" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 18 février 2023

La Sainte Messe au cœur de l'Église : la constitution Sacrosanctum Concilium, une tentative de restauration liturgique


La sainte messe est au centre de la vie de l’Eglise. Elle est cœur du catholicisme. Pourtant, combien d’hommes et de femmes se disent-ils chrétiens, voire catholiques, sans se rendre à l’église le dimanche pour assister à la messe dominicale comme le demande l’Église ? Il n’est plus surprenant de voir des bancs tristement vides le jour des grandes fêtes ou encore des cérémonies d’enterrement de fidèles sans messe. Ce manque d’intérêt révèle sans aucune doute une profonde crise de foi et de piété. Si certaines voix ne s’en inquiètent pas, voire semblent en être ravies, considérant cette baisse de la pratique comme un bon signe de changement de la vie chrétienne, nous préférons entendre celles qui ne veulent point accepter cette situation déplorable…

De nos jours, nous assistons aussi à la division des catholiques selon leur conception de la Sainte Messe. Les uns demeurent fidèles à l’ancien rite romain quand d’autres suivent encore celui de Paul VI ou participent à des messes toujours plus innovantes. La position des papes est encore plus significative. Ce que Benoît XVI a accepté, le pape François refuse. Ce qui était hier permis ne l’est plus aujourd’hui. Au XVIe siècle, les différents mouvements protestants s’opposent aussi aux catholiques par la mise en place de nouvelles cérémonies en rupture avec la messe. Toutes ces querelles et divisions illustrent encore de manière éclatante l’importance de la sainte messe dans la vie et la piété des fidèles. C’est sans-doute une triste leçon à retenir de la crise qui atteint l’Eglise. Elle nous oblige à tourner notre regard vers la sainte messe …

Pourtant, au lendemain du deuxième concile de Vatican, les pères conciliaires semblaient être satisfaits des travaux entrepris sur la liturgie. Ils pensaient avoir œuvrer pour une meilleure participation des fidèles à la sainte messe. Plus de cinquante ans plus tard, la situation est terrible comme nous venons de le décrire : baisse de la fréquentation, ignorance des fidèles, querelles et divisions. Quelles que soient nos opinions et nos convictions sur ce sujet, nous ne pouvons pas ne pas prendre conscience de l’échec.

La sainte messe est désormais le sujet de notre essai apologétique afin de mieux faire connaître ce qui est le cœur de l’Eglise et de la défendre contre tous ceux qui l’ont remise en cause afin de contribuer avec tant d’autres à une restauration que nous souhaitons vivement. Pour cela, nous allons tenter de comprendre l’origine de la crise qui touche la sainte messe et d’abord, dans cet article, de présenter la constitution Sacrosanctum Concilium du deuxième concile de Vatican dont le but était de rénover la liturgie…

La constitution Sacrosanctum Concilium

En effet, avant de traiter des innovations et des bouleversements de la nouvelle messe, commençons par comprendre les motivations qui les ont fait naître. Pour cela, nous allons commencer par présenter la constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium du 4 décembre 1963. Celle-ci est l’une des trois constitutions doctrinaires promulguées par le deuxième concile de Vatican II.

La constitution comprend sept chapitres qui peuvent être répartis en deux parties. La première partie définit les principes généraux et les normes à apporter « pour la restauration et le progrès de la liturgie » (chap. I) alors que la seconde n’est que l’application de ces normes aux différentes parties de la liturgie. Les chapitres II à VII révisent en effet le mystère de l’Eucharistie (II), les rites des différents sacrements (III), l’office divine (IV), l’année liturgique (V), la musique sacrée (VI), l’art sacré et le matériel du culte (VII). Un appendice en faveur d’une réforme du calendrier liturgique termine la constitution.

La première partie commence par définir en quoi la célébration liturgique est une action de l’Eglise d’une extrême importance. Elle est « l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Eglise ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré » (7), même si elle n’en est pas son unique activité. Elle est aussi « sommet et source de la vie de l’Eglise. » (10) L’action de l’Eglise tend vers elle et en même temps toute sa vertu en découle. La liturgie est aussi le principe de la piété.

Cependant, pour obtenir cette pleine efficacité, non seulement la célébration doit être valide et licite, mais les fidèles doivent aussi être dans « les dispositions d’une âme droite » (11). La constitution insiste surtout sur la participation des fidèles qui doit être « consciente, active et fructueuse. »

En outre, la constitution veut améliorer la formation liturgique du clergé et des fidèles (II).

Enfin, dans une troisième partie, elle définit « la restauration de la liturgie » (III) et qu’elle promeut le développement de la vie liturgique dans le diocèse et la paroisse (IV) et de la pastorale liturgique (V).

La constitution souligne donc l’importance de la liturgie qu’elle veut restaurer pour favoriser les bonnes dispositions des fidèles afin qu’ils en reçoivent toutes les vertus. Son rôle et son caractère sacrés imposent aussi une grande prudence. Enfin, comme elle est de nature doctrinaire, elle définit des principes, des normes, des limites. Elle n’est pas avant tout pratique. Nous allons désormais étudier uniquement la partie portant sur la « restauration de la liturgie ».

Objectifs de la « restauration de la liturgie »

La réforme liturgique doit répondre aux objectifs que s’est fixé le deuxième concile de Vatican. Il s’agit de faire progresser la vie chrétienne chez les fidèles, de mieux adapter aux nécessités de l’époque celles des institutions qui sont sujettes à des changements, de favoriser tout ce qui peut contribuer à l’union de tous les chrétiens, de favoriser la conversion des hommes. Ainsi, « il lui revient à un titre particulier de veiller aussi à la restauration et au progrès de la liturgie. »[1] Les modifications apportées à la Sainte Messe relèvent donc d’un objectif plus vaste.

Les objectifs de cette rénovation et de ce progrès sont de rendre la participation des fidèles « consciente, active et fructueuse » (11), « pleine, consciente et active » (14), « plénière et active » (41), « consciente, pieuse et active » (48), « consciente, active et facile » (79). Le terme de « participation active » revient à dix-huit reprises dans le texte.

Notons aussi que neuf fois, la constitution précise que les modifications doivent être jugées « utiles », « nécessaires » ou « pertinentes ».

Les limites de la réforme liturgique

La réforme liturgie a pour but de restaurer la liturgie et plus particulièrement la Sainte Messe. La constitution précise qu’il existe dans la liturgie une partie immuable, celle qui est d’institution divine, et une partie sujette au changement. C’est donc cette partie muable qui doit faire l’objet d’une restauration. « Cette restauration doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire. » (21) La constitution le rappelle à plusieurs reprises. La révision des rites doit se faire « là où il en est besoin » (4).

Cette rénovation doit se faire également « avec prudence dans l’esprit d’une saine tradition » (4), même si elle doit adapter les rites aux circonstances et aux nécessités d’aujourd’hui. Les modifications doivent répondre à une double nécessité. « On ne fera des innovations que si l’utilité de l’Eglise les exige vraiment et certainement, et après s’être assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique. » (23) Cela signifie donc l’absence de rupture. Enfin, les modifications ne doivent pas conduire à singulariser un rituel par rapport à d’autres.

Enfin, la constitution définit aussi les autorités qui sont légitimes pour effectuer les changements, c’est-à-dire le Siège apostolique, voire l’évêque et dans les limites fixées à l’assemblée des évêques. L’autorité ecclésiastique ayant compétence sur un territoire doit instituer une commission liturgique nationale chargée « de diriger la pastorale liturgique », « de promouvoir les recherches et les expériences nécessaires chaque fois qu’il s’agira de proposer des adaptations au Siège apostolique. » (44) De même, l’évêque doit disposer d’une commission liturgique « pour promouvoir l’action liturgique » (45) sous sa direction. Enfin, le prêtre n’a aucune autorité pour « ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie » (22),

Les points à modifier

Les principaux points de changements consistent à promouvoir le « goût savoureux et vivant de la Sainte Ecriture » (24). Les lectures seront donc « plus abondantes, plus variées et mieux adaptées » (35). La partie la plus importante des Saintes Ecritures devra être lue en l’espace d’un nombre déterminé d’années (51).

La rénovation doit promouvoir la célébration communautaire au détriment de la célébration individuelle et quasi-privée. En outre, elle doit favoriser « les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. » (30)

Elle doit préserver la dignité de la célébration. Les participants à la célébration doivent exercer leur fonction « avec toute la piété sincère et le bon ordre qui conviennent à leur ministère » (28) et selon leur rôle. Le rôle des fidèles ne doit pas être oublié.

La constitution insiste sur le rôle pédagogique de la liturgie. Elle doit « signifier les réalités divines invisibles » (33). Cependant, les modifications doivent simplifier les rites, les rendre plus brefs et éviter les répétitions inutiles. Leur compréhension doit être rapide. De brèves monitions pourront être insérées dans les rites eux-mêmes « mais seulement aux moments les plus opportuns et dans les termes indiqués ou avec des paroles équivalentes. » (35)

« L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. » (36) Cependant, la constitution précise que l’emploi de la langue vernaculaire étant très utile pour les fidèles, il est possible de lui accorder une grande place.

Enfin, la constitution promeut l’adaptation de la liturgie au caractère et aux traditions des différents peuples sous condition que ces adaptations ne soient pas liés à des superstitions et à des erreurs et qu’elles soient conformes « avec les principes d’un véritable et authentique esprit liturgique. » (37) En outre, le rite romain doit être substantiellement sauvegardé.

Quelques remarques

Après avoir rappelé la valeur de la liturgie liturgique, la constitution prône une réforme de la liturgie. Il s’agit surtout de supprimer « tout ce qui, au cours des âges a été redoublé ou ajouté, sans grande utilité » (50). De même, des choses disparues au cours du temps pourront être rétablies « dans la mesure où cela apparaîtra opportun ou nécessaire » (50). Il s’agit bien d’une restauration, ce qui signifie que la substance des rites doit être gardée et que les modifications doivent être mineures. À plusieurs reprises, la constitution souligne la prudence qui doit accompagner la restauration en raison de la valeur même de la liturgie tout en prônant des évolutions.

Nous pouvons aussi noter qu’après avoir clairement défini des principes, la constitution donne la possibilité de les déroger si cela est nécessaire et utile. Ainsi, après avoir rappelé la conservation de l’usage de la langue latine dans les rites latins, elle demande d’accorder une plus large place à la langue vernaculaire si cela est utile pour le peuple. La constitution tente donc de concilier la Tradition et le progrès en définissant le principe de développement organique, ce qui semble impliquer une continuité dans les modifications liturgiques.

La formation est un élément clé de la réforme liturgique. La constitution souligne en effet l’importance de la formation liturgique des prêtres et des fidèles, sur laquelle fonde en effet la restauration de la liturgie. Toute modification s’appuie sur une connaissance de la liturgie et de la tradition liturgique, qui doit guider le progrès liturgique dans la continuité de la tradition. Il ne s’agit pas simplement de connaître les raisons d’être des différents gestes et rites ainsi que de leurs évolutions mais aussi d’acquérir le sens de la liturgie ou encore l’esprit de la liturgie. Cette formation s’étend à tout ce qui constitue la liturgie, notamment l’art et la musique sacrés. Sans cette connaissance, il n’y a point de restauration possible, de retour à la tradition authentique.

Cependant, cette restauration n’est pas un simple retour à la tradition. Elle cherche une meilleure participation des fidèles bien qu’elle ne définit pas clairement ce qu’elle entend par participation « consciente, pleine, active ». Certes, celle-ci dépasse une participation extérieure des fidèles puisqu’elle demande l’implication de leur intelligence, de leur sensibilité et de leur volonté. Mais le texte ne cherche-il pas à dépasser aussi cette intériorité pour défendre une notion théologique, celle du sacerdoce des chrétiens ? Une participation active pourrait être aussi comprise comme une capacité d’initiative qui est proposée aux fidèles. Or fondamentalement, le fidèle est passif dans la célébration liturgique. Celle-ci est aussi encadrée par les autorités compétentes. Elle respecte enfin la tradition liturgique.

Alors que la constitution concentre l’attention sur les fidèles, elle précise que la fin de la liturgie et de tout ce qui la constitue est la gloire de Dieu et leur sanctification. Cependant, elle le rappelle de manière discrète. La glorification de Dieu est ainsi mentionnée quatre fois dans le texte.

Conclusions

La constitution Sacrosanctum Concilium est votée avec 2147 voix pour (« placet ») et 4 contre (« non placet ») après deux sessions seulement. Elle est donc satisfaisante pour l’unanimité des pères conciliaires. Elle se présente comme une restauration qui cherche à rendre la liturgie plus accessible aux fidèles pour une meilleure participation et compréhension des fidèles, et finalement pour leur sanctification, dans la continuité de la tradition.

Cependant, si les principes et les normes de la restauration de la liturgie sont suffisamment clairs, l’ensemble présente quelques risques. Elle se fonde notamment sur une connaissance de la liturgie, sur la formation et sur l’obéissance aux autorités de l’Église. Si ces conditions décisives n’étaient pas remplies, l’appel à l’adaptation et aux modifications pour le progrès pourrait rapidement conduire à de malheureuses initiatives incontrôlables contraires à la tradition liturgique et finalement à l’esprit de la constitution. Or, au lendemain du deuxième concile de Vatican, un autre esprit s’est imposé…


Note et référence

[1] Paul VI, Constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, Préambule,4 décembre 1963, vatican.va. L'ensemble des citations provient de cette constitution. 

samedi 4 février 2023

L'Assomption de Sainte Marie et l'incohérence des protestants ...

Le 15 août, jour de la fête de l’Assomption, dans de nombreux villes et villages de France, les fidèles se rejoignent et se rassemblent devant l’église. Les livrets de prière et de chant leur sont distribués. Certains d’entre eux prennent des étendards quand d’autres se désignent pour porter la Sainte Vierge. Quand l’heure est enfin sonnée, tous se mettent en place, la statue en tête, suivie du prêtre et des enfants de chœur, puis des fidèles. Puis, plus ou moins discipliné, l’ensemble se mettent en marche doucement. Le premier chant retentit. Et ainsi comme chaque année, depuis le XVIIe siècle, la procession s’élance…

En reconnaissance de la naissance d’un héritier et conformément à un vœu, Louis XIII (1601-1643) consacre son royaume à Sainte Marie et demande de commémorer cet événement tous les ans le 15 août. Cet acte éminemment religieux et politique souligne l’importance de la fête de l’Assomption dans la dévotion mariale. Si cette fête est très ancienne, le dogme qui lui est associé est néanmoins très récent. Il a fallu en effet attendre le 1er novembre 1950 pour que le pape Pie XII définit et proclame le dogme de l’Assomption de Saint Marie : « nous affirmons, déclarons et définissons comme un dogme divinement révélé que : l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste. »[1] C’est encore un exemple où la croyance précède la proclamation d’un dogme. Avant même qu’elle ne soit enseignée par l’Eglise comme vérité révélée, la croyance en l’Assomption de Sainte Marie a été rejetée par l’ensemble des protestants et par les orthodoxes, la considérant comme une invention des catholiques.

Sous prétexte de l’œcuménisme moderne, il serait peu honnête et dangereux de ne point traiter ce qui nous sépare des protestants et des orthodoxes. De peur de froisser ceux qui se sont séparés de nous ou bien de faire face à leurs contradictions, certains catholiques préfèrent ne point proclamer ce que l’Eglise demande de croire au risque d’affaiblir la foi, y compris parmi les fidèles. Au lieu de nous perdre dans une sorte de silence hypocrite où se mêlent naïveté, lâcheté et duperie, nous allons plutôt essayer de comprendre l’origine du dogme de l’Assomption pour mieux le défendre et l’exposer, à partir d’études sérieuses[2]. Mais écoutons d’abord ceux qui le rejettent…

Les protestants unanimes contre l’Assomption

Les protestants récusent le dogme de l’Assomption. Ils n’y voient aucun fondement biblique sérieux. Ils le considèrent comme une preuve supplémentaire de la « mariolâtrie » des catholiques ou encore « des projections de nos désirs humains »[3]. Tous désiraient en effet avoir une maman au ciel, pure et parfaite, qui veille sur nous. N’est-elle pas proclamée Mère de Dieu depuis le concile d’Ephèse ? Ou est-ce une réminiscence du paganisme, des vieux cultes où les peuples adoraient Aphrodite, Cybèle ou encore Vénus ? Toujours selon leurs critiques, l’Eglise aurait accepté le culte de Sainte Marie pour éviter de les braquer et faciliter leur conversion[4]. C’est pourquoi « les protestants regardent tout cela de manière plutôt détachée »[5]. Enfin, critiquant une piété jugée excessive, les protestants « s’élèvent avec force contre toute tentative d’exalter Marie, d’établir un parallélisme entre elle et le Christ »[6], et refusent détacher Marie de l’humanité.

Pourtant, Luther n’était pas à l’origine défavorable à la fête de l’Assomption. Il semble en fait ne pas s’en intéresser. Mais croyant qu’elle détournait les fidèles des fêtes de Notre Seigneur Jésus-Christ, en particulier celle de l’Ascension, il finit par la rejeter. Son refus est significatif. Les protestants refusent tout ce qui semble remettre en cause le lien direct entre Notre Seigneur Jésus-Christ et le fidèle. Sans-doute est-ce la raison qui les obligent peu à peu à refuser tout ce qui pourrait détacher Sainte Marie de notre pauvre humanité ? Or, pour le catholique, cette relation directe n’est pas exclusive. Il croit aussi que par Sainte Marie, le fidèle peut être davantage lié à Notre Seigneur Jésus-Christ.

Les protestants ne croient donc ni à l’Immaculée Conception ni à son Assomption ni à sa participation à l’œuvre du salut. S’ils sont unanimes dans leur rejet, ils se divisent sur d’autres vérités, notamment sur la maternité divine ou sa virginité perpétuelle comme si finalement, ils ne s’identifient que par leur opposition au culte marial des catholiques.

La Dormition chez les orthodoxes

La fête de la Dormition célèbre la mort de Sainte Marie, une mort douce, naturelle qu’évoque le terme de « dormition ». Elle célèbre aussi sa résurrection et sa glorification au ciel. Un des hymnes chante que ni la tombe ni la mort n’a pu la saisir. Cette fête insiste donc plus sur la fin de vie de la Sainte Vierge alors que le dogme de l’Assomption insiste davantage sur l’après, et plus encore sur une action passive : l’enlèvement de la Sainte Vierge dans son corps et son âme à la gloire céleste. La différence de croyance est donc très faible entre les orthodoxes et les catholiques. Notons néanmoins que la Dormition n’est pas considérée comme un dogme chez les orthodoxes.

Pourtant, la définition de l’Assomption ne parle pas de la mort de Sainte Marie. Celle-ci est une question bien distincte de celle de l’Assomption. Le rejet des orthodoxes peut s’expliquer par l’utilisation de l’expression « Immaculée Conception » dans la proclamation du dogme de l’Assomption. Les orthodoxes rejettent en effet le dogme de l’Immaculée Conception[7]. Mais comment peuvent-ils garder une certaine cohérence dans leur doctrine mariale ?

L’incorruptibilité du corps de Sainte Marie

Nous allons d’abord évoquer Saint Hippolyte, mort en 258. Certes, il ne traite pas de la fin de Sainte Marie, mais son enseignement mérite d’être entendu. Il porte sur l’incorruptibilité de son corps qu’il compare à du « bois imputrescible », un bois qui n’est exposé à aucune corruption. Il nous dit en effet que Notre Seigneur Jésus-Christ est « constitué, quant à son humanité, de bois imputrescibles, c’est-à-dire de la Vierge et de l’Esprit-Saint, recouvert à l’intérieur et à l’extérieur comme par l’or très pur du Verbe de Dieu. »[8]

Saint Hippolyte fait ainsi entendre que le corps de Sainte Marie possède la même prérogative que le corps de son Fils : il ne saurait se corrompre. Notre Seigneur Jésus-Christ est comme « l’arche faite de bois imputrescibles ». « En effet, son corps » est « non exposé à se corrompre et à l’abri de toute souillure, qui ne poussa jamais la moindre putréfaction de péché ». Saint Hippolyte assimile le corps de Sainte Marie au corps de Notre Seigneur Jésus-Christ. Comme ce dernier n’a pas connu la corruption du tombeau, de même, Sainte Marie ne saurait la subir. Et elle ne saurait non plus subir le règne de la mort. La mort elle-même s’est brisée sur elle, nous dit Saint Grégoire le Thaumaturge, mort vers 394, comme elle s’est brisée contre son Fils[9]. Des homélies byzantines du VIIIe siècle reviendront vers le lien qui existe entre Sainte Marie et son Fils pour souligner l’incorruptibilité du corps de la Sainte Vierge. « Il n’est pas admissible que toi, le vase qui avait été le réceptacle de Dieu, tu te dissolves par décomposition dans la poussière d’un cadavre putréfié. »[10] Reprenant Saint Paul, Saint Jean Damascène parle d’un changement de condition pour Sainte Marie. Par sa mort, sa condition humaine s’est transformée de mortalité en condition d’immortalité, prélude nécessaire à sa gloire.

Un silence mystérieux sur la fin de Sainte Marie

Si le corps de Sainte Marie est incorruptible, qu’est-il devenu ? Est-elle-même morte ? La Sainte Ecriture nous donne aucune information sur la fin de la Sainte Vierge comme le rappelle Saint Epiphane (v. 310-403), moine et évêque de Salamine. Nous n’y trouvons « ni la mort de Marie, ni si elle est morte, ni si elle n’est pas morte ; ni si elle a été ensevelie, ni si elle n’a pas été ensevelie. » Tel est le constat de Saint Epiphane, dans son ouvrage intitulé Panarion, achevé en 377. « L’Ecriture a gardé un silence complet sur la fin de Marie », et il rajoute, « à cause de la grandeur du prodige, pour ne pas frapper d’un étonnement excessif l’esprit des hommes. »[11]

Saint Epiphane évoque ainsi un prodige sans rien préciser. « Je n’ose parler, je le garde en ma pensée. » Il demeure silencieux à son tour « par révérence pour cette Vierge incomparable. » Pourtant, il fait référence à l’Apocalypse de Saint Jean qui nous parle d’une femme qui s’envole sur les ailes d’un aigle, échappant ainsi à un dragon. Mais, gardant son secret, il ne veut rien affirmer sur la fin de Sainte Marie. Sa conclusion est alors étrange. « En fait », conclut-il, « personne ne sait quelle a été sa fin. »[12] Comme d’autres commentateurs, nous pourrions croire qu’il ne veut rien affirmer de peur de témoigner en faveur d’un groupe de femmes hérétiques, les collyridiennes, qui, croyant en son immortalité, vouent à la Sainte Vierge un véritable culte d’adoration.

Mais, quelle que soit la fin de Sainte Marie, Saint Epiphane se demande comment elle est parvenue à la gloire parfaite. Car il en est convaincu. Elle est déjà dans le Royaume de son Fils en son corps et en son âme. « Ce que [Notre Seigneur Jésus-Christ] a voulu, c’est qu’elle soit un tabernacle saint, et qu’elle soit en possession de son royaume », une possession qui ne soit pas qu’à moitié.

La croyance en un enlèvement de Sainte Marie au IVe siècle ?

Plusieurs apocryphes de la fin du Ve siècle décrivent des prodiges qui ont accompagné la fin de vie de Sainte Marie. Certains d’entre eux affirment clairement que le corps de la Sainte Vierge n’a pas subi de corruption et qu’il a été enlevé vers le ciel. Si ces apocryphes peuvent répondre à la curiosité populaire et nourrir la piété, ils s’appuient généralement sur une croyance déjà acquise donc plus ancienne, et sur un enseignement qu’ils enrichissent et agrémentent de nombreuses fantaisies.

Cependant, à la fin du IVe siècle, bien avant ces apocryphes, il a été trouvé sur plusieurs manuscrits des annotations attribuées à Eudoxe, évêque arien, mort en 370. Il reprend le Magnificat en y ajoutant cette phrase mystérieuse : « Et voici que maintenant je passe de la terre aux cieux, et que je suis tirée pour la réalisation d’un mystère ineffable. » Cet ajout s’appliquerait-il à la maternité divine de Sainte Marie ? Cet ajout nous renvoie à une représentation d’un sarcophage daté du début du IVe siècle, où une main venant du ciel saisit le poignet d’une femme qui va ainsi être tirée au ciel. La scorie pourrait donc évoquer l’enlèvement de la Sainte Vierge tirée vers le ciel par son Fils bien avant la diffusion d’apocryphes.

Le témoignage de Saint Ephrem au IVe siècle

Saint Ephrem (né vers 306-373) enseigne explicitement la glorification de Sainte Marie, en son âme et en son corps en raison de sa maternité divine. Notre Seigneur Jésus-Christ « a revêtu sa Mère d’un nouveau vêtement : il s’est revêtu de sa chair, et elle, à son tour, a revêtu sa gloire, sa puissance et sa dignité. »[13] Il décrit alors la voie par laquelle elle a été glorifiée. « Entre tous les descendants de David, tu as choisi une humble vierge, fille de la terre, et tu l’as introduite au ciel, toi qui viens des cieux. »[14] Puis, faisant allusion à l’Apocalypse de Saint Jean (XII, 14), Saint Ephrem laisse encore Sainte Marie parler : « Le Fils que je portais m’a enlevée. Il a incliné ses ailes, et il m’a prise entre ses ailes, et il a volé dans l’air »[15].

Le témoignage de Saint Ephrem nous montre qu’à la fin du IVe siècle, l’Assomption de la Sainte Vierge était déjà enseignée en Orient. Elle conduit à la glorification de Sainte Marie, conséquence de sa maternité divine. Ainsi, son corps a échappé au sort commun à toute chair. Sévérien, évêque de Gabala, mort après 408, proclame même que Sainte Marie est la Mère des vivants, qu’elle est dans « un lieu lumineux, dans la région des vivants ». Du ciel, elle entend nos louanges à travers les siècles. Soulignons que cet enseignement date d’avant le concile d’Ephèse (431). Il n’est donc pas la conséquence du développement du culte marial qui se produit après la proclamation du titre de « Theotokos » attribuée à Sainte Marie[16].

La fête de la Dormition

Selon la plupart des commentateurs, la fête aurait pour origine une fête dédiée à Sainte Marie, le 15 août, entre Bethléem et Jérusalem, dans un lieu de pèlerinage le plus important de la Palestine, un rocher sur lequel, selon la tradition, Sainte Marie s’est reposée sur le chemin de Bethléem. Plusieurs sources attestent cette fête au Ve siècle : un document liturgique arménien de Jérusalem datée entre les années 419 et 439, un discours d’un moine et prêtre, probablement prononcé le 15 août 431, la vie de Saint Théodose le Cénobiarque écrite en 530. Un tropologion géorgien de Jérusalem, c’est-à-dire un recueil d’hymnes, daté de 600, reflète la pratique liturgique de Jérusalem vers 560 environ. Il indique que le 15 août est dédié au souvenir de Sainte Marie. Les hymnes chantent même la Dormition de Sainte Marie.

La fête la plus ancienne en l’honneur de la Dormition est attestée en Syrie au Ve siècle. Il s‘agit d’un discours poétique de Jacques de Saroug, mort en 521, probablement prononcé en 489 dans la ville de Nisibe. L’auteur mentionne notamment l’inhumation du corps de la Sainte Vierge au Mont des Oliviers mais souligne que son tombeau demeure inconnu jusqu’à son époque.

Selon l’Histoire ecclésiastique de Nicéphore Calliste Xanthopoulos, l’empereur byzantin Maurice institue la fête de la Dormition de la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, à la fin du VIe siècle. Les homélies écrites à cette occasion affirment la mort de Sainte Marie et son élévation au ciel avec son corps. « De même que le sein de celle qui a enfanté n’a pas été corrompue, de même la chair de celle qui est morte n’a pas été détruite. »[17] Reprenant Saint Hippolyte et Saint Grégoire le Thaumaturge, ils lient les corps de Sainte Marie et de son Fils. « De même que le sein de celle qui a enfanté n’a pas été corrompue, de même la chair de celle qui est morte n’a pas été détruite. »[18]

À Rome, un décret du pape Sergius I (687-701) introduit solennellement la fête de la Dormition. Cependant, le Pape Théodore I (642-649) aurait apporté une contribution importante à une fête la célébrant. Saint Grégoire de Tours évoque aussi une fête à la fin du VIe siècle. La fête prend ensuite le nom de l’Assomption.

À partir du IXe siècle, des textes sont défavorables ou favorables à l’assomption corporelle de Sainte Marie. Les grands scolastiques comme Saint Albert le Grand et Saint Bonaventure l’enseignent sans difficulté. Saint Thomas d’Aquin estime que leur argumentation est raisonnable. Les théologiens qui les succèdent sont unanimes à la doctrine de l’Assomption.

Conclusions

Par le dogme de l’Immaculée Conception de Sainte Marie, l’Eglise nous enseigne que Saine Marie a été préservée de tout péché dès sa conception. Par celui de l’Assomption, elle nous dit aussi qu’elle a été préservée de la corruption corporelle. Il y a donc une cohérence entre ces deux dogmes puisque la corruption est la conséquence du péché. De même, Celui qui l’a préservé de tout péché à son origine l’a aussi maintenue dans sa virginité comme Il lui a aussi épargné la corruption du tombeau. Tout cela est tiré de sa maternité divine par laquelle son corps ne peut plus être séparé de celui de son Fils. Parce qu’elle est Mère de Dieu qu’elle est l’Immaculée Conception et qu’elle a été enlevée en son corps et son âme dans la gloire céleste. Il n’y a point de témoins qui affirment l’enlèvement de Sainte Marie dans la Sainte Ecriture. Comme l’Immaculée Conception, l’Assomption est « un mystère de foi, discernés comme la conséquence de l’état de droit qui unit la Mère de Dieu à son Fils. »[19]

Depuis le IIIe siècle, l’Eglise a enseigné l’Assomption de Sainte Marie au travers des Pères de l’Eglise et de la liturgie avant même le concile d’Ephèse qui proclame la maternité divine de Sainte Marie. La doctrine s’est ensuite développée puis affermie par les grands scolastiques sans connaître de divisions ou d’obstacles. Il est sans-doute un des dogmes qui emportent sans difficulté l’adhésion des théologiens au sein de l’Eglise au cours de son histoire. Il est alors difficile de recourir à l’imagination ou à la psychologie pour expliquer le dogme de l’Assomption. En outre, comme l’ont si bien compris l’Eglise dès les premiers siècles, il est aussi difficile de parler du terme de la vie de Sainte Marie sans l’associer à son Fils. Ceux qui parlent aussi de « mariolâtrie » devraient donc davantage méditer sur la maternité divine de la Sainte Vierge. Mais y croient-ils encore ? Quand on est Mère de Dieu, on n’est plus une femme ordinaire…

Enfin la formulation du dogme de l’Assomption ne prend pas position sur la mort naturelle de Sainte Marie. Elle utilise l’expression « après avoir achevé le cours de sa vie terrestre ». Comme l’ont aussi enseigné les homélies byzantines, elle affirme qu’elle « a été enlevée en corps et âme dans la gloire céleste. » Les orthodoxes ne peuvent donc s’y opposer. Mais ce serait alors accepter par cohérence l’Immaculée Conception et finalement l’autorité du pape…

 


Notes et références

[1] Pie XII, constitution apostolique Munificentissimus Deus, 1er novembre 1950, Denziger n°3901.

[2] Nous nous appuyons surtout sur les études menées par le Révérend Père Martin Jugie (1878-1954) sur l’Assomption. Voir La mort et l’Assomption de Marie, Rome, 1944. C’est un ouvrage de référence.

[3] Article L’assomption de la sainte vierge : qu’en disent les protestants, 15 août 2022, Site WEB reforme.net.

[4] Voir article Cette étrange Assomption, Anne-Marie Balenbais, 15 août 2021, regardprotestants.com.

[5] Anne-Marie Balenbais, article Comprendre l’Assomption, 15 août 2021, region-ouest.epudf.org, site WEB du Protestant de l’Ouest ;

[6] Pasteur André Thomas, article Marie : points de vue catholique et protestants, 11/07/2003, modifié le 12/08/2019, La Croix.

[7] Voir Émeraudedécembre 2022, articles "L'Immaculée Conception".

[8] Saint Hippolyte, sermon Dominus regit me, cité par Théorodet, Eranistès, I, P., G., t. LXXXIII, col. 85-88, dans La mort et l’Assomption de la Sainte Vierge dans la tradition des cinq premiers siècles, Martin Jugie, dans Echos d’Orient, tome 25, n°141, 1926, persee.fr.

[9] Voir De Virginitate, Saint Grégoire le Thaumaturge.

[10] Germain, patriarche de Constantinople, Homélie 1 sur la Dormition, dans Histoire des dogmes sous la direction de B. Sesboüé, Les Signes du Salut, 3ème partie, La Vierge Marie, H. Sesboüé, chapitre XVIII, L’Immaculée Conception et l’Assomption de Marie, II, Déclée, 1995.

[11] Saint Epiphane de Salamine, Contra haereses, LXXVIII, 10-11 La mort et l’Assomption de la Sainte Vierge dans la tradition des cinq premiers siècles (suite), Martin Jugie, dans Echos d’Orient, tome 25, n°142, 1926, persee.fr.

[12] Saint Epiphane de Salamine, Contra haereses, LXXVIII, 24.

[13] Saint Ephrem, In Natalem Domini, sermo XI dans La mort et l’Assomption de la Sainte Vierge dans la tradition des cinq premiers siècles, Martin Jugie.

[14] Saint Ephrem, In Natalem Domini, sermo IV.

[15] Saint Ephrem, In Natalem Domini, sermo XII.

[16] Voir Emeraude, octobre 2022, articles "Sainte Marie, Mère de Dieu, Theotokos".

[17] André de Crète (env. 660-740), Homélie 2 sur la Dormition, dans Histoire des dogmes sous la direction de B. Sesboüé, Les Signes du Salut, 3ème partie, La Vierge Marie, H. Sesboüé, chapitre XVIII, L’Immaculée Conception et l’Assomption de Marie, II, Déclée, 1995.

[18] André de Crète (env. 660-740), Homélie 2 sur la Dormition, dans Histoire des dogmes sous la direction de B. Sesboüé, Les Signes du Salut, 3ème partie, La Vierge Marie, H. Sesboüé, chapitre XVIII, L’immaculée Conception et l’Assomption de Marie, II, Déclée, 1995.

[19] Sesboüé, Les Signes du Salut, 3ème partie, La Vierge Marie, H. Sesboüé, chapitre XVIII, L’immaculée Conception et l’Assomption de Marie, II.