pour le salut. 

Le baptême des adultes

Chapelles des sacrements
Catacombes Rome
Au tout premier temps du christianisme, les hommes deviennent chrétiens essentiellement par le baptême des adultes. L’effort est donc tourné vers leur conversion. Le baptême requiert une préparation qui consiste en une conversion à la foi et une conversion de vie. Cette préparation a donné lieu au IIIème siècle à l’institution du catéchuménat en Orient et de l’auditorat en Occident. Notre liturgie en contient encore de nombreuses réminiscences.



Durant une période définie, entre six à huit semaines, le catéchumène reçoit d’abord une instruction d’ordre moral et de nature doctrinale puis effectue un acte de repentance. L’enseignement porte sur la Sainte Écriture puis sur la catéchèse dogmatique avec l’explication des articles de foi du Symbole. Le baptême nécessite donc une préparation sérieuse et grave. Les documents qui nous restent de cette institution nous révèlent l’enseignement de l’Église de cette époque. L’homélie de Pâques de Méliton de Sarde en est un exemple [6].




Le pédobaptême, usage établi au IIème siècle

Selon la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « lorsqu'au IIe siècle apparaissent les premiers témoignages directs, aucun d'eux ne présente jamais le baptême des enfants comme une innovation » [7]. Le pédobaptême apparaît très rapidement comme une pratique courante. Le premier à nous signaler cet usage est Saint Irénée de Lyon [8]. Selon d’autres témoignages, cette pratique date du temps apostolique, comme l’atteste Origène : « l’Église a reçu des Apôtres la tradition de donner le baptême aux touts petits eux-mêmes » [9]. Dans son ordonnance ecclésiastique, « le plus ancien rituel », qui date du début du IIIème siècle, Saint Hippolyte de Rome donne l’instruction suivante : « les petits enfants doivent être baptisés avant [les adultes, le jour de Pâques]. Et s’ils peuvent parler, ils doivent parler ; s’ils ne peuvent pas encore, alors les parents ou l’un des proches doivent prendre la parole à leur place » [10]. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi précise que de nombreux documents épigraphiques datant du IIème siècle décernent à de petits enfants le titre d'« enfants de Dieu », « réservé aux baptisés ou même mentionnent explicitement le fait de leur baptême » [11]. Dans son épître aux Corinthiens, Saint Paul parle d’enfants saints (I. Cor, 14). Dom Paul Delatte en déduit qu’ils devaient être baptisés et donc que l’usage de baptiser des enfants existait déjà


Manuscrit Ethiopien



Certes Tertullien semble le remettre en question mais il montre à la même occasion qu’il est bien établi. Au début du IIIème siècle, Saint Cyprien répond à un évêque qui s’interroge sur la nécessité de conférer le baptême dès les premiers jours de la naissance [12]. Il révèle par là une pratique très répandue. En 365, toujours en Afrique, Saint Optat de Milève confirme la nécessité de la grâce baptismale [13]. Deux conciles évoquent l’usage du baptême des enfants : le concile d’Elvire (305 ou 306, canons 1 et 22) et le IIIème concile de Carthage (397, canon 48). Ainsi, « au IVème siècle finissant, la pratique du pédobaptisme est courant et indiscuté dans tout l’Occident et plus particulièrement en Afrique » [14]. 

« En Orient comme en Occident, la pratique de baptiser les petits enfants est considérée comme une norme de tradition immémoriale » [15]. Or « quand, dans l’Église, une attitude est universelle dans le temps et dans l’espace sans tenir son instauration d’un concile, c’est qu’elle est d’origine apostolique et porte, par conséquent, la garantie divine » [16]. 

Les oppositions au baptême des enfants

Plusieurs raisons expliquent l’opposition au baptême des nouveau-nés. Tertullien demande par exemple que les enfants ne viennent au baptême qu’à l’âge de raison. « Qu’ils soient capables au moins de demander le salut, pour qu’on voit bien qu’il n’est donné qu’à ceux qui le demandent » [17]. En outre, comme il n’est pas possible de garantir l’avenir, l’enfant ne peut s’engager sérieusement. « Ils peuvent mourir sans pouvoir s’acquitter de leur engagement et, s’ils vivent, leur mauvais naturel peut tromper leur espérance » [18]. Tertullien se demande enfin la raison d’un tel empressement : « pourquoi cet âge innocent est-il si pressé de recevoir la rémission des péchés ? ». Tertullien ne remet pas en question la raison du baptême ou son utilité, mais plutôt souligne sa gravité et l’engagement qu’il suppose. Il porte son attention plutôt sur l’enfant que sur le baptême en lui-même. Il exhorte alors à retarder le baptême aux enfants en raison de l’instruction nécessaire qui doit le précéder. Pour d’autres raisons, Saint Grégoire de Nazianze conseille d’attendre l’aurore de la raison afin que l’enfant puisse garder quelques souvenirs du baptême. Il fixe l’âge à 3 ans [19]. 

Une autre tendance au IVème siècle : retarder le baptême…


Baptistère IVème siècle, Grenoble




L’usage de baptiser les nouveau-nés est donc courant au IVème siècle. Cependant, nous rencontrons de nombreux chrétiens, et pas les moindres, baptisés à l’âge adulte : Saint Basile, Saint Ambroise, Saint Jean Chrysostome, Saint Martin, etc. Saint Augustin n’a reçu à sa naissance qu’un rite aujourd’hui disparu, celui de la consignation [20]. Curieusement, la sœur de Saint Ambroise, Sainte Marcelline, est baptisée très tôt. Le cas de la famille de Saint Ambroise reflète probablement deux tendances en son temps. « On constate une pratique très largement répandue du baptême des enfants, composant d’ailleurs avec une tendance diamétralement opposée mais dont l’excès est blâmé et combattu au nom de préoccupations pastorales » [21]. 

Baptistère Duomo (Florence)
IVème siècle
Des chrétiens suivent l’usage du rite de consignation et réservent le baptême pour plus tard. Selon Saint Augustin, la crainte les éloigne du baptistère. Ils craignent en effet que les péchés commis après le baptême soient plus graves que ceux commis sans le baptême ou que le péché peut ternir le sceau laissé par le sacrement. Ils attendent aussi que le baptême enlève le plus de péchés possibles. Leur responsabilité est ainsi le plus longtemps reportée. « Mon nettoyage fut donc ajourné, comme si, de toute nécessité, j’avais dû, destiné à vivre, me salir encore, la salissure du péché devant, après ce bain, constituer une charge plus lourde et plus dangereuse » [22]. Saint Augustin nous rappelle la maxime du monde : « laissez-le faire ce qu’il veut, il n’est pas encore baptisé ». 

Il faut savoir aussi, qu’à l’époque, la pénitence qu’est imposée au pécheur est particulièrement dure. En outre, certains péchés ne sont pas tous remis. Ainsi le baptême est-il le plus longtemps reporté. « Certes, la pratique du baptême des enfants a connu une certaine régression an cours du IVe siècle. A cette époque, où les adultes eux-mêmes différaient leur initiation chrétienne, dans l'appréhension des fautes à venir et la crainte de la pénitence publique, bien des parents renvoyaient le baptême de leurs enfants pour les mêmes motifs » [23]. 

Une telle négligence est combattue. « On doit également constater que des Pères et des Docteurs […] réagirent ensuite avec vigueur contre une telle négligence, demandant instamment aux adultes de ne pas retarder le baptême nécessaire au salut, et plusieurs d'entre eux insistent pour qu'il soit conféré aux petits enfants » [24]. 

Conclusion

Le baptême des enfants est en usage dans l’Église depuis au moins le IIème siècle. Il a été reconnu comme une pratique d’origine apostolique. Certes il a connu des oppositions et l’usage en a été retardé non pour des raisons doctrinales liées au sacrement lui-même mais à cause même de son efficacité ou plutôt de son incompréhension. Si cette pratique a été très tôt appliquée, c’est en effet parce que les chrétiens croyaient aux effets de son sacrement donc à la mort spirituelle et au péché originel. Si l’Église l’a en effet appliqué à des enfants qui n’ont pas atteint l’âge de raison, donc incapables de commettre des péchés, cela signifie qu'elle confessait l’existence du péché originel. Le pédobaptême apporte donc un motif de crédibilité supplémentaire à la foi en ce dogme. C’est pourquoi les pélagiens se sont vivement attaqués à cette pratique qui contredisait concrètement leur doctrine. 

Le pédobaptême, appuyé par des témoignages, y compris épigraphiques, est un argument apologétique efficace contre tous ceux qui prétendent que le dogme du péché originel provienne d’un « développement de la foi » au cours de l’histoire chrétienne, notamment de Saint Augustin…





Références
[1] Émeraude, avril 203, articles « Le pélagianisme : histoire » et « Le pélagianisme : doctrine ». 
[2] Émeraude, mai 2013, article « Le péché originel face aux objections ». 
[3] Émeraude, mai 2013, article « Le péché originel dans la Sainte Écriture ». 
[4] Émeraude, article « Le péché originel chez Saint Paul ». 
[5] Précis de théologie dogmatique, II, Livre VI, 2ème section, Chapitre I. 
[6] Voir Émeraude, mai 2013, article « Méliton de Sardes : le péché originel au IIème siècle ». 
[7] Congrégation pour la doctrine de la Foi, Instruction Postoralis Actio sur le baptême des petits enfants, 4, 20 octobre 1980, vatican.va
[8] Voir Saint Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, II, 22, 4.
[9] Origène, Commentaire sur l’Épître aux Romains, V, 9. 
[10] Hippolyte de Rome, la Tradition apostolique.
[11] Voir Instruction Postoralis Actio sur le baptême des petits enfants, note 3, Corpus inscriptionum graecarum, 9727, 9817, 9801 ; E. Diehl, Inscriptiones latinae christianae veteres, Berlin 1961, nn. 1523 [3], 4429 A. 
[12] Saint Cyprien, De lapsis, 9, 25. 
[13] Saint Optat de Milève, De schismate donastistarum, V, 10. 
[14] J. C. Didier, Saint Augustin et le baptême
[15] Congrégation pour la doctrine de la Foi, Instruction Postoralis Actio
[16] Saint Augustin, De Baptismo, IV, XXIII, 30 – XXV, 32, cité dans Saint Augustin et le baptême
[17] Tertullien, Traité du Baptême, XVIII, 5. 
[18] Tertullien, Traité du Baptême, XVIII, 5. 
[19] Voir Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XL in sanctum baptisma, 17 et 28. 
[20] Voir Saint Augustin, Confessions, I, livre de poche, trad. Louis de Mondadon, 1947. 
[21] J. C. Didier, Saint Augustin et le baptême
[22] Saint Augustin, Confessions
[23] Congrégation pour la doctrine de la Foi, Instruction Postoralis Actio
[24] Congrégation pour la doctrine de la Foi, Instruction Postoralis Actio
[25] Dom Paul Delatte, Les Épîtres de Saint Paul, replacées dans leur milieu historiques, 1ère Épître aux Corinthiens, VII, Tome I, librairie Saint Alphonse, 1928.

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