L' Action française désignait à la fois un journal et un mouvement de pensée politique dont cette publication était l'organe. L'animateur de ce mouvement, qui était en même temps le directeur du journal, était Charles Maurras (1868-1952), « penseur profond, écrivain de première classe, dialecticien d'une puissance redoutable » (Daniel-Rops, Un Combat pour Dieu, IX). Son mouvement regroupait des monarchistes, des nostalgiques de l'Ancien Régime, des conservateurs et de nombreux catholiques... Mais, en 1926, Pie XI condamne l'Action française et des œuvres de Maurras.
En quoi la doctrine de l'Action française était condamnable pour l'Eglise ?
Il est difficile de connaître avec certitude les raisons de cette condamnation. Il n'existe aucun texte pontifical énumérant les erreurs de Maurras, mais un ensemble de discours et d'articles, fortement inspirés par le Saint Père. Nous pouvons aussi trouver de nombreux ouvrages contradictoires, « pour » ou « contre » la condamnation. L'autre difficulté est de prendre en compte l'évolution nécessaire et inéluctable des idées de Maurras. Jeune, Maurras est un antichrétien, vieux, nous pouvons en douter. Sans entrer dans un débat stérile et coûteux, nous exposerons simplement des idées maurrassiennes qui s'opposent à notre foi sans porter de jugement sur l'Action française et sur sa condamnation...
Sous les ordres d'un agnostique positiviste
Maurras était un agnostique et un positiviste, disciple d'Auguste Comte, un des maîtres de l'humanisme athée. Mais il n'embrassait pas toute sa philosophie, ne croyant en aucune philosophie. Selon les positivistes, l'homme, en tant qu'animal politique, est déterminé comme tous les êtres par les conditions physiques et biologiques où il se trouve. La morale n'a donc aucun rôle dans la politique. L'Eglise ne doit donc pas, non plus, intervenir dans la vie sociale, où l'homme est régi par une « physique des mœurs » et par des lois politiques intangibles. Mais, comment pouvons-nous comprendre que des catholiques sincères et profondément fidèles suivent un mouvement dirigé par un agnostique?
Une Eglise, une institution utile...
Cependant, selon Maurras, l'Eglise ne doit pas être éliminée dans l'ordre politique. Elle fait partie des réalités qui encadrent l'homme et l'aident à vivre. En tant qu'institution, l'Eglise catholique doit donc être défendue. Et il l'a défendue ardemment. C'est pourquoi Maurras fut considérée comme un grand défenseur de la foi. Mais, l'Eglise n'est vue que comme une institution, une religion d'ordre, vidée de sa substance spirituelle, dans une conception instrumentale et politique. Or, elle n'est pas faite pour organiser la société mais pour sauver les âmes ! Cette notion purement naturelle de l'Eglise ne doit pas nous surprendre puisque Maurras est profondément agnostique.
Un catholicisme déchristianisé...
Maurras s'en est pris souvent à la Bible et au monothéisme. Tout cela lui paraît dangereux parce que l'appel direct à Dieu légitime et nourrit la rébellion contre les intérêts généraux. Il oppose le « Christ hébreu », semeur d'anarchie, à la tradition de l'Eglise qui a su « tronquer, refondre, transformer les turbulentes écritures orientales pour en faire un système d'ordre capable de traverser les siècles ». Il oppose aux « quatre Juifs obscurs » qui ont écrit les Evangiles, « ce cortège savant des conciles, des papes et de tous les grands hommes de l'élite moderne ». L''Eglise a heureusement organisé l'idée de Dieu, ne laissant sa parole que contrôlée par une autorité. Nous retrouvons l'idée d'ordre. Selon toujours Maurras, le privilège attribué au catholicisme n'est pas fondé sur le vrai mais sur le bien. L'institution prime donc sur la foi, le bien sur le vrai. C'était « déchristianiser le catholicisme » (Mgr Ricard, évêque de Nice).
Un nationalisme exagéré
Selon le nationalisme professé par Maurras, les intérêts de la nation passent avant ceux de l'individu et de tout autre communauté. « La nation passe avant tous les groupes de la nation. La défense du tout s'impose aux parties. Dans l'ordre des réalités, il y a d'abord les nations. » (Maurras, Mes idées politiques). La nation devient une finalité. Pour son bien, il faut dépasser les vaines disputes, comme celles de la vérité. « Il faudra […] quitter la dispute du Vrai et du Beau pour la connaissance de l'humble Bien positif ». L'idée de nation est au-dessus des confessions religieuses...
Maurras soumet donc l'homme à la société, le Français à la France. Il exalte les valeurs nationales au détriment de toutes autres. La notion chrétien de « bien commun » est radicalement niée par le « nationalisme intégral » qu'il professe. Il ne pouvait avoir dans l'ordre international des intérêts supérieurs à ceux de la nation même. Il s'oppose au christianisme qui demeure trop universel à son goût.
Catholicisme par opportunisme ou par conviction ?
Que peut donc rechercher Maurras et ses disciples dans le catholicisme ? Certainement un principe unifiant, facteur de continuité et révélateur d'identité. Ils revendiquent le catholicisme. Pour eux, l'important n'est pas le contenu d'une foi, mais la religion prise comme structure d'ordre. Seul le catholicisme, par sa permanence, peut identifier le corps national, le rattacher aux lointaines origines de la France. Il est facteur d'unité par l'orthodoxie, la hiérarchie, l'influence qu'il exerce sur les mœurs.
En outre, la grande majorité des nationalistes se sentent solidaires d'une institution, l'Eglise catholique, qui, au même titre que l'armée mais dans un autre ordre, assure la pérennité, la continuité d'une identité française, plongeant ses racines en deçà de la Révolution, dans une ancienne France peu à peu édifiée, policée, consolidée par la religion catholique.
Finalement, les idées maurrassiennes priment le politique sur la moral, évacuent le spirituelle dans le christianisme, déchristianisent le catholicisme et exaltent l'identité nationale au détriment de l'identité chrétienne. Pie IX ne pouvait donc admettre que des catholiques fussent associés à une entreprise si formellement antagoniste à ses principes.
Concernant la condamnation de Mauras par Pie IX, elle fut levée par St Pie X Pourquoi ?
RépondreSupprimerPie XII a effectivement levé la condamnation en 1939 sans la supprimer, suite à un changement d'attitude de Mauras ("actes de repentance", promesse de ne plus professer les erreurs condamnées), mais les journaux et les livres qui étaient condamnés l'étaient encore. Ils sont restés inscrits dans l'Index. Il faut aussi signaler que sa condamnation en 1926 répondait à l'insolence de l'intéressé et de ses collègues envers le Saint Siège. Enfin, Saint Pie X avait préparé la condamnation des idées maurassiennes mais a refusé de la rendre publique car la situation politique de la France était défavorable. Pie XI a repris cette condamnation, la situation politique ayant changé.
RépondreSupprimerJe précise que le but de cet article est de décrire uniquement le danger des idées maurassiennes.Merci de cette intervention...