" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


samedi 27 juin 2020

La Morale et l'Évangile (3) : un choix décisif ...

« Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi disperse. »(Matthieu, XII, 30)

L’avertissement de Notre Seigneur Jésus-Christ pourrait surprendre les âmes que les sermons et les discours de leurs pasteurs auraient pu endormir dans un optimisme béat. Il n’est pas non plus politiquement correct pour notre société où tolérance se confond bien souvent avec acceptation, liberté avec libertinage, équité avec égalité. Les mots sont comme devenus fous. Ils ne savent plus distinguer le bien avec le mal. L’enfer ne fait plus peur tant il a été vidé de sens. Pourtant, la crainte de Dieu n’est-elle pas le commencement de toute sagesse ? La Sainte Écriture résiste encore à cette folie qui entraîne nos contemporains vers la plus grande des désillusions. À plusieurs reprises, l’Évangile nous place devant en effet un choix inéluctable, y compris en notre temps…

Notre Seigneur Jésus-Christ, signe de contradiction

En voyant Notre Seigneur Jésus-Christ lors de sa présentation au Temple de Jérusalem, Siméon a d’abord des paroles de joie. Il se tourne vers le ciel et rend grâce à Dieu de voir enfin le salut de son peuple qu’il a si longtemps espéré. Voici enfin « la lumière qui éclairera les nations et la gloire de votre peuple d’Israël. »(Luc, II, 32) Il a certainement en mémoire la prophétie d’Isaïe qui a annoncé la venue de la lumière, une lumière qui dissipera les ténèbres des Gentils. Mais les paroles de Siméon ne sont pas que joie et espérance. II prédit aussi que cet enfant sera « un signe auquel on contredira »(Luc, II,35). En effet, il ruinera ou relèvera les Juifs suivant qu’ils se rangeront avec ou contre Lui, divisant ainsi les hommes. Siméon nous en donne la raison : « ainsi seront révélées les pensées cachées dans le cœur d’un grand nombre. »(Luc, II, 36) Nous pensons alors aux scribes et aux pharisiens, à leurs intrigues, à leur hypocrisie et à leur vanité, qui feront en effet objets de condamnations et de malédictions de la part de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. »(Matthieu, V, 20) L’avertissement est encore terrible. Mais ne nous trompons pas. Cet avertissement ne concerne pas uniquement la société juive ou les païens de la Palestine.

Notre Seigneur Jésus-Christ est donc signe de contradiction. Il ne peut laisser les hommes indifférents. « Celui qui croit en Lui ne sera pas condamné ; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. »(Jean, III, 18) Il divise les hommes en fidèles et en incrédules, en ceux qui croient en Lui et en ceux qui  n’y croient pas. Par sa présence et son enseignement, il impose un choix à chacun d’entre nous. « Et voici la cause de cette condamnation : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière » (Jean, III, 19). Or « quiconque fait le mal hait la lumière, et il ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres soient découvertes. Mais celui qui fait la vérité, vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées, parce qu’elles sont faites en Dieu. »(Jean, III, 20-21)

Le mal agit dans la nuit, fuyant toute lueur qui pourrait révéler ses noirs desseins et ses mensonges alors que le bien recherche la clarté du jour afin que Dieu en soit davantage loué. Pourtant, ses intrigues ne seront pas définitivement cachées. Leur dissimulation est vaine. « Il n’y rien de caché qui ne doive être révélé, rien de secret qui ne doive être connu. »(Luc, XII, 2)

Le jour devient aussi insupportable pour ceux qui sont habitués à l’obscurité. Leur yeux ne peuvent supporter la clarté et se brûlent lorsque la lumière les touche…

La lumière de la vie

La lumière n’éloigne pas uniquement ceux qui demeurent dans les ténèbres. Elle empêche aussi les hommes d’y tomber. « Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »(Jean, VIII, 12) Celui qui ne le suit pas tombera donc dans le mal, aveuglé par l’obscurité de la nuit.

Le langage de l’Évangile peut nous paraître difficilement saisissable, les mots nous étourdir, les images qu’ils portent nous griser. Notre Seigneur Jésus-Christ nous met en éveil. Il nous sort de notre existence tranquille, bien étroite, et du lieu de confort dans lequel nous nous abritons, jouissant d’un bien-être en apparence solide. Qu’est-ce que la « lumière de la vie » ?

Dans la Sainte Écriture, la Loi est aussi dite « lumière ». Elle indique en effet le chemin qui conduit à la vie éternelle. « Un commandement est un flambeau, et la loi, une lumière, et que c’est la voie de la vie qu’une remontrance de discipline » (Proverbe, VI, 23). Elle éclaire les hommes sur les choses à faire et à ne pas faire afin que nous puissions obéir aux paroles divines et revenir sur le bon chemin.

Mais, la lumière n’est pas seulement la connaissance qui éclaire l’esprit et indique la route à suivre. Elle est aussi le reflet de la connaissance divine dont parle la Sagesse. Le terme de « lumière de vie » nous renvoie en effet à tout ce qui touche à Dieu. N’oublions pas que la Loi est pour les Juifs l’incarnation de la volonté divine[1]. La lumière n’est donc pas qu’un mot, une métaphore. Elle est une réalité qui s’est manifestée à plusieurs reprises. Elle est la splendeur du feu qui brûle le buisson sans le consumer. Elle irradie le visage de Moïse. Elle est plus qu’un reflet de la divinité ; elle manifeste réellement sa présence comme les Apôtres ont pu le voir sur le Mont Thabor lors de la Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. »(Matthieu, XVIII, 2)

Enfin, dans son admirable et inépuisable prologue, aux paroles inénarrables, Saint Jean présente le Verbe comme la source de la vie qui est lumière des hommes. Les deux termes « lumière » et « vie » sont ainsi associés. Plus loin, nous les retrouvons unis dans l’expression « lumière de vie ». La lumière n’apparaît plus comme éclairant le chemin pour gagner la vie éternelle ou comme reflet de la vie divine elle-même : elle est source de vie. C’est ainsi que Notre Seigneur Jésus-Christ se désigne. Il est « la lumière du monde ». Il est aussi la « vie ». De même, Il n’est pas simplement celui qui guide les hommes, Il est la « voie ». Il ne dit pas simplement la vérité. Il est la « vérité ».

Source de vie éternelle

Celui qui ne reçoit pas Notre Seigneur Jésus-Christ se coupe ainsi de « la source de vie ». ¨Pourtant, il est bien vivant, cet homme qui refuse de L’accueillir. Un mort ne peut guère choisir. La vie dont Il parle est celle qui ne termine pas. Elle n’est pas réduite à notre existence ici-bas.

Nous nous souvenons alors de cette scène formidable qui est celle de la Samaritaine, donnant de l’eau à Notre Seigneur Jésus-Christ au puits de Jacob. « L’eau que je lui  donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant en vie éternelle. »(Jean, IV, 14) La Samaritaine comprend ce que Notre Seigneur Jésus-Christ lui dit. La lumière est descendue en elle. Elle est désormais capable de saisir ses paroles et de désirer la vie éternelle. Un signe supplémentaire et elle reconnaitra en Lui le Messie…

Notre Seigneur Jésus-Christ peut déposer en chacun de nous une source qui nous donnera la vie éternelle, une vie qui ne manquera jamais de s’écouler en nous. Nous n’aurons plus soif puisque nous aurons en nous le bien suprême. Ici-bas, la lumière comme l’eau apportent la paix et la vie. Jamais épuisées, elles vont bien au-delà de notre existence terrestre. Cela signifie aussi que celui qui ne s’abreuve pas de cette source ou refuse la lumière n’aura pas la vie éternelle.

Le Royaume de Dieu

Mais où mène cette voie que nous devons choisir ? À quoi sert-elle la vie éternelle qui jaillira de nous ? Notre Seigneur Jésus-Christ nous indique aussi le but de notre marche sous le nom de Royaume de Dieu ou encore de Royaume des cieux.

Dans les paraboles, Notre Seigneur Jésus-Christ compare ce royaume à un salaire, à une récompense en raison de notre labeur, ou encore à un banquet auquel nous sommes cordialement conviés. Certes,  ce royaume apparaît spirituel et ne promet que des biens spirituels mais il est présenté comme déjà établi ici-bas, atteignant sa perfection à la fin du monde quand les bons et les méchants seront séparés. Tous les hommes sont en fait appelés à y entrer. Mais l’entrée du Royaume a ses exigences. S’il est universel en principe, tous les hommes ne peuvent y entrer en pratique. Nul ne peut en effet y entrer s’ils ne sont pas animés des dispositions nécessaires, s’ils ne sont pas dans la lumière, s’ils ne disposent pas de la vie éternelle. Nous revenons encore à une distinction …

Aujourd’hui, dans une société où l’homme considère que les droits impliquent nécessairement leur exercice, la distinction entre l’universalisme du royaume de Dieu et les exigences pour y entrer peuvent apparaître contradictoire pour nos contemporains. Si Notre Seigneur Jésus-Christ ouvre les portes des cieux pour tous les hommes, pourquoi ces derniers ne peuvent-ils pas y entrer, laissant ainsi vide l’enfer ? Il leur paraît même inconcevable que Celui qui est mort pour le salut de tous les hommes leur refusent ensuite l’entrée à son royaume. L’erreur vient dans la question en elle-même. Le refus ne vient pas de Dieu. Il provient de nous-mêmes, c’est-à-dire de nos choix.

Le Royaume est comme une semence…

Dans les paraboles, le Royaume de Dieu est souvent comparé à un champ. Le cadre naturel dans lequel Notre Seigneur Jésus-Christ s’exprime explique sans-doute ces comparaisons. La Palestine est une terre riche et fertile. Nombreux sont les paysans qui peuvent alors saisir par les images ce qu’Il évoque dans ses étonnantes leçons.

Dieu apparaît comme un semeur qui va partout jeter, en égale quantité, des graines d’égale valeur. La récolte sera pourtant différente suivant les sols. Certaines semences tombent en-dehors des champs, sont piétinées ou dévorées, ou sur des terres pierreuses. Dès les premières chaleurs, certaines germes flétrissent, faute d’eau et de racines profondes. Puis, des herbes sauvages étouffant les pousses frêles de froment, les épis ne se forment pas. Seule une part de la semence rencontre finalement une terre fertile et vierge de graines parasites. Selon la qualité de la terre, la moisson sera plus ou moins abondante…

Ne croyons pas pourtant que la semence grandira en fonction du cultivateur. Elle se développe en raison de la force que le semeur lui a dotée dans son germe. Comme le grain de sénevé, la semence peut être très petite et pourtant, elle donnera une plante d’un développement considérable, comparable à un arbre, lorsqu’elle est confiée à une terre bien grasse. Elle peut ainsi croître sans que le paysan ne puisse intervenir. Mais la graine jetée en terre a besoin de temps pour donner une riche moisson, suivant un cycle qu’il connaît bien.

Cependant, le propriétaire d’un champ peut avoir un ennemi qui, pour le nuire, profite de l’obscurité de la nuit pour y semer de l’ivraie. Nul ne s’en aperçoit d’abord. C’est au moment de la formation des épis que le paysan peut alors apercevoir les mauvaises herbes. Il est trop tard. Certes, il peut nettoyer son champ mais l’opération présente plus de risques que d’avantages. La meilleure solution est alors d’attendre le temps de la moisson. L’ivraie sera alors ramassée et distincte du froment, elle sera jetée au feu tandis que le froment prendra place dans les greniers.

Une semence qui donne des fruits selon les dispositions de chacun

Ainsi, à tous et à profusion, Notre Seigneur Jésus-Christ sème la bonne doctrine, sa pensée vivante et toutes ces belles choses qu’Il nous a transmises. La semence semble être bien pauvre en comparaison avec tout ce que l’homme a pu dire, faire ou écrire, avec les systèmes philosophiques que de nombreux ouvrages décrivent et commentent dans des volumes inépuisables. Pourtant, la semence se développera de manière si extraordinaire qu’elle donnera un refuge à tous les oiseaux du ciel. L’histoire est là pour nous témoigner du prodigieux développement de la graine que Notre Seigneur Jésus-Christ a jeté en Palestine. Toute l’humanité en a été atteinte, refondue. Sa fécondité est encore inépuisable.

Hortus Deliciarum, Herrade de Landsberg
couvent de Hohenbourg (mont Sainte-Odile)

Mais la semence que jette Notre Seigneur Jésus-Christ, à tous sans exception, n’a pas les mêmes effets chez les hommes et les femmes. Tout dépend de ses dispositions intérieures comme la terre recevant semence. Certains ne reçoivent pas les paroles qui leur sont données. Indociles, ils ne les défendent pas non plus. Ils la laissent à la surface de la terre. C’est alors que le diable enlève ce qui a été semé. D’autres sont joyeux et enthousiastes en les écoutant. Mais leur cœur est comme la pierre. Les paroles ne demeurent pas. Tout cela n’est finalement que sensibilité et émotion. Lorsque viennent les sacrifices, les épreuves et les persécutions, ils les abandonnent, ils renoncent. Comme tout ce qui relève de la sensibilité, l’exaltation et l’enthousiasme sont éphémères. Il existe aussi des âmes qui reçoivent véritablement les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ, touchent leur âme et pénètrent à l’intérieur. Mais encombrées par des préoccupations, divisées par les richesses terrestres et distraits par les soucis de leur vie quotidienne, elles finissent ne plus les entendre, la vérité étant comme étouffée, demeurant alors sans fruit. Mais, quand la semence pénètre dans une bonne terre, alors elle devient féconde.

Notre Seigneur Jésus-Christ a aussi face à lui de terribles adversaires qui diffusent des erreurs et divisent les cœurs comme ces méchants semant l’ivraie dans les champs de leurs adversaires, profitant de la nuit pour commettre leur méfait. Profitant de l’ignorance des uns et du silence des autres, le diable est toujours prêt pour que la moisson soit gâtée. Certains fidèles chercheront peut-être à éliminer l’ivraie mais il est préférable de laisser Dieu juger lorsque le temps viendra. Ils risquent de commettre des dégâts irréparables et soulever bien des scandales, encore plus dommageables que la division des cœurs et des esprits.

Une voie ouverte à tous


 

Tous sont appelés, même si certains sont privilégiés par rapport à d’autres. Tous entendent les paraboles mais tous ne la comprennent pas. Il y a des sourds et des aveugles qui persistent à demeurer dans leur surdité et leur aveuglement, et dont leur cœur est finalement endurci. Pourtant, Notre Seigneur Jésus-Christ envoie à tous, sans exception ni distinction, la semence nécessaire pour que naisse et se développe en eux la vie éternelle. Faut-il alors qu’elle soit reçue, qu’elle ait toute liberté pour s’enraciner dans l’âme, qu’elle ne soit pas étouffée par la vie bien terrestre. Alors au jour venu, Notre Seigneur Jésus-Christ viendra récolter ce qu’il a semé et jugera de l’abondance de la moisson en fonction de ce qu’Il a donné.

Dieu nous a aussi donné des talents, non pour qu’ils soient gaspillés ou garder soigneusement dans un coffre, mais pour qu’ils les fructifient. Comme des intendants envers leur propriétaire, nous devrons en effet Lui apporter nos livres de compte et lui justifier notre gestion. Ainsi, à un moment donné, lorsque l’heure sera venue, Dieu nous jugera, nous récompensant ou punissant. L’ivraie ou l’arbre avare de fruits seront jetés au feu, le mauvais intendant ou l’oisif rejoindront le lieu où grincent les dents…

Qui pourrait donc croire en lisant soigneusement l’Évangile que notre existence ici-bas n’a pas d’autres destins que de s’achever dans la poussière ? Qui pourrait aussi prétendre que l’enfer est imaginaire ou vide d’âmes ? Le jugement ne serait-il donc qu’une formalité ? Le tribunal divin ne peut ressembler à celui des hommes. Rien ne Lui est caché. Aucune parole ne peut Le tromper. Aucune de nos œuvres ne Lui est inconnue. La justice s’appliquera sans scrupule ni erreur…

Conclusion

« Si vous m’aimez, gardez mes commandements » (Jean, XIV, 15) L’amour véritable réside d’abord et avant tout dans l’union des volontés. Nous ne pouvons réellement aimer Notre Seigneur Jésus-Christ sans suivre pleinement sa volonté, non uniquement par la parole ou la pensée, mais au travers de nos œuvres. Nous sommes alors unis à Lui selon la mesure de cet amour. Et cette mesure sera celle de notre propre jugement lorsque nous apparaîtrons devant Dieu. Source de vie éternelle, Notre Seigneur Jésus-Christ nous transmet tout ce qu’il faut pour que nous puissions L’aimer. Il nous soutient et nous apporte toute l’aide dont nous avons besoin pour faire sa volonté en nous.

Cependant, Notre Seigneur Jésus-Christ ne cesse de nous avertir. La voie qu’Il nous a tracée et la vie qu’Il nous donne ne sont pas sans danger ni difficulté. Le diable sèmera notamment de mauvaises semences en nous si nous ne faisons pas attention. Il tentera aussi de nous enlever les bonnes graines si nous ne les protégeons pas. L’esprit du monde s’opposera aussi au développement de la plante, cherchant à l’assécher et à l’étouffer, avant qu’elle ne donne de bons fruits. Enfin, le plus grand danger réside en nous, en notre orgueil et nos vanités. Il n’y pas en effet d’union si l’un des partenaires y refuse. L’amour ne se contraint pas, ne se commande pas. Il se fonde sur la liberté. C’est en tant qu’hommes libres que nous pouvons aimer Notre Seigneur Jésus-Christ et donc suivre ses commandements. C’est pourquoi Il est venu ici-bas pour nous délivrer de nos chaînes qui nous rendaient captifs. Ainsi, nombreux sont les adversités en ce monde. Les épreuves ne manqueront pas. Notre Seigneur Jésus-Christ nous a prévenus. Le disciple ne peut être au-dessus du maître. « Heureux serez-vous, lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi. »(Matthieu, V, 11). Mais Il nous a aussi encouragé à les surmonter.

Notre Seigneur Jésus-Christ est venu parmi les siens, et son arrivée a eu lieu dans l’humilité. Il a relevé les pécheurs, donné la vue aux aveugles, guéri les boiteux. Son enseignement est encore doux à entendre. Mais l’Évangile ne se réduit pas à ses scènes apaisantes et réjouissantes, à ses œuvres et à ses paroles pleines de tendresse et de vérité. Les avertissements sont aussi nombreux, répétitifs, insistants. Les mauvais serviteurs ou les serveurs inutiles seront punis quand viendra le jour de leur jugement, un jour où ils ne s’attendront pas. Rien ne leur sera alors impuni. Pendant toute leur vie ici-bas, ils ont pu jouir selon leur propre volonté, vivant dans la méchanceté, œuvrant dans l’insouciance ou l’indifférence. Mais l’existence n’est pas sans conséquence. Ils ont préparé leurs propres  supplices, des supplices qui ne se termineront jamais. Car la paix éternelle ne sera donnée qu’à ceux qui auront aimé Notre Seigneur Jésus-Christ et à la mesure de cet amour

[1] Émeraude, mai 2020, article « La morale juive au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ (1) : la Loi au cœur de la morale juive ».

samedi 20 juin 2020

La Morale et l'Évangile (2) : l'unique chemin qui mène à Dieu



 

Quand nous songeons à la morale chrétienne, il apparaît dans notre imagination une pièce légèrement sombre dans laquelle se dressent devant nous les tables de la Loi, deux pierres massives sur lesquelles sont gravés les dix commandements. Au deuxième plan, sur une table en marbre, nous distinguons plusieurs livres, une série de tomes identiques reliés, impeccables et rigides, se tenant debout côte à côte, puis, à leur droite, en un seul volume, un manuel semblable au code de la route, mais sans image ni illustration. Enfin, derrière cette table, une grille fermée puis, dans la pénombre, s’élève un tribunal en bois, surmonté d’une croix noire au pied de laquelle se trouvent agenouillés deux archanges, de part et d’autre, l’un portant une balance, l’autre un glaive…

Un tel songe nous éloigne des chemins de Palestine, de la route dangereuse qui nous mène de Jérusalem à Jéricho, de la fertile Galilée où une foule nombreuse et silencieuse écoute avec attention des paroles éclatantes et admirables, encore jamais entendues. Sous un ciel d’un bleu clair, au bord d’un chemin de poussières rouges, nous voyons un homme se pencher vers un individu à terre et lui apporter les premiers soins. Plus loin, au milieu d’une foule bruyante, séchant ses larmes, une vieille femme est joyeuse auprès d’un enfant qui se lève d’un long sommeil, ou transportés à l’intérieur d’une maison aisée, nous voyons un homme souriant attablé avec d’autres convives étonnés...

Le dépaysement peut surprendre, voire scandaliser notre âme. La comparaison peut en effet soulever de l’indignation tant la première scène semble démentir les suivantes. Dénigrant la pièce sombre et les ouvrages volumineux, rejetant le tribunal droit et sévère, implacable dans ses sentences, nous préférons courir sur les vastes et riches plaines de la Galilée. Abandonnant le jugement impérieux de la Loi, nous aimons entendre les paroles lumineuses et rafraîchissantes de l’Évangile. Tel pourrait être notre premier mouvement. Dans un deuxième mouvement, aussi hâtif, nous pourrions aussi tout rejeter. Nous ne pouvons guère croire que les scènes que nous venons de décrire viennent pourtant d’une même histoire, d’une même réalité. Notre Seigneur Jésus-Christ n’est pas en effet venu pour abolir la Loi mais la sublimer. Il n’y a point d’oppositions ou de mensonges, et donc point de raisons pour tout abandonner.

Nombreuses sont les âmes qui doutent, voire succombent à cette apparente contradiction. Elle ne peut donc être ignorée. La morale chrétienne, qu’enseigne l’Église, et l’Évangile paraissent en effet pour de nombreux contemporains incompatibles. L’édifice austère qui s’élève devant elles semble être dénué de l’âme qu’ils pressentent dans les pages de l’Évangile. La morale chrétienne est vue comme un code d’interdits et de défense, l’Évangile comme un message d’amour et de liberté. Le langage technique, la rigidité et la rigueur implacable de la morale chrétienne semblent difficilement conciliables avec l’intériorité, la spontanéité et la joie de l’Évangile. Une telle vision agit alors comme un choc violent pour de nombreuses consciences au point d’éloigner bien des hommes et des femmes de la foi et de la morale chrétienne. Il n’y a pas seulement de l’incompréhension dans leur rejet, il y a aussi du découragement.

Dans cet article, nous allons essayer de connaître les raisons de cette incompréhension avant de montrer la compatibilité entre la morale chrétienne et l’Évangile...

Une vision biaisée de l’Évangile

La première cause tient très probablement dans une vision tronquée de l’Évangile. Nous préférons en effet retenir les béatitudes du « sermon sur la montagne » que les malédictions que profère également Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous aimons garder en mémoire ses paroles de joie et d’espérance qu’Il adresse à la foule et abandonner les anathèmes qu’Il lance aux scribes et aux pharisiens. Mais pensons-nous vraiment que ces imprécations terribles sont ensevelies dans les ruines du Temple ?

Le Bon Samaritain[1] est un modèle admirable qui fait l’unanimité des hommes de bonne volonté. Nous voulons le suivre en raison de la charité qu’il montre à l’égard d’un homme laissé à moitié mort sur le chemin. Nous rejetons sans difficulté l’attitude déplorable du prêtre et du lévite. De même, nous admirons le publicain qui, au fond du Temple, conscient de sa misère, élève son âme vers Dieu alors que devant lui, au premier rang, prostré dans son orgueil, un pharisien est plein de lui-même. Dans ces deux paraboles, Notre Seigneur Jésus-Christ décrit deux comportements, l’un louable et à imiter, l’autre condamnable. Ce n’est pas seulement un effet de style qui met en lumière une belle leçon par le contraste évident des personnages. La leçon que Notre Seigneur Jésus-Christ nous livre ne se réduit pas non plus à un message positif, au bon samaritain ou à l’humble publicain. Les deux modèles qu’Il nous dessine nous intéresse aussi dans sa totalité. Ils traversent les siècles et nous interpellent encore. Nombreux sont en effet ceux qui sont proches des blessés de ce monde ou en sont indifférents, ceux qui sont conscients de leur misère et ceux qui sont emplis d’eux-mêmes. Et parfois, nous sommes aussi l’un et l’autre …

Les pages de l’Évangile ne recueillent pas uniquement de belles leçons de morale, agréables à entendre et lumineuses pour notre conscience. Elles nous présentent aussi des modèles faits de chair et de sang, également destinés à nous éclairer et à nous instruire. L’Évangile nous présente en effet des hommes pleins de foi et d’humilité, des pécheurs conscients de leurs fautes et habitée d’une contrition admirable sans oublier aussi des individus fermés, égoïstes et lâches. Comme dans notre vie ici-bas, des vertus et des vices habitent les mêmes personnes dans des proportions différentes. Saint Pierre et Judas font partie des disciples de Notre Seigneur Jésus-Christ. L’un ne fait pas oublier l’autre. Les vertus des uns n’effacent pas les vices des seconds. Le zèle et le dévouement du chef des apôtres ne font pas disparaître le reniement de l’apôtre déchu. La complexité de l’âme humaine, ses tâches claires et sombres, ses richesses comme ses faiblesses se révèlent ainsi, page après page.

Notre Seigneur Jésus-Christ loue alors les belles qualités morales qui se présentent à lui tout en condamnant les vices dont Il est témoin ou victime. Croyons-nous que de tels portraits ne servent qu’à habiller une belle histoire et à émouvoir les lecteurs comme dans les bons films hollywoodiens ? Ce ne sont pas des personnages mais des hommes qui ont vécu et vivent selon une morale juste ou mauvaise.

Une Loi toujours réalisée, complétée, rendue parfaite

Une autre vision de l’Évangile pourrait encore nous tromper. Elle est sans-doute la plus dangereuse. Elle a déjà donné lieu à de nombreuses erreurs dès les premiers temps. Notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas aboli les commandements que Dieu a transmis à Moïse sur le Mont du Sinaï. « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu les abolir mais les accomplir. »(Matthieu, V, 17) Les commandements, les obligations et les interdits de la Loi comme les paroles des Prophètes ne sont pas désuets. Elles demeurent encore valables pour les chrétiens. Mais, ne pensons pas non plus que les prescriptions des docteurs de la Loi sont encore à suivre. Il y a bien une distinction à faire.

Attardons-nous d’abord sur le sens du mot « accomplir ». Il traduit le terme grec « plêrôsai » qui signifie « réaliser, compléter, parfaire ». Les trois verbes expriment certainement la mission de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est en effet le Messie que la Sainte Écriture a annoncé, réalisant ainsi les prophéties. Il a aussi suivi les préceptes et observances qu’elle définit. En outre, Notre Seigneur Jésus-Christ a complété la connaissance qu’elle nous livre et la morale qu’elle nous donne. Les questions que soulèvent les pharisiens ont désormais des réponses. Ce qui nous a apparu peu compréhensible dans les paroles divines est désormais clair à la lumière de l’Évangile. Ainsi, Notre Seigneur Jésus-Christ a perfectionné la Loi en profondeur et dans son étendue. Dieu n’est plus seulement parole. Il est désormais Dieu incarnée, vivant parmi les hommes. Il ne parle plus au travers des livres sacrés. Il est au milieu des siens, pleinement humain, pleinement Dieu, sans confusion ni séparation. La perfection de la vérité réside dans le mystère de son incarnation. La perfection de la morale éclate dans sa Passion.

Dieu fait homme ne fait pas que parler de morale, dictant ce qu’il faut faire et comment il faut agir, usant d’effets de style comme un philosophe ou un docteur de la Loi. Il agit selon la morale qu’Il nous demande de suivre. Sa vie est un exemple à imiter comme le souligne le titre de chrétien que nous portons. Et son témoignage n’est pas vain. Il a donné sa vie pour nous, les hommes. Sa mort est le témoignage suprême de ce qu’est l’essence même de la morale. Les commandements de Dieu ne sont donc plus gravés dans la pierre mais dans la chair humaine, dans l’âme.

Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ ne se réduit pas à un modèle. Il n’est pas un héros ou un martyr que nous suivons comme admiratifs du message qu’Il porte. Il est « le chemin, la vérité et la vie » (Jean, XIV, 6). Revenons sur cette parole.

« Le chemin, la vérité et la vie »


 

Lors de la dernière cène, Notre Seigneur Jésus-Christ annonce son départ aux apôtres réunis. L’heure de la Passion arrive. Ses disciples sont alors inquiets. « Que votre cœur ne se trouble point. » (Jean, XIV, 1) Il leur demande de suivre le chemin pour aller là où Il se rend. Encore bien terrestre et lent à comprendre, Saint Thomas s’inquiète. « Seigneur, nous ne savons où vous allez ; comment donc en saurions-nous le chemin ? » (Jean, XIV, 5) Par où faut-il passer pour vous retrouver ? Et quel est le but de notre marche ? C’est alors que Notre Seigneur Jésus-Christ résume ce qu’Il est. « Je suis le chemin, la vérité et la vie ; nul ne vient au Père que par moi. » (Jean, XIV, 6) C’est Lui qui est le chemin, Lui qui est la vérité, Lui qui est la vie. Il est la lumière qui montre la route, la force qui permet de marcher et d’atteindre le but. Pour y parvenir, il n’y a pas d’autres solutions.

La réponse est admirable, saisissante. Elle nous fait aussi trembler comme le dit Bossuet. Notre Seigneur Jésus-Christ est la seule et unique voie pour obtenir la vie éternelle. Or, souvenons-nous aussi de sa réponse au docteur de la Loi qui voulait savoir comment il pouvait gagner le ciel : « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces, et aimer son prochain comme soi-même. » (Luc, X, 27)[1] L’amour nécessaire à la vie éternelle réside donc dans Notre Seigneur Jésus-Christ non seulement comme modèle ou connaissance mais aussi comme source et vie. Hors de Seigneur Jésus-Christ, le ciel ne nous est pas accessible. Nous devons rester unis à Lui pour vivre de son amour.

C’est alors qu’une autre parole prend tout son sens. « Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi disperse. »(Matthieu, XII, 30) Elle avertit du choix qu’il faut faire dans notre existence. Il faut en effet choisir, et le choix est simple. Si ce n’est pas Lui, nous ne pouvons pas en effet obtenir la vie éternelle. Et comme dans tout choix, il y a une décision à prendre. C’est dans ce choix que s’exerce d’abord notre véritable liberté. Elle réside ensuite dans la persévérance dans ce choix. Mais ne nous dupons pas. Sans Notre Seigneur Jésus-Christ, il n’y a point de liberté…

La ligne d’arrivée…

Notre Seigneur Jésus-Christ compare souvent notre destinée à celle d’un animal, d’une plante ou d’une céréale. Au jour attendu, l’ivraie sera livrée au feu alors que le froment sera amassé dans le grenier. Saint Jean-Baptiste utilise la même image en annonçant l’œuvre du Messie. « Sa main tient le van ; il nettoiera son aire, il amassera son froment dans le grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint point. » (Matthieu, IV, 12) Au bout du chemin, il y aura donc un jugement, qui distinguera les uns et les autres par leur destin, les uns bienheureux, les autres malheureux. « Comme on cueille l’ivraie et qu’on la brûle dans le feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. » » (Matthieu, XIII, 40) Il y aura donc un tri inéluctable, un autre choix, comme les pécheurs qui, ramassant des poissons, choisissent les bons et jettent les mauvais.

Deux sorts bien distincts séparent ceux qui vivaient et croissaient ensemble dans le même champ ou dans les mêmes eaux. Un jour, leur vie se sépare, non par accident ou par libre choix de leur part, mais par celui qui moissonne ou pêche, selon leur valeur. Les uns, les justes, « resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. » (Matthieu, XIII, 43) Les autres, les réprouvés, seront jetés « dans la fournaise ardente », dans un lieu où « il y aura des pleurs et des grincements de dents » (Matthieu, XIII, 42) Un ange viendra séparer les méchants d’avec les justes.

Le choix, notre choix, est donc décisif. Un seul chemin mène à la vie éternelle, les autres à l’enfer. Sur quels critères Dieu jugera ? Notre Seigneur Jésus-Christ nous le dit à plusieurs reprises : au jour du jugement, nous devrons rendre compte de nos œuvres, de nos paroles, de notre vie. Tout dépend de la vie que nous avons menée ici-bas, de la mesure de notre amour. Et Il ne cesse de nous avertir et de nous demander de nous souvenir de ses paroles.

La nécessité de la foi

Les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ sont parfois effroyables à entendre. Au moment même où Il souffre sur le chemin de la croix, Il nous annonce le châtiment de Jérusalem. Il prédit aussi la ruine de la ville de Capharnaüm et annonce le sort de ses habitants. « Et toi, Capharnaüm, qui t’élèves jusqu’au ciel, tu seras abaissée jusqu’aux enfers. » (Matthieu, XII, 23) La ville de Capharnaüm sera « abaissée » en raison de son manque de foi ou plutôt de sa mauvaise foi puisqu’elle ne voit pas les miracles qui s’y sont produits. Avant de les envoyer prêcher et baptiser, Il avertit aussi les Apôtres de l’importance de leur mission. « Celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc, XVI, 16) Et de manière positive, Il nous annonce aussi la béatitude à ceux qui croient sans avoir vu. Sa Passion en est le prix, nous dit Notre Seigneur Jésus-Christ. Le Fils de l’homme doit être élevé « afin que tout homme qui croit en lui ait la vie éternelle. » (Jean, III, 15) Ainsi, la foi est donc nécessaire pour se trouver parmi les justes.

Notre Seigneur Jésus-Christ ne peut en effet être la voie s’Il n’est pas reconnu comme Il est. Et comment est-il possible de connaître le Père si on ignore le Fils ? Or « je sais que son commandement est la vie éternelle. »(Jean, XII, 50) C’est pourquoi Il est la voie qui nous conduit au Père. En outre, de manière négative, « quiconque fait le mal, hait la lumière, et il ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient découvertes. »(Jean, III, 21) Or Notre Seigneur Jésus-Christ est vérité. Il est la lumière qui est venu dans le monde. Or celui qui n’est pas dans la lumière est systématiquement dans l’obscurité

L’exigence de la charité

Mais la foi sans les œuvres, à quoi bon ? C’est bien dans la vie concrète et bien réelle que nous manifestons et vivons l’amour de Dieu et de notre prochain. Si elle ne se traduit pas en des actes correspondants, elle est une foi morte, sans valeur. Notre Seigneur Jésus-Christ exige en effet une foi vivante. Si elle reste au niveau de la connaissance, elle attise plutôt la colère, c’est-à-dire la malédiction. Comme le bon arbre donne un bon fruit, il faut que nous donnions des œuvres bonnes. 

En outre, des dons nous ont été donnés pour que nous puissions les utiliser. Le serviteur inutile sera jeté dans les ténèbres extérieures. La semence doit donner de bons fruits, la graine se lever et devenir un grand arbre. Celui qui amasse des trésors pour lui-même ne sert pas Dieu. Or « on exigera beaucoup de celui à qui l’on a beaucoup donné » (Luc, XII, 48)

Pour accéder au Royaume du Père, il faut obéir à ses commandements, c’est-à-dire faire sa volonté, ou dit autrement Lui être fidèle et soumis. Or, « nul serviteur ne peut servir deux maîtres ; car où il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. »(Jean, XVI, 13) Tel est l’amour de Dieu. L’amour du prochain n’est pas non plus un vain mot. Celui à qui nous ne donnons pas à boire alors qu’il a soif est Notre Seigneur Jésus-Christ. Celui à qui nous donnons à manger alors qu’il a faim est aussi Notre Seigneur Jésus-Christ. « En vérité, en vérité, je vous le dis, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. Et ceux-ci s’en iront à l’éternel supplice, et les justes à la vie éternelle. » (Matthieu, XXV, 45-46).

Cependant, ne soyons pas dupes comme les pharisiens qui agissent pour plaire aux hommes. « Dieu connaît vos cœurs ; et ce qui est grand aux yeux des hommes est une abomination devant Dieu. »(Luc, XVII, 15) Notre Seigneur Jésus-Christ nous en avertit plusieurs fois. C’est bien Dieu qui nous invite à son banquet. C’est encore Lui qui nous frappe à la porte. Le fondement de la vie éternelle réside en Lui et non en nos efforts. Mais, il ne suffit pas d’être invité. Nous devons aussi être parés de nos plus beaux vêtements intérieurs.

Une morale parachevée

Depuis la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ, les paroles de la Loi et des prophètes ne se réduisent plus à des actes concrets, sensibles et observables. Elles s’appliquent d’abord aux pensées, aux intentions, à l’esprit qui les anime, à la vie intérieure. Elles ne sont plus réservées à un peuple de la terre mais à tous les hommes, sans exception. Elles sont ainsi plus exigeantes et de portée universelle. La morale de l’ancienne alliance disparaît au profit d’une nouvelle, celle de la nouvelle alliance. Mais les fondements demeurent les mêmes. Les deux commandements qui résument la Loi restent toujours les deux piliers de la morale.

Notre Seigneur Jésus-Christ nous a en effet rappelé les fondements de notre vie quotidienne, de nos pensées et de nos actions. Il a purifié les interprétations de la Loi et les ont élevées, les dépouillant de tout ce qui relevait de l’homme, des erreurs accumulées par le temps et des obsolescences. Il a ainsi rectifié leur compréhension et leur enseignement.

Enfin, la morale est rendue parfaite en raison de sa faisabilité. Ce que Dieu nous demande est à la portée de tous, sans exception, malgré nos faiblesses et en raison même de nos faiblesses. Car ce ne sont pas que des paroles qu’Il nous a transmises. Notre Seigneur Jésus-Christ nous a donné les moyens d’acquérir la liberté et les vertus dont nous avons besoin pour suivre les commandements. Il nous permet de nous rendre participant de sa vie même. Aucune situation n’est pas sans issue. Et même après nos chutes, nous pouvons nous relever avec certitude. Aucune faute n’est pas pardonnable.

Finalement, Notre Seigneur Jésus-Christ a élevé et sublimé la morale au point de l’achever au sens où rien ne peut plus la surpasser. La Loi et les prophètes sont toujours valables dans la lumière de l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Les fondements restent identiques : l’amour de Dieu, l’amour du prochain et de nous-mêmes. Le but n’a pas changé : le royaume de Dieu. Les moyens sont désormais accessibles et sans limite. Le chemin est devenu lumineux…

Mais sans la lumière de la foi, nous ne pouvons guère comprendre les Tables de la Loi, les manuels de moral et toutes les doctrines de morale que l’Église nous enseigne. Si nous réduisons la morale à notre propre vision humaine, nous ne pouvons guère vivre comme Dieu veut que nous vivions. Là résidait l’erreur de nombreux pharisiens. Là est en fait le choc qui peut nous ébranler…

« Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. »(Matthieu, V, 20)

Un enseignement de la morale chrétienne plus complet

La morale chrétienne n’a donc pas de sens sans adhérer à la vie même de Notre Seigneur Jésus-Christ et donc sans sa connaissance. Il est encore plus difficile de l’entendre sans connaître ses fondements même, c’est-à-dire la connaissance de Dieu, de ses œuvres et de l’homme. Il est encore impossible de la suivre sans utiliser les moyens qu’Il nous a transmis par son Église. Par conséquent, il faut non seulement les connaître mais en vivre, notamment au moyen des sacrements. Enfin, la morale chrétienne n’est pas une morale qui se vit individuellement. Elle n’a pas de sens hors de l’Église. En un mot, la morale chrétienne n’est pas autonome.

La lecture seule d’un manuel de morale catholique est donc insuffisante, voire pleine de danger. Elle ne peut se réduire en des ouvrages aussi volumineux qu’ils puissent être. Certes, ils sont nécessaires pour porter la connaissance et la diffuser, ou encore pour mieux tracer le bon chemin et signaler les mauvaises routes. Mais livrée à elle-même, elle risque de nous enfermer dans notre propre vision et de ne point nous élever jusqu’à Dieu. Le code de la route est en effet insuffisant pour conduire. Faut-il encore savoir conduire et disposer d’une bonne carte ou d’un bon GPS…

Entendons-nous bien. Comme la religion, la morale ne s’enseigne pas uniquement dans des livres ou dans des cours, aussi bons soient-ils. Elle est aussi inculquée par la famille et par tous les moyens dont s’est dotée l’Église pour nous la communiquer. Pour qu’elle soit gravée dans les âmes, et donc appréciée et vécue, elle doit imprégner la vie du chrétien du matin au soir, de sa naissance à sa mort. Mais par simplicité ou forcés par les circonstances, nous la réduisons parfois à des manuels et à des livres. Pire encore. Les hommes en quête de morale n’ont parfois que cela pour connaître ce qu’est la morale chrétienne. Et ces manuels ne sont en fait que des synthèses de morale[2].

Un enseignement de la morale chrétienne plus profond

Enfin, nombreux sont les obstacles qui entravent l’enseignement de la morale. L’athéisme de notre société et l’esprit envahissant du monde le rendent plus difficile. Les difficultés proviennent aussi de l’évolution des modes de connaissance. Notre contemporain apprécie plus le visuel, voire le virtuel, et s’attache plus à l’émotionnel, à l’interactivité. Il abandonné vite un texte s’il est trop long ou trop sérieux, si sa lecture n’est pas assez distrayante, émouvante, frémissante. Comment peut-il alors apprécier la morale chrétienne dans une telle superficialité ? Il serait même dangereux d’adapter l’enseignement moral à ce modèle d’individu. Ce n’est pas en le laissant dans l’obscurité qu’il découvrira la lumière ! Cela explique certainement les nombreux échecs de l’enseignement catholique. Il s’agit plutôt de le retirer avec soin de cette superficialité pour le mettre dans les meilleures conditions d’enseignement. En un mot, il faut l’éloigner de l’esprit du monde pour qu’il soit à même de contempler la lumière.

Un enseignement de la morale chrétienne innovant ? 

La société ayant évolué, l’enseignement de la morale doit aussi évoluer dans sa forme et non dans son contenu. Les manuels du XIXe siècle ne peuvent plus répondre aux besoins actuels. Les sermons de Bossuet ne sont plus audibles. Le français ancien n’est plus lisible. Mais les sermons et les ouvrages de morale sont toujours pertinents. Il faut certes innover mais selon l’esprit qui a toujours animé l’Église, selon l’exemple de Notre Seigneur Jésus-Christ et ses apôtres, et non selon des modes ou des écoles. L’innovation puise en effet sa substance dans les trésors de l’Église même si ses moyens sont fournis par la société.

Mais, souvenons-nous des paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ : « Celui donc qui aura violé un de ces moindres commandements, et appris aux hommes aux hommes à les violer, sera le moindre dans le royaume des cieux ; mais celui qui les aura gardés et aura appris à garder, sera grand dans le royaume des cieux. »(Matthieu, V, 19)

Conclusions

L’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ à la lumière de l’Évangile peut apparaître d’une très grande simplicité. Nous ne pouvons pas connaître le bonheur éternel, le seul bonheur qui compte, sans rejoindre Dieu, sans faire sa volonté, qui est de L’aimer de toute notre force et de toute notre âme et sans aimer notre prochain comme nous devons nous-mêmes nous aimer.
La morale chrétienne exige donc la charité et donc la foi. Or qui peut aimer le Père sans aimer le Fils ? Ce n’est donc que par Notre Seigneur Jésus-Christ que nous pouvons connaître et rejoindre Dieu. La voie du Ciel est ainsi ouverte à tous, sans exception...


Mais ne nous trompons pas. Si Notre Seigneur Jésus-Christ enseigne ce que nous devons faire et comment nous devons agir, Il dénonce et condamne aussi les mauvais comportements. Il indique la voie qu’il faut prendre et barre celle qu’il ne faut pas suivre. Il nous a montré le chemin et ses exigences, Lui-même est un exemple à suivre, comme Il nous donne aussi des contre-modèles. Car s’il existe un chemin vers la vie éternelle, nombreuses sont les routes qui mènent vers l’enfer, là où il y a des grincements de dent, là où seront jetés les réprouvés. En outre, s’il est possible pour tous, sans exception, ce chemin est étroit et difficile. Mais comment choisir le bon chemin et éviter tous les autres sans code de la route, sans signalisation ni GPS ? Et plus la mer est agitée et obscurcie par la tempête, plus nous avons besoin de signaux et de phares pour nous guider vers le port du salut et éviter de nous échouer sur les récits de la désolation…


Au bout du chemin, un ange séparera les mauvais des bons. Le non-choix ne sera pas possible. « Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi disperse. » Si nous ne sommes pas avec Notre Seigneur Jésus-Christ, nous nous opposons à Lui. Si nous ne travaillons pas à son œuvre, nous travaillons en vain pour notre vie éternelle. L’enseignement de la morale chrétienne ne peut pas évacuer le jugement de Dieu. Mais contrairement à la vision sombre que nous serions tentés d’avoir, la morale chrétienne est imprégnée d’espérance et de joie. Car la route est accessible. Nous pouvons en effet la suivre jusqu’au bout si nous demeurons en Notre Seigneur Jésus-Christ car Il est Lui-même en nous, « la voie, la vérité, la vie ». Et avant le franchissement de la ligne d’arrivée, tout est encore possible. Car à côté de la justice divine se dresse aussi la miséricorde de Dieu. La Croix est aussi salut. Enfin, Notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas rejoint son Père en nous laissant orphelin. Il nous a laissé l’Église assistée continuellement par le Saint Esprit. Nous ne sommes donc pas seuls, livrés à nous-mêmes…

 


Notes et références

[1] Voir Émeraude, juin 2020, article « La Morale et l’Évangile  (1) : Le Bon Samaritain ».

[2] Voir Émeraude, avril 2020, article « Une crise à surmonter mais des critiques à remettre en cause ».