Pour mieux connaître l'islam et le confondre, nous avons commencé par étudier des commentaires du Coran écrits par des spécialistes, croyants ou non. Cette approche ne suffit pas à poursuivre notre étude. Le Coran nous apparaît en effet comme un lieu obligé dans lequel nous devons nous aventurer. Mais, nous sommes confrontés à une difficulté majeure. Quelle version du Coran allons-nous choisir ?
Selon la doctrine du Coran incréé, seule la version arabe est légitime. Or, il est impossible pour nous de lire l'arabe. Nous sommes donc dans l'obligation d'accéder à des traductions. En outre, il semblerait que ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment l'arabe pour pouvoir lire le Coran se le font expliquer, non en arabe, mais en accédant directement à une traduction1. Aborder le Coran sans maîtriser la langue est donc impossible, y compris pour un musulman. La traduction s'impose donc. Le choix d'une traduction doit néanmoins concilier un impératif apologétique : s'appuyer sur un texte incontesté et incontestable pour les musulmans.
La première traduction en latin date du XIIème siècle. Elle est l'œuvre de Pierre le Vénérable (2) qui la réalise afin de mieux le réfuter. Il constate en effet qu'ignorant l'arabe, ses contemporains ne peuvent « ni reconnaître l'énormité de cette erreur ni lui barrer la route. Aussi mon cœur s'est enflammé et un feu m'a brûlé dans ma méditation. Je me suis indigné de voir les Latins ignorer la cause d'une telle perdition et leur ignorance leur ôter le pouvoir d'y résister : car personne ne répondait, car personne ne savait » (3). Si l'objectif de sa traduction est de mieux connaître l'erreur, il cherche à demeurer fidèle au Coran pour atteindre « la plénitude de notre compréhension ». Ainsi, s'arme-t-il d'une équipe de spécialistes dont un sarrasin. D'autres chrétiens tenteront aussi de faire connaître le Coran à un large public non croyant, parfois pour mieux le combattre. Certaines traductions proviennent aussi des croyants eux-mêmes, de la nécessité de présenter le Coran à des populations non arabes au fur et à mesure de l'expansion de l'Islam. Elle a donc pour objectif de les convertir ou de les conforter dans leur religion.
Les traductions peuvent ainsi se répartir en deux catégories : celles qui sont faites à l'usage des croyants et celles qui sont à destination du grand public. Elles sont considérées comme des traductions des « sens » des versets du « Saint Coran » ou du Coran « inimitable », ou sont encore appelées « essai d'interprétation ».
Les traductions peuvent être approuvées par une autorité islamique. Celle de Jean Grosjean (4) a ainsi reçu l'aval de l'Institut de recherche islamique El Azhar, université islamique du Caire, fondée en 973, la plus ancienne et la prestigieuse université du monde arabe. Elle est en outre distribuée par la librairie de l'institut du monde arabe. La traduction de Denise Masson (5) a été approuvée notamment par la mosquée du Caire. La traduction d'Hamiddalah a été faite sous demande du roi saoudien Fahd ibn Abd al-Aziz al-Saoud. Elles portent donc une autorité indiscutable.
Une autre distinction des traductions est encore possible. Certains traducteurs tentent de rester fidèles à la langue française, à ses qualités de clarté et d'élégance (Denise Masson), quand d'autres, plus sensibles au style coranique, cherche plutôt à préserver la spécificité de la langue arabe (Jean Grosjean).
Or, la lecture du Coran ne consiste pas uniquement à saisir le contenu, mais aussi à être imprégné par sa forme, c'est-à-dire par le style coranique. N'oublions pas que le Coran est avant tout un lectionnaire et donc que la lecture du Coran en elle-même est fondamentale. Dans les écoles coraniques, les élèves apprennent à le réciter selon l'une des sept lectures autorisées. L'imprégnation du style du Coran est aussi importante que sa compréhension.
En voulant rester fidèle à la langue française, le traducteur peut alors trahir la lecture et fausser le sens des versets, généralement par une atténuation de sens. Mais en cherchant à reproduire le style coranique, il risque aussi de les rendre incompréhensibles pour un non-arabe. Denise Masson traduit souvent des versets à l'indicatif et au narratif quand Jean Grosjean emploie des impératifs catégoriques et des exclamations. Le premier texte fait alors apparaître le Coran comme une œuvre littéraire classique quand le deuxième lui confère plutôt un fort caractère d'impétuosité et d'intransigeance. Les différences entre différentes traductions ne sont pas que des nuances littéraires. Elles sont essentielles « car elles portent sur des mots essentiels pour situer le ton de l'ouvrage, concernant particulièrement sa véritable portée de violence » (6).
- VersetsDenise MassonJean GrosjeanHamidallahIX, 28impuretéLes incroyants ne sont que souillures.Les associateurs ne sont qu'impuretés.XIV, 43leurs regards ne se retourneront pasIls auront les yeux exorbités.Ils courront, levant la tête, les yeux hagards...XVII, 22Sinon tu seras méprisé et abandonné.Tu seras un infâme rebut.N'assigne point à Allah d'autres divinité; sinon tu seras méprisé et abandonnéXV, 18Une flamme brillante les poursuit.Une flamme éclatante les frappe.A moins que l'un d'eux parviennent subrepticement à écouter, une flamme brillante alors le poursuit.
Exemple de variations de sens
La traduction du terme « al kâfirûn » est un des exemples caractéristiques. Il est traduit par « incrédule » (Denise Masson) ou par « incroyant » (Jean Grosjean) ou encore par « associateurs » (Hamidallah). Or, ce terme caractérise le musulman du non-musulman, de celui que Dieu aime de ceux qu'Il rejette. Il est donc un élément clé à percevoir dans le Coran. Il sous-tend l'idée de « recouvrir », « cacher » d'où un glissement vers « hypocrite », « incroyant », « mécréant ». Tout en le traduisant par le mot plutôt aimable d'«incrédule », Denise Masson indique dans ses notes que cette notion dépasse de beaucoup ce que ce mot exprime en français courant : « il s'agit non seulement de l'attitude négative de ceux qui n'ont pas la foi, mais […] d'un refus de croire qui constitue le péché inexpiable en cette vie et dans l'autre ; le péché qui entraîne forcément la damnation. Al kâfirun sont donc à la fois […] les incroyants, les infidèles, les impies, les renégats, coupables des plus grands crimes ».
Pour remédier à cette difficulté, les traductions doivent donc être fortement encadrées par des commentaires et des notes qui tentent soit de restituer le sens apporté par le style, soit d'améliorer la compréhension du texte. Ils sont alors parfois plus importants que le texte lui-même.
Or, en atténuant le sens des expressions pour chercher un style plus clair et attrayant, n'a-t-il pas un risque de déformer le message du Coran, sachant que son style agressif est bien réel ? Dans les deux traductions françaises, nous retrouvons en effet la même virulence générale et parfois les mêmes expressions : « mourez de rage », « qu'ils soient taillés en pièces », « ce n'est pas vous, c'est Dieu qui les tue », … 10 % des versets seraient violents ou désobligeants (7). Les formules véhémentes et virulentes se répètent en effet tout le long du livre.
Certains traductions peuvent aussi infléchir le sens du texte en modifiant des qualificatifs en génériques. Les termes « musulman » et « Islam » ne devraient pas figurer dans les traductions françaises. Ils traduisent le verbe « aslama » qui signifie « se soumettre », « se confier à quelqu'un ». L'acception des termes est en effet postérieure au Coran. Des personnages du passé se voient ainsi attribuer d'un mot et d'un concept qui aujourd'hui portent une lourde signification. « Moïse dit : mon peuple, si vous croyez en Dieu, fiez-vous en Lui, si vous êtes musulmans » (Grosjean, LI, 35-36).
Enfin, le Coran en lui-même pose problème par son ambiguïté et ses formules implicites. Les mots signifiant « combattez-les » ou « tuez-les » ne se distinguent que par la présence d'un signe, inexistant à l'origine. Certains versets comportent des formules conditionnelles du type « si tu suivais .., alors... » ou « fais ceci sinon... ». Le Coran ne fait que sous-entendre la deuxième partie de phrase sans l'expliciter. Or, pour la compréhension du texte, certaines traducteurs n'hésitent pas à rajouter explicitement ces chaînes manquantes.
En conclusion, pour lire le Coran dans le but de réfuter l'Islam, il est nécessaire d'accéder à des traductions sérieuses et reconnues, notamment par une autorité religieuse musulmane, et de pouvoir les comparer entre elles afin de déceler les atténuations ou les amplifications possibles.
Certes, nous pourrions reprocher à la Sainte Bible et à ses traductions les mêmes difficultés et les mêmes erreurs. Or, des différences fondamentales distinguent le Coran de la Saint Ecriture. Nous pouvons notamment rappeler que contrairement à l'Islam, l'Eglise distingue le contenu et le contenant de la Révélation. Selon la doctrine islamique, la forme du message est aussi importante que les paroles contenues du Coran. Dans l'Eglise, il n'y a pas de confusion entre le message divin et son support, sauf dans un cas précis : l'Incarnation du Verbe...
Pourquoi cette confusion dans l'islam ? Car la Parole de Dieu, qui n'est ni Dieu, ni une créature (8) serait, selon les conséquences de la doctrine islamique, « incarnée » en la langue arabe primitive...
Références
1 Article La problématique de la traduction du Coran : étude comparative de quatre traductions françaises de la sourate « La Lumière », Chédia TRABELSI, université de Tunis I.
2 Pierre le Vénérable, né en 1092 ou 1094 et mort en 1156, abbé de Cluny dès 1122.
3 Pierre le Vénérable, cité par Jacques le Goff, Les intellectuels au Moyen Age, « Le temps qui court », Le Seuil, 1957.
4 Jean Grosjean (1912-2006), poète et écrivain, traducteur et commentateur de textes bibliques.
5 Denise Masson (1901-1994), islamologue français.
6 Laurent Lagartempe, Petit Guide du Coran, éditions de Paris, 2ème édition, 2003, Ière partie, p.33.
7 Laurent Lagartempe, Petit Guide du Coran, éditions de Paris, 2ème édition, 2003.
8 Voir Coran incréé, une contradiction fondamentale dans Emeraude chrétienne, mars 2012.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire