Il était de bon ton, à une époque encore récente, d'opposer la religion et la science. La religion était signe d'obscurantisme de l'homme primitif, et la science, la libre expression de la raison, capable seule d'atteindre la vérité. L'une était accusée d'être une forme de superstition quand l'autre devait apporter des certitudes ou de fortes probabilités d'exactitude dans le vaste domaine de la connaissance. Ainsi, la science était considérée comme facteur de progrès et de développement quand la religion était vue comme un frein à l'épanouissement de l'individu et de la civilisation. Mais, ce temps est-il encore révolu...
« Si nous prenons en main un volume quelconque, de théologie ou de métaphysique scolastique, par exemple, demandons-nous : Contient-il des raisonnements abstraits sur la quantité ou le nombre ? Non. Contient-il des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d'existence ? Non. Alors, mettez-le au feu, car il ne contient que sophismes et illusions. » (1).
« Chez moi, c'est l'esprit scientifique qui a détruit la croyance en Dieu […]. Le développement de l'esprit scientifique amènera de plus en plus les hommes à réexaminer sans cesse les fondements de leurs croyances » (2).
Dans un article de Wikipédia, nous pouvons encore lire que « le mot science s'oppose à l'opinion, c'est-à-dire au dogme, assertion par nature arbitraire » (3). Dans les définitions que nous pouvons aussi trouver dans les dictionnaires, la science est souvent mêlée à l'objectivité et à l'universalité (4). Mais, est-ce vraiment le cas ? Avant de connaître ses limites, cet article a pour but de rappeler ce que pourrait être la science si...
Nous rappelons d'abord que la science n'est pas une mais multiple et diverses. Il est possible de classifier les sciences selon leur objet, leur méthode ou leur but. Parmi les nombreuses classifications possibles, la plus intéressante serait la distinction entre les sciences empiriques et les sciences formelles (5). Les sciences empiriques portent sur le monde accessible par les sens comme les sciences de la nature. Les sciences formelles explorent par la déduction, selon des règles de formation et de démonstration comme les mathématiques. Dans notre article, nous allons nous concentrer sur les sciences empiriques.
Qu'est-ce qu'une théorie scientifique ?
Le terme de théorie provient du grec « theôria » (6), signifiant « action d'observer ». Elle est une vision du monde. Elle est un ensemble de plusieurs lois qui forment un modèle pour la compréhension de la nature et de l'homme. Elle désigne aussi un support mathématique permettant de produire des prévisions. La notion de théorie est remplacée aujourd'hui par celle de modèle. Mais une théorie ou un modèle doit être vérifiée par l'expérience ou l'expérimentation, c'est-à-dire par la méthode scientifique.
« Le scientifique construit des modèles qu'il confronte au réel. Il les projette sur le monde ou les rejette en fonction de leur adéquation avec celui-ci sans toutefois prétendre l'épuiser » (7).
On teste rarement des théories ou des modèles. On ne teste que des hypothèses. Mais une hypothèse n’est tout d’abord que rarement vérifiée en elle-même, ce que l’on vérifie, ce sont surtout ses conséquences dans les faits. N'oublions pas qu'une hypothèse ne peut jamais être formellement prouvée, mais qu'elle peut seulement être réfutée : en effet, une hypothèse correcte engendre des prédictions qui seront confirmées par l'expérimentation, mais une hypothèse erronée peut aussi amener des prédictions correctes, mais pour de mauvaises raisons. Il semblerait même que l'expérience ne sert qu'à découvrir les erreurs (8). Une hypothèse appuyée par de nombreux indices différents, obtenus à la suite d'expériences répétées, est généralement considérée exacte scientifiquement.
Une théorie peut être remise en cause dès lors que de nombreuses expériences la mettent en échec. Il faudra modifier l'hypothèse et rechercher un énoncé plus cohérent et rigoureux, sinon elle sera remplacée par une autre théorie, plus convaincante.
L'expérience scientifique est une méthode consistant à tester une hypothèse selon des critères précis. Le scientifique met en place un dispositif pour vérifier une explication. Rien n'est donc découvert qui n'ait été pensé et posé dés le début. Elle ne peut donc avoir lieu qu'après l'élaboration d'une théorie et doit conduire à une interprétation selon les questions que le scientifique se pose.
Le scientifique met donc en œuvre un protocole, qui normalise la démarche, en vue de la validation d'une explication scientifique. L''expérience doit être soigneusement préparée, voulue, élaborée, selon des critères dits de scientificité. Elle doit être en effet systématique, c'est-à-dire applicable à tous les cas, objective, rigoureuse, testable et enfin cohérente. Karl Popper rajoute que l'attitude scientifique est aussi une « attitude critique » (9).
Une expérience est finalement rationnelle d'où le terme de méthode expérimentale, qui, « considérée en elle-même, n'est rien d'autre qu'un raisonnement à l'aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l'expérience des faits » (10). Le scientifique qui expérimente n'est donc pas un simple observateur. Il manipule la nature pour l'interroger et la forcer à se dévoiler. Selon Kant, « la raison doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser pour ainsi dire conduire en laisse par elle » (11). Le scientifique soumet donc la nature à l'autorité de ses lois.
L'expérience suppose toujours la mesure avec la plus grande précision car le résultat doit être quantifié, ce qui enlève toute subjectivité que nous retrouvons dans le qualitatif. Ainsi, elle nécessite des instruments, des indicateurs et une échelle de grandeur.
Pour quantifier de manière objective, l'expérience suppose la répétition. Pour être crédible à la communauté scientifique, elle doit être renouvelable. D'autres chercheurs doivent être capables de se l'approprier et de la reproduire. La publication des résultats est donc essentielle.
Simulation
Depuis l'avènement de l'informatique, les scientifiques utilisent la simulation, c'est-à-dire la reproduction artificielle d'un produit, d'un système ou d'un phénomène. Par un modèle mathématique, il peut reproduire la réalité pour pouvoir lui appliquer des outils, des techniques et des théories. Les modélisations numériques, qui génère de la souplesse et de la puissance de calcul, permettent en outre de reproduire des phénomènes complexes.
Mode de connaissance scientifique
Le raisonnement scientifique, qui aboutit à une théorie fiable, se compose donc d':
- un constat d'un fait qu'il s'agit d'expliquer ;
- une idée pouvant expliquer ce fait, idée qui aboutira à une question puis à une hypothèse ;
- une expérience dirigée par cette idée et répétée pour mesurer quantitativement les résultats ;
- une interprétation des résultats d'où se dégage une loi universelle ;
- une évaluation par la communauté scientifique, au moyen de la publication des résultats.
Finalement, si « l'idée dirige l'expérience », « l'expérience juge l'idée ». L'expérience « n'a pas de sens pour elle-même, elle prend son sens dans le cadre d'une théorie qu'elle supporte » (12).
Nous constatons que la théorie scientifique utilise deux modes de connaissance : la déduction et l'induction. La déduction consiste à tirer des conséquences à partir de postulats. A partir de fait, le scientifique déduit des hypothèses et leurs conséquences. L'induction est l'opération qui consiste à passer d'une proposition particulière portant sur des faits vers une proposition générale. De la répétition des résultats, le scientifique dégage une loi générale qui permet de faire des prévisions qui doivent elle-même être ensuite vérifiée de nouveau par l'expérimentation. Charles Sanders Pierce (13) parle d'abduction (14) quand le scientifique définit les hypothèses.
La science s'appuie donc sur une méthode rationnelle. Elle soumet sa théorie ou son modèle à des tests rigoureux afin de juger de sa fiabilité. Elle semble donc être guidée par l'unique raison en supprimant tout ce qui est subjectivité. Mais, cette science raisonnable existe-elle vraiment en réalité ? N'est-ce pas plutôt une chimère que le progrès a fait naître chez des penseurs, grisés par le succès scientifique des siècles derniers ? Peut-elle en effet s'isoler de toute sorte d'influences ou d'interférences qui viennent relativiser cette objectivité tant vantée ? Méconnaître les limites de la science, c'est se tromper et croire en l'homme désincarné, isolé du monde et de son passé...
« La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n'est que faible si elle ne va jusqu'à connaître cela » (Pascal, Pensées)
Références
1 Hume (David), Enquête sur l'entendement humain, traduit par BARANGER (Philippe) et SALTEL (Philippe), GF-Flammarion, 1983.
2 Paul Lévy, Quelques aspects de la pensée d'un mathématicien cité par le site athée http//atheisme.free.fr .
3 Article « science », Wikipédia.
4 « Ensemble de connaissances d'une valeur universelle, portant sur les faits et relations véritables selon des méthodes déterminées (observation, expérience, hypothèse et déduction) » selon Le Robert de Poche, 1995.
5 Cette distinction reste cependant bien illusoire car les mathématiques interviennent presque dans toutes les sciences.
6 Du verbe « theôreîn » observer, examiner.
7 Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste, Raison et Plaisir, Odile Jacob, 1994, cité à l'article « science », Wikipédia.
8 Thèse de Karl Popper connue sous le nom de « falsiabilité » (terme angliciste signifiant réfutabilité), définie dans La logique de la découverte scientifique (1934)
9 Karl Popper (1902-1994), philosophe de la science, La logique de la découverte scientifique (1934).
10 Claude Bernard (1813-1878), Introduction à la médecine expérimentale (1865).
11 Kant, Critique de la Raison Pure.
12 De l'expérience à l'expérimentation, Leçon 30, http://sergecar.pero.neuf.fr/cours/théorie1.htm.
13 Charles Sanders (1839-1914), sémiologue et philosophe américain.
14 Abduction, "procédé consistant à introduire une règle à titre d'hypothèse afin de conduire ce résultat comme un cas particulier tombant sous cet règle" (wikipedia).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire