" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 6 juillet 2025

La perception de la pauvreté avant Notre Seigneur Jésus-Christ

Le 16 mars 2013, trois jours après son élection, le pape François affirme devant la presse qu’il veut « une Église pauvre et pour les pauvres ! » Son discours peut nous surprendre et soulève de nombreuses questions. Cette expression nous rappelle aussi un slogan cher aux partisans de la théologie de la libération[1], qui mettent en exergue le combat contre la pauvreté matérielle. Certains d’entre eux l’élèvent même comme première, voire unique, priorité de l’Église. Sans-doute, sont-ils à l’origine de l’expression devenue célèbre « l’option préférentielle de la pauvreté », consacrée par la conférence de Medellin[2] puis par les papes depuis Jean-Paul II[3]

En 2019, six ans plus tard, lors du célèbre synode de l’Amazonie, des évêques se sont réunis dans les catacombes de Domitille, l’une des plus anciennes de Rome, pour renouveler un pacte connu sous le nom de « pacte des catacombes », signé au même endroit, le 16 novembre 1965, par un groupe d’évêques, en majorité latino-américains en marge du deuxième concile de Vatican (1962-1965). Ce texte avait pour titre « pacte pour une Église servante et pauvre ». Le pacte nous renvoie à un manifeste d’un dominicain français, Yves Congar, intitulé Pour une Église servante et pauvre, publié en 1963. Il demande « une Église qui n’est pas faite pour dominer mais pour servir, une Église qui n’est pas faite pour blâmer mais pour accueillir, une Église non faite pour les seuls croyants mais pour l’humanité tout entière »[4]

Ces différents discours nous envoient aux critiques de ceux qui dénoncent l’attitude traditionnelle de l’Église à l’égard des pauvres et réclament, non une réforme, mais sa véritable transformation dans son rapport avec la pauvreté. Mais en insistant ainsi sur la pauvreté, en la mettant au centre des préoccupations, ne risquent-ils pas de défigurer l’enseignement de l’Église et de la privilégier au détriment de d’autres combats, comme nous en avertissait déjà le cardinal Radzinger[5]

Dans le cadre de nos études apologétiques, nous allons donc nous interroger sur la question de la pauvreté et des pauvres dans l’enseignement de l’Église, mais aussi, en contrepartie, sur celle de la richesse et des riches. Afin de comprendre le rôle qu’a joué le christianisme dans ce domaine, notre premier article sur le sujet décrit la perception de la société à l’égard des pauvres avant Notre Seigneur Jésus-Christ

Le témoignage révélateur de l’empereur Julien l’Apostat (331-363)

L’empereur Julien[6], dit l’Apostat, est un des plus grands adversaires de l’Église. Pour redonner vie au paganisme, il insère dans la religion païenne ce qui lui semble faire une des forces et spécificités du christianisme, et ce qui lui manque cruellement, c’est-à-dire le soin des pauvres et des faibles, ou encore la miséricorde et la bonté. Il cherche par exemple à former ses prêtres païens à la charité et à fonder un système d’assistance publique calqué sur celui qui existe déjà dans l’Église. Dans une de ses lettres, il préconise de mettre en pratique les vertus de la religion chrétienne par lesquelles elle se propage, notamment le secours aux mendiants et « l’humanité à l’étranger ». « Ne laissons pas aux autres le zèle du bien, rougissons de notre indifférence et marchons les premiers dans la voie de la piété. »[7]

Le témoignage de Julien l’Apostat est éclatant et suffirait à démontrer la révolution qu’a apportée le christianisme dans la société et le monde. L’empereur est conscient que le christianisme se démarque de son époque par son attitude à l’égard des plus faibles, quelle que soit leur religion et leur rang social. La charité chrétienne se présente comme un des caractères spécifiques de son temps. Son témoignage nous révèle enfin l’indifférence de ses contemporains païens à l’égard des pauvres.

La conception païenne de l’assistance publique

Pourtant, n’avons-nous pas appris que les empereurs distribuaient de la nourriture à la population, gratuitement ou à prix réduit, de manière régulière ou extraordinaire ? En fait, cette institution très ancienne, appelée annone, n’a pas pour objectif de subvenir aux besoins des pauvres. L’état de pauvreté n’est pas un critère de sélection. Elle ne relève pas non plus d’un droit individuel mais collectif. Elle s’adresse principalement aux fonctionnaires de la cité ou à des corporations jugés d’intérêt public. « Certaines idées reçues sont la mauvaise herbe de l’histoire. L’idée que les distributions frumentaires s’adressaient aux pauvres reste, reconnaissons-le, l’ivraie la plus indéracinable de l’histoire romaine. »[8]

De même, les distributions par de simples particuliers ou des corporations ne concernent pas spécifiquement les pauvres. Il n’y a en fait aucun secours prévu pour les démunis, les infirmes ou les malades. « Ce serait se méprendre que d’attribuer à ces notions un contenu humanitaire ou une préoccupation sociale. » Il n’y a non plus aucune commisération sociale. L’objectif est de gagner de la reconnaissance et de la tranquillité publique au sein de la cité.

L’institution du patronat

Ne pensons pas néanmoins qu’il n’existe pas d’entraide dans la société romaine. Celle-ci est en fait marquée par une institution essentielle qu’est le patronat ou encore le clientélisme. Cette institution permet à un patron de prendre sous sa protection un client en échange de services. Le patron, généralement un aristocrate, s’engage à aider son client, à le soutenir financièrement, à lui trouver un emploi ou des ressources, à le défendre devant la justice. En échange, le client s’engage à escorter son patron, à l’accompagner dans des défilés, à venir le saluer ou encore à voter pour lui en cas d’élection. Le lien entre un patron et un client est formalisé par un contrat. L’intérêt pour le patron est d’accroître son prestige au sein de l’aristocratie et de la cité, par le nombre de clients, quand ces derniers sont assurés d’une protection et d’une ressource. Peuvent être clients des paysans qui cultivent leurs terres, des esclaves affranchis et leur descendance, ou encore des hommes libres endettés.

Le patronat ne porte pas uniquement entre des personnes. Une cité peut aussi se mettre sous la protection d’un homme puissant. Ce dernier construit de somptueux bâtiment, organise des banquets, des spectacles ou de jeux ou encore protège ses citoyens.

Le pauvre, mépris et indifférence

Est alors considéré pauvre ou démuni celui qui ne dispose pas de revenus suffisants et ne relève pas d’un patronat. La pauvreté ne caractérise ni le « populus », qui souligne plutôt la citoyenneté, nie la « plèbe », qui est associé au tumulte ou à la foule. Au sein de la plèbe, se situent néanmoins les plus pauvres, c’est-à-dire les indigents, les mendiants, les sans-logis et tous ceux dont des dettes et des faillites ont conduit à la déchéance sociale. Le pauvre se caractérise en effet par la déchéance sociale qui se traduit extérieurement par leur vêtement et par leur logis ou absence.

Le premier caractère du pauvre est sa visibilité. « Leur dénuement peut être complet, ils n’ont ni toge, ni foyer, ni nattes, ni esclaves, etc. »[9], nous dit Sénèque. Ils ne disposent pas de tous les attributs chers aux citoyens libres. Le vêtement témoigne du rang social. Comme sous la république, « la toge est en quelque sorte l’uniforme de la citoyenneté. »[10] L’absence de logis ou de « domus » est son deuxième caractère. Faute de foyer, le pauvre est dans l’impossibilité de rendre un culte à ses Lares et à ses Pénates. Finalement, les principaux signes de dignité lui font défaut, ce qui explique probablement le mépris dont il fait l’objet. Soulignons que la pauvreté ou la richesse ne sont pas liés à l’état social de l’individu. Un esclave peut être plus riche qu’un citoyen libre.

Le pauvre ne mérite non plus aucune compassion. Au mieux, peut-il espérer de l’indifférence comme en témoigne l’empereur Julien l’Apostat. « Il n'a point à s'apitoyer sur le pauvre »[11], nous dit Virgile. Il lui est même reproché de s’accommoder de sa situation d’assistanat. Il est alors accusé de tous les vices, notamment de la paresse et de l’oisiveté. « Je hais les pauvres. Celui qui veut quelque chose gratuitement est un idiot. Il faut qu’il paie. »[12] Selon Cicéron, il « est perçu comme toujours malhonnête, car il lui faut chercher de quoi vivre et il ne le peut qu’illicitement en vendant son corps, en s’astreignant aux plus basses besognes, en trompant et en trichant. »[13] Le pauvre est donc réputé indigne de confiance, malhonnête, n’ayant ni probité ni moral, pouvant tout sacrifier pour se nourrir.

La pauvreté pour les sages romains ?

Pourtant, des philosophes enseignent la bienfaisance, surtout les stoïciens. « Le sage, dit Sénèque, essuiera les larmes de l’affligé, tendra la main au naufragé, ouvrira sa maison à l’exilé, sa bourse aux nécessiteux, en homme qui partage son bien avec un homme. » Mais, rajoute-t-il aussitôt en bon stoïcien, « en secourant le malheureux, le sage se gardera de s’affliger sur son sort ; son âme doit rester insensible aux maux qu’il soulage : la pitié est une faiblesse, une maladie. »

Le stoïcisme enseigne que le souverain bien réside dans l’effort pour parvenir à la vertu. Tout le reste lui est indifférent, y compris la pauvreté comme la richesse comme à toute émotion. Un pauvre comme un riche peut être un sage. Cependant, Sénèque avoue que la richesse est préférable car il pourra davantage développer certaines vertus comme la libéralité, la générosité ou encore le sens de la tempérance. Mais, il est plus facile d’être heureux en étant pauvre car dans la pauvreté, l’homme ne craint pas de perdre sa richesse.

Le rapport à l’égard de la richesse ou de la pauvreté relève donc, pour le stoïcien, de l’effort individuel pour acquérir ou développer des vertus. Ces dernières constituent la seule valeur morale qui compte. Et, comme le notent ses adversaires, Sénèque (4 av. J.C.-65) dispose d’une richesse démesurée grâce à Néron, dont il était le précepteur puis l’éminence grise. Il est aussi connu pour enseigner ce qu’il ne pratique pas.

Dieu, protecteur des pauvres et des faibles

L’Ancien Testament fait souvent mention des pauvres, qui englobent les démunis, les veuves, les orphelins et les étrangers. Les pauvres désignent non seulement ceux qui manquent de biens suffisants pour se vêtir et se nourrir mais aussi ceux qui sont en situation de dépendance et de faiblesse.

La Loi du peuple de Dieu est très protectrice à l’égard des pauvres. « Qu’il n’y aura aucun mendiant parmi vous, afin que le Seigneur ton Dieu te bénisse dans la terre qu’il va te livrer en possession. »(Deutéronome, XV, 4). Elle définit de nombreuses mesures pour les protéger, réduire les maux qui l’accablent et éviter qu’elle demeure permanente. Elle prend soin en effet à réduire ses causes. Par exemple, elle condamne l’usure, libère le juif devenu esclave après six ans de servitude, remet les dettes tous les sept ans, institut l’année jubilaire tous les cinquante ans, au cours de laquelle le débiteur rentre en possession de son héritage, consacre une dîme en faveur des pauvres tous les trois ans, lui laisse le droit de quoi glaner, etc. « Lorsque tu redemanderas à ton prochain quelque chose qui te doit, tu n’entreras point dans sa maison pour emporter un gage, mais tu te tiendras dehors, et c’est lui qui t’apportera ce qu’il aura. Que s’il est pauvre, le gage ne passera pas la nuit chez toi, mais tu le lui rendras aussitôt avant le coucher de soleil, afin que dormant dans son vêtement, il te bénisse, et que tu aies pour toi la justice devant le Seigneur ton Dieu. » (Deutéronome, XXIV, 10-13) 

La Loi cherche donc à combattre la pauvreté et ses causes. « Il ne doit pas y avoir de pauvres en Israël »(Deutéronome, XV, 4)

Elle protège aussi le droit du pauvre dans les procès, qui doit être jugé avec équité. « Tu ne nieras point le salaire de l’indigent et du pauvre qu’il soit ton frère ou un étranger qui demeure avec toi dans la terre ou dedans de tes portes, mais tu le rendras le jour même, avant le coucher du soleil, parce qu’il est pauvre, et que c’est par là qu’il sustente son âme »(Deutéronome, XXIV, 14-15). Elle témoigne ainsi d’une forte préoccupation sociale de Dieu et de sa compassion envers les plus faibles.

Enfin, la législation rappelle aux riches que Dieu seul est détenteur de tous les biens et propriétaire de toutes les terres. Par conséquent, ils n’ont aucun droit de se les accaparer.

Justice et miséricorde de Dieu

Dieu est attentif aux cris du pauvre ainsi qu’à ses bénédictions. Comme le répète la Saint Écriture, nous devons en effet veiller à ne point enfreindre sa Loi « de peur qu’il ne cris contre toi au Seigneur, et que cela ne devienne pour toi un péché. » Nous ne devons point s’opposer à sa justice et voir notre attitude à l’égard du pauvre être « imputée à péché » (Deutéronome, XXIV, 15). Ainsi, toute oppression du pauvre, de la veuve, de l’orphelin, de l’étranger est menacée de sévères punitions. Dieu est leur défenseur et entend leurs cris. Ainsi, la crainte de Dieu inspire le comportement du Juif à l’égard des plus pauvres comme une loi venue de l’extérieur.

La législation juive cherche donc à adoucir le sort des pauvres tout en imposant aux riches des devoirs. Ces prescriptions en faveur des plus faibles ne reposent pas sur des sentiments de pitié mais sur la volonté de Dieu, maître et défenseur de son peuple. Le principe qui régit les rapports entre les juifs repose en effet sur le commandement de Dieu : « tu aimeras ton prochain toi-même »(Lévitique, XIX, 14, 17-18). Or, le pauvre comme le riche fait partie de son peuple et participe à la même alliance. Cette même alliance impose la fraternité et la justice. La tentation pour le Juif est de limiter sa charité à ses compatriotes.

Les cris des prophètes et des sages

L’esprit qui inspire la législation juive anime aussi les prophètes. Ces derniers s’indignent contre le comportement des riches et des puissants à l’égard des pauvres et des faibles. Ils dénoncent les abus, les violences, les oppressions dont ils sont victimes de la part des riches et des puissants.

Au VIIIe siècle, dans le royaume d’Israël, qui connaît une période de prospérité, le prophète Amos s’élève contre ceux qui oppriment les pauvres. « Écoutez ceci, vous, qui écrasez le pauvre, et qui faites défaillir les indigents de la terre. »(Amos, VII, 4) Il s’insurge contre les propriétaires terriens, les aristocrates de Samarie, les commerçants qui fraudent sur les poids et les mesures, ou encore les magistrats corrompus qui, pour de l’argent, condamnent les innocents et absolvent les coupables. « Ils brisent sur la poussière les têtes des pauvres » (Amos, II, 7) Ils leur annoncent des châtiments divins.

Au même moment, dans le royaume de Juda, la voix d’Isaïe puis celle de Jérémie retentissent pour faire entendre la colère de Dieu contre ceux qui dépouillent le pauvre et ne défendent pas sa cause. La première des dix malédictions que fulmine Isaïe porte sur les accapareurs, qui, par des pratiques usuraires, réduisent les pauvres à la misère. « Malheur à ceux qui joignez maison à maison, et qui ajoutez un champ à un autre jusqu’à ce que le lieu vous manque ; est-ce que vous seuls vous habiterez au milieu de la terre ? »(Isaïe, V, 8) Ses menaces portent aussi sur le royaume de Judas à cause de lois iniques « qui écrivant, ont écrit l’injustice, afin d’opprimer le pauvre dans le jugement, et de faire violence à la cause des faibles de mon peuple, afin que les veuves soient leur proie, et qu’ils pillent les orphelins ! »(Isaïe, X, 3) Jérémy annonce aussi le désastre qui tombera sur les habitants de Jérusalem en raison de leur comportement à l’égard des veuves, des orphelins et des pauvres. « Ils n’ont point jugé la cause de la veuve. Ils n’ont point dirigé la cause de l’orphelin, et ils n’ont pas rendu justice aux pauvres. »(Jérémie, V, 28) De même, plus tard, le prophète Michée maudit ceux qui « ont convoité des champs, et ils les ont pris violemment ; et ils ont usurpé des maisons »(Michée, II, 2). Car « c’est contre Dieu qu’est élevée leur main. » (Michée, II, 1) 

Vers 200 avant J.-C., l’auteur de l’Ecclésiastique décrit encore le fossé qui sépare le riche et le pauvre ainsi que le mépris dont ce dernier fait l’objet. « Quelle communication a un saint homme avec un chien ? Ou, quelle part à un riche avec un pauvre ? La chasse du lion dans le déserte est l’onagre ; de même aussi la pâture des riches sont les pauvres. Et comme c’est une abomination pour le superbe que l’humilité, de même aussi l’exécration des riches est le pauvre. » (L’Ecclésiastique, XIII, 20-24) Devant les hommes, la parole d’un riche compte plus que celle d’un pauvre. « Le riche a parlé, et tous se sont tus, et tous élevèrent sa parole jusqu’aux nues. La pauvre a parlé, et ils disent : qui est celui-ci ? ». (L’Ecclésiastique, XIII, 28-29) 

La préoccupation constante de Dieu

L’Ancien Testament témoigne donc de la préoccupation constante de Dieu de défendre les pauvres contre toute injustice et oppression et d’alléger leur misère. Il défend une société fondée sur la justice et la bonté car Lui-même est juste et bon. Il veille donc à l’observation de ses commandements, exigeant de son peuple justice et bonté. « Au jugement de l’Ancien Testament, pris dans son ensemble, la pauvreté est un-sens, une anomalie ; elle constitue un problème douloureux. Jamais elle n’est regardée comme quelque chose d’indifférent pour la destinée humaine. […] Cette préoccupation distingue l'Ancien Testament des autres littératures antiques. »[17]

La pauvreté est donc considérée comme un mal ou un malheur puisque le pauvre est dépouillé, sans protection, exposé à l’arbitraire et à la violence sous toutes ses formes. La pauvreté n’est donc pas désirable. Dieu ne veut ni pauvreté ni misère. Il est alors plein de compassion à l’égard des plus faibles. De nombreux psaumes font entendre les appels à la sollicitude à l’égard des pauvres et au secours de ceux qui vivent dans la détresse. Ils expriment l’espérance en la justice divine. Les indigents, les veuves, les orphelins font l’objet de sa protection particulière.  « Il jugera les pauvres du peuple ; il sauvera les fils des pauvres et il humiliera le calomniateur. [...] Parce qu'il délivrera le pauvre du puissant, et le pauvre qui n'avait point d'aide. des usures et de l'iniquité il rachètera leur âme, et honorable sera le nom devant lui.»(Psaumes, LXXI, 3-14)

Parmi les causes de la pauvreté, l'Ancien Testament mentionne la paresse, l'oisiveté et le vice, la violence et l'injustice, la cupidité et l'absence de scrupule, ou encore le manque de diligence. « La main relâchée a opéré la détresse, mais la main du fort acquiert des richesses.»(Proverbes, X, 4) Cependant, la pauvreté peut aussi être la punition d’une vie impie ou le moyen d’éprouver le juste, par exemple Job [18],  comme la richesse peut aussi être considérée comme une bénédiction. 

La réalité juive au premier siècle de l’ère chrétienne

Au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, la société juive connaît des pauvres et leurs conditions  semblent s’aggraver. « À l’époque de la fin du second temple », à savoir avant l’an 70, « il semblerait que les tensions sociales entre riches et pauvres se soient multipliées, dans les différentes mouvances composant la société juive. »[14] 

Ces tensions se cristallisent sur le Temple, qui, outre sa fonction religieuse et cultuelle, assure aussi une fonction économique et financière importante : entrepôt d’argent, prêts fonciers, investissements immobiliers, opérations de change de devises, etc. La classe sacerdotale concentre ainsi les richesses, ce qui soulève une opposition unanime contre les prêtres. La richesse et la corruption du Temple expliqueraient le rejet de l’argent par la secte juive des esséniens, qui se considèrent comme une communauté d’indigents. Les prêtres font aussi l’objet de critiques de la part des pharisiens en raison de leurs pratiques financières au point que, selon le Talmud babylonien, le Temple aurait été détruit en raison de leur amour de l’argent. C’est également le constat de Flavius Joseph. Les insurgés de Jérusalem « portèrent le feu dans les archives publiques, pressés d’anéantir les contrats d’emprunts et d’empêcher le recouvrement des créances, afin de grossis leurs rangs de la foule des débiteurs et de lancer contre les riches les pauvres sûrs de l’impunité. »[15] Il serait néanmoins erroné de concentrer les critiques sur le Temple. Des pratiques financières que la Loi interdit, comme le prêt à intérêt entre Juifs, sont autorisés, y compris par les pharisiens.

Flavius Joseph nous renseigne aussi sur la cause de la pauvreté dans la société juive. L’endettement semble un des fléaux de la société juive qui peut conduire à l’esclavage. Un contexte particulier explique aussi l’aggravation de la situation comme le licenciement de milliers d’ouvriers après la fin des travaux du Temple. De nombreuses insurrections en Judée et la révolte des Zélotes ne s’expliquent pas uniquement par la haine des Romains.

Après la destruction du Temple, les textes rabbiniques montrent un changement d’attitude à l’égard de la richesse. Contestée avant l’an 70, celle-ci est désormais défendue et recherchée. Elle devient un critère pour assumer des responsabilités au sein de la communauté juive. Elle est aussi considérée comme une vertu par les rabbins tant qu’elle n’entraîne pas la corruption de la société et ne supplante pas l’enseignement de la Loi. Ce changement se retrouve aussi dans le regard que porte le juif sur le pauvre. Celui-ci ne fait pas l’objet de compassion. Comme l’enseignent les Sages dans la Michna Sota, « trois choses rendent l’homme dément et hérétique : les idolâtres, le mauvais esprit et la pauvreté. »[16] Ce mépris est perceptible dans les Évangiles. La parabole du pauvre Lazare est révélatrice d’un comportement habituel de l’époque.

Conclusions

Sans-doute, les philosophes romains ont écrit de belles pages sur la fraternité mais, dans la société païenne, le faible reste broyé par le fort, le pauvre accablé par le riche, l’indigent méprisé par le fortuné. Leurs paroles n’ont pas eu des effets sur la population. Indifférent à toute compassion à l’égard des misérables, le monde antique et païen ne s’abaisse pas jusqu’à la misère. Il ne s’apitoie pas sur le malheureux. Certes, il a mis en œuvre des institutions qui ont permis de protéger et de soutenir des démunis mais principalement pour des raisons politiques ou familiales. Les critiques que portent les principaux adversaires du christianisme, comme Celse, sont aussi révélatrices de la conscience morale du païen. Le mépris qu’ils portent à l’égard des chrétiens en raison de leur compassion à l’égard des plus faibles est éloquent. De même, les éloges de l’empereur Julien l’Apostolat à l’égard du christianisme pour sa charité sont aussi révélateurs. Élevé dans le christianisme, il veut l’inculquer à la religion païenne, cherchant alors à la transformer complètement. Mais, ignore-t-il que cela ne peut être l’œuvre d’un homme ?

Par sa législation, le peuple juif se montre d’une conscience morale très supérieure. Certes, elle ne suffit pas pour éviter la pauvreté et l’injustice sociale. Les prophètes s’insurgent contre la cupidité, l’avarice et tous les maux que génèrent l’amour de l’argent. Mais leurs cris demeurent un témoignage d’une âme élevée et d’une préoccupation sociale extraordinaire pour l’époque. L’indigent ne leur est pas indifférent. Le sort des plus faibles attire leur attention. Et le peuple de Dieu entend leurs cris. Cette bonté et cette soif de justice nous élèvent vers une autre bonté, une autre justice, beaucoup plus haute, celle de Dieu. Protecteur et défenseur des faibles, Dieu a imprimé dans l’âme juive l’amour du prochain. Toute sa loi se résume en ces deux commandements, celui d’aimer Dieu et d’aimer son prochain. Mais au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, cette même âme se heurte à deux difficultés, à deux tentations, celle de réduire la bonté aux seuls Juifs et celle d’agir uniquement par crainte de Dieu au risque finalement de l’enfermer dans un formalisme insupportable, de le vider de toute véritable charité vivifiée par Dieu Lui-même…


Notes et références

[1] Voir Émeraude, avril 2025, article « La théologie de la libération ».

[3] Voir Émeraude, juin 2025, article « Les dérives dangereuses de la théologie de la libération ».

[4] Yves Congar, Pour une Église servante et pauvre, Le livre-programme du pape François, préface d’Odon Vallet, Cerf, 2014.

[5] Voir Émeraude, juin 2025, article « Les dérives dangereuses de la théologie de la libération ».

[6] Voir Émeraude, décembre 2015, article « Contre Julien l'Apostat, un abîme entre le christianisme et le paganisme » et « Julien l'Apostat, un exemple d'évolution religieuse ».
[7] Julien L’apostat, Lettre XLIX à Arsacius, dans L’Empereur Julien, Étude sur Julien par Eugène Talbot, libraire-éditeur Henri Plon, 1863.

[8] Jean-Michel Carrié, Les distributions alimentaires dans les cités de l’empire romain tardif, dans Mélanges de l’école française de Rome, année 1975, 87-2, persee.fr.

[9] Sénèque, Lettres à Lucilius, XIV, 9, tome V, trad. par F. Prechac, CUF, 1964.

[10] Florence Dupont, Le citoyen romain sous la République, 509-27 avant J.C., 1989, Hachette.

[11] Virgile, Géorgique, II, 370, traduction sous la direction de Charles Nisard, Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Firmin Didot, 1868.

[12] Corpus Inscritionum Latinarum, 1887, IV, 9839b dans La situation du pauvre dans la société romaine de la fin de la République à l’époque augustéenne : une question préoccupante pour ses contemporains ? , Éliane Bouendjia, Université Omar Bongo Centre de recherches et d’études en histoire et archéologie, dans Revue Gabonaise d’Histoire et Archéologie, 2019, n°4.

[13] Cicéron, Les devoirs, III, 6.

[14] Emmanuel Friedheim, Richesse et pauvreté dans le judaïsme intertestamentaire et talmudique, mise en ligne le 04/06/2014, cairn.info.

[15] Flavius Joseph, Guerre des Juifs, II, 17, 6, trad. Th. Reinach & R. Harmand, révisée et annotée par S. Reinach, Publications de la société des études juives, Paris, 1900-1932 dans Richesse et pauvreté dans le judaïsme intertestamentaire et talmudique, Emmanuel Friedheim.

[16] Michna Erouvin, 41b, dans Richesse et pauvreté dans le judaïsme intertestamentaire et talmudique, Emmanuel Friedheim.

[17] William Goy, Le problème de la pauvreté dans l'Ancien Testament : à propos d'un ouvrage récent, revue de théologie et de philosophie, nouvelle série, volume 13, n°57, 1925, https://www.jstor/stable/443050496.

[18] Voir Émeraude, mai 2022, article "Job (1/2), une réponse au problème du mal" et "Le livre de Job (2/2), la rétribution des bons et des méchants dans l'au-delà".

lundi 9 juin 2025

Les dérives dangereuses de la théologie de la libération

Que faire devant la misère humaine ? La question n’est pas sans importance pour le chrétien, qui, animé des exigences de la charité, ne peut rester indifférente à la réalité qui l’entoure. L’Église, non plus, ne peut demeurer insensible au monde dans lequel elle évolue. Toute son histoire illustre les efforts qu’elle a menés pour soutenir la croix qui pèse sur les hommes et les femmes. Elle n’a pas manqué de générosité, d’imagination et d’investissement pour apporter aux faibles, aux démunis, aux malades ce dont ils avaient besoin. Nombre d’œuvres témoignent encore la foi vive qui porte l’Église vers la misère humaine sous toutes ses formes.

Pourtant, en Amérique Latine, dans les années 60 et 70, l’Église a fait l’objet de vives critiques pour son attitude à l’égard de la pauvreté. De bons penseurs, évêques, théologiens et experts de toute sorte, lui reprochent non seulement de ne pas faire assez pour ce combat mais de concevoir les pauvres comme objets de charité au lieu de les rendre acteurs de leur propre histoire. Et comme dans d’autres matières, ils lui demandent de rompre avec sa doctrine traditionnelle afin d’agir en faveur de la libération intégrale de l’homme par lui-même. Tout un courant de pensée, connu sous le nom de théologie de la libération [1], draine ces critiques et, par ses réseaux et son dynamisme, parvient à influencer de nombreuses autorités ecclésiastiques, y compris au sein de deuxième concile de Vatican. En 1968, prenant pour appui ce concile, la conférence de Medellin [2] apparaît comme son heure de victoire, une nouvelle Pentecôte, à partir de laquelle naît une nouvelle forme d’Église.

Mais, à partir de la fin des années 70, elle provoque la réaction des évêques et de Rome, jusqu’ici plutôt favorables pour ce mouvement. Dès l’arrivée du pape Jean-Paul II (1978-2005), la théologie de la libération est en effet remise en cause au point qu’en 1982, la congrégation pour la doctrine de la foi finit par la condamner dans l’instruction Libertatis nuntius [3] Revenons sur ce texte qui définit les dérives théologiques d’un courant de pensée dangereux pour la foi et le christianisme…

Un temps de forte aspiration à la justice et de profond sentiment de frustration

L’instruction constate « la puissante et quasi irrésistible aspiration des peuples à une libération »(I, 1), « à la justice et à la reconnaissance effective de la dignité de chaque être humaine (II, 1). Or cette dignité est opprimée par différentes manières et méprisée par de nombreux scandales : profonde misère de nombreuses populations en un temps pourtant prodigieux de progrès de la science et de la technique, inégalités croissantes entre riches et pauvres, entre les états et les couches sociales d’un même pays, opposition entre abondance et gaspillage pour les uns, et indigence et privations pour les autres, gigantesque course d’armement aussi menaçante que coûteuse. Ces populations demeurent aussi traumatisées et blessées par le souvenir de méfaits d’un certain colonialisme. Cette situation génère un sentiment de frustration auprès des peuples du tiers-monde contre les pays industrialisés et anciennement colonisateurs.

L’Église n’est pas insensible à la misère de son temps. L’instruction rappelle les nombreuses interventions du Magistère de l’Église, depuis Paul VI, « pour répondre au défi lancé à notre époque par l’oppression et la faim » dans le but de réveiller les « consciences chrétiennes au sens de la justice, de la responsabilité sociale et de la solidarité avec les pauvres et les opprimés »(V, 1). De même, il ne peut être oublié « la somme immense de labeur désintéressé dépensé par des chrétiens […] qui s’efforcent d’apporter aide et soulagement aux innombrables détresses qui sont les fruits de la misère. »(VI, 1)

Objectif de l’instruction : alerter sur des dérives théologiques

Cependant, comme le répète à plusieurs reprises l’instruction, ce zèle et cette compassion, qui doivent être ceux de tout pasteur, « risquent d’être dévoyés et détournés vers des entreprises plus ruineuses pour l’homme et sa dignité que la misère que l’on combat si l’on ne se montre pas suffisamment attentif à certaines tentations. »(VI,1) L’instruction précise alors les deux tentations qui peuvent conduire à des « erreurs mortelles », celle de suspendre l’évangélisation pour répondre à l’urgence du partage du pain ou de réduire l’évangélisation à une lutte purement terrestre. En outre, de « nombreux mouvements politiques et sociaux se donnent comme les porte-paroles authentiques de l’aspiration des pauvres, et comme habilités, fût-ce par le recours aux moyens violents, à opérer les changements radicaux qui mettront fin à l’oppression et à la misère du peuple. » (II, 2)

L’instruction prévient que cette « mise en garde » ne doit pas être mal interprétée. Elle n’est pas une remise en cause de l’aide indispensable que des chrétiens apportent aux démunis « dans un authentique esprit évangélique à l’option préférentielle pour les pauvres »(avant-propos), ni un encouragement ou un appui à tous ceux qui demeurent « indifférents ou neutres devant les problèmes tragiques et pressants de la misère et de la justice. » L’Église continue à condamner « les abus, les injustices et les atteintes à la liberté, où que ce soit et quels qu’en soient les auteurs », mais ce n’est pas le but de l’instruction. Celle-ci a pour raison d‘être de signaler des dérives théologiques qui « aboutissent inéluctablement à trahir la cause des pauvres. »(avant-propos)

C’est pourquoi l’instruction s’applique, à la lumière de l’Évangile, à étudier le sens de l’aspiration des peuples à la justice et discerner les expressions, théoriques et pratiques, qui sont données de cette aspiration. Elle vise en fait rapidement à l’expression « théologie de la libération », qu’elle définit comme « une préoccupation privilégiée, génératrice d'engagement pour la justice, portée aux pauvres et aux victimes de l'oppression. »(III, 3) Mais, de cette approche, elle distingue « plusieurs manières, souvent inconciliables, de concevoir la signification chrétienne de la pauvreté et le type d’engagement pour la justice qu’elle requiert. »(III, 3)

Un faux combat

L’avant-propos de l’instruction rappelle les principes fondamentaux de ce qu’entend l’Église par « libération de l’homme », principes que la théologie de la libération ne respecte pas. C’est pourquoi il est indispensable de la lire avec attention.

L’instruction affirme dès le départ ce que l’Église entend par « libération de l’homme ». Celle-ci est « d’abord et principalement libération de la servitude radicale de péché. »(avant-propos) Le péché est, selon la définition de l’Église, « un manquement à l’amour véritable, envers Dieu et envers le prochain » ou encore plus précisément et concrètement « la désobéissance volontaire à la loi de Dieu » [4].

Par le péché, l’homme se détourne de Dieu au point que, s’il est grave, il perd la vie surnaturelle de l’âme qui lui a été donnée par la grâce divine. Séparée de Dieu, son âme est dans un état de mort spirituel. C’est pourquoi le péché est dit mortel. S’il est plus léger, l’âme est affaiblie et abîmée. Le deuxième effet du péché est l’obligation de subir une peine selon l’acte commis. Le pécheur se met dans un état d’injustice et de colère. Alors que Dieu lui a promis son bonheur éternel, l’homme se met, par sa faute, dans un état de déchéance, se rendant esclave du péché.

Nous comprenons alors tous les efforts que l’Église mène pour éviter à l’homme de tomber dans le péché et dans sa servitude, et en cas de chute, pour le libérer de son état de pécheur afin qu’il retrouve la voie que son maître et fondateur lui a ouvert au prix de son sang. Ainsi, « son but et son terme est la liberté des enfants de Dieu. »(avant-propos)

Ainsi, l’instruction rappelle que la liberté pour un chrétien consiste en « la vie nouvelle de grâce, fruit de la justification »(IV, 2) ou qui se caractérise par « la vie dans l’Esprit ». Pour vivre libre, Notre Seigneur Jésus-Christ « nous a libérés du péché et de la servitude de la loi et de la chair, qui est la marque de la condition de l’homme pécheur. »(IV, 2)

Erreur de priorité…

Ce n’est qu’ensuite, l’Église peut se préoccuper de libérer les hommes « de multiples servitudes d’ordre culturel, économique, social et politique, qui dérivent toutes, en définitive, du péché, et qui, constituent autant d’obstacles empêchant les hommes de vivre conformément à leur dignité. »(avant-propos) Le péché introduit un désordre dans l’homme et cause en lui bien des maux. Le péché du premier homme, appelé « péché originel »[5] d’une gravité encore plus élevée, a introduit la mort dans le monde, expulsant l’humanité du bonheur qui lui était promise. Le mal qu’il connaît dérive non seulement de ce péché d’Adam mais aussi du péché actuel des hommes.

Ainsi, dès son introduction, l’instruction rappelle l’ordre de ses priorités quand nous devons étudier la libération de l’homme. « Discerner clairement ce qui est fondamental et ce qui appartient aux conséquences est aussi une condition indispensable d’une réflexion théologique sur la libération. »(avant-propos) Elle condamne donc tous ceux qui mettent au premier plan et de manière unilatérale « la libération des servitudes d’ordre terrestre et temporel, de telle sorte qu’ils semblent faire passer au second plan la libération du péché, et par-là ne plus lui attribuer pratiquement l’importance première qui est la sienne. »(avant-propos)

Une mauvaise cible

L’instruction précise que le premier effet du péché est « d’introduire le désordre dans la relation entre l’homme et Dieu ». Ainsi, « seule une juste doctrine du péché permet d’insister sur la gravité des effets sociaux. »(IV, 12) Il est donc faux de restreindre le champ du péché à ce qu’on appelle le « péché social ».

Il est alors faux de considérer les structures économiques, sociales ou politiques comme la cause principale et unique du mal et donc de remédier à ce mal ou de créer un « homme nouveau » par l’instauration de nouvelles structures. Certes, il faut avoir le courage de changer des structures iniques et génératrices d’iniquités, mais, « fruit de l’action de l’homme, les structures, bonnes ou mauvaises, sont des conséquences avant d’être des causes» (IV, 15). Car « la racine du mal réside donc dans les personnes libres et responsables, qui doivent être converties par la grâce de Jésus-Christ, pour vivre et agir en créatures nouvelles, dans l’amour du prochain, la recherche efficace de la justice, de la maîtrise de soi et de l’exercice des vertus. »(IV, 15)

Si le premier impératif est de révolutionner radicalement les rapports sociaux et de critiquer la recherche de la perfection personnelle, dont le principe demeure la charité, cela revient à ne plus distinguer « le caractère absolu de la distinction du bien et du mal »(IV, 15), et par conséquent à ruiner les fondements de l’éthique.

Fausse interprétation de la Sainte Écriture

L’instruction justifie la légitimité de l’expression « théologie de la libération » quand elle désigne « une réflexion théologique centrée sur le thème biblique de la libération et de la liberté et sur l’urgence de ses incidences pratiques »(III, 4) tout en ajoutant que « la signification de cette rencontre ne peut être correctement comprise qu’à la lumière de la spécificité du message de la Révélation, authentiquement interprété par le Magistère de l’Église. »(III,4)

L’instruction précise donc l’interprétation correcte des textes bibliques qu’utilisent les « théologies de la libération », principalement l’Exode. Si effectivement Dieu a libéré les Hébreux de la domination des Égyptiens, « cette libération est ordonnée à la fonction du peuple de Dieu et au culte de l’Alliance célébré au Mon Sinaï. »(IV, 3) Elle ne peut donc être réduite à « une libération de nature principalement et exclusivement politique. »(IV, 3) Cet événement annonce aussi une autre libération, une libération définitive que Dieu a promis à son peuple. De même, dans les psaumes, c’est de Dieu seul qu’est attendu le salut et le remède de toute misère et détresse, et non de l’homme. Et comme en témoigne encore le récit de l’exode, Dieu ne cesse d’intervenir pour soutenir son peuple.

Les livres prophétiques insistent sur le devoir de pratiquer la justice à l’égard des hommes pour demeurer fidèle à Dieu. C’est pourquoi Amos fulmine contre les riches qui oppriment les pauvres et les puissants qui commettent des iniquités.

Le Nouveau Testament reprend ses exigences tout en les élevant et en les approfondissant, ou encore en les perfectionnant. Car il n’y a pas de limite pour la charité. L’’instruction note que Notre Seigneur Jésus-Christ ne réclame pas un changement de conditions politiques et sociales. L’affranchissement qu’Il apporte est offert aux hommes libres comme aux esclaves. Saint Paul souligne dans ses épîtres les exigences de la charité fraternelle et de la miséricorde. Il nous révèle encore davantage que « le péché est le mal le plus profond » et que « la première libération, référence de tous les autres, est celle du péché. »(IV, 12)

Emprunts à l’idéologie marxiste incompatibles avec la foi

L’instruction se plaint de l’usage dans la théologie de la libération d’instruments de pensée d’inspiration idéologique, c’est-à-dire marxiste, incompatible avec la foi chrétienne et avec les exigences éthiques qui en découlent, dans le but de connaître les causes exactes des servitudes.

L’instruction définit en quoi le marxisme est incompatible avec la conception chrétienne de l’homme et de la société. Il contient des erreurs qui menacent directement les vérités de foi sur la destinée éternelle des personnes ainsi que sur la dignité humaine. Intégrer une analyse qui s’intègre dans le marxisme ne peut que produire de « ruineuses contradictions ».

L’usage d’expressions telles que « lutte des classes » n’est pas neutre. Ces expressions portent une signification que la doctrine marxiste lui a donnée et demeurent imprégnées de l’interprétation marxiste. Un tel usage est alors source de grave ambiguïté.

L’instruction reproche alors aux théologiens de la libération leur manque de précaution et de critique suffisante. Ainsi, elle « entend attirer l’attention des pasteurs, théologiens et de tous les fidèles, sur les déviations et les risques de déviation ruineux pour la foi et la vie chrétienne, que comportent certaines formes de théologie de la libération qui recourent, d’une manière insuffisamment critique, à des concepts empruntés à divers courants de la pensée marxiste. » (avant-propos) L’instruction demande un examen critique nature épistémologique et théologique.

Science et idéologie inséparables dans le marxisme

Des théologiens appliquent l’analyse marxiste, qu’ils jugent comme « une analyse scientifique des causes structurelles de la misère »(VII,2), à la situation du tiers-monde et spécialement à celle de l’Amérique latine. Or, le terme de « scientifique » appliqué à l’analyse, qui « exerce une fascination quasi-mystique », est faux. L’erreur de ces théologiens est de l’accepter sans porter d’examen critique de nature épistémologique.

Le marxisme constitue « une conception totalisante du monde » qui intègre des données de la réalité à une structure philosophico-idéologique, des « a priori idéologiques […] présupposés à la lecture de la réalité sociale. » ou encore un « amalgame épistémologiquement hybride » (VII, 6) au point d’être dans l’incapacité de distinguer ce qui relève de la science ou de l’idéologie. Ainsi, en croyant accepter ce qui se présente comme une analyse, nous sommes entraînés à accepter en même temps l’idéologie. « C'est pourquoi il n'est pas rare que ce soient les aspects idéologiques qui prédominent dans les emprunts que nombre de « théologiens de la libération » font à des auteurs marxistes. »(VII, 6)

L’instruction reprend la mise en garde de Paul VI sur le lien existant entre la pensée et la pratique dans le cadre du marxisme : « il serait illusoire et dangereux d'en arriver à oublier le lien intime qui les unit radicalement, d'accepter les éléments de l'analyse marxiste sans reconnaître leurs rapports avec l'idéologie, d'entrer dans la pratique de la lutte des classes et de son interprétation marxiste en négligeant de percevoir le type de société totalitaire à laquelle conduit ce processus. »[6]

Absence de discernement de nature théologique

Puisque « c’est à la lumière de la foi qui fournit à la théologie ses principes »(VII,10), le théologien doit faire l’objet d’un discernement critique de nature théologique avant d’apporter dans ses réflexions des éléments philosophiques, des sciences sociales ou d’autres disciplines. Cette utilisation ne peut qu’être d’ordre instrumental. « Autrement dit, le critère ultime et décisif de vérité ne peut être, en dernière instance, qu'un critère lui-même théologique. »(VII, 10) C’est à la lumière de la foi qu’il doit juger de la validité et du degré de la validité de cet apport.

Enfin, « la première condition d'une analyse est la totale docilité à l'égard de la réalité à décrire. C'est pourquoi une conscience critique doit accompagner l'usage des hypothèses de travail que l'on adopte. »(VII,13) Or, par principe, ces hypothèses reflètent un point de vue particulier, soulignant des aspects du réel au détriment d’autres. Or en recourant à une conception totalisant telle que le marxisme, cette limitation est ignorée.

Une subversion du sens de la vérité

L’instruction définit alors les composantes du noyau idéologique auquel se réfère des théologies de la libération et en arrive à conclure à une subversion du sens de la vérité, une vérité qui n’existe que dans et par la praxis, c’est-à-dire dans le combat de la classe révolutionnaire.

En outre, « la loi fondamentale de l'histoire qui est la loi de la lutte des classes implique que la société est fondée sur la violence »(VIII, 6), une violence à laquelle doit répondre la contre-violence révolutionnaire, permettant de renverser le rapport de domination des riches sur les pauvres. En entrant dans ce processus, on « fait » la vérité, on agit « scientifiquement ». « En conséquence, la conception de la vérité va de pair avec l'affirmation de la violence nécessaire, et par là avec celle de l'amoralisme politique. »(VIII, 7) Les réformes radicales et courageuses ne se réfèrent donc plus à une éthique.

Et cette loi de la lutte de classe touche toutes les disciplines et en constituent l’élément déterminant. « De fait, c'est le caractère transcendant de la distinction du bien et du mal, principe de la moralité, qui se trouve implicitement nié dans l'optique de la lutte des classes. »(VIII, 9) C’est un système totalisant qui n’épargne rien.

La subversion du christianisme

Conscients ou non, en acceptant comme principe la théorie de la lutte des classe, les théologiens de la libération en viennent à l’appliquer dans l’Église et à juger sa réalité en fonction d’elle et à pervertir le message chrétien dans sa globalité.

Le sens même du pauvre est perverti. « L’Église des pauvres » telle qu’ils la définissent « signifie alors une Église de classe, qui a pris conscience des nécessités de la lutte révolutionnaire comme étape vers la libération et qui célèbre cette libération par la liturgie. »(IX, 10) Nous retrouvons la même perversion dans l’expression « Église du peuple », « l'Église du peuple opprimé qu'il s'agit de « conscientiser » en vue de la lutte libératrice organisée »(IX, 12), une Église où, pour certains, le peuple est objet de foi. Une nouvelle conception de l’Église apparaît donc…

Cette conception de l’Église conduit à la critiquer dans sa structure sacramentelle et hiérarchique. La hiérarchie et le Magistère sont désignés comme des représentants la classe dominante qu’il faut combattre. « Théologiquement, cette position revient à dire que c'est le peuple qui est la source des ministères et qu'il peut donc se doter des ministres de son choix, selon les besoins de sa mission révolutionnaire historique. »(IX, 13) Et puisque la hiérarchie et le Magistère appartiennent à la classe des oppresseurs, ils ne font que refléter les intérêts de leur classe. Par conséquent, leurs discours sont par principe discrédités. Le point de vue de la classe opprimée et révolutionnaire constitue le seul point de vue de la vérité. « Dans cette perspective, on substitue à l’orthodoxie comme droite règle de la foi, l'idée d'orthopraxie comme critère du vrai. »(X, 3) Donc la Tradition est écartée.

Un christianisme dénaturé

Après avoir nié toute autorité dans l’Église, toutes les thèses les plus radicales de l’exégèse rationaliste peuvent être acceptées. Est alors refusé le « Jésus de la foi » au profit du « Jésus de l’histoire ». La figure du Christ est modifiée pour intégrer les exigences de la lutte des opprimés. Le « Jésus de l’histoire » est possible de l’atteindre à partir de l’expérience révolutionnaire de la lutte des pauvres pour la libération. La mort du Christ est interprétée sous un regard exclusivement politique, lui rejetant toute valeur salvifique. L’Eucharistie devient la célébration du peuple dans sa lutte. Il est inutile de parler de don de Dieu, encore moins de l’amour de Dieu. « La nouvelle interprétation atteint ainsi l'ensemble du mystère chrétien. »(X, 13)

En considérant la lutte des classes comme moteur de l’histoire, celle-ci devient une « notion centrale ». Il n’y a plus qu’une histoire. En supprimant la distinction entre histoire du salut et histoire profane, des théologiens de la libération tendent par là à « identifier le Royaume de Dieu et son devenir au mouvement de libération humaine et à faire de l’histoire elle-même le sujet de son propre développement comme processus, à travers la lutte des classes, de l’autorédemption de l’homme. »(IX, 3) Des théologiens vont même identifier Dieu et l’histoire et à définir la foi comme « fidélité à l’histoire », c’est-à-dire à un engagement politique à l’égard d’un messianisme temporel. « En conséquence, la foi, l'espérance et la charité reçoivent un nouveau contenu : elles sont « fidélité à l'histoire », « confiance dans le futur », « option pour les pauvres ». Autant dire qu'elles sont niées dans leur réalité théologale. »(IX, 6)

Finalement, les vérités de foi sont subordonnées à un critère politique, lui-même dépendant de la théorie de la lutte des classes. La lecture de la Sainte Écriture se plie aussi à ce critère.

La vérité de Notre Seigneur Jésus-Christ nous rend libre

Or, comme le souligne l’instruction, toute libération authentique a « pour piliers indispensables, la vérité sur Jésus-Christ, le Sauveur, la vérité sur l’Église, la vérité sur l’homme et sur sa dignité »(XI, 5) et que « la défense efficace de la justice » doit s’appuyer sur « la vérité de l’homme, créé à l’image de Dieu et appelé à la grâce de la filiation divine ».

Ce combat doit être mené avec des moyens conforme à la dignité humaine et ne peut recourir systématiquement et délibéré à la violence aveugle. S’il est nécessaire de réformer radicalement des structures, il ne faut pas oublier que « la source des injustices est dans le cœur des hommes. »(XI, 8) C’est en convertissant les hommes que des changements sociaux pourront se faire. « L'inversion entre moralité et structures est imprégnée d'une anthropologie matérialiste incompatible avec la vérité de l'homme. »(XI, 8) Et la naissance d’un homme nouveau ne peut s’obtenir par de structures nouvelles. Car toute vraie nouveauté vient du Saint Esprit. Et « Dieu est le maître de l’histoire. »(XI, 8)

Les dangers de certaines théologies de la libération

Ainsi, des théologies de la libération reposent sur le mythe de la lutte des classes et sur des illusions. Ce n’est qu’un mirage que nous devons justement nous libérer. Ainsi, elles « proposent du contenu de la foi et de l’existence chrétienne une interprétation novatrice qui s’écarte gravement de la foi de l’Église, bien plus, qui en constitue la négation pratique. » (VI, 10) L’instruction définit comme source de corruption du « généreux engagement initial en faveur des pauvres » deux fautes : « des emprunts non critiqués à l’idéologie marxiste » et « le recours aux thèses d’une herméneutique biblique marquée par le rationalisme ». Enfin, l’instruction s’étonne que les « théologies de la libération » ne portent que vers les pauvres et délaissent les jeunes. Il est vrai aussi qu’elle néglige d’autres catégories de personnes faibles et démunis, comme les malades et les personnes âgées.

L’instruction s’achève par différents appels aux pasteurs pour qu’ils forment davantage les fidèles sur le sens véritable et intégrale du salut.

Le renouvellement des condamnations dans une approche plus positive

Sur demande du pape Jean-Paul II, jugeant l’instruction Libertatis nuntius trop sévère, la congrégation de la foi en publie une nouvelle, intitulée Libertatis conscientia [7] le 22 mars 1986, qui vise davantage à définir à souligner sa doctrine positive en matière de liberté et de libération.

La nouvelle instruction ne remplace pas la précédente. Elle rappelle en effet que les aspirations à la libération « revêtent parfois, aux plan théorique et pratiques, des expressions qui ne sont pas toujours conformes à la vérité de l’homme telle qu’elle se manifeste à la lumière de sa création et de sa rédemption »(1). Ainsi, nous renvoie-t-elle vers l’instruction Libertatis nuntius. Les avertissements que celle-ci dénonce « apparaissent toujours plus opportuns et pertinents. »(1).

Sans être aussi ferme que la précédente, l’instruction condamne donc de nouveau « la théorie qui voit dans la lutte des classes le dynamisme structurel de la vie sociale », le « mythe de la révolution » ou encoure le recours systématique à la violence. Il y a « une moralité des moyens »(78)

Elle conclue qu’« une théologie de la liberté et de la libération [..] constitue une exigence de notre temps » mais elle en avertit les dangers. « Ce serait une grave perversion que de capter les énergies de la religiosité populaire pour les détourner vers un projet de libération purement terrestre, qui se révélerait très tôt être une illusion et une cause de nouvelles servitudes. Ceux qui ainsi cèdent aux idéologies du monde et à la prétendue nécessité de la violence ne sont plus fidèles à l'espérance, à sa hardiesse et à son courage, tels que les magnifie l'hymne au Dieu de miséricorde que la Vierge nous enseigne »(98) dans son Magnificat.

Une reprise des principaux thèmes des théologies de la libération

L’instruction utilise les expressions en usage dans les théologies de la libération mais en leur donnant un cadre plus fidèle à l’enseignement de l’Église. Ainsi, elle rappelle « l’option privilégiée » pour les pauvres » mais en précisant qu’elle est « sans exclusive » et par conséquent ne peut être exprimée « à l'aide de catégories sociologiques et idéologiques réductrices, qui feraient de cette préférence un choix partisan et de nature conflictuelle. »(68) Les théologiens peuvent partir de l’expérience pour développer leur réflexion mais ils doivent l’interpréter à la lumière de l’expérience de l’Église elle-même, dont l’authenticité revient aux pasteurs de l’Église en communion avec le pape.

Elle encourage aussi les communautés ecclésiales de base, qui sont des « motifs de grande espérance pour l’Église », mais à la condition qu’elles vivent en communion avec l’Église dans la fidélité à l’enseignement de « l’intégralité de la foi chrétienne » et « à l’enseignement du Magistère, à l’ordre hiérarchique de l’Église et à la vie sacramentelle. »(69)

L’instruction reprend le terme de « praxis », si cher aux théologiens de la libération, mais en lui donnant une signification chrétienne. Il devient « la mise en œuvre du grand commandement de l’amour », « principe suprême de la morale sociale chrétienne, fondée sur l’Évangile et toute la tradition depuis les temps apostoliques et l’époque des Pères de l’Église jusqu’aux interventions récentes du Magistère. » (71). La « praxis chrétienne », au plan de la société, est éclairée par la doctrine sociale de l’Église, qui fournit « les principes de réflexion » et « les critères de jugement » pour accomplir en profondeur les changements nécessaires pour le bien des hommes et inspire des directives d’action.

Conclusions

Dans son instruction Libertatis nuntius, la Congrégation pour la doctrine de la foi ne mentionne aucune référence permettant d’identifier les théologies de la libération objet de ses critiques, en particulier leurs textes et leurs auteurs, ce qui a pour effet de peser des soupçons sur tous les théologiens latino-américains. Ces derniers réfutent les accusations qu’ils jugent portées contre eux tout en justifiant leur engagement social. Certaines d’entre eux persistent à ne voir dans le discours de Rome qu’une « lecture centro-européenne de la théorie de la libération »[9] Ils confirment la pertinence de leur jugement. « Elle part du thème en soi et en tire les conclusions pour les fidèles » alors qu’« au contraire, la lecture des Latino-Américains et des Tiers-mondistes part de l’autre pôle de la question. Elle vérifie le fait de la pratique des opprimés, s’interroge sur la participation des chrétiens dans le processus de libération et sur la signification de ce cheminement dans le projet de Dieu. »

Or, si la méthode soulève de légitimes questions et de vrais doutes sur sa pertinence et son efficacité, la question porte surtout sur le regard que nous portons sur la réalité. Est-ce un regard plus ou moins inspiré ou influencé par le marxisme ? Ou est-il porté par la foi ? Les actions qui en découlent sont-elles conformes à la charité et à la morale chrétienne ? Enfin, la lecture de la Sainte Écriture est-elle faite à la lumière de la foi ? Les deux instructions de la Congrégation pour la doctrine de la foi sont particulièrement claires. Sans cette fidélité à la foi, toute théologie est vouée à la déviation et à l’erreur, et donc à l’échec.

Enfin, la nécessité de condamner les erreurs des théologies de la libération et de souligner les dangers qu’elles peuvent générer ne doit pas nous détourner de l’exigence de la charité comme le rappellent les deux instructions. Contrairement aux accusations de ses adversaires, Rome ne se contente pas de tenir son rôle légitime de défenseur de la foi comme tout véritable pasteur. Elles encouragent les chrétiens engagés dans des actions sociales et refusent de donner des arguments à ceux qui demeurent neutres ou indifférents à la misère. Comme elles ne cessent de le réaffirmer, l’Église n’a pas attendu les théologiens de la libération pour combattre toute forme de servitude et aider ceux qui vivent dans la misère sans oublier néanmoins la racine de tout mal, qu’est le péché


Notes et références

1 Voir Émeraude, avril 2025, article "La théologie de la libération".

Voir Émeraude, mai 2025, article "Medellin 1968, une nouvelle Pentecôte en Amérique Latine, naissance d'une nouvelle Église ? ...".

3 Cardinal Joseph Ratzinger, Instruction Libertatis Nuntius sur quelques aspects de la « théologie de la libération », 6 août 1984, Congrégation pour la doctrine de la foi, vatican.va.

4 Chanoine L.-E. Marcel, article « péché », Dictionnaire de culture religieuse et catéchistique, Imprimerie Jacques & Démontrond, 1938.

5 Voir Émeraude, février 2013, article "Péché d'origine, péché originel".

6 Paul VI, Octogesima Adveniens, n°34, à l’occasion du 80e anniversaire de l’encyclique Rerum Novarum, AAS 63, 14 mai 1971.

7 Cardinal Ratzinger, Instruction Libertatis conscientia sur la liberté chrétienne et la libération, Congrégation pour la doctrine de la foi, 22 mars 1986, vatican.va.

8 Leonardo Boff, journal Folha, Sao Paulo, 31 août 1984 dans Théologie de la libération et Realpolitik, Claude-François Jullien, Politique étrangère, année 1984, 49-4, persee.fr.