" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


jeudi 10 janvier 2013

Le Père Teilhard de Chardin (1881-1955)


Il est difficile d'aborder l'évolutionnisme, encore plus la science, sans évoquer Pierre Teilhard de Chardin. Par sa pensée et ses activités, par sa renommée internationale, il a joué un rôle central dans la pensée religieuse jusqu'à nos jours. Contrairement à ce que nous pouvons souvent lire, il n'a pas réconcilié la foi et la science. On ose même dire qu'il est "un représentant qualifié de la tradition chrétienne quand il montre que l'avènement de la personne est le but du processus de l'évolution des vivants " (1). Ses œuvres auront un succès extraordinaire. Or, il a plutôt plié la foi aux interprétations scientifiques. Nous allons donner quelques éléments de sa vie avant d'aborder sa pensée... 



Pierre Teilhard de Chardin est un scientifique, plus spécialement géologue et paléontologue, un passionné d'histoire naturelle. De 1912 à 1914, il travaille au laboratoire de paléontologie du Muséum Nationale d'Histoire Naturelle à Paris. A la Sorbonne, il passe trois certificats de licence ès sciences naturelles : géologie, botanique et zoologie. En 1920, il est maître de conférence en géologie à l'Institut Catholique de Paris et Docteur ès science en 1922. 

Voyageur infatigable, il a travaillé dans de nombreux pays : Égypte, Somalie, Djibouti, Inde, Birmanie, Java, Afrique du Sud, Rhodésie, etc. Mais, il consacre de nombreuses d'années d'étude à la Chine. En 1929, il est le conseiller du service géologique national chinois, supervisant les travaux d'un site de fouilles, proche de Pékin. Il participe à la découverte de plusieurs hommes préhistoriques (Sinanthrope). Il met en place un véritable réseau international en paléontologie sur la zone orientale et sud-orientale du continent asiatique. En 1943, il est l'un des fondateurs de l'Institut de géobiologie de Pékin. 

Scientifique célèbre, de réputation internationale, il travaille avec des savants renommés et fréquente un milieu scientifique, particulièrement athée et agnostique. En 1937, aux États-Unis, il reçoit la médaille Mendel en reconnaissance de ses travaux de paléontologie. En 1947, il est promu au grade d'officier de la Légion d'Honneur "en tant que scientifique considéré dans les domaines de la Géologie et de la Paléontologie comme une gloire de la science française". En 1950, il est élu à l'Académie des Sciences. Jusqu'à la fin de sa vie, il reçoit la visite de nombreux universitaires, scientifiques, philosophes ... 

Teilhard est aussi un homme religieux, plus précisément un jésuite. En 1899, il entre au noviciat jésuite d'Aix en Provence puis est ordonné prêtre en 1911. Il prononce ses vœux religieux en 1918. Pendant sa formation, il découvre notamment L’Évolution créatrice de Bergson, "le catalyseur d'un feu qui dévorait déjà son cœur et son esprit" (2). 

En 1914, il fait l'expérience de la Première Guerre mondiale en tant que brancardier au front. "La guerre a été une rencontre [...] avec l'Absolu" (3). "Teilhard voit l'horreur et, en même temps, au-delà de la ligne de feu, il voit l'achèvement possible d'une humanité nouvelle" (4). 

Il est enfin un penseur qui nous a laissé de nombreux écrits. Son premier essai, La vie cosmique, est écrit en 1916. Il y dévoile sa pensée scientifique, philosophique et mystique. Il écrit d'autres ouvrages : Puissance spirituelle de la Matière (1918), Le Milieu Divin (1927), L'Esprit de la Terre (1931), L'Energie humaine (1937), La Place de l'Homme dans la Nature (1949), Ce que je crois et Le Cœur de la Matière (1950), Le Christique (1955). Son œuvre maîtresse est Le Phénomène naturel (1946). Toutes ces œuvres seront publiées après sa mort par son héritière éditoriale, de 1955 à 1976. Mais plusieurs de ces essais ont circulé sous le manteau avant leur publication, en dépit des interdictions de la hiérarchie catholique. 

De son vivant, la pensée de Teilhard est déjà connue. Il participe à des conférences où il l'exprime avec netteté : "pour les observateurs de l'Avenir, le plus grand événement sera le surgissement d'une conscience humanitaire collective et d'une œuvre humaine à faire" (5). Très tôt, il a adhéré à l'évolutionnisme. En avril 1947, il participe à un colloque international sur l’évolution de l'Institut de Paléontologie Humaine du Muséum National d'Histoire Naturelle. En octobre 1954, dans un symposium organisé par l'Université de Columbia sur l'unité du savoir humain, Teilhard déclare qu'il est "convaincu de la nécessité d'élaborer un "néo-humanisme", pour accompagner "l'ultra-évolution" de l'humanité" (6). 

Mais, rapidement, Teilhard rencontre des difficultés au sein de l’Église. En 1923, un texte sur le péché originel (7) est condamné. On lui demande de s'expliquer. Son Ordre lui demande d'abandonner son enseignement à l'Institut Catholique et de poursuivre ses recherches géologiques en Chine. En 1947, l'Ordre lui demande de ne plus s'exprimer sur des sujets théologiques mais de se cantonner à son travail scientifique. Le Supérieur Général de la Compagnie de Jésus lui demande en 1948 de ne pas accepter la chaire de Paléontologie au Collège de France qui lui est présentée. Il lui refuse également l'autorisation d'imprimer Le Phénomène Humain et Le Milieu Divin. Son obéissance s’achèvera à sa mort. Tout sera en effet publié à titre posthume à partir de 1955. L'édition des œuvres complètes reçoit l'appui d'André Malraux, de Léopold Senghor et de Théodore Monod. En 1962, Henri de Lubac réhabilite Teilhard dans son livre La pensée religieuse du père Pierre Teilhard. En 2005, L'ONU et l'UNESCO célèbrent avec faste le cinquantième anniversaire de sa mort. Et récemment, à Rome, on a célébré sa mémoire … 



Pourquoi a-t-il rencontré tant de difficultés avec sa hiérarchie ? Un Jésuite nous l'explique : "le christianisme de Teilhard, aux horizons élargis, fait se rejoindre les aspirations les plus contemporaines et la foi chrétienne la plus traditionnelle. Mais une telle vision, nourrie d'une lecture intense de Saint Paul, inquiète ceux qui confondent la tradition catholique avec quelques catégories philosophiques étroites" (8). Sa « philosophie » veut rompre avec l'aristotélisme. Plus loin dans son article, il ajoute que "le contexte ne se prête pas à l'innovation". Son esprit est "trop en avance sur son temps". Un philosophe japonais nous explique aussi que "les audaces de sa pensée l'ont d'abord dérouté" (9). A sa mort, Étienne Borne écrit : "du père Teilhard, il est maintenant permis de dire avec la tranquillité de la certitude qu'il a été un génie religieux et l'un des plus grands penseurs chrétiens de ce siècle" (10). Selon Le Père Gustave Martelet (11), il "a transposé dans une perspective évolutionniste les enseignements majeurs de l’Écriture sur la Création, le péché originel, l'Incarnation, la Rédemption" (12). Que d'éloges pour un aventurier de la pensée !



Or, « un chrétien, qu'il soit philosophe ou théologien, ne peut pas se jeter à la légère, pour les adopter, sur toutes les nouveautés qui s'inventent chaque jour; qu'il en fasse au contraire un examen très appliqué, qu'il les pèse en une juste balance ; et ainsi, se gardant de perdre ou de contaminer la vérité déjà acquise, il évitera de causer un dommage certain à la foi elle-même et de la mettre gravement en péril » (13). Le 27 juin 1962, sous le pontificat de Jean XXIII, la Sainte Congrégation de la Foi a mis en garde "les esprits, particulièrement ceux des jeunes, contre les dangers que présentent les œuvres de P. Teilhard de Chardin et celles de ses disciples". "Lors du centenaire de la naissance du jésuite en 1981, le Saint Siège n'est pas revenu sur ce jugement" (14). 

La personnalité de Teilhard peut paraître complexe. Il a écrit des œuvres philosophiques et théologiques, or "lui-même n'aimait pas être considéré comme un philosophe ou comme un théologien. Il se considérait plus comme un homme de science" (15). Son œuvre est peut-être une tentative de synthèse entre des interprétations scientifiques et des pensées théologiques afin de réconcilier l’Église avec la société moderne. Il se sent investi en quelque sorte en médiateur entre le monde athée et agnostique qu'il côtoie et le monde religieux auquel il appartient. "Il est convaincu qu'en suivant un raisonnement scientifique, rationnel, évitant toute option religieuse, il peut transmettre à ses amis agnostiques et athées sa Foi en l'Homme qui donne un sens à la vie des hommes et des femmes de notre temps" (16). Cette recherche de réconciliation en associant foi et science, sur fond d'évolutionnisme, aboutit finalement à des résultats audacieux, ou plus précisément révolutionnaires

Les disciples de Teilhard soulignent l'aspect moderne de sa démarche et l'incompréhension de Rome qui a abouti à sa condamnation. Ils le présentent comme un génie trop en avance sur son temps. Mais, son erreur est plutôt de vouloir rapprocher l’Église de son siècle et non l'inverse, au point de plier la foi à l'esprit du monde. C'est une erreur caractéristique de notre époque. Or, il ne s'agit pas de rabaisser Dieu au niveau de l'homme en édifiant une croyance en fonction des pensées versatiles du monde, pensées par ailleurs très contestables même sur le plan scientifique, mais de nous élever à Lui avec l'aide divine...


Notes
1. Jean-Michel Maldamé, Création par évolution, science, philosophie et théologie, les éditions du cerf, 2011. 
2. Pierre Teilhard de Chardin, cité dans La vie de Pierre Teilhard de Chardin, www.mhhn.fr/teilhard/vie1.htm
3. Pierre Teilhard de Chardin, cité dans La vie de Pierre Teilhard de Chardin, www.mhhn.fr/teilhard/vie1.htm
4. Philippe Chevallier, Jésuite, article "Une vie à l'écoute de l'Univers", dossier Teilhard de Chardin, revue Croire aujourd'hui, du 15 au 28 février 2005. 
5. Pierre Teilhard de Chardin, cité dans La vie de Pierre Teilhard de Chardin, www.mhhn.fr/teilhard/vie1.htm
6. Jacques Arnould, Teilhard de Chardin, Perrin, 2005, cité par D. Tassot, L'évolution, une difficulté pour la science, un danger pour la foi, édition Pierre Téqui, 2009. 
7. Plus tard publié dans Oeuvres complète sous le titre de Note sur le péché originel
8. Philippe Chevallier, Jésuite, article "Une vie à l'écoute de l'Univers".
9. Hisashi Fujita, article "Teilhard vu d'ailleurs", dossier Teilhard de Chardin, Croire aujourd'hui. 
10. Le Monde, cité dans "Une vie à l'écoute de l'Univers". 
11. Gustave Martelet, Et si Teilhard disait vrai ?, édition Parole et Silence, 2006. 
12. Père André Boulet, Création et Rédemption à l'épreuve de l'évolution, 2ème édition Pierre Téqui, 2009. 
13. Pie XII, encyclique Humani Generis, 12 août 1950, www.vatican.va. 
14. Père A. Boulet, Création et Rédemption à l'épreuve de l'évolution
15. R. Giret, Pierre Teilhard de Chardin, L'Evolution apporte à la théologie, le sens de la durée, 8 mai 1999. 
16. R. Giret, Pierre Teilhard de Chardin, L'Evolution apporte à la théologie, le sens de la durée, 8 mai 1999.

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