" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


lundi 23 avril 2012

La responsabilité des artistes selon les Papes...

La Déposition de la Croix (détail)
Fra Angelico
Quand les Papes parlent ou écrivent aux artistes, ils évoquent inévitablement leurs responsabilités. « Vous êtes les gardiens de la beauté ; vous avez, grâce à votre talent, la possibilité de parler au cœur de l'humanité, de toucher la sensibilité individuelle et collective, de susciter des rêves et des espérances, d'élargir les horizons de la connaissance et de l'engagement humain. Soyez donc reconnaissants des dons reçus et pleinement conscients de la grande responsabilité de communiquer la beauté, de faire communiquer dans la beauté et à travers la beauté! » (1). 


Conscients de ses talents, l'artiste doit se tourner vers la source de ses dons, vers Dieu, pour Le contempler et Lui rendre grâces. « Plus l'artiste est conscient du «don» qu'il possède, plus il est incité à se regarder lui-même, ainsi que tout le créé, avec des yeux capables de contempler et de remercier, en élevant vers Dieu son hymne de louange » (2). Son regard doit donc se tourner vers son Créateur. 

L'artiste a le devoir de faire fructifier ses dons. « L'artiste vit une relation particulière avec la beauté. En un sens très juste, on peut dire que la beauté est la vocation à laquelle le Créateur l'a appelé par le don du « talent artistique » . Et ce talent aussi est assurément à faire fructifier, dans la logique de la parabole évangélique des talents » (2). 

Et les dons n'ont un sens que si elles sont utilisées pour le bien des hommes. « Celui qui perçoit en lui-même cette sorte d'étincelle divine qu'est la vocation artistique - de poète, d'écrivain, de peintre, de sculpteur, d'architecte, de musicien, d'acteur... - perçoit en même temps le devoir de ne pas gaspiller ce talent, mais de le développer pour le mettre au service du prochain et de toute l'humanité » (2). Car il a le don admirable et extraordinaire d'« alimenter l’amour pour tout ce qui est expression authentique du génie humain et reflet de la beauté divine » (3). 

L'artiste ne travaille donc pas pour lui. La fin de son art ne se limite pas en effet à sa propre personne. Il doit « faire fructifier ses capacités créatives, donnant une forme esthétique aux idées conçues par la pensée. » (2).

Toutefois, il ne faut pas ignorer l'artiste lui-même dans son œuvre. « En modelant une œuvre, l'artiste s'exprime de fait lui-même à tel point que sa production constitue un reflet particulier de son être, de ce qu'il est et du comment il est » (2). Il existe une forte relation entre l'artiste et son œuvre au point que cette dernière reflète une partie de l'artiste. « Il donne vie à son œuvre, mais à travers elle, en un certain sens, il dévoile sa propre personnalité » (2). « Dans l'art, il trouve une dimension nouvelle et un extraordinaire moyen d'expression pour sa croissance spirituelle. A travers les œuvres qu'il réalise, l'artiste parle et communique avec les autres » (2). 


Saint Dominique au pied de la Croix

Fra Angelico
L'artiste fructifie ses dons non pas par intérêt ou par gloire mais pour une fin beaucoup plus haute. « Tout en déterminant le cadre de son service, la vocation différente de chaque artiste fait apparaître les devoirs qu'il doit assumer, le dur travail auquel il doit se soumettre, la responsabilité qu'il doit affronter. Un artiste conscient de tout cela sait aussi qu'il doit travailler sans se laisser dominer par la recherche d'une vaine gloire ou par la frénésie d'une popularité facile, et encore moins par le calcul d'un possible profit personnel. Il y a donc une éthique, et même une « spiritualité », du service artistique, qui, à sa manière, contribue à la vie et à la renaissance d'un peuple. » (2).

Les Papes donnent donc aux artistes un idéal « qui doit éclairer leur esprit et gouverner leur volonté »(4) tout en les prévenant des « dangers dans lesquels ils peuvent  aisément tomber ». 

Les Papes rappellent alors que « tous ne sont pas appelés à être artistes au sens spécifique du terme ». Le véritable artiste doit avoir « la disposition nécessaire par laquelle il est artiste, c'est-à-dire qu'il sait agir « selon les exigences de l'art », en accueillant avec fidélité ses principes spécifiques » (3). 

La responsabilité de l'artiste est encore plus grande quand l'artiste est comédien. Non seulement il doit se comporter en artiste mais aussi en homme. L'œuvre, c'est en quelque sorte lui-même. « Une part considérable de responsabilité dans l'amélioration du cinéma revient aussi à l'acteur qui, respectueux de sa dignité d'homme et d'artiste, ne peut se prêter à interpréter des scènes licencieuses ni donner sa coopération à des films immoraux. Et quand l'acteur a réussi à s'affirmer par son art et par son talent, il doit profiter de la réputation justement acquise pour susciter dans le public de nobles sentiments, donnant avant tout dans sa vie privée l'exemple de la vertu. » (4).
L'artiste a un rôle éminent dans l'œuvre d'éducation des peuples. Il doit ne pas négliger sa vie privée qui influencera nécessairement son public. 

Enfin, la responsabilité de l'artiste est encore plus lourde s'il est chrétien car son œuvre doit être conforme à la foi et encore plus à la morale chrétienne. Comme les chrétiens doivent vivre et agir comme des chrétiens, les artistes doivent élaborer des œuvres chrétiennes. « Les artistes, les écrivains et tous ceux qui disposent des moyens de communication sociale doivent exercer leur profession en accord avec leur foi chrétienne, conscients de l’énorme influence qu’ils peuvent avoir. Ils se souviendront que « le primat de l’ordre moral objectif s’impose à tous de façon absolue » (5). 

Mais les artistes ne sont pas les seuls à assumer cette responsabilité. Les Papes n'oublient pas tous les acteurs qui participent à la création et à la diffusion d'une œuvre artistique. Cela comprend les distributeur, les vendeurs, les loueurs, … « La distribution en effet ne peut en aucune manière être considérée comme une pure fonction technique, parce que le film, [...], n'est pas une simple marchandise mais une nourriture intellectuelle et une école de formation spirituelle et morale des masses. Le distributeur et le loueur participent en conséquence aux mérites et aux responsabilités morales pour tout ce qui regarde le bien ou le mal accomplit par le cinéma » (4). Ainsi, « qu’il s’agisse de création artistique ou littéraire, de spectacles ou d’informations, chacun dans son domaine fera preuve de tact, de discrétion, de modération et d’un juste sens des valeurs. Ainsi, loin d’ajouter encore à la licence croissante des mœurs, ils contribueront à l’enrayer et même à assainir le climat moral de la société » (6). 

Le dernier responsable que mentionnent les Papes est l'Etat. « A la fin de ces considérations spéciales sur le cinéma, Nous exhortons les autorités civiles à n'aider en aucune manière la production ou la mise au programme de films immoraux et à encourager par des mesures appropriées les bonnes productions, spécialement pour la jeunesse. Parmi les dépenses considérables faites par l'Etat dans des buts éducatifs ne peut manquer l'effort nécessaire à la solution positive d'un problème d'éducation si important » (4). 

Ainsi, les Papes mettent clairement les artistes et tous les acteurs associés à l'œuvre devant leurs responsabilités et leurs devoirs. Compte tenu du pouvoir et des dons qu'ils détiennent, ils ne peuvent oublier que leur liberté d'expression, considérée par certains artistes comme indispensable à leur inspiration, connaît des limites qu'ils ne peuvent méconnaître sans trahir l'art lui-même. En effet, « ils ne cessent de répéter que l'inspiration qui guide la pensée de l'artiste est libre et qu'il n'est pas permis de lui imposer des lois ou des règles étrangères à l'art même, qu'elles soient religieuses ou morales, sans léser gravement la dignité de l'art et sans passer des chaînes et des entraves à l'activité de l'artiste qui est mue par l'inspiration sacrée » (7). 

Les Papes leur répondent que « la liberté de l'artiste ne consiste pas à obéir à une force aveugle le poussant à agir suivant son propre jugement ou guidé par quelque besoin de nouveauté. Elle est plutôt ennoblie et perfectionnée du fait qu'elle est soumise à la loi de Dieu ». La liberté ne consiste donc pas à créer ou à « diffuser sans aucun contrôle tout ce que l'on veut » (4). 


1Discours du Pape Benoît aux artistes, novembre 2009 
Lettre du Pape Jean-Paul II aux artistes, 4 avril 1999 
Discours du Pape Jean-Paul II aux participants à la IXème séance publique des académies pontificales, 9 novembre 2004.
4 Encyclique Miranda prorsus du Pape Pie XII sur le cinéma, la radio, la télévision, 8 septembre 1957.
5 Concile du Vatican II, Décret Inter Mirifica, 1964. 
6 Déclaration Persona Humana sur certaines questions d'éthiques sexuelles de la congrégation pour la doctrine de la foi, 7 novembre 1975.
7 Encyclique Musicae sacrae disciplina du Pape Pie XII, 25 décembre 1955

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