" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


dimanche 8 mai 2022

Le Livre de Job (1/2), une réponse au problème du mal

Après Saint Augustin et d’autres Pères de l’Eglise, des philosophes comme Leibniz et Kant ont compris que serait bien téméraire celui qui tenterait de remettre en cause les attributs de Dieu par la réalité du mal tant la perception de l’homme est limitée et son regard bien étroit pour en percevoir toute l’étendue de l’action divine dans l’espace comme dans le temps. Qui est-il finalement pour juger Dieu ? Certes, l’homme ne peut être indifférent au mal qui frappe indifféremment les bons comme les mauvais, mais les émotions légitimes qu’il peut éprouver devant la souffrance et l’apparente injustice qu’il peut ressentir ne doivent pas non plus l’aveugler et lui faire perdre confiance en Celui qui est puissance, bonté et sagesse. S’il est incapable de comprendre la réalité du mal, l’homme peut néanmoins entendre la parole divine qui, soucieuse des âmes, ne nous laisse pas sans lumière ni consolation.

La Sainte Ecriture nous apporte quelques enseignements précieux capables de nous préserver de toute témérité ou jugement hâtif par les lumières qu’elle nous donne. Quand nous songeons au scandale du mal ou à nos propres douleurs, notre regard nous porte naturellement vers Notre Seigneur Jésus-Christ, mort sur la Croix pour nous délivrer de la mort et nous apporter la vie éternelle. Les Livres sacrés nous livrent aussi de nombreux exemples de saints et de justes qui ont souffert en dépit de leur innocence. L’un d’entre eux porte d’une manière spéciale le scandale du mal au point d’y apporter des réponses. C’est Job…

Job est un homme pieux et juste au témoignage même de Dieu, qui, pourtant, à la proposition du diable, le livre à de nombreux malheurs au point de lui faire perdre tout ce qu’il a, bétails et fortune, enfants et épouses, réputations, santé, … avant de connaître une fin heureuse. Son histoire dramatique remet en cause la doctrine selon laquelle Dieu sanctionne ici-bas les bons et les méchants selon leurs mérites et leurs péchés, récompenses pour les premiers, punitions pour les seconds. Par des faits concrets, le Livre de Job, qui raconte cette histoire, traite du problème de la Providence divine et de la réalité du mal. Dieu nous délivre ainsi un enseignement que nous devons écouter et méditer.

Le Livre de Job

Le Livre de Job est un des livres sapientiaux de la Sainte Ecriture. Ce poème est considéré comme « d’une beauté littéraire incomparable » ou encore « un chef d’œuvre de la littérature sacrée ». Selon des études de sa forme linguistique et de l’analyse du texte, sa rédaction daterait du Ve siècle avant Jésus-Christ. Selon toujours les experts, un discours y aurait été incorporé deux siècles plus tard.

Cependant, l’histoire qu’il raconte se déroule dans des temps anciens, probablement antérieurs à celui d’Israël, sans-doute contemporain des patriarches hébreux. Elle est aussi connue bien avant la rédaction du livre puisque le livre d’Ezéchiel, écrit vers 600 avant Jésus-Christ, évoque déjà Job.

Pour certains commentateurs, l’histoire serait une légende, une parabole ou une allégorie. Pour d’autres, elle serait un fait avéré. Mais qu’elle soit véridique ou inventée, cela ne nous importe peu puisque cela ne change guère à son enseignement inspiré[1]. Retenons néanmoins que le prophète Ezéchiel évoque Job avec Noé et Daniel, les mettant ainsi au même rang que ces deux personnages qui ont véritablement existé. « La parole du Seigneur me fut adressé : Fils d’un homme, quant à une terre, lorsqu’elle aura péché contre moi en multipliant ses prévarications, j’étendrai ma main sur elle […]. Et si trois hommes justes, Noé, Daniel et Job, sont au milieu d’eux, eux-mêmes par leur justice, délivreront leurs âmes, dit le Seigneur des armées. » (Ezéchiel, XIV, 13-14) Tobie rappelle aussi l’histoire de Job, sa patience et sa confiance en Dieu dans ses afflictions (cf. Tobie, II, 12). Dans son épître, Saint Jacques le mentionne aussi pour rappeler son endurance dans les épreuves. « Voyez, nous appelons heureux ceux qui ont souffert. Vous avez appris la patience de Job, et vu la fin du Seigneur, combien le Seigneur est miséricordieux et clément. » (Jacques, V, 11) C’est pourquoi nombreux sont les Pères et les Docteurs de l’Eglise, par exemple Saint Thomas d’Aquin, qui considèrent l’histoire de Job comme un fait avéré. Le traité talmudique Bara bathra ainsi que des protestants [2] et des exégètes catholiques [3] la rangent plutôt comme une parabole ou une pure allégorie.

Le Livre de Job comprend un prologue et un épilogue qui encadrent le texte principal, formé de dialogues et de monologues.

Job, serviteur de Dieu

Le prologue décrit le personnage central du récit, Job. Celui-ci habite au pays de Hus, qui, selon certaines hypothèses, serait en l’actuelle Jordanie ou à la limite entre l’Idumée et l’Arabie. Il est « un homme simple et droit, craignant Dieu et éloigné du mal » (Job, I, 1). Il est un fidèle de Dieu, exempt de péché. Il connaît une véritable prospérité par sa nombreuse descendance et par sa richesse matérielle principalement en bétail. « Grand parmi tous les Orientaux » (Job, I, 3), il est honoré, respecté et universellement connu. Sa famille bénie par de nombreux enfants connaît la paix et la concorde. Enfin, il est précisé sa régularité et sa persévérance dans le culte qu’il rend à Dieu. Il est particulièrement soucieux de l’âme de ses enfants.

Après avoir énuméré sa prospérité et ses vertus, le prologue nous présente une scène dans laquelle les « fils de Dieu », c’est-à-dire les bons anges, se présentent devant Dieu. Selon Saint Thomas d’Aquin [4], ils contemplent Dieu et Lui rapportent ce qu’ils font, soumettant tout à son jugement de leur propre volonté contrairement aux mauvais anges dont leurs actions sont aussi soumises à l’examen de Dieu mais contrairement à leur volonté. Et parmi les « fils de Dieu », se trouve Satan. Dieu demande alors d’où il vient, non pas par ignorance, mais pour examiner ses intentions et ses actions. Il a « parcouru toute la terre » et l’a « visité dans tous les sens. » (Job, I, 7) Dieu lui demande alors s’il n’a pas remarqué son « serviteur Job qui n’a pas de pareil sur la terre, homme simple et droit, craignant Dieu et éloigné du mal » (Job, I, 8), témoignant ainsi des vertus exceptionnelles de Job. Satan n’a pas en effet réussi à le tromper et à le soumettre. Dieu, qui lui demande de contempler son serviteur, afin qu’il admire ses vertus, le condamne davantage.

Des vertus à éprouver

Mais, Satan refuse de voir en Job la sainteté et n’y voit qu’intéressement. Son intention ne serait pas aussi droite qu’elle puisse paraître. « Est-ce donc pour rien que Job craint Dieu ? » (Job, I, 9) Satan accuse en effet Job d’être vertueux pour obtenir des faveurs de Dieu et de Le craindre pour ne point les perdre, agissant ainsi non par amour et sincérité mais pour les choses temporelles qu’il peut obtenir de Dieu et qu’il a obtenues de Lui. S’il n’était pas si prospère et si béni de Dieu, il n’aurait pas été aussi simple et droit. S’il était éprouvé dans ses biens et sa chair, il aurait murmuré contre Lui. Satan insinue donc que Job n’est pas vraiment juste. Afin de manifester ses bonnes intentions et donc ses vertus, Dieu permet à Satan d’affliger son serviteur sans néanmoins toucher à lui : « Voici, tout ce qu’il a, est en ton pouvoir ; seulement, n’étends pas la main sur lui. » (Job, I, 12)  

Le prologue rappelle que les mauvais anges, y compris Satan, ne peuvent nuire aux hommes sans la permission de Dieu. Par conséquent, les malheurs qui s’abattront sur Job ont pour objectif de manifester à tous sa vertu, notamment contre toutes les calomnies des impies. Le juste peut donc être éprouvé pour mettre davantage en valeur ce qui est caché aux hommes et pour donner aux autres des exemples de vertus.

Job, accablé de maux

Job subit alors de nombreuses épreuves qui se succèdent de manière rapide. Il apprend en effet successivement la perte de ses différents bétails, volés par des ennemis lointains ou des peuples féroces ou encore consumé par le feu, puis la mort de ses serviteurs et surtout la mort soudaine de tous ses enfants, ensevelis sous les décombres d’une maison effondrée par le vent alors qu’ils festoyaient dans la joie.

Par ces différentes calamités, de plus en plus fortes et douloureuses, Satan s’efforce de provoquer l’impatience de Job pour qu’il blasphème. Tout est en effet orchestré afin de mettre à rude épreuve l’homme juste et droit. Les faits rapportés à Job sont de plus en plus insupportables. Les annonces s’enchaînent sans répit. À peine apprend-il un malheur qu’un autre plus grand survient. Aucun espoir ne lui est donné, aucun temps pour s’en remettre. Notons aussi qu’il est atteint au temps de son bonheur afin que le malheur apparaît plus grand. À chaque fois, comme par miracle, un seul et unique serviteur a pu s’échapper d’un désastre pour annoncer la mauvaise nouvelle comme si par une disposition divine, il avait été sauvé pour pouvoir l’informer du malheur. « Et je me suis échappé seul pour te l’annoncer. » (Job, I, 15) Les pilleurs, Sabéens ou Chaldéens, n’en sont pas enfin les seules causes de ces drames. Les éléments naturels, feu et vent, sont aussi de la partie. Tous les éléments semblent se concerter pour s’abattre sur le pauvre Job.

Lorsqu’il apprend la perte de ses enfants, Job manifeste une réelle tristesse. « Il se leva et déchira ses vêtements », nous dit la Sainte Ecriture. Puis se jetant à terre, il adore Dieu et prie. Ses paroles traduisent ce qu’il montre par ses gestes. « Nu je suis sorti du sein de ma mère, nu j’y retournerai. » (Job, I, 20) L’homme vient en ce monde sans aucun bien, il le quittera aussi sans eux. « Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. » (Job, I, 21) Tout cela n’est que justice. Si Job éprouve une grande et légitime tristesse, il n’en est pas écrasé et confesse en toute humilité qu’il n’a aucun juste motif de plainte envers Dieu puisqu’il a perdu ce que Dieu a bien voulu lui donné. « Comme il a plu au Seigneur, ainsi c’est arrivé. » (Job, I, 21)  Il finit alors sa prière par une action de grâce en raison de la bonté de Dieu.

De plus grandes épreuves

Après avoir parcouru toute la terre, Satan se retrouve de nouveau devant Dieu. Celui-ci lui demande encore s’il a remarqué son serviteur Job dont les vertus se sont encore davantage manifestées dans les épreuves qu’il a subies. Contrairement aux insinuations de Satan, la perte de ses biens ne l’a pas conduit à Le blasphémer, ce qui montre clairement qu’il n’agissait pas pour sa richesse ou sa prospérité. En laissant agir Satan, Dieu a donc fait apparaître davantage la sainteté de son serviteur.

Mais contrairement à la première fois, Dieu n’attend par la réponse de Satan. Il dénonce sa calomnie, même s’Il n’a jamais été dupe de ses propos. Cependant, le diable ne s’avoue pas vaincu. Il poursuit en effet sa calomnie : Job a bien supporté ses pertes puisqu’il n’a pas été touché dans sa chair ni connu de véritables souffrances physiques. C’est pourquoi il insinue devant Dieu que s’il venait à souffrir dans son corps, Job Le maudira. Dieu lui permet alors de l’affliger en son corps tout en le gardant vivant.

Satan frappe donc Job dans sa chair. Celui-ci est alors atteint d’un ulcère [5] grave et généralisé au point qu’il ne trouve soulagement que sur un tas d’ordure. La maladie qui le touche n’est pas seulement douloureuse, elle est aussi honteuse. Au lieu de trouver consolation et soulagement auprès de son épouse, ce ne sont que d’amères et dures reproches, ce qui ne peut qu’accroître ses afflictions. « Comment demeures-tu encore dans ta simplicité ? Bénis Dieu et meurs. » (Job, II, 9) Sa femme le provoque et le pousse au désespoir, faisant ainsi le jeu du diable. Job ne peut supporter ses paroles injurieuses et lui reproche sa sottise, « femme insensée ». Il est en effet insensé d’outrager Dieu quand, au lieu des bonnes choses que nous avons reçues de Lui, nous refusons d’en accepter les mauvaises. Il endure de nouveau cette nouvelle épreuve dans la patience et la résignation. « En tout cela Job n’a pas péché par ses lèvres. » (Job, I,I, 10)

La douleur de Job devant ses amis

Job reçoit alors la visite de trois amis, Elipgas de Theman, Baldad de Shoudh et Sophar de Naamah qui sont venus le consoler. Leur visite est sa seule consolation. Comme de véritables amis, ils ne l’abandonnent pas dans ses tribulations.

Les maux qui le frappent sont si grands que Job leur est méconnaissable. « Ils se mirent à pleurer ; déchirant leurs vêtements, ils couvraient leur tête de poussière vers le ciel » (Job, II, 12) en signe de tristesse et de consternation. Ils restèrent auprès de lui pendant sept jours et sept nuits, dans le silence de la compassion tant « sa douleur était immense. » (Job, II, 13) Il est en effet inutile de parler à celui qui ne peut entendre. Leur compassion et leur compagnie sont alors les seules consolations que Job a reçues.

Après ces sept jours de silence, « Job ouvrit la bouche et il maudit son jour » (Job, III, 2), le jour de sa naissance, la nuit de sa conception. Notons qu’il ne parle pas sous le coup de l’émotion. Il a su dominer sa tristesse quand elle était extrême. Ce n’est pas sous l’empire de la passion qu’il parle et exprime son accablement puisqu’il n’exprime sa douleur qu’après sept jours de silence. C’est aussi la première fois que nous entendons Job souffrir de ses calamités.

Job dit alors du mal aux jours qui l’ont vu concevoir et naître en raison des maux qu’il subit. De nombreuses métaphores expriment alors son souhait de n’être jamais né puisque sa naissance l’a fait vivre en de si grandes calamités, puisque ses jours n’ont point caché la misère à ses yeux. De même, il exprime ses douleurs d’avoir été conservé en vie, vie devenue à charge. Il souhaite donc dormir, c’est-à-dire mourir, pour se taire et se reposer, rejoignant rois et princes, riches et pauvres, petits et grands, maîtres et esclaves. Tous finissent en effet par mourir. Dans l’au-delà, il n’y a ni tumulte, ni fatigue, ni servitude.

Après s‘être lamenté sur le sort des malheureux et de ceux qui peinent, Job montre encore son dégoût pour la vie et revient sur ses propres malheurs, dont il reconnaît la grandeur tout en avouant son innocence. Il repousse en effet l’idée qu’il endure sa misère par sa propre faute. C’est alors que commencent les discours de ses trois amis qui s’opposent à ses plaintes et à ses paroles. La responsabilité de l’homme dans les maux qui l’affligent sont l’objet des discussions. Ses amis cherchent à le persuader que ses malheurs sont la punition de ses péchés…

Conclusion

Le prologue du Livre de Job présente ainsi deux idées portant sur les causes des maux qui frappent l’homme. Selon la première, les calamités seraient des épreuves que Dieu envoie pour mieux faire éclater ses vertus en révélant davantage ce que l’homme ne peut voir, faisant notamment taire les calomnies. Selon Satan, les vertus de Job ne seraient qu’hypocrisie. Selon la seconde, elles seraient une punition des fautes commises alors que la prospérité serait la récompense des bons serviteurs de Dieu. Satan évoque aussi cette idée pour relativiser les vertus de Job. Ce serait uniquement pour préserver sa fortune et ses biens qu’il se montre vertueux.

Mais, Job désavoue cette idée puisque proclamant son innocence, il se plaint des malheurs qui le frappent et il ne comprend pas la misère dans lequel il est plongé. Le Livre de Job est donc une réponse à tous ceux qui ne voient dans les maux ou le bonheur ici-bas que la rétribution des mauvaises ou bonnes actions. Satan utilise l’idée de rétribution pour remettre en cause la sainteté de Job. Si cette idée était vraie, elle remettrait alors en cause la pureté de l’intention des fidèles de Dieu. N’est-ce pas déjà un premier argument à relever contre cette idée ?

Enfin, notons que la cause des maux est indirectement d’origine divine. Satan n’intervient en effet que sous la permission de Dieu.

Dans l’article suivant, nous poursuivons notre lecture avec les différents discours des amis de Job et ses réponses…


Notes et références

[1] Voir Emeraude, octobre 2014, article « La Sainte Bible, œuvre inspirée de Dieu ».

[2] Par exemple, le philosophe et érudit allemand J. D. Michaelis (1717-1771) .

[3] Par exemple Jean Lévêque, docteur en théologie, professeur d’exégèse de l’Ancien Testament et les langues orientales à l’institut catholique de Paris (1974-1990). Voir Le sens de la souffrance d’après le livre de Job, J. Levêque, dans Revue théologique de Louvain, 6ème année, 1975, persee.fr.

[4] Voir Commentaire du Livre de Job, Saint Thomas d’Aquin, docteurangelique.free.fr. Les commentaires du Livre de Job par Saint Thomas d’Aquin demeure notre principal guide de lecture.

[5] Selon d’autres traductions du Livre de Job (Bible Crampon), la maladie est une lèpre maligne, ce qui correspond mieux aux symptômes.

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