" La pierre précieuse, voire de grand prix aux yeux de certains, qu'est l'émeraude, se voit insultée par un morceau de verre habilement truqué, s'il ne se rencontre personne qui soit capable de procéder à un examen et de démasquer la faute. Et lorsque de l'airain a été mêlé à l'argent, qui donc, s'il n'est connaisseur, pourra aisément le vérifier ? "(Saint Irénée, Contre les hérésies)


mercredi 22 mars 2023

La Sainte Messe ou la Cène, catholique ou protestante, une foi différente, des célébrations différentes

Depuis le deuxième concile du Vatican, l’Eglise souffre d’une profonde division qui mine encore davantage son image et éloigne encore plus les hommes et les femmes de la voie de leur salut. Cette crise fragilise aussi les fidèles et les met à dure épreuve au point parfois de faire naître de nouvelles séparations puis des erreurs, des schismes et des hérésies. En terme d’apologétique, la division au sein de l’Eglise est donc nécessairement un sujet inévitable à prendre en compte et à traiter. Si l’apologétique peut contribuer à y mettre un terme par les lumières qu’elle peut apporter, elle cherche surtout à la comprendre, à répondre aux questions qu’elle soulève, à éviter les malentendus et les incompréhensions afin d’éclairer et de fortifier ceux qui ont besoin de réponses… 

L’objet de la nouvelle division que connaît de nos jours l’Eglise porte sur la Sainte Messe. Depuis presque soixante ans, le monde assiste à un triste spectacle, douloureux et amer pour les fidèles, ironique et plaisant pour leurs adversaires. Messe de Saint Pie V ou de Paul VI, messe traditionnelle ou moderne, les catholiques se déchirent sur un sujet qui, sans-doute, est bien éloigné des préoccupations de nos contemporains et leur paraît alors désuet et ridicule, mais surtout incompréhensible tant l’ignorance est grande. Régulièrement, au gré d’un décret pontifical, la division se relâche ou se durcit, l’intransigeance des uns radicalisant souvent les autres, apportant alors une plus grande confusion. La Sainte Messe fait aussi l’objet de division entre les catholiques et les protestants sans cependant en être le point principal.

Pour bien comprendre ces divisions, nous devons d’abord nous poser la question de la définition de la sainte messe : qu’est-ce qu’en effet la sainte messe ?

Une commémoration ?

Selon un dictionnaire commun, la messe est « une célébration catholique qui commémore le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix. »[1] La plupart de nos contemporains pensent sans-doute qu’elle n’est qu’une commémoration, c’est-à-dire une cérémonie destinée à rappeler le souvenir d’un événement passé, celui de la crucifixion de Notre Seigneur Jésus-Christ, à l’image de cérémonie du 11 novembre qui commémore l’armistice de la première guerre mondiale.

Selon un dictionnaire plus spécialisé, la messe est définie comme la « principale célébration du culte chrétien, commémorant le repas de la Cène et le sacrifice du Christ. »[2] Cette définition précise d’abord qu’elle est un élément principal du culte chrétien. Selon le même dictionnaire, le culte est l’« hommage rendu à Dieu et à ses saints, au moyen de pratiques rituelles définies par la liturgie. » Le terme de « messe » est en effet souvent associé à un rite et à une liturgie. La définition rajoute qu’elle commémore aussi le repas de la Cène, c’est-à-dire le dernier repas pris par Notre Seigneur Jésus-Christ avec ses Apôtres la veille de sa mort sur la Croix.

Un sacrifice chrétien ?

Un dictionnaire catholique du début du XXe siècle donne une définition beaucoup plus simple et aussi plus exacte. La messe, « c’est le sacrifice chrétien. »[3] Puis, elle ajoute aussitôt qu’elle est « l’oblation pure », c’est-à-dire « une action de faire une offrande qui a un caractère de sacrifice »[4]. La messe est alors « le sacrifice du corps et du sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’Il offre Lui-même par le ministère du prêtre, sur l’autel, à Dieu […] d’une façon mystique et non sanglante, avec les mêmes intentions que celles qu’Il eut en s’offrant en victime sur la Croix pour tout le genre humain »[5]. Elle ne consiste donc plus à rappeler un événement historique mais bien de le renouveler d’une manière spéciale.

La Sainte Messe selon l’enseignement du Concile de Trente

La définition précédente reprend en fait l’enseignement du Concile de Trente (1547), qui distingue clairement les deux sacrifices de Notre Seigneur Jésus-Christ, l’un unique et sanglant, l’autre renouvelable et non-sanglant. « Dans de divin sacrifice qui s’accomplit à la messe, ce même Christ est contenu et immolé de manière non sanglante, Lui qui s’est offert une fois pour toutes de manière sanglante sur l’autel de la croix »[6]. Le même concile souligne que « ce sacrifice est propitiatoire », c’est-à-dire qu’il a pour but de remettre nos péchés. Finalement, « c’est le même qui, s’offrant maintenant par le ministère des prêtres, s’est offert alors lui-même sur la croix, la manière de s’offrir étant la seule différence. »

Ainsi, dans la Sainte Messe, est offert un sacrifice véritable, réel, visible. Elle ne se réduit pas à un simple souvenir du sacrifice de la croix. Elle n’a non plus pour but de rassembler la communauté des fidèles dans un repas fraternel. Elle n’est pas enfin un simple acte de cette même communauté. Le concile de Trente condamne toutes ces idées réductrices de la Sainte Messe

« Recevez, ô Père céleste, Dieu éternel et tout-puissant, cette hostie sans tâche que moi, votre indigne serviteur, je vous offre à vous, qui êtes mon Dieu vivant et véritable, pour mes péchés, mes offenses et mes négligences sans nombre, pour tous ceux qui qui sont ici présents et pour tous les fidèles vivants et morts, afin qu’elle serve à mon  salut et au leur pour la vie éternelle. Ainsi soit-il. »[7]

L’objet du sacrifice est Notre Seigneur Jésus-Christ, réellement présent sous les espèces du pain et du vin après la consécration au cours de laquelle toute la substance du pain et du vin se change en véritables corps et sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce changement est appelé « transubstantiation ». C’est pourquoi l’Eglise parle de « présence réelle ». 

Celui qui accomplit le sacrifice est aussi Notre Seigneur Jésus-Christ par le ministère des prêtres qui en quelques sortes ne servent que d’instruments. Ainsi, Notre Seigneur Jésus-Christ est présent dans le sacrifice de la messe en la personne du ministre et sous les espèces eucharistiques.

Enfin, c’est lors de la double consécration qu’a lieu le sacrifice non sanglant. Pour qu’elle ait lieu, il est requis le ministre compétent, les paroles de la consécration et l’intention de celui qui dit les paroles indépendamment des fidèles qui y assistent.

La messe selon Luther

Luther s’oppose fermement à la doctrine de la Sainte Messe telle qu’elle est enseignée par l’Eglise en son temps. Il la caractérise comme un véritable scandale, un abominable sacrilège.

Luther considère en effet que les prêtres ont développé une sorte de rite sacrificiel païen par lequel nous serions censés fléchir Dieu en notre faveur et acquérir à ses yeux un certain mérite. Il rejette donc l’idée de toute sacrifice propitiatoire. Sa position correspond à sa doctrine selon laquelle tout homme n’a aucun pouvoir pour mériter son salut. La justification n’est opérée que par la grâce seule. Il est donc inutile d’offrir un sacrifice à Dieu pour expier ses fautes et obtenir le salut. L’idée d’un sacrifice propitiation est même impie…

En outre, pour Luther, il n’y a qu’un seul sacrifice, celui de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la Croix, qu’il est impossible de répéter. Néanmoins, toujours selon ses propos, la messe peut être appelée un sacrifice dans la mesure où Notre Seigneur Jésus-Christ se sacrifie pour nous au ciel et qu’Il nous sacrifie avec lui. « Par notre louange, notre prière et notre sacrifice, nous incitions le Christ et lui donnions un motif pour qu’il se sacrifie lui-même pour nous au ciel et qu’il nous sacrifie avec lui. »  En outre, c’est par la foi que le croyant exerce son sacerdoce. Le prêtre n’exerce donc aucun ministère. Il préside l’assemblée et l’anime.  Le culte est enfin l’œuvre de la communauté rassemblée. La messe dite en privée, c’est-à-dire sans fidèle, n’a donc pas de sens.

Luther définit le rôle du culte. Celui-ci consiste à reconnaître que Dieu est le premier artisan de notre salut et à croire en Lui. Il considère donc que le vrai culte, c’est la foi elle-même. Le but de la messe est donc d’instruire les fidèles et de leur rappeler le sacrifice du Calvaire afin de provoquer l’acte intérieur de foi.

Luther ne supprime pas la messe mais il la transforme progressivement pour revenir à « l’institution simple et originelle » de la Cène. Ainsi, ne supportant pas le terme de « messe », il parle de « cène » afin de bien signifier le centre de la cérémonie. Il a donc élaboré une nouvelle célébration, supprimant dans la messe traditionnelle tout ce qui peut rappeler l’idée de sacrifice, distraire les regards et l’attention du fidèle vers « la pure institution du Christ lui-même », c’est-à-dire les vêtements sacerdotaux, les ornements, les chants, les prières et « toute cette mise en scène qui frappe les yeux. » En raison des nouveaux buts à atteindre, la prédication trouve une place prépondérante pendant le culte ainsi que l’usage des langues vernaculaires.

Cependant, Luther croit en la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin. Il ne l’a jamais remise en cause. Mais, au lieu de parler de « transubstantiation », il parle de « substantiation ». Le pain et le vin restent pleinement pain et vin tout en étant pleinement chair et sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. Dans la transubstantiation, toute la substance du pain et celle du vin sont transformées en corps et sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi, dans la Cène, il maintient certaines pratiques comme les agenouillements du communiant, l’usage de la clochette au moment de la consécration et l’élévation des saintes espèces. Ces pratiques seront ensuite supprimées par les luthériens…

La Cène selon Calvin et Zwingli

Calvin abhorre lui-aussi la Sainte Messe qu’il considère comme une idolâtrie mais, contrairement à Luther, il rejette aussi toute idée de présence réelle, c’est-à-dire de réalité physique au travers du pain et du vin. Il parle en fait de « présence spirituelle ». Selon sa conception, au travers de la célébration, Notre Seigneur Jésus-Christ se rend présent par son esprit dans le cœur des fidèles. Cette présence est dite spirituelle parce que c’est par la foi, acte spirituelle, que cette présence s’accomplit. Le pain et le vin ne font que représenter son corps et son sang. Enfin, comme la foi ne vient que par la Sainte Ecriture selon Calvin, la Cène est surtout centrée sur la lecture des textes sacrés en langue vernaculaire.

Zwingli défend aussi l’idée de la présence spirituelle de Notre Seigneur Jésus-Christ dans la vie et le cœur des fidèles qu’exprime la célébration de la Cène grâce à l’action du Saint Esprit. Par conséquent, le pain et le vin ne sont que des signes ou des symboles de son corps et de son sang.

Rupture de culte entre catholiques et protestants

Au XVIe siècle, la messe divise profondément les catholiques et les protestants ainsi que les luthériens, les calvinistes et les disciples de Zwingli. Le sens de la messe et la réalité de la présence réelle sont les deux points qui séparent radicalement les catholiques et les protestants.

Alors que pour l’Eglise, la Sainte Messe est avant tout un sacrifice réel, visible, c’est-à-dire une oblation à offrir à Dieu dans un but propitiatoire et expiatoire, répétant de manière non sanglante le sacrifice de la Croix, la Cène luthérienne ou calviniste est centrée sur la réception, physique ou spirituelle, de Notre Seigneur Jésus-Christ afin d’instruire et d’exciter l’acte de la foi d’où l’importance de la prédication et l’usage des langues vernaculaires. L’objet central de la messe est donc différent selon la conception catholique, luthérienne et calviniste. Or comme les pratiques rituelles ont pour but de signifier ce qu’est la messe et les différentes parties qui la composent, les protestants sont dans l’obligation de faire évoluer la messe traditionnelle. Les modifications sont tellement substantielles qu’elle change même de nom.

Selon la conception protestante, ce n’est que par la foi que se réalise la présence physique ou spirituelle de Notre Seigneur Jésus-Christ lors des cérémonies protestantes. Il ne peut donc y avoir de Cène sans la présence de fidèles. En outre, les pratiques sont orientées vers les sources de cette foi, c’est-à-cire vers la lecture de la Sainte Ecriture et vers la prédication. Or pour la Sainte Messe, le sacrifice ne nécessite qu’un prêtre qui suit les conditions pour qu’elle soit valide. La présence réelle ne dépend pas des fidèles qui y assiste alors que sa réception par la communion dépend de leur état de grâce. Enfin, cette communion n’est qu’une conséquence du sacrifice. Elle n’est pas l’objet même de la messe. C’est pourquoi la communion des fidèles n’est pas une nécessité même si elle peut paraître comme une suite logique. Finalement, l’idée même de la messe induit une conception différente du rôle du prêtre et des fidèles, et donc des pratiques rituelles.

Finalement, en raison de leur divergence doctrinale sur le salut et la justification, les catholiques et les protestants ne peuvent concevoir un même culte qui, justement, exprime ce qu’ils croient. Par conséquent, il est évident que les pratiques rituelles, les gestes, les prières, et tout ce qui entre dans « la mise en scène » demeurent très différentes. Il suffit d’assister à ces cérémonies pour en remarquer les différences substantielles. Finalement si la messe n’est pas un point central de la division entre les catholiques et les protestants, elle est un signe éclatant de leurs divergences doctrinales profondes. Par conséquent, tout œcuménisme est voué à l’échec si elle ne consiste qu’à travailler sur le signe.

Et la nouvelle messe ?

Selon le catéchisme de l’Eglise, « la messe est à la fois et inséparablement le mémorial sacrificiel dans lequel se perpétue le sacrifice de la foi, et le banquet sacré de la communion au Corps et au Sang du Seigneur. »[8] Mais rajoute-i-il aussitôt, la cérémonie est orientée vers l’union du fidèle au Christ par la communion sans être néanmoins obligatoire et nécessaire pour la sainte messe.

De nos jours, nombreux sont les catholiques qui ne voit dans la Sainte Messe que « le banquet sacré », oubliant le sacrifice qui lui est inséparable. Il est difficile de leur jeter la pierre quand les évolutions qui ont conduit à nouvelle messe tendent à effacer les signes du sacrifice et à mettre en exergue les aspects du banquet. Ce n’est pas un hasard si désormais, au lieu d’employer le mot « autel », celui de « table » est préféré, ou que dans l’explication de la nouvelle messe, le mot « sacrifice » n’est plus employé.

Nous pouvons trouver d’autres définitions encore plus troublantes qui exclut même toute idée de sacrifice. « La messe est une réunion des chrétiens au cours de laquelle on partage la Parole de Dieu et on célèbre l’eucharistie. »[9] La répartition de la nouvelle messe en deux parties, la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, semble confirmer cette définition erronée, voire condamnable, puisque l’idée même qu’elle s’agit d’un sacrifice n’est plus rappelé. La disparition de l’« offertoire », qui, justement souligne dans la messe traditionnelle l’aspect sacrificiel de la Sainte Messe, tend encore à réduire cette idée. En outre, en cherchant davantage la participation des fidèles, la pratique rituelle est davantage tournée vers eux. Toutes ces nouvelles orientations impliquent nécessairement une représentation plus faible du sacré et donc de la présence divine. Il suffit d’assister à une messe de Paul VI pour constater rapidement cette absence. Nous pouvons donc comprendre sans difficulté que cette conception de la messe et la pratique rituelle qui en résulte puisse fait l’objet de trouble et de dissensions au sein des catholiques. L’anarchie de la liturgie qui a accompagné la réforme liturgique n’a fait qu’accentuer la division…

Conclusions

En raison de leurs doctrines, les différents mouvements protestants ont mis en place un nouveau culte qui les sépare encore plus des catholiques. Signe de leur croyance, la Cène est différente substantiellement de la Sainte Messe. La loi de la foi établit ainsi la loi de la liturgie. Il ne peut donc y avoir unité des chrétiens dans le culte si la foi n’est pas une. Le retour de l’unité passe nécessairement par un retour à la foi sans chercher vainement à unir les chrétiens dans le même culte.

Or, en 1969, l’institution de la nouvelle messe fait évoluer le sens de la messe pour insister davantage sur l’Eucharistie au détriment de l’idée de sacrifice au point que de nos jours, l’idée de sacrifice n’est plus qu’un vague souvenir. Bien plus tard, le catéchisme de l’Eglise catholique a donné une définition de la messe qui diffère celle du Concile de Trente, l’orientant davantage vers le « banquet sacré », alors que le deuxième Concile de Vatican n’a demandé aucun changement substantiel de la Sainte Messe. Les définitions qui fleurissent ici et là au sein de l’Eglise vont même à l’encontre de la doctrine du Concile de Trente. La loi de la liturgie finit ainsi par établir la loi de la foi. C’est pourquoi encore aujourd’hui la nouvelle messe fait l’objet d’une division au sein des catholiques, non pas par un attachement nostalgique ou par un sentiment de piété quelconque, mais en raison même de la doctrine qui fonde les évolutions, doctrine qu’aucun concile n’a proposée, bien au contraire. Le refus de voir ces changements doctrinaux ne permet pas alors d’identifier les causes de la crise actuelle et par conséquent de les résoudre. Une meilleure connaissance de la Sainte Messe et une clarification de ce qu’elle est permettraient déjà d’éviter des confusions malheureuses et des erreurs afin de retrouver le véritable sens du culte chrétien.

 

 

 

Notes et références

[1] Larousse de poche, mot « messe », 2003, Larousse.

[2] Vocabulaire historique du christianisme, mot « messe », 2004, Armand Colin.

[3] Boulenger, Dictionnaire de culture religieuse et catéchistique, article « messe », Imprimerie Jacques et Démontrond, 1938.

[4] Boulenger, Dictionnaire de culture religieuse et catéchistique, article « oblation ».

[5] Boulenger, Dictionnaire de culture religieuse et catéchistique, article « oblation ».

[6] Concile de Trente, 22ème session, Doctrine et canon sur le sacrifice de la messe, chapitre 2, 17 septembre 1562, Denzinger 1743.

[7] Prière Suscipe de l’Offertoire de la messe traditionnelle,  Missel  1962.

[8] Catéchisme de l’Eglise catholique, 2ème partie, 2ème section, chapitre Ier, article 3, chapitre VI, n°1382, vatican.va.

[9] Père Yves Combeau, « La messe, qu’est-ce que c’est ? », 30 août 2022, lejourduseigneur.com.

samedi 4 mars 2023

La Sainte Messe au cœur de l'Église : la mise en œuvre de la constitution Sacrosanctum Concilium, fidélité ou déviation ?

Le 4 décembre 1963, lors du deuxième concile de Vatican (1962-1965), le pape Paul VI promulgue solennellement la constitution Sacrosanctum Concilium qui définit les principes et les normes d’une restauration de la liturgie[1]. La réforme qu’elle veut mettre en place doit à la fois préserver la « sainte tradition » et favoriser l’ouverture au « progrès légitime » afin de favoriser la participation « consciente, active, fructueuse » des fidèles. Tous les domaines de la liturgie, y compris le calendrier, doivent faire l’objet d’une évolution selon le principe de la stricte nécessité et du besoin d’adaptation aux réalités de notre temps.

Adoptée à l’unanimité, la constitution ouvre donc la voie à une réforme de la sainte messe. Désormais, nous allons tourner vers sa mise en œuvre au travers de textes officiels qui instituent progressivement une nouvelle messe. Notre article ne porte ni sur les changements proprement dits ni sur leurs impacts dans les domaines liturgique et théologique …

Le Consilium

Le 25 janvier 1964, par le motu proprio Sacram liturgiam, est institué un organisme spécifique, le Consilium, « qui aura pour premier rôle de veiller à ce que les prescriptions de la Constitution sur la liturgie soient saintement appliquées. »[2] Il devra réviser l’ensemble des livres liturgiques en usage dans l’Eglise conformément aux demandes du deuxième concile de Vatican. Le même document précise les modalités de changement, en rappelant que « la réglementation de la liturgie est du seul ressort de l’Eglise, c’est-à-dire de ce Siège apostolique et, conformément au droit des évêques. En conséquence, il n’est permis à personne d’autre, fût-il prêtre, d’ajouter, retrancher ou changer quoi que ce soit en matière de liturgie »[3]. Présidé par le cardinal Lercaro puis par le cardinal Gut, archevêque de Boulogne, il est surtout animé par le lazariste Annibale Bugnini.

Annibale Bugnini (1912-1982) est le grand artisan de la réforme liturgique. En 1948, le pape Pie XII le nomme secrétaire de la commission pour la réforme liturgique destinée à proposer des améliorations de la liturgie selon l’encyclique Mediator Dei, qui encourage les recherches en matière de liturgie. Cette commission réforme la discipline du jeûne eucharistique, les cérémonies de la Semaine Sainte ainsi que les rubriques et le bréviaire. Puis, en 1959, pour préparer le deuxième concile du Vatican, il est nommé secrétaire de la commission conciliaire en charge de l’élaboration du schéma préparatoire sur la liturgie, c’est-à-dire le texte destiné à être soumis aux pères conciliaires. En 1963, devenu le théologien personnel du pape Paul VI, il prend la présidence de la commission spéciale pour la réforme de la liturgie. Bugnini peut donc être considéré comme le véritable maître d’œuvre de la réforme liturgique.

Le Consilium est constitué de membres permanents qui ont droit de délibération et de consulteurs chargés de préparer les travaux. De nombreux consulteurs proviennent du Mouvement liturgique, que Dom Lambert Beaudun a créé en 1909. Ce mouvement souhaite développer un programme de renouveau pour la liturgie qui se veut théologique, liturgique et pastoral.

1964 - Les premières étapes de la réforme liturgique

La réforme liturgique s’est réalisée par étape au travers de décrets que publie le Consilium en accord avec la Sacrée Congrégation des rites.

En septembre 1964, le Consilium publie l’instruction Inter oecumenici pour l’exécution de la constitution sur la liturgie afin que « la liturgie corresponde toujours plus parfaitement à l’esprit du Concile qui est de faciliter la participation active des fidèles ». Il met en place une formation à la liturgie dans les séminaires et les maisons d’étude des religieux ainsi que les assemblées territoriales d’évêques chargées de mettre en application la constitution. L’instruction apporte aussi des modifications dans la liturgie en supprimant des gestes et prières. Elle autorise surtout l’usage de la langue vernaculaire[4] dans de nombreuses parties de la messe. Elle donne la possibilité aux fidèles de recevoir des fonctions dans la célébration comme la lecture de l’Épître et de chanter des prières, autrefois dites à voix basse par le prêtre. Dans un chapitre consacré à la conservation de l’Eucharistie, l’instruction autorise enfin la messe face au peuple sans aucune explication. Plus loin, elle demande la modification de l’autel de manière à y célébrer vers le peuple.

En France, en attendant les prescriptions officielles

En janvier 1964, la commission épiscopale pour la liturgie publie une ordonnance pour apporter des modifications à la messe en attendant les prescriptions officielles et sans aller contre « l’esprit de la constitution Sacrosanctum Concilium ». L’’épiscopat français propose d’ajouter des commentaires aux différentes parties de la messe et demande de ne pas supprimer les fonctions que pouvaient tenir les laïcs avant le deuxième concile de Vatican, notamment la lecture de l’Épître, ce qui n’était pas conforme à la messe traditionnelle. Il les autorise à la commenter durant la célébration, à introduire les lectures et les chants afin de s’acquitter d’un « véritable ministère liturgique »[5].

En novembre 1964, une troisième ordonnance[6] modifie encore la messe tout en soulignant que ces modifications ont un caractère limité pour éviter les décisions qui préjugeraient de la réforme générale actuellement en étude. La « prière universelle » est ainsi introduite à la messe. « Les fidèles prient aux intentions de l’Eglise et du monde. » L’ordonnance définit la langue française comme langue liturgique, qui peut être « largement introduite dans la messe » sans en être une obligation. Son usage est réservé aux messes chantées ou lues avec « présence du peuple ». L’ordonnance souhaite que les modifications soient apportées résolument mais par étape et selon une progression jugée la meilleure. Enfin, elle annonce « une réforme plus fondamentale ».

Le 20 juillet 1965, de nouvelles directives pratiques de la commission épiscopale de liturgie[7] définit une nouvelle disposition des églises puisque « la réforme liturgique ne peut se limiter à quelques changements dans la teneur des textes lus par le ministre, ou dans les gestes des célébrants. » Elle « transforme la relation entre le célébrant et les fidèles. » Il précise qu’elle donne « la primauté aux changements de mentalité ». Elle nécessite une nouvelle répartition des acteurs, « quoique profondément traditionnelle ». Le texte en appelle néanmoins à la prudence, à ne pas « vouloir faire du neuf à tout prix ». Par ailleurs, les fidèles qui accepteront « de bon ou de mauvais gré » devront y être préparés par « l’éducation pastorale ».

1965 - Une messe de transition

En janvier 1965, un décret[8] du Saint Siège institue une première réforme du rite par la publication d’un nouvel Ordo Missae ainsi que dans les exposés[9] qui lui sont joints. L’Ordo Missae décrit la cérémonie de manière synthétique quand les exposés définissent en détail les rites à observer dans la célébration de la messe.

Le décret apporte trois grandes innovations. D’abord, il divise la messe en deux parties bien distinctesz, y compris pour le lieu de la célébration : la liturgie de la parole au siège ou à l’ambon, et la liturgie de l’Eucharistie à l’autel, de sorte que le prêtre ne se rend à l’autel que pour la seconde partie. La liturgie de la parole est bien différente de la partie équivalente de la messe traditionnelle. La deuxième innovation porte sur la façon de dire les prières. Des prières autrefois récitées en privée par le prêtre sont désormais proclamées par le célébrant ou chantées par l’assemblée des fidèles. Elles sont dites en langues vernaculaires. Enfin, troisième grande innovation, il est permis au prêtre d’adapter la liturgie parmi des choix possibles sans néanmoins définir de critères. Le Notre Père peut ainsi être chanté ou récité selon sa convenance.

Enfin, notons plusieurs autres nouveautés : l’institution de la prière universelle, l’autorisation de dire la messe face aux fidèles, de communier sous les deux espèces, et de communier debout. Les gestes sont simplifiés par la suppression d’encensements, de génuflexions, de signements et de baisers sur l’autel. Les lectures de l’Épître et de l’Évangile se font aussi face à l’assemblée.

Cependant, malgré les modifications importantes, le nouvel Ordo Missae est présenté comme un « rituel de transition »[10] entre la liturgie du Concile de Trente et celle du deuxième concile du Vatican.

1967 - La « messe normative », première version de la nouvelle messe

Le 4 mai 1967, le Consilium publie une deuxième instruction, intitulée Tres abhinc annos, pour la juste application de la Constitution sur la Liturgie. La principale innovation porte sur le canon, c’est-à-dire la partie la plus sacrée de la messe. Dans la messe traditionnelle, elle est dite en latin par le prêtre à voix basse. Rompant avec cette discipline, l’instruction donne la possibilité au prêtre de réciter le canon à haute voix. « Le prêtre peut, lorsque cela est opportun, réciter le canon à haute voix. » En outre, il peut être dit en langue vernaculaire.

Le 14 octobre 1967, une nouvelle messe, dite « messe normative », est présentée aux évêques réunis à Rome en synode. Elle supprime de nombreuses prières comme le Kyrie, le Gloria et l’Offertoire. Sont aussi supprimés l’intercession des saints, le souvenir des âmes du purgatoire, l’offrande personnelle du prêtre. Elle modifie enfin les paroles de la consécration. En outre, seule la langue vernaculaire est utilisée. La présentation de la « messe normative » provoque « une vive opposition », « de nombreuses » et « substantielles réserves »[11]. Sur 187 votants, elle obtient en effet 71 votes positifs, 47 votes négatifs, 62 réserves, 2 abstentions.

1969 - La constitution apostolique Missale Romanum

Le 3 avril 1969, Paul VI publie la constitution apostolique Missale Romanum promulguant le Missel romain « restauré par décret du deuxième concile du Vatican »[12].

La constitution commence par montrer les bienfaits qu’a apportés l’ancien Missel romain promulgué en 1570 en application du concile de Trente. Cependant, elle rajoute que le renouveau liturgique « a montré clairement que les formules du Missel romain devait être révisées et enrichies. »[13] La constitution rappelle alors trois des différents objectifs de la constitution Sacrosanctum Concilium : une manifestation plus claire et ordonnée des différentes parties de la messe, une plus grande « participation pieuse et active des fidèles » et une plus grande ouverture aux textes bibliques. La préface du Missel romain rajoute qu’elle doit confirmer l’harmonie de prière dans l’Eglise et la faire résonner dans un esprit nouveau.

L’instruction précise que la révision du Missel romain n’a pas été faite à l’improviste. Elle s’appuie sur les richesses doctrinales et spirituelles des sources liturgiques les plus anciennes, découvertes et publiées, et sur la liturgie orientale, ou encore, selon la préface du Missel romain, sur « les progrès que la science liturgique a effectué durant les quatre derniers siècles ». Dans une audience du 19 novembre 1969[14], Paul VI rappelle que la réforme « n’est pas l’improvisation d’un amateur » mais que « c’est une loi pensée par les spécialistes autorisées de la sainte Liturgie, longtemps discutée et étudiée ».

La nouvelle messe selon la constitution apostolique Missale Romanum

La nouvelle messe comprend une ouverture tout-à-fait nouvelle constituée d’une introduction et d’une préparation pénitentielle de réconciliation, suivie d’un Kyrie et d’un Gloria, auxquels s’ajoutent des chants aux choix. La première partie constitue la liturgie de la Parole comprenant trois textes de la Sainte Écriture énoncés en langue vernaculaire. Elle s’achève par la prière universelle que prononcent des laïcs au pupitre, sous une forme libre ou selon des propositions de formulaires. La partie appelée Offertoire dans la messe traditionnelle a été supprimée.

La seconde partie forme la liturgie eucharistique. La constitution précise qu’elle est « l’innovation majeure »[15]. Elle rappelle en effet que la prière de consécration, appelée dans le texte « la règle de l’action sacrée », est demeurée invariable dans le rite romain contrairement aux liturgies orientales. Elle propose désormais un choix entre quatre prières, « puisées à l’antique tradition ou nouvellement composées ».

Les modifications apportées par les différents décrets et institutions sont reprises. Des antiennes et des oraisons ont été supprimées ou modifiées. Des prières dites autrefois par le prêtre sont désormais acclamées par des fidèles. Contrairement à la messe traditionnelle, il existe de nombreuses prescriptions de choix possibles pour le célébrant, y compris pour le Credo.

Le dernier changement que nous voulons évoquer est la quasi-absence du terme de « sacrifice » dans le Missel romain de 1969. Le titre même de la troisième partie traite de la célébration eucharistique alors que dans la messe traditionnelle, elle désignait le sacrifice.

1969 - La communion à la main

Enfin, finissons notre parcours par un dernier texte, l’instruction Memoriale Domini[16], du 29 mai 1969, qui traite de la communion à la main. Elle nous informe que la réception de l’Eucharistie a été modifiée au cours du temps. Ainsi, « les fidèles ont pu autrefois recevoir cet aliment divin dans la main et porter eux-mêmes dans la bouche » alors que dans la messe traditionnelle, le célébrant le met directement dans la bouche du fidèle. Elle souligne que « les prescriptions de l’Eglise attestent abondamment le très profond respect et les très grandes précautions qui entouraient la sainte Eucharistie ». Cependant, elle constate que la communion à la main est déjà pratiquée dans certaines églises « bien que le Saint Siège n’ait pas encore donné l’autorisation » et « sans que les fidèles y aient été préparés convenablement. »

L’instruction nous informe que les évêques ont été interrogés sur la pertinence de modifier la pratique de la communion et sur le choix d’une communion à la main. « Une forte majorité estime que rien ne doit être changé à la discipline actuelle et que si on la changeait cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles. »

Par conséquent, le Saint Siège décide de maintenir la distribution traditionnelle de la Sainte Communion, par un prêtre et sur la bouche du fidèle. Cependant, « là où s’est déjà introduit un usage différent – celui de déposer la Sainte Communion à la main », l’instruction l’autorise sous condition de maintenir le respect dû à la sainte Eucharistie. Pour établir cet usage, elle en définit les modalités : vote à la majorité des deux tiers par la conférence épiscopale suivie de l’autorisation du Saint Siège.

Enfin, dans une lettre jointe à la constitution, la Sacrée Congrégation pour le culte divin autorise les évêques de France de distribuer la Sainte Communion dans la main des fidèles « à condition que soient évités toute occasion de surprise de la part des fidèles et tout danger d’irrévérence envers l’Eucharistie. » En outre, cet usage n’exclut pas la pratique traditionnelle. « En effet, les deux manières de communier peuvent coexister sans difficulté dans la même action liturgique. »

1969 - Les déclarations de Paul VI

Avant d’achever notre parcours, écoutons le pape Paul VI. Dans une audience générale datant du 26 novembre 1969[17], Paul VI nous demande de bien prendre conscience des nouveautés qu’apporte la nouvelle messe : « nous voulons encore une fois vous inviter à réfléchir sur cette nouveauté que constitue le nouveau rite de la Messe […] Nouveau rite de la Messe ! C’est là un changement qui affecte une vénérable tradition multiséculaire… » Plus loin dans son discours, Paul VI nous parle même de « grave changement ». Dans une précédente allocution datée 19 novembre, il nous demande même de ne pas dire « nouvelle messe » mais plutôt « temps nouveau ».

Paul VI nous prévient que les changements nous dérangeront comme toutes les nouveautés qui changent nos habitudes. Mais précise-t-il, ils amèneront les fidèles « à sortir de leurs petites dévotions personnelles ou de leur assoupissement habituel. » Et par ailleurs, note-t-il, qui fait attention aux gestes et paroles tant nous y sommes habitués ? Les personnes pieuses qui « avaient leur façon respectable de suivre la messe […] se sentiront maintenant privées de leurs pensées habituelles et obligées d’en suivre d’autres. » …

Le premier motif de ces changements, selon toujours Paul VI, est l’obéissance au concile et donc aux évêques qui doivent interpréter et exécuter ses prescriptions. Il évoque aussi le pouvoir des prêtres qui secondent les évêques. « La prière de l’Eglise », nous dit-il, « trouve son expression la plus autorisée dans l’évêques, et donc dans les prêtres qui le secondent dans son ministère. »

Autre motif de changement, Paul VI évoque l’idée d’une mutation de l’Eglise, du souffle de l’Esprit Saint qui « l’oblige à renouveler l’art mystérieux de la prière » afin d’ « associer d’une façon plus intime et efficace l’assemblée des fidèles aux rites officiels de la messe, tant ceux de la Parole de Dieu que ceux du sacrifice eucharistique. » Il ne s’agit de les « associer » au rite lui-même en raison de leur « sacerdoce royal ».

Paul VI rappelle ensuite les changements, dont le principal réside pour lui dans l’usage de la langue vernaculaire comme langue principale de la messe. Pourtant, il est bien conscient de ce lourd sacrifice qu’est demandé aux fidèles, de la perte de la « langue angélique » ou « cette admirable et incomparable richesse artistique et spirituelle qu’est le chant grégorien » ! Mais, « la compréhension de la prière est plus précieuse que les vétustes vêtements de soie dont elle s’est royalement parée. » C’est donc en raison de la participation des fidèles qu’il est nécessaire de traduire les prières en langue intelligible. Néanmoins seront gardés en latin des chants, la profession de foi et l’oraison dominicale.

Paul VI finit son allocution en rappelant que « la messe a fondamentalement gardé sa ligne traditionnelle, non seulement dans son sens théologique, mais aussi dans son sens spirituel ». Le sens en sera même enrichi pour une plus grande simplicité de la cérémonie, la variété et l’abondance des textes, par des silences qui « soulignent le caractère plus profond du rite », par l’action combinée des différents ministres… De même dans son allocution du 19 novembre, il rappelle que « rien n’est changée dans la substance de notre messe traditionnelle. »

Désobéissance à la constitution Sacrosanctum Concilium ?

De 1964 à 1969, la sainte messe a ainsi fait l’objet de nombreuses évolutions. Nous avons suivi les différentes étapes qui ont conduit à la transformer véritablement. Nous pouvons au moins en tirer trois leçons…

Nous pouvons d’abord être surpris d’un profond décalage entre les principes et normes que définit la constitution Sacrosanctum Consilium et les modifications apportées à la messe traditionnelle, la dépassant sur plusieurs points. L’un des objectifs du deuxième concile de Vatican est de faciliter la participation des fidèles mais avec prudence et selon le principe de la nécessité par une restauration de la messe. Or, que reste-t-il de la messe traditionnelle ? Etait-il nécessaire de changer la formule de consécration invariable depuis des siècles et de la réciter à haute voix en langue vernaculaire, la faisant ainsi perdre son caractère sacré ? Alors que la constitution maintient le latin comme langue liturgique tout en autorisant l’usage de la langue vernaculaire de manière limitée, le latin a en pratique quasiment disparu. La communion à la main ou encore la messe face aux fidèles, pratiques d’abord non autorisées devenues normes, étaient-ils aussi une nécessité ?

En outre, que disent les auteurs de la nouvelle messe ? Il suffit de les entendre pour comprendre que les changements mis en œuvre sont « graves » et qu’ils répondent à un « esprit nouveau ». Pourtant, les mêmes acteurs nous disent que la messe reste traditionnelle dans ses lignes, qu’ils ne cessent de suivre les objectifs de la constitution Sacrosanctum Concilium

Une anarchie liturgique ?

La deuxième leçon que nous pouvons tirer de ce parcours est le manque de contrôle des changements de la part du Saint Siège. En France, sans attendre les textes du Saint Siège, la conférence épiscopale met déjà en œuvre d’importantes innovations. L’instruction Memoriale Domini et d’autres textes nous informent aussi que des changements ont été établis dans la messe sans aucune autorisation des autorités compétentes au point qu’ils finissent par les autoriser. Le Saint Siège semble finalement subir ce qui se produit dans certains pays alors qu’il est bien conscient que les fidèles n’ont pas été préparés aux différentes évolutions.

Il est vrai que les textes incitent aux changements et aux expériences. La nouvelle messe accorde aussi au célébrant de nombreuses initiatives et une souplesse dans les choix sans pourtant en déterminer des critères. La sainte messe dépend finalement du choix du célébrant. C’est ainsi que contrairement aux volontés du deuxième concile de Vatican, les messes sont différentes non seulement entre diocèses voisins mais aussi entre deux églises dans une même ville…

Participation extérieure contre recueillement ?

Enfin, la dernière leçon que nous pouvons retenir est la rapidité, voire l’empressement, qui accompagne les évolutions alors que tous sont conscients des dérangements qu’ils vont provoquer chez les fidèles. Les fidèles subissent finalement de nombreuses et profonds changements. Les mots de Paul VI résonnent alors étrangement. Ils leur demandent de sortir de leurs habitudes, de leur « assoupissement » et de leur « dévotion personnelle » pour les accepter. Là réside non seulement une maladresse, qui peut être ressentie comme du mépris, notamment pour ceux qui sont sincèrement attachés à la messe traditionnelle, mais surtout une contradiction. Comment est-il possible de faciliter la participation des fidèles à la messe quand ils doivent subir en eux-mêmes et si rapidement autant de changements et de contrariétés au point de les ébranler ? Il est alors naturel que ces évolutions fassent l’objet de réticences et d’opposition sans même évoquer les questions théologiques et liturgiques qu’ils soulèvent…

Conclusions

Depuis 1964, contrairement aux préconisations du deuxième concile de Vatican, la sainte messe a fait l’objet de profonds changements, jugés comme fondamentaux par leurs auteurs eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’une restauration. Si des innovations l’ont bouleversée au gré des expériences sans autorisation des autorités compétentes, le Saint Siège a aussi œuvré pour la transformer fondamentalement au gré d’un « esprit nouveau ». Il n’a pas mis en œuvre une « réforme liturgique » mais une véritable révolution. Or, « l’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. »[18]

Le résultat des changements est hélas bien connu. Le temps fait en effet entendre sa leçon. Au lieu de participer davantage à la sainte messe, beaucoup de fidèles ont finalement quitté les églises, ne supportant plus les modifications qui leur sont infligées au mépris d’eux-mêmes. La pratique était certes déjà en baisse mais les changements n’ont pas freiné cette évolution, bien au contraire. Désormais, cette baisse est vertigineuse. En dépit du mépris et des obstacles qu’ils ont subis, et l’intransigeance qui a accompagné les changements, des prêtres et des fidèles ont persisté à suivre la messe traditionnelle, qui, de nos jours, attire davantage la jeunesse …

En 2001, le Saint Siège a publié une cinquième instruction pour la correcte application de la constitution Sacrosanctum Concilium sur la sainte liturgie du concile de Vatican II. En 2004, un nouveau document liste « les abus, même très graves, contre la nature de la Liturgie et des sacrements, et aussi contre la tradition et l’autorité de l’Eglise, qui, à notre époque, affligent fréquemment les célébrations liturgiques dans tel et tel milieu ecclésial. » Selon le cardinal Ratzinger, futur pape Benoit XVI, « la réforme liturgique, dans sa réalisation concrète, s’est éloignée toujours davantage de cette origine »[19], c’est-à-dire de la nature première du mouvement liturgique. « Le résultat n’a pas été une réanimation mais une dévastation. » Il dénonce ceux qui ont fabriqué une liturgie au lieu de la faire croître. « À place de la liturgie fruit d’un développement continu, on a mis une liturgie fabriquée », au gré des modes, de la bêtise humaine, de la médiocrité…

 

 

 Notes et références

[1] Voir Emeraude, février 2023, article « La sainte messe au cœur de l’Eglise : la constitution Sacrosanctum Concilium, une tentative de restauration liturgique ».

[2] Paul VI, Motu Proprio Sacram Liturgiam, ordonnant l’entrée en vigueur de certaines prescriptions de la Constitution sur la liturgie, 25 janvier 1964.

[3] Paul VI, Motu Proprio Sacram Liturgiam, n°11.

[4] La langue vernaculaire est la langue parlée.

[5] Commission épiscopale de liturgie, Directives pratiques proposées aux évêques, n°2, janvier 1964.

[6] Commission épiscopale de liturgie, Directives pratiques de la commission épiscopale de Liturgie, novembre 1964.

[7] Commission épiscopale de liturgie, Directives pratiques sur le renouveau liturgique et la disposition des églises, 20 juillet 1965.

[8] Concilium et Congrégation des Rites, décret portant sur Ordo Missae : Ritus sevandus et De defectibus, janvier 1965.

[9] Ce sont les « Ritus servandus in celebratione Missae » et « De defectibus in celebratione Missae occurrentibus ».

[10] Père Journel, Les rites de la messe en 1965, Desclée, 1965. Père Journel est une des personnalités du mouvement liturgique et du Centre National de Pastoral Liturgique.

[11] Cardinal Ottaviani, préfet de la Congrégation de la Foi, et cardinal Bacci, Lettre à Paul VI, Bref examen critique de la Nouvelle Messe, 1969.

[12] Paul VI, Constitution apostolique Missale romanum, 3 avril 1969, liturgie.catholique.fr.

[13] Paul VI, Constitution apostolique Missale romanum, 2.

[14] Paul VI, Audience aux diocèses d’Italie, le 19 novembre 1969.

[15] Paul VI, Constitution apostolique Missale romanum, 6.

[16] Sacrée Congrégation pour le culte divin, Instruction Memoriale Domini regardant l’autorisation de recevoir la Sainte Communion dans la main, là où cet usage s’était déjà introduite, suivie de la lettre « en réponse à la demande », rédigée en langue française et adressée aux Evêques de France, 29 mai 1969.

[17]  Paul VI, Audience générale, le 26 novembre 1969, publié dans l’Observatore Romano du 27 novembre. Voir le texte en italien sur vatican.va.

[18] Benoit XVI, Lettre aux évêques qui accompagne la lettre apostolique « Motu Proptio Data » Summorum Pontificum, sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970, 7 juillet 2007.

[19] Cardinal Ratzinger, préface, La réforme liturgique en question, Mgr Klaus Gambier, traduction Simone Wallon, éditions Sainte-Madeleine, 1992.Audience aux diocèses d’Italie, le 19 novembre 1969.

[15] Paul VI, Constitution apostolique Missale romanum, 6.

[16] Sacrée Congrégation pour le culte divin, Instruction Memoriale Domini regardant l’autorisation de recevoir la Sainte Communion dans la main, là où cet usage s’était déjà introduite, suivie de la lettre « en réponse à la demande », rédigée en langue française et adressée aux Evêques de France, 29 mai 1969.

[17] Paul VI, Audience générale, le 26 novembre 1969, publié dans l’Observatore Romano du 27 novembre. Voir le texte en italien sur vatican.va.

[18] Benoit XVI, Lettre aux évêques qui accompagne la lettre apostolique « Motu Proptio Data » Summorum Pontificum, sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970, 7 juillet 2007.

[19] Cardinal Ratzinger, préface, La réforme liturgique en question, Mgr Klaus Gambier, traduction Simone Wallon, éditions Sainte-Madeleine, 1992.