" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


Affichage des articles dont le libellé est Eschatologie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Eschatologie. Afficher tous les articles

vendredi 20 mai 2022

Le Livre de Job (2/2), la rétribution des bons et des méchants dans l''au-delà


Le fidèle serviteur de Job est soumis à une série de  maux terribles qui se succèdent sans répit. Sa fortune est dilapidée, ses enfants meurent dans des circonstances épouvantables et atteint d’un mal honteux, il est devenu méconnaissable,  repoussé par sa femme et ses proches. Avec l’autorisation de Dieu, Satan éprouve ainsi ses vertus, qu’Il l’avait proposées en exemple, pour remettre en cause la pureté de ses intentions. Apprenant ses malheurs, trois amis, Éliphaz, Sophar et Baldad, viennent le voir pour le soulager. Pendant sept jours,  ils sont auprès de lui, dans un  silence respectueux. Puis, « Job ouvrit la bouche et il maudit son jour » (Job, III, 2). Accablé par ses maux, Job finit en effet par se lamenter et par se plaindre de son sort. Indignés de ses paroles qui semblent remettre en cause la justice divine, ses amis lui rappellent que,  puisque Dieu punit les pécheurs, ses malheurs sont les punitions de ses péchés, ce que refuse de croire Job.  C’est ainsi qu’au travers de leur dialogue, le Livre de Job s’attaque au problème de la réalité du mal...

Le  mal comme châtiment de nos péchés

Éliphaz est le premier à parler. Il reprend Job et reproche son désespoir qui se manifeste dans son dégoût de la vie, son impatience qui s’exprime par son amertume et sa présomption qu’il exprime par sa protestation de son innocence. D’abord, il l’accuse d’abandonner devant les épreuves qu’il endure les vertus de force, de courage et de patience qu’il a lui-même enseignées. Il remet alors en cause sa crainte de Dieu. Puis, reprenant l’enseignement de Job lui-même ainsi que son expérience, Éliphaz défend l’idée de la rétribution dès ici-bas : les adversités en ce monde n’arrivent qu’aux pécheurs alors que la prospérité récompense les justes. Par conséquent, Job et sa famille ont été frappés par des malheurs en raison de leurs péchés. Par une révélation secrète survenue dans un songe, il apprend qu’aucun homme n’est exempt de péchés et qu’il ne serait se justifier comparé à Dieu. « Un mortel est-il pur face à son auteur ? » (Job, IV, 17) Des anges se sont même égarés dans la dépravation. Que dire alors des hommes qui sont si fragiles et périssent pour toujours ? Ils se perdent eux-aussi dans le péché, même s’ils l’ignorent. Job ne peut donc se dire innocent. Il faut donc admettre que, bien qu’il ne se sache pas pécheur, lui et ses enfants ont enduré des épreuves par suite de certains péchés.

Le mal comme correction

Tout n’arrive pas en effet sans cause puisque toute chose est déterminée à une fin. Ainsi, le monde est régi par la divine providence  sans laquelle les prières seraient vaines. C’est pourquoi les humbles seront élevés et les oppresseurs rabaissés. Dieu intervient en ce monde pour encourager et garder les justes, libérer les pauvres et faire échouer les projets des méchants. « Il gardera l’indigent du tranchant de leur glaive et le pauvre de la violence de leurs mains. » (Job, V,  15) Dieu fait subir des maux aux hommes non seulement comme sanctions mais également comme  correction en vue de leur amendement. « Bienheureux l’homme que le Seigneur reprend ». Par conséquent, Job ne doit pas rejeter les maux qui l’accablent au point de haïr la vie. « Ne repousse donc pas l’avertissement du Seigneur. C’est le même qui blesse et guérit ; s’il frappe sa main, nous soigne. » (Job,  V,  17)

La plainte légitime de Job

Job répond à Éliphaz et défend sa cause. Il est convaincu que par la fragilité de la condition humaine, tout homme est pécheur mais les péchés ne méritent pas tous une même peine. Les épreuves qu’il endure en raison de ses fautes ne sont pas proportionnées à leur gravité. Il reproche donc à Éliphaz d’oublier les exigences de la justice divine. Or, il montre que des méchants subissent de légères peines alors que lui, qui n’a pas commis de péchés graves, subissent des maux terribles et innombrables.

Job s’excuse aussi de son chagrin qu’il a exprimé dans ses paroles « pleines d’amertume » mais il le justifie par la douleur qu’ont causée ses malheurs, qui, par leur soudaineté et leur enchaînement rapide lui ont enlevé toutes forces ou consolation. Il craint désormais que le Seigneur lui envoie d’autres afflictions. Il est naturel que l’homme exprime sa souffrance et qu’il éprouve de la tristesse devant les tribulations qu’il subit.

Mais de peur que sa raison ne domine plus ses douleurs et qu’il commette le mal à l’égard de Dieu, Job Lui demande de mourir. « Qu’il lâche sa main et qu’Il m’abatte ! » (Job,  VI, 9) Il est en effet bien conscient de ses faiblesses. « Mon courage n’est pas dur comme pierre, ni ma chair n’est d‘airain. » (Job, VI, 9) Contrairement au discours d’Éliphaz, il montre qu’il n’abandonne pas…

Job à la recherche de compassion

Job montre aussi qu’il a supporté ses souffrances d’une manière raisonnable et qu’en absence de secours, en lui-même et auprès de sa famille et des proches, puis en raison des abandons qu’il juge inexcusables, ses plaintes et ses gémissements peuvent se comprendre. Pourtant, il ne demande aucun secours ni consolation, y compris auprès d’eux qui, voyant son malheur, tremblent de devoir l’aider.

Job récuse alors les reproches de son ami qu’il condamne et qui ne le convainc pas. Au lieu de paroles éloquentes et creuses, il réclame un véritable enseignement. Il se plaint de la dureté de ses paroles qui au lieu d’être utiles sont irritables alors qu’il est déjà accablé par ses douleurs. Or, il y a un moment propice à de tels propos. Lorsqu’on reprend un cœur consterné et disposé à la colère, on prend le risque d’aggraver son état. Toutefois, prêt à les entendre, il demande à ses amis de le répondre en toute justice. Il est alors prêt à les entendre…

Contre la rétribution de la vie ici-bas

Après avoir condamné la dureté de ses paroles, leur inutilité et leur danger, Job réfute l’opinion d’Éliphaz selon laquelle il faut attendre ici-bas le châtiment des péchés et la récompense des justes. Il présente la vie de l’homme sur terre comme un « combat », ses jours comme ceux d’un « mercenaire ». Son  existence est semée d’obstacles et de dangers, de  sueur  et de travail afin qu’il se procure  des biens nécessaires à la vie. Elle n’est donc pas sans peine ni douleur, quel que soit son état de pécheur. La félicité promise par Éliphaz ne réside donc pas dans notre monde.

Dans sa tristesse, ne trouvant qu’afflictions dans le présent, Job ne songe alors qu’à l’avenir. Il revient sur son horrible condition personnelle, marquée durement dans sa chair et la perte définitive de ses biens. Il ne trouve aucune consolation à ses souffrances, aucune libération dans sa tribulation. La nuit est un cauchemar. C’est alors que sa plainte devient terrible. Il a perdu tout espoir de retrouver une vie prospère. « Je suis au désespoir ; je ne puis vivre plus longtemps. » (Job, VII,  16) Si la rétribution se réalise ici-bas comme l’affirme Éliphaz, il est alors à craindre que l’existence avec ses peines et ses douleurs conduise au désespoir et au désir de mort.

Enfin, Job semble interroger directement Dieu et lui demande pourquoi il montre tant de sollicitudes à l’homme alors qu’il n’est rien par ses faiblesses et la brièveté de sa vie. Aurait-Il tant d’attention à son égard pour ne point lui offrir autres choses que la promesse d’une félicité terrestre ? Et s’il a péché, que peut-il faire contre Lui ? Qui est-il pour obtenir le pardon de ses fautes ? Par conséquent, Dieu ne pourra jamais l’épargner s’Il ne lui l’enlève pas. Par ses interrogations, Job montre en fait l’absurdité du  discours  d’Éliphaz.

Le mal frappe aussi bien les justes que les pécheurs

Baldad attaque à son tour Job en l’accusant de ne pas croire que Dieu châtie les méchants et récompense les bons, remettant alors en cause la justice divine. « Dieu ferait-Il un accroc à la justice et renverserait-il le droit ? » (Job, VIII, 3) Pour retrouver sa prospérité, il l’appelle à la conversion puisque contrairement à ses fils, il est encore vivant pour revenir à Dieu. « Si le passé a été sombre, ton avenir n’en sera que plus riche. » (Job, VIII,  7)

Contrairement à ce que dit Baldad, Job ne conteste pas la justice divine. Personne ne peut contester avec Dieu tant « son cœur est sage et solide sa force. » (Job, IX, 4) Qui peut Le résister tant sa puissance infinie et sa sagesse d’une admirable profondeur ? « Que suis-je donc pour Le répondre ? » (Job,  IX, 14)

Contre ses deux amis, Job rappelle de nouveau que la mort frappe aussi bien les bons que les méchants, les innocents que les pécheurs. Si la cause des peines est le péché, Dieu châtierait-Il les justes sans aucun motif comme si le châtiment Lui plaisait pour eux-mêmes ? Par conséquent, ce ne serait pas simplement par injustice que Dieu les frapperait, mais aussi par malice. Aurait-Il alors livré la terre à l’impie ? Et si « ce n’est pas lui, qui donc alors ? ».

Enfin, Job défend sa justice et son innocence. Il a toujours craint le jugement divin. Si les malheurs qui le frappent provenaient de ses péchés, ses craintes auraient été inutiles. Il aurait peiné en vain. Certes, il ne peut contester devant Dieu ses péchés puisqu’il ne peut être totalement pur, mais il peut contester le jugement de l’homme.

À la recherche des causes de ses malheurs

Mais Job est bien conscient que sa propre affliction l’empêche de bien juger et qu’il ne peut remettre en cause Dieu en raison de son profond respect envers Lui. Affligé par ses épreuves, il parle en effet dans un état d’amertume au point qu’il est lasse de vivre et qu’il parle contre lui-même sans se retenir. Pourtant, contrairement à un homme qui ne se maîtrise pas, il ne murmure pas contre Dieu dont il attend le remède, même s’il voit en Lui la cause de ses tourments.

Ne voyant aucune raison à ses châtiments, Job en demande la raison à Dieu. Ce n’est pas ni par  ignorance ni par malice qu’Il le tourmente ainsi. Il n’est pas comme les  hommes qui,  par ignorance  ou faiblesse, agit  mal envers d’autres et commette des  injustices. De plus, puisqu’il est l’œuvre de ses mains, est-Il encore possible qu’Il le châtie sans motif, oubliant la bienveillance qu’Il a eue pour sa créature ? Les souffrances qu’il endure lui semblent donc incompréhensibles.

Et dans le cas où il n’est pas innocent, Job montre qu’il n’est pas puni pour ses péchés. Comment Dieu,  peut-Il en effet châtier celui qu’Il a auparavant épargné ? Et s’il venait à être purifié de ses péchés, contrairement aux discours de ses amis, il ne serait pas soulagé par ses malheurs. Ses amis qui portent témoignage contre lui est un autre tourment qui l’afflige.

Job finit enfin son discours par la peinture de l’enfer, « la terre des ténèbres », là où « habite une éternel horreur » (Job, XI, 22). Ainsi, en recherchant la cause de sa misère, Job montre qu’elle ne peuvent pas venir de Dieu qui livrerait la terre aux impies, l’opprimerait injustement, le punirait de ses péchés ou encore le châtierait par plaisir. Le juste et le méchant sont tous éprouvés ici-bas. Il en vient alors à poser la question d’une autre vie où chacun recevra ce qu’il mérite selon la justice divine.

Gare à l’orgueil qui élève l’homme !

C’est alors au tour de Sophar de Naama de parler et d’accuser Job, reprochant sa bavardise et son arrogance. Est-il capable de discuter avec Dieu, de Le comprendre et de le juger, Lui « qui est plus élevé que les cieux » et dont la sagesse est incompréhensible aux hommes ? Connaissant toute chose, en particulier la vanité humaine, Il ne peut ne pas punir les péchés dont Il est témoin. L’homme est-il si orgueilleux qu’il se croit à l’abri de son jugement et de sa justice ?

Sophar accuse donc Job d’être si sûr de son innocence. Au lieu de la plaider, il devrait renoncer à ses péchés et demander ensuite à Dieu de ne pas le punir. C’est par cette prière qu’il pourrait,  dès cette vie, retrouver son bonheur et, dans la mort, se reposer en paix et vivre dans la mémoire des vivants. S’il ne sépare pas de son iniquité, comme tout impie, il sera en abomination auprès des vivants à cause de ses péchés. Après cette vie, il n’y a donc rien attendre pour le juste si ce n’est la paix dans la tombe ou dans les souvenirs.

La fausseté d’un discours inutile

De  nouveau, Job accuse ses amis de prononcer des discours inutiles,  orgueilleux et méprisants au lieu de venir à son secours et de  compatir à ses misères. Ils ne sont pas en effet les seuls à connaître les grandeurs de Dieu et la vanité humaine comme s’ils étaient les seuls sages de ce monde, comme si lui-même était un insensé ignorant toutes ces choses. Ils en sont alors ridicules. Job connaît en effet toute la grandeur de Dieu aussi bien qu’eux. « Comme vous connaissez, ainsi j’ai su moi aussi et je ne vous suis pas inférieur. » Ses mots sont alors terribles, les accusant d’être des « artisans de mensonge » (Job, XIII, 4).

Job conseille ses amis de se taire plutôt que de plaider en faveur de Dieu par de mauvaises et fausses idées. Pour défendre la justice divine, ils l’ont accusé d’avoir commis des péchés afin de ne point remettre en cause leur doctrine alors qu’ils savent bien que les bons et les méchants sont réprouvés en cette existence. Contre un fait manifeste, ils ont voulu être habiles dans leurs paroles, trouvant n’importe quel prétexte pour défendre la justice divine. En outre, ils peuvent discuter tranquillement de ces choses puisqu’ils n’endurent aucune tribulation. Or ils devraient craindre que Dieu les condamne pour leurs forfaitures. Reprenant alors les paroles de Sophar, Job leur promet le mépris au-delà de la tombe…

La fragilité de la nature humaine

Délaissant ses trois amis, Job simule alors une discussion avec Dieu. Il Lui demande de présenter ses fautes ainsi que leur gravité puisque selon leurs discours, c’est en raison de ses péchés qu’il endure ses épreuves. Mais n’ayant pas de réponse, il en cherche d’autres causes en réfutant toutes celles qui lui paraissent fausses.

Job rejette l’idée selon laquelle Dieu punit pour montrer sa puissance puisque l’homme n’est qu’une feuille emportée par le vent. Il récuse aussi toute sanction de péché de jeunesse puisqu’il est un homme en sa vieillesse. Enfin, le punit-Il parce qu’il a commis des négligences et des peccadilles ? Cela ne serait guère raisonnable puisque selon leurs amis, l’homme se consume comme la pourriture. Job décrit alors la fragilité de la condition humaine. Comme une fleur qui grandit et se fane, il vit peu longtemps et il est comme l’ombre qui passe. Sa vie est pleine de misère et elle ne connaît guère de repos. Job s’étonne alors que Dieu ait tant souci de l’homme au point de l’amener au jugement.

À sa mort, l’homme n’a plus d’espérance. Il ne peut plus renaître comme l’arbre qui, coupé, reprend vie et poussera comme s’il avait planté pour la première fois. « L’homme une fois endormi ne se lèvera pas » (Job, XIV, 12). Rien ne reste de lui après sa mort. Son bonheur réside-t-il dans le souvenir des vivants ou dans la joie de ses enfants ? Mais,  comment le saura-t-il s‘il disparaît totalement puisqu’il n’emporte rien dans sa tombe ?

Il est donc chose horrible et déplorable pour l’homme de disparaître ainsi sans jamais revenir à la vie. Il désire alors sa résurrection. Job espère alors que, souvenant de tous ses actes, Dieu lui pardonnera ses péchés lorsqu’Il l’appellera du lieu des morts. « Comme enfermées en un sac, tu as scellé mes fautes mais tu as guéri mon iniquité. » (Job, XIV, 17)

La récompense des justes ou la punition des méchants résident finalement dans l’autre vie, après la mort. Comme un mercenaire, l’homme doit attendre le jour de sa paye. Il serait en effet injuste que l’homme soit comparable à des choses destinées à la corruption qui se perd définitivement sans espoir de retour alors qu’il diffère d’elle par sa force et son esprit. Finalement, la vie n’est que douleurs si elle s’achève définitivement dans la mort

Dans la douleur, le regard tourné vers Dieu

À plusieurs reprises, Job se plaint de la dureté des paroles de ses amis qui, au lieu de le consoler, le condamne sévèrement et répète les mêmes paroles, creuses et vexantes. Il leur est facile de discuter de ses malheurs quand ils ne souffrent pas des douleurs qu’il éprouve. Il montre alors combien ses souffrances dans sa chair et son cœur l’empêchent de parler comme le font ses amis. Ainsi, il ne peut discuter d’égal à égal avec eux. Il rappelle aussi la grandeur de son humiliation. Il connaît ses péchés et  il sait qu’ils ne méritent pas de telles peines. « Ma conscience est là-haut. » (Job,  XVI, 20) Job estime alors suffisamment affliger pour ses péchés. C’est pourquoi il peut se plaindre de son sort...

Au milieu de sa détresse, Job tend son regard vers Dieu dont il attend le secours. « Mon œil pleure vers Dieu. » Il désire aussi se trouver en sa présence pour connaître les raisons de son malheur et de ses jugements. Là réside son espoir, surtout lorsqu’il est proche de la mort. Là se trouve aussi la consolation. Il ne réside pas dans le retour de la prospérité comme le suggèrent ses amis. Ce serait même absurde puisque tout est voué à la disparition. « Dans le plus profond des enfers iront tous mes biens. Pensez-vous qu’au moins là sera mon repos ? » (Job,  XVII, 16)

Job se lamente donc de ses amis qui le frappent par leur bavardage. Leur cœur est fermé à la sagesse. Ils ne mettent leur espoir qu’en des biens temporels. C’est ainsi que leur perte est pour eux signe de châtiment. Il en est alors indigné. Non seulement leurs paroles ne parviennent pas à l’écarter de sa voie mais elles renforcent sa détermination. L'impiété irrite l’innocent et l’affermit. « Le juste gardera sa voix. Le courage grandit pour ceux qui sont purs. » (Job, XVII,  9)

L’appel à la pitié et à l’espérance

C’est au tour de Baldad de prendre la parole d’abord pour reprocher le manque d’intelligence de Job, ses audaces et son orgueil avant de défendre de nouveau la thèse de la rétribution en ce monde. Il en appelle désormais à l’opinion commune. Il énumère encore les différents maux qui peuvent affliger le pécheur et qui mettent fin à sa prospérité et à ses réussites. Il décrit les peines corporelles qui l’atteignent et les châtiments qui touchent à sa postérité et à sa réputation. Tous ses biens après sa mort seront dilapidés. Il ne reste plus rien du pécheur. Et à Job qui rappelait que dans sa mort, l’impie n’en saura rien, Baldad répond que ces infortunes sont affligées pour l’amendement des autres.

Job se lasse des discours de ses amis qui se répètent sans le convaincre, fautes d’arguments, et par leur verbiage manifestent davantage leur malice. Baldad l’accuse d’être ignorant sans comprendre que l’état dans lequel il est ne lui permet guère de raisonner. Il leur montre de nouveau que ses maux dépassent ce qu’il aurait pu attendre de la justice divine en les énumérant dans le détail.

Dans ses peines, il ne trouve aucun remède ni consolation dans son entourage et sa maison, et auprès de ses proches, lui enlevant toute espoir comme un arbre qu’on a arraché. « Je crie à la violence et personne n’entend. » Il invite alors ses amis à la pitié puisque tous l’ont abandonné. Cependant, il n’a pas perdu l’espérance. Son espoir ne réside pas dans les biens temporels et dans les hommes mais en Dieu. Il est en effet certain de voir son rédempteur et de ressusciter. « Je le verrai moi-même et mes yeux le contempleront, et non une autre espérance repose en mon sein. » (Job, XIX, 27) Et sa cause sera alors entendue. Job demande alors à ses amis de craindre le jugement de Dieu.

Dans son deuxième discours, Sophar ne contredit pas les paroles de Job concernant l’espérance de la vie future, les rétributions et les punitions en fonction des mérites mais il persiste dans l’idée que Dieu punit les méchants et récompense les justes dès cette vie présente. Il écoute sa doctrine sans abandonner la sienne. Il est convaincu que sur cette terre, le pécheur est l’objet de la vengeance et de la colère de Dieu même s’il semble croire aussi à ses châtiments après la mort.

L’appel à l’expérience

Après ce discours, Job aborde avec sérieux et crainte à une question importante et demande donc à ses amis de l’écouter avec attention. Pourquoi l’impie vit-il si longtemps ? Pourquoi est-il comblé de richesse et parvient-il à s’élever ? Il énumère alors les biens qu’il réussit à acquérir ici-bas en dépit de ses péchés et décrit sa postérité jusqu’à leur mort sans avoir mérité de la part de Dieu. « La verge de Dieu n’est pas sur eux. » (Job, XXI, 9) Il méprise Dieu et son jugement. Et puisqu’il connaît la fortune et ne subit pas de châtiment, il n’y aucun motif de s’éloigner du mal. Mais lorsque Dieu le frappe dans ses biens, il est plus durement touché que le juste puisque leur espérance repose uniquement sur leur richesse.

Pourtant, Dieu connaît l’impie et ses péchés. Aucune malice ne lui est cachée même si le pécheur vit dans la prospérité. Dieu a besoin de personne pour être instruits des méchancetés et des bontés des hommes, pour juger les grands de ce monde. Job rappelle alors que quelle que soit leur prospérité ou leur misère, tous les hommes sont égaux devant la mort. « Ils dormiront ensemble dans la poussière » (Job, XXI, 26), quelles que soient leurs mérites. C’est pourquoi Job s’oppose à l’idée selon laquelle la diversité des vies dépendent de la diversité des mérites. Il précise qu’il ne dit rien de nouveau.

Dans son dernier discours, Job montre qu’il n’est pas contraire à la providence divine que des méchants prospèrent et que des justes soit affligés dans ce monde puisqu’après cette vie, chacun recevra ses peines et ses récompenses. Il est donc inutile aux pécheurs d’être riches en biens naturels s’ils perdent leur âme. En outre,  la prospérité est d’une grande fragilité. Le plus grand bien préférables à tous les biens de la terre réside dans la sagesse dont la source est Dieu. Celle-ci consiste à Le craindre et à fuir le mal. Et ce bien est accordé aux justes. Les justes ont aussi l’avantage d’être exaucés de Dieu au temps de leurs épreuves, ce qui est exclu pour les impies, et d’être joyeux en Dieu lorsque leur manque la consolation temporelle. La louange divine retentira toujours dans leur bouche.

Job rappelle enfin sa propre prospérité passé dont il usait vertueusement, ensuite la grandeur de ses maux où il est tombé et qui l’ont dépouillé de tout, et enfin il revient sur son innocence afin qu’on ne croit pas que son malheur provient de ses péchés. Il en appelle au témoignage de Dieu, Lui qui connaît et juge, alors que ses amis le condamnent injustement.

Le dernier discours

La réponse de Job met fin au dialogue entre lui et ses amis. C’est alors qu’intervient un nouveau personnage, Eliud. Il justifie son intervention par son indignation contre Job parce qu’il se disait juste et contre ses amis, qui en dépit de leur vieillesse, n’ont su que le condamner sans le convaincre de ses erreurs. Mais parce que l’âge n’est pas une cause suffisante de sagesse, il se permet d’intervenir, malgré sa jeunesse, en raison de sa science.

Eliud commence par un réquisitoire contre Job. Il ne lui répond pas pour le calomnier ou l’affliger mais pour manifester la vérité d’un cœur simple. Attentif à ses paroles, il lui reproche de se dire indemne de péchés, pur et sans tâche, et d’accuser Dieu de jugement injuste. Or cette accusation est une offense faite à Dieu. Il est très présomptueux de vouloir discuter avec Lui comme s’il était son égal et de se plaindre qu’Il ne lui réponde pas. Pourtant, Dieu lui parle par la raison naturelle, par les songes et par la maladie qu’il subit. Eliud la voie non seulement comme la rançon du péché mais aussi comme une correction. Pour être libéré de ses souffrances, Job doit évoquer Dieu et prier pour lui-même comme son ange gardien parle aussi pour lui. Sa prière sera efficace s’il reconnaît humblement son péché et se confesse. Il verra alors sa face et connaîtra la joie imparfaitement en cette vie et parfaitement dans l’autre.

Dieu, juste et bon

Eliud commet la même erreur que les amis de Job en interprétant mal ses paroles. Il l’accuse en effet d’avoir reproché Dieu d’être injuste à son égard et donc de remettre en cause son jugement et sa justice. Il dénonce alors ses paroles médisantes et son orgueil. Il montre alors qu’il ne peut y avoir d’injustice en Dieu. Il se tourne vers Dieu pour que Job puisse reconnaître ses défauts...

Car Dieu prend soin des hommes. Il écoute et exauce les justes comme les opprimés, et non les méchants, puisqu’Il hait le mal et le bien lui plaît. Est-ce que c’est en raison de sa fortune que Dieu l’a puni ? Dieu ne punit pas un homme en raison de sa prospérité ou de sa puissance mais en raison de ses iniquités. Il punit les puissants qui oppriment les pauvres. S’ils sont justes, Il leur accorde des bienfaits et raffermit leur puissance. Et aux iniques, Il leur fait reconnaître leurs péchés afin qu’ils les reconnaissent pour qu’ils reviennent de leur iniquité par la pénitence. Pour ceux qui s’amendent de leurs fautes, ils ne seront pas libérés de leur châtiment. Par conséquent, Dieu apporte le salut dans les épreuves tant aux pauvres qu’aux riches, aux faibles qu’aux puissants. Job peut donc avoir confiance en Lui s’il se repent de ses fautes. Enfin, Eliud revient sur les accusations de Job. Comment peut-il juger Celui qui lui est supérieur en puissance et en grandeur ? Qui est-il alors que les voies de Dieu sont impénétrables pour l’homme ? « Dieu est vraiment grand, il l’emporte sur notre science. » (Job, XXXVI, 26) Eliud décrit les nombreuses merveilles de la Création qui manifestent la grandeur des œuvres divines qui dépassent la raison humaine. Il reproche Job de charger la justice de Dieu alors qu’il ne peut comprendre ses œuvres.

La réponse de Dieu

La discussion s’achève par l’intervention de Dieu. Après avoir reproché à  Eliud « des pensées en discours ineptes », Il reproche Job d’avoir présomptueusement voulu s’adresser à Lui et le provoquer à la discussion. Il le convainc de son ignorance puisque l’homme est incapable de connaître ses propres œuvres et d’autant plus la Providence divine. « Où étais-tu quand je posais les fondements de la terre ? » (Job, XXXVIII, 4)  Il en vient alors à dérouler l’œuvre de la Création et à son maintien dans le temps dans un bel ordonnancement. Il montre la grandeur de sa sagesse et de son pouvoir qui produit de si admirables effets. L’homme est-il alors capable de discuter avec Dieu et de contester avec Lui ? Job avoue qu’il a parlé avec légèreté mais avec pureté de cœur, donnant alors l’occasion à ses amis de se scandaliser. Il se repent de ce qu’il a pu dire.

Dieu reproche aussi à Job d’avoir invoqué sa propre justice, ce qui aurait pu paraître comme une atteinte à la justice divine. Or l’excellence de Dieu est au-dessus de tout homme, excellence qui se manifeste dans ses œuvres qu’Il opère chez les hommes et les anges. Ne se montre-t-Il pas juste avec  les méchants et le diable ? Sans son aide, peut-il triompher de Satan ? Si celui-ci s’élève en abusant de la puissance que Dieu lui a donnée sans cependant l’user contre sa volonté, Dieu ne peut être accusé du mal qu’il commet. Peut-Il être accusé de cruauté puisqu’Il veut ne pas perdre l’homme mais le sauver et que par bonté, Il accorde gratuitement à l’homme des bienfaits ? Pourrait-Il vouloir faire du mal à l’œuvre qu’Il a créée, qu’Il gouverne et qu’Il conserve ? Dieu en vient ensuite à décrire le démon et à présenter ses activités. Sa malice s’affermit au fur et à mesure que Dieu le frappe mais en fin de compte, il sera vaincu. Satan s’attaque à l’homme qui ne peut guère résister à ses assauts comme le monde en est profondément et durablement troublé.

Avec une véritable humilité, Job confesse l’excellence divine quant à sa puissance et à sa sagesse. Il s’en prend à tous ceux qui nient la providence divine, ceux qui, présomptueux et insensé, pensent que les desseins des hommes échappent à la connaissance de Dieu. Rien ne lui est caché. Il repent d’avoir « follement parlé de choses qui dépassent » (Job, XLII, 3) sa science.

Puis, Dieu se tourne vers Éliphaz et ses amis. « Ma colère s’est allumée contre toi et tes deux amis parce que vous n’avez pas parlé correctement en ma présence comme l’a fait mon serviteur. » (Job,  XLI,  7) Si Job a parlé par légèreté, ses amis ont commis des erreurs et se sont écartés de la vérité. Ainsi, doivent-ils expier leurs fautes par un sacrifice. Et par la prière de Job et en considération pour lui, en raison de sa foi, ils recevront satisfaction. Enfin, Dieu rend à Job sa situation et lui restitue sa prospérité, une prospérité encore plus grande que celle qu’il a perdue.

Conclusions

Si Dieu peut châtier les méchants ici-bas pour les punir, les malheurs qui s’abattent sur l’homme ne sont pas toujours une sanction divine pour les corriger. Ils peuvent être une épreuve pour mettre en valeur davantage ce qui est caché aux yeux des hommes. Ils peuvent aussi manifester davantage la grandeur de Dieu. La véritable sanction est celle que l’homme subit quand il meurt, quand il connaît le jugement de Dieu, un  jugement définitif, sans appel ni révision, c’est-à-dire le bonheur éternel ou un châtiment sans fin. La véritable rétribution des méchants et des bons n’est point ici-bas mais bien dans l’au-delà.

Job nous rappelle deux vérités. D’une part, notre propre expérience témoigne que les épreuves touchent autant le juste que le méchant, eux-mêmes égaux devant la mort, que le bon peut endurer ici-bas de nombreux maux et que le méchant peut aussi connaître la prospérité. D’autre part, créé par Dieu et différent de toutes les autres créatures, l’homme fait l’objet de soins particuliers de son Créateur, Lui qui est sagesse et puissance infinies, Lui qui connaît tout et lit dans notre âme. Job établit alors, contrairement à la doctrine de ses amis, qu’une sanction sera exercée à l’homme après sa mort pour ses actions bonnes ou mauvaises. L’espérance ne réside donc pas en ce monde ni en des biens temporels mais au-delà de la mort, là se trouve le véritable bonheur. C’est parce que nous y mettons nos joies et notre espèrance que les maux que nous endurons nous paraissent alors des malheurs insurmontables et sans égal.

L’histoire de Job nous rappelle aussi qu’éprouvés par la souffrance, l’homme ne peut guère saisir la volonté de Dieu. Sa raison est parfois impuissante à surmonter les douleurs. Il parle alors avec légèreté, osant même parfois remettre en cause la providence divine comme s’il était capable de juger Dieu. Ce n’est pas le moment non plus de le raisonner, nous qui n’éprouvons pas ses souffrances, mais plutôt de compatir à ses peines et de l’aider à porter sa croix, à soulager sa misère, finalement à tourner son regard vers Dieu, là où réside la seule et véritable espérance.

lundi 31 janvier 2022

Et finalement, les indulgences ?

« Par amour pour la vérité et par souci de la mettre en lumière, les thèses ci-après seront discutées à Wittenberg, sous la présidence du révérend père Martin Luther… »[1] C’est par ces mots que Luther introduit ses fameuses quatre-vingt-quinze thèses. Et pourtant, comme nous l’avons déjà exposé, l’affichage de ses propositions n’a pas donné lieu à un débat. Elle a plutôt été pour lui l’occasion de remettre en cause l’enseignement de l’Église et d’imposer ses convictions personnelles, soulevant alors les passions et entraînant la déchirure et la violence. Pourtant, en cherchant à y voir clair dans la pratique et la doctrine des indulgences, nous serions surpris par la lumière qui s’y dégage. Mais trop d’erreurs et de préjugés assombrissent encore de nos jours ce sujet et conduisent à bien des égarements.

Le sujet est néanmoins délicat puisqu’il est un exemple d’un développement au sein de l’Église dans la pratique comme dans la doctrine, ce qui implique de discerner, dans le temps, ce qui relève de l’essentiel et de l’accessoire, de la permanence et du contexte. Il apporte aussi quelques lumières sur l’enseignement de l’Église et sa manière de le rendre plus clair et précis...

Une pratique et une doctrine récentes ?

Le premier texte pontifical qui définit la doctrine des indulgences est la constitution apostolique Indulgentarium doctrina de Paul VI, le 1er janvier 1967. Nous pourrions aussi ajouter d’autres textes encore plus récents[2] qui la précisent. Cependant, ne croyons pas qu’il a fallu attendre de si longs siècles pour définir ce que sont les indulgences. La constitution apostolique rappelle en fait la pratique et la doctrine qui la fonde tout en modifiant ses modalités pratiques pour les adapter au temps.

De même, ne croyons pas que cette pratique est née au XIe siècle sous prétexte que le terme d’indulgences apparaît la première fois dans un texte. Ce serait méconnaître une histoire qui remonte aux premiers temps du christianisme. Il serait bien étrange, voire exceptionnel dans l’histoire de l’Église, que la pratique des indulgences apparaît soudainement et avec une telle maturité sans qu’elle ne soit précédée et préparée par une discipline antérieure.

Ce serait aussi oublié que les indulgences sont fortement dépendantes d’une autre pratique, celle de la pénitence. Or celle-ci a existé dans l’Église depuis le commencement et a aussi connu une évolution dans ses formes. Il serait donc curieux que la pratique des indulgences n’ait pas non plus la même antiquité et qu’elle n’ait pas subi des modifications en contrecoup de cette évolution.

Qu’est-ce qu’une indulgence ?

Le terme d’« indulgence » vient du verbe latin « indulgere » qui se traduit par « traiter avec humanité », « user de condescendance et de douceur », ou encore « pardonner ». Il signifie alors « clémence », « miséricorde », « pardon ». Dans l’Église, il définit la rémission partielle ou complète des peines temporelles dues aux péchés déjà pardonnées comme nous l’apprend la bulle jubilaire Unigenitus Dei Filius du 27 janvier 1343[3]. Dans des textes plus anciens, datant du XIe siècle, nous retrouvons la même définition.

Pour bien comprendre ce qu’est une indulgence, il est essentiel de connaître ce que sont les peines temporelles dues aux péchés. Selon l’enseignement de l’Église, tout péché est une offense faite à Dieu qui mérite une peine. S’il est grave, un péché peut mettre l’âme dans un état d’inimitié avec Dieu et provoquer sa séparation avec Lui. Un tel péché conduit alors à la mort éternelle d’où l’expression qui le désigne « péché mortel ». Un péché, dit « véniel », ne produit pas une telle séparation en trouble l’amitié avec Dieu. Le pécheur mérite une peine dite temporelle.

Par le sacrement de pénitence, le pardon est octroyé au pécheur baptisé, non pas parce qu’il le mérite mais en raison de la miséricorde de Dieu. L’offense est alors pardonnée, la peine éternelle remise. Cependant, le pécheur doit la plupart du temps expier une peine temporelle pour satisfaire à la justice divine, soit dans cette vie, soit dans le purgatoire. C’est cette peine qui est remise partiellement ou totalement par l’indulgence. Contrairement à un préjugé fort répandu, celle-ci ne sauve pas le pécheur puisque déjà pardonné, celui-ci est assuré de la vie éternelle. Elle est concédée à un vivant si celui-ci est absout de ses péchés et à une âme du purgatoire par voie de suffrage, c’est-à-dire par la médiation et les prières des fidèles.

Il se peut que Dieu remette totalement la peine temporelle due au péché quand Il pardonne au pécheur, ce qui arrive par exemple quand un adulte est baptisé avec des dispositions convenables. Avec le pardon de ses péchés, il est certain qu’il obtient en même temps la rémission de toutes les peines éternelles et temporelles. La même faveur peut aussi être accordée au pécheur qui reçoit le sacrement avec une contrition parfaite.

La doctrine du trésor de l’Église

Plusieurs raisons justifient la pratique des indulgences. Par sa passion, Notre Seigneur Jésus-Christ a payé pour tous les péchés des hommes une satisfaction infinie. S’ajoutent aussi les mérites de Sainte Marie et de tous les saints. Les peines et les œuvres des martyrs par exemple dépassent de beaucoup la gravité de leurs péchés. Le sang qu’ils ont versé est un véritable trésor dans le coffre de l’Église. Comme l’enseigne la bulle jubilaire Unigenitus Dei Filius, l’ensemble de ces mérites surabondants forme un véritable trésor à disposition de l’Église pour que « la miséricorde d’une telle effusion ne soit pas inutile, vaine ou superflue. » Il est distribué « pour des motifs justes et raisonnables afin de remettre tantôt partiellement tantôt complètement les peines temporels dus au péché ». Il est « appliqué miséricordieusement, en général comme en particulier […] à ceux qui, vraiment pénitents, se seraient confessés. »[4]

En outre, selon la communion des Saints, qui relève de la vérité de foi, tous les membres de l’Église sont solidaires les uns des autres. Rappelons que l’Église n’est pas seulement formée de fidèles vivants mais aussi des saints et des âmes du purgatoire. Les mérites gagnés par les uns peuvent profiter aux autres en venant enrichir davantage le trésor. Enfin, puisque l’Église est une société hiérarchique, c’est le pape, « porteur des clés au ciel »[5] qui a la garde de ce trésor et qui peut en disposer dans l’intérêt des fidèles comme tout chef peut disposer du bien commun.

La doctrine du « trésor de l’Église » a été présentée par Hugues de Saint Cher en 1230, par Saint Albert le Grand et surtout par Saint Thomas d’Aquin. Comme le précise ce dernier, la validité des indulgences ne réside pas dans l’œuvre indulgenciée mais bien dans l’efficacité de la seule communication de l’Église des satisfactions des saints et de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Les indulgences tirent leur vertu du trésor infini de l’Église dans lequel sont renfermées les œuvres de surérogation du Christ et des saints pour être employées au profit de l’Église universelle, non seulement elles remettent ici-bas la peine de la satisfaction, mais elles remettent encore celle que l’on doit acquitte dans le purgatoire. »[6]

Pourtant, ne croyons pas que ce sont les théologiens qui ont inventé une doctrine pour justifier la pratique. Le patriarche Veramundus de Jérusalem fait aussi appel aux surabondants mérites du Christ pour expliquer les indulgences dans une lettre qu’il écrit en 1121 à l’archevêque de Compostelle[7]. Les théologiens ont plutôt à chercher à préciser avec rigueur la doctrine sous-jacente à la pratique et répondre aux difficultés qu’elle soulève. Soulignons enfin qu’ils écrivent non pour répondre à des polémiques ou à des adversaires mais dans un cadre universitaire afin de fournir un enseignement solide de la théologie chrétienne, ce qui implique une recherche de vérité plus objective.

L’expiation de nos peines temporelles

Selon l’enseignement de l’Église, les peines temporelles dues aux péchés peuvent être expiées en notre vie ici-bas par les pénitences que nous nous imposons nous-mêmes, celles que nous impose le confesseur lors du sacrement de pénitence ou encore par les épreuves que la providence nous envoie et que nous endurons avec patience et soumission de cœur. Les indulgences complètent ces œuvres satisfactoires à la justice divine. Ainsi, « lorsque le pécheur contrit a obtenu le pardon de ses fautes, et que la peine éternelle méritée par le péché mortel lui est remise, il a ordinairement encore l’obligation de satisfaire à la justice divine par une peine temporelle à subir, soit en cette vie, soit dans l’autre […] Mais le Seigneur, dans son infinie miséricorde, a ainsi disposé les choses, que les fidèles puissent déjà dans la vie présente se libérer, en totalité ou en partie, de ces peines temporelles, soit par des œuvres satisfactoires de leur propre choix, soit par les saintes Indulgences que l’Église tire du trésor infini des satisfactions de Jésus-Christ et des saints […] Ces Indulgences elle les accorde par la voie d’absolution aux vivants et par voie de suffrage aux âmes du purgatoire. »[8]

Ce que l’indulgence n’est pas

L’indulgence n’est donc pas une rémission du péché lui-même, qu’il soit mortel ou véniel. Celui-ci n’est remis que par le sacrement de baptême ou de pénitence. Pour gagner en indulgence, il faut donc être en état de grâce, c’est-à-dire exempt de toute faute grave. Si parfois, dans la concession des indulgences, l’Église emploie les termes de « rémission des péchés », le mot « péché » signifie ici la peine du péché comme dans plusieurs endroits de la Sainte Écriture. Parfois, des prédicateurs, voire des papes, employaient aussi l’expression « a culpa et a paena »[9] au sens où l’indulgence est unie ordinairement à la confession sacramentelle comme l’explique Saint Bellarmin. Pour éviter les malentendus, le concile de Constance, en 1418, révoque et annule toutes les indulgences accordées avec la forme « a culpa et a paena ».

L’indulgence n’est pas non plus une simple rémission des pénitences imposées autrefois aux fidèles, pénitences extrêmement rigoureuses. La rémission accordée par l’Église est efficace pour l’expiation des peines temporelles dues à tous les péchés et par lesquelles nous devons en cette vie ou dans l’autre satisfaire à la justice divine.

L’indulgence ne nous dispense pas de réparer les obligations qui résultent de nos péchés, comme par exemple de restituer les biens d’autrui ou de réparer le tort fait au prochain. Elle ne nous dispense pas de faire pénitence, de porter notre croix, de changer nos vies, de pratiquer toute sorte de bonnes œuvres.

Un temps de purification dans le Purgatoire ?

Autrefois, jusqu’à la constitution Indulgentiarum Doctina du 1er janvier 1967, une indulgence partielle était attachée à un temps. Telle visite d’une église, selon des dispositions bien définies, permettait d’obtenir cent jours d’indulgence. Certaines critiques ont alors cru hâtivement que cette durée correspondait à une réduction du temps du purgatoire, ce qui impliquait une notion de temps pour les âmes demeurant aux purgatoires. Or, cette durée ne porte pas sur l’indulgence en elles-mêmes mais sur la durée des peines temporelles remises, définie par des canons ou des livrets pénitentiels. Si tel pécheur avait commis une faute dont la peine canonique était de deux cents jours de jeûne, une indulgence de cent jours lui remettait la moitié de sa peine. Dans le cas d’une indulgence pour un défunt, cela ne signifie pas que son âme sortait du purgatoire cent jours plut tôt mais qu’une peine équivalente à celle de cent jours prescrite par les canons pénitentiels lui était remise, peine qu’il devait purger soit dans la vie soit dans l’autre. Le temps attaché à une indulgence ne renvoie donc pas à une durée de purification après la mort mais à celle des peines temporelles fixées dès cette vie.

Cependant, des indulgences accordaient des durées incroyables telles que des centaines ou des milliers d’années. Or, comme l’a rappelé le pape Benoît XIV et la congrégation des indulgences, de telles indulgences sont fausses ou apocryphes, de pure fictions. Elles sont des exemples d’abus qu’a combattus l’Église.

Conclusions

Depuis le commencement, pour le salut des pécheurs, l’Église fait appel devant Dieu aux mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ et de tous les Saints, de qui elle peut compter l’appui empressé en retour de sa prière, pour solliciter la remise effective des peines temporelles devant la justice divine, par absolution pour les vivants et par intercession pour les défunts. La pratique des indulgences est une des formes particulières d’une conviction que l’Église a toujours exprimée. Comme le rappelle le concile de Trente, elle est « très salutaire pour le peuple chrétien »[10]. Les effets d’une indulgence sont certains, même si l’application de toute sa valeur à une personne déterminée n’est pas infaillible. Il fait s’en rapporter à la toute miséricordieuse bonté de Dieu…

La pratique des indulgences se fonde sur de nombreuses vérités de foi. Elle en est une des conséquences pratiques. C’est pourquoi sa remise en cause porte nécessairement atteinte à l’enseignement de l’Église et à sa doctrine, et finalement à l’Église elle-même. Certes, la pratique a connu des abus en raison de l’avarice, de la cupidité et de l’impiété des hommes, abus que l’Église a sévèrement condamnés. Mais au lieu de s’attaquer à la doctrine sous prétexte de les combattre, elle a plutôt cherché à réformer la pratique et à édicter des règles pour les prévenir. Il faut en effet savoir discerner dans une pratique ce qui relève des modalités de mises en œuvre et de ses fondements. Sous prétexte d’abus, il est malhonnête et dangereux de vouloir porter atteinte à la foi…  

 


Notes et références

[1] Voir Émeraude, janvier 2021, article « L’affaire des indulgences (1/2) : un débat qui n’a pas eu lieu » et « L'affaire des indulgences (2/2) : imposer ses convictions au lieu de rechercher la vérité... ».

[2] La Pénitencerie apostolique a publié en 1968 un Enchiridion des indulgences.

[3] Clément VI, Bulle Unigenitus Dei Filius, 27 janvier 1343, instituant le jubilé de 1350, Denzinger n°1025.

[4] Clément VI, Bulle Unigenitus Dei Filius, Denzinger 1026.

[5] Clément VI, Bulle Unigenitus Dei Filius, Denzinger 1026.

[6] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, supplément, question 25.

[7] Voir Paulus, Geschichte des Ablasses, I, n°2 et II n°1 et Les origines et la nature des indulgences d’après une publication récente, Henri Chirat, Revue des sciences religieuses, tome 28, fascicule 1, 1954, www.persee.fr.

[8] Raccolta romaine, collection officielle des indulgences de l’Église, section IX, dans Les Indulgences, leur nature et leur usage, d’après les dernières décisions de la sainte Congrégation des Indulgences R.P. Beringer, Tome I, 1893, éditeur P. Lethilleux.

[9] La coulpe (« culpa ») désigne le péché.

[10] Voir Recoltat Concile de Trente, Décret sur les indulgences, 2 décembre 1563, Denzinger 1835.