Le
XIXe est un siècle de révolutions. Sous un ciel nuageux, sur les eaux
tranquilles, elles se sont lentement formées au cours des siècles précédents, se
propageant et s’intensifiant au fur et à mesure des années. Et soudain, comme une
tornade qui tarde à venir, elles finissent par surgir et par bouleverser le
monde jusqu’à nos jours. Déployant une énergie hors de commun, dans des
hurlements assourdissants, elles ont emporté les plus faibles et brisé les plus
résistants. Aucun aspect de la société n’a été à l’abri de leurs rugissements
et de leurs coups terribles. Un terrible déchainement de feu et de sang a
décimé des royaumes et des empires millénaires.

La politique, la science, la
technologie, la philosophie, l’art, l’économie, … Qui a pu s’en échapper ?
La vie quotidienne, celle qui compte finalement et ouvre l’avenir, en a été
profondément transformée au point qu’en deux siècles, la nôtre n’est plus celle
de nos aïeuls. Un paysan ou un artisan du XVIIIe siècle, reconnaîtraient-ils le
monde dans lequel nous travaillons ? Un philosophe du siècle des Lumières le
comprendrait-il ? L’église au centre du village ou la cathédrale au cœur
des villes ne sont plus que des vestiges qu’on admire ou un patrimoine qu’on
veut préserver. La vie réside ailleurs... Et, toujours aussi virulentes, ne cessant
pas de sévir, sans-cesse nourries, elles poursuivent encore leurs ravages,
faisant reculer les limites du possible et de l’imaginable.
Désormais, en peu d’années, la société change rapidement de visage. En des
délais toujours plus court, elle devient méconnaissable. L’homme à peine né est
déjà dépassé…

Au
XIXe siècle, une autre civilisation, dite moderne, apparaît et se développe avec fracas. Le terme de « modernité »
ne renvoie pas uniquement aux immenses progrès, notamment scientifiques et
technologiques, que l’homme a accomplis en si peu de temps. Il désigne aussi un
ensemble de mouvements de pensées et d’idées, de conceptions et de systèmes
philosophiques, parmi lesquels nous pouvons citer le naturalisme, le
rationalisme et le libéralisme ou encore le socialisme et le communisme sans
oublier l’anarchisme et le nihilisme. Ces différents mouvements ou idéologies
se caractérisent par la volonté de ne pas dépendre de Dieu ou par un refus de
Dieu au profit d’une souveraineté absolue de l’homme. C’est ainsi que forte de
cet esprit, une civilisation nouvelle s’est construite, marquée par l’absence
du divin et centrée sur l’homme, ou encore caractérisée par de nouvelles
libertés, par les libertés dites modernes…

Les
libertés modernes n’ont pas laissé des catholiques indifférents. Certains
d’entre eux ont cherché à les introduire dans l’Église et à redéfinir le
christianisme selon les principes de la civilisation moderne quand d’autres les
ont combattues avec intransigeance, refusant toute compromission, toute
tolérance. Les premiers, ce sont les libéraux catholiques, les seconds, les intransigeants.
Depuis le XIXe siècle, ces deux courants se sont opposés au sein de l’Église,
l’un dominant parfois l’autre. Or, certaines idées, théories ou idéologies
modernes s’avèrent être incompatibles à l’enseignement de l’Église comme l’a
rappelé le bienheureux Pie IX dans son célèbre Syllabus,
dans lequel il dénonce clairement leurs erreurs. Dans son dernier article, il anathématise
tous ceux qui professent que « le
souverain Pontife peut et doit se réconcilier et se mettre en harmonie avec le
progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. »

De
nombreuses voix se sont élevées et s’élèvent encore pour accuser l’Église de refuser la modernité. Au sein même de l’Église, relativisant les
condamnations de Pie IX, des libéraux catholiques ont persisté dans leur volonté
d’adapter l’Église à la société moderne. De nos jours, elles raillent sur son
incapacité à s’adapter au nouveau monde ou encore son attachement à un passé
qui n’est plus. Ses positions en terme de morale sont ainsi vivement décriées.
L’opinion publique s’insurge contre son refus de ce qui lui paraît aujourd’hui
normales comme l’avortement, l’homosexualité ou l’idéologie du genre. Elle lui
reproche de ne pas songer aux intérêts de la société et de défendre une position
qu’elle n’a plus, de défendre sa propre gloire. Comme au temps du paganisme,
elle l’accuse d’être l’ennemie de l’humanité.
Finalement, à
la fin du XIXe siècle, conscient du danger que représente le libéralisme
catholique, le pape Léon XIII s’est exprimé à plusieurs reprises pour rappeler
à son tour l’enseignement de l’Église sur le cœur du problème que soulève la
« modernité », c’est-à-dire
sur les « libertés modernes ».
Nous allons donc l’entendre dans le cadre de notre étude apologétique…
Le
pape Léon XIII, un pape des temps modernes
Le
cardinal Pecci est élu pape le 20 février 1878 sous le nom de Léon XIII
(1878-1903). Il succède au bienheureux Pie IX. Son long pontificat est
particulièrement fécond dans de nombreux domaines. Il est surtout connu pour la
doctrine sociale qui constitue encore une référence pour l’Église. Elle a été
définie par l’encyclique Rerum Novarum (15 mai 1891), dans
laquelle elle précise un ensemble de principes tout en rejetant les idéologies
modernes comme le marxisme et le libéralisme économique. Pour répondre aux
défis intellectuels de son époque et faire face aux critiques, il relance les études thomistes
et stimule les études bibliques.
Il encourage également la piété des fidèles envers l’Eucharistie et le
Sacré-Cœur, et approfondit la dévotion mariale, notamment par le biais du
rosaire et du scapulaire. Il rappelle enfin l’enseignement de l’Église en
matière de politique, notamment sur l’origine du pouvoir civil.

Pour
de nombreux historiens, Léon XIII apparaît comme « un pape des temps modernes ». Réputé pour son sens des
réalités contemporaines, « il a
compris que ces temps avaient leurs exigences, leurs problèmes, et un certain
caractère irrémédiable auquel il fallait remédier. »
Conscient des problèmes de son époque, auxquels est aussi confrontée l’Église, et
comme le dira le pape Benoît XVI,
Léon XIII a fait face aux grandes questions que soulève la modernité tout en
restant fidèle à l’enseignement de l’Église. Il a ainsi guidé et soutenu les
catholiques. C'est pourquoi son long pontificat d’un quart de siècle est considéré
comme « un des règnes les plus
féconds […] de l’histoire. »
Un
pape engagé contre les erreurs modernes

Il
est classique d’opposer le pontificat de Léon XIII à celui de son prédécesseur,
le bienheureux Pie IX. Alors que le second est jugé comme conservateur,
fermement opposé aux idées de son temps, au travers notamment de l’encyclique Quanta
Cura et du Syllabus,
le premier est présenté comme plus ouvert à la modernité. L’un témoignerait le
raidissement de l’Église quand l’autre serait plutôt le symbole de l’adaptation
et de l’ouverture. Léon XIII est ainsi parfois décrit comme le pape qui a osé accepter le monde moderne. Un tel
schéma ne tient guère devant les faits historiques. Comme Pie IX, Léon XIII a
fermement et clairement condamné les erreurs de son temps, telles que le
marxisme, le socialisme, le libéralisme, etc. Fort de son érudition et de son
expérience, il précise même davantage leurs principes et souligne leur
incompatibilité avec le christianisme. Et dès le début de son pontificat, il
engage contre les erreurs modernes un véritable combat, dont les enjeux sont
clairement définis dans sa première encyclique, des enjeux d’ordre
civilisationnel. Il veut en effet rejeter « cette sorte de civilisation qui répugne, au contraire, aux saintes
doctrines et aux lois de l’Église », et qui « n’est autre chose qu’une fausse civilisation
et doit être considérée comme un vain nom sans réalité. »
Une
fausse notion de la liberté au cœur des maux de la société moderne
Dans
ses encycliques, Léon XIII aborde souvent le thème de la liberté. Rappelons
que, depuis septembre 1870, Rome et ses territoires sont occupés par les armées
du roi Victor-Emmanuel II au profit de l’unité de l’Italie. Le pape n’est donc plus
souverain. Vivant comme un captif, il s’affirme comme prisonnier du Vatican. La
perte de son pouvoir temporel lui est pourtant nécessaire pour la pleine
liberté du pouvoir spirituel…
Léon XIII traite en effet souvent de la liberté
telle qu’elle est conçue par l’esprit moderne. Dans sa première encyclique, il définit
comme un des maux de la société moderne la « liberté effrénée d’enseigner et de publier tout ce qui est mal »
ou encore « la propagation effrénée
des erreurs », qu’« on ne
doit pas saluer du nom de liberté ».
Dans une autre dédiée au mariage, il constate qu’« en ce moment, les esprits sont avides d’une liberté sans frein et
secouent avec une abominable audace le joug de toute autorité ».
Dans celle portant sur l’origine du pouvoir civil, il revient plus longuement
sur cette volonté de se soustraire à toute autorité et dénonce de nouveau
« cette licence sans frein en dehors
de laquelle beaucoup ne savent plus voir de vraies libertés. »
Aux archevêques et évêques de Bavière, qui résistent au Kulturkampf, Léon XIII
rappelle qu’« on ne peut
raisonnablement appeler liberté ce qui conduit et disperse les opinions
jusqu’au caprice et à la fantaisie, bien plus, à une licence perverse, à une
science fausse et menteuse qui est le déshonneur de l’esprit et une vraie
servitude. »
Ainsi, Léon XIII revient souvent sur la fausse notion de liberté « qui, de nos temps, dégénère en licence ».
Pour connaître la vraie nature de la vérité, il nous renvoie à l’enseignement
de Saint Thomas d’Aquin. À cette fausse liberté, il oppose celle des enfants de
Dieu et des chrétiens. Par ailleurs, il défend à plusieurs reprises la liberté
de l’Église menacée de toute part, notamment en France et en Allemagne.

Léon
XIII dénonce alors ceux qui « se
donnent l’apparence de défenseurs […] de
la liberté »
ou ceux qui « ont toujours à la
bouche les mots de liberté »
ou encore « ces maîtres de mensonge
qui promettent la liberté tandis qu’eux-mêmes sont les esclaves de la
corruption. »
Il accuse notamment ceux qui, en France, « foule aux pieds les plus élémentaires notions de liberté »
au moment où l’État combat l’Église.
Notons
enfin que Léon XIII ne se préoccupe pas uniquement de la liberté psychologique
et morale. Il se préoccupe aussi de la liberté physique et sociale en prenant
en compte l’esclavage classique, toujours en œuvre à la fin du XIXe siècle ou
encore de l’esclavage moderne.
L’encyclique
Immortale Dei (1er novembre 1885)
Dans
son encyclique Immortale Dei, Léon XIII traite plus longuement des différentes
libertés que défendent la société moderne et qui s’opposent à la véritable
notion de la liberté. Ce sont les « libertés
modernes »,
c’est-à-dire la liberté de conscience, la liberté religieuse et la liberté
d’expression, au sein de l’État. Il en présente les erreurs et leurs conséquences.

Les
libertés modernes se fondent sur des principes nouveaux, en particulier la
souveraineté de l’homme. « Tous les
hommes, dès lors qu’ils sont de même race et de même nature, sont semblables,
et, par le fait, égaux entre eux dans la pratique de la vie ; chacun
relève si bien de lui seul, qu’il n’est d’aucune façon soumis à l’autorité
d’autrui »[ID], et par conséquent, qu’« il peut en toute liberté penser sur toute chose ce qu’il veut, faire ce
qui lui plaît ; personne n’a le droit de commander aux autres. »
[ID] Ainsi, « l’autorité publique
n’est que la volonté du peuple »[ID]. Mais celui-ci lui délègue la
fonction du pouvoir pour l’exercer en son nom. L’autorité ne relève donc plus
toute entière de Dieu. « Il s’ensuit
que l’État ne se croit lié à aucune obligation envers Dieu » et que
« chacun sera libre de se faire juge
de toute question religieuse, chacun sera libre d’embrasser la religion qu’il
préfère, ou de n’en suivre aucune si aucune ne lui agrée. De là découlent
nécessairement la liberté sans frein de toute conscience, la liberté absolue d’adorer ou de ne pas adorer Dieu, la
licence sans bornes et de penser et de publier ses pensées. »[ID]
De
ces « libertés modernes »
découlent l’indifférentisme religieuse au niveau de l’État. Par conséquent,
l’État ne reconnaît plus la religion catholique, son Église et ses lois.
« La religion catholique est mise
dans l’État sur le pied d’égalité, ou même d’infériorité, avec des sociétés qui
lui sont étrangères. »[ID] Elle est considérée comme une association
identique aux autres, dépendante de l’État. Cette situation politique s’inscrit
dans la volonté des gouvernements de « chasser
l’Église de la société »[ID] et de réduire à néant ses droits. La
conséquence religieuse de cet indifférentisme est de favoriser l’athéisme
puisque toutes les religions et tous les cultes apparaissent comme égaux. Car
« relativement à la religion, penser
qu’il est indifférent qu’elle ait des formes disparates et contraires équivaut
simplement n’en vouloir ni choisir, ni suivre aucune. »[ID]
Enfin,
la liberté d’expression « n’est pas
de soi un bien dont la société ait à se féliciter ; mais c’est plutôt la
source et l’origine de beaucoup de maux. »[ID] Elle dénature la
liberté, qui, « doit s’appliquer à
ce qui est vrai et à ce qui est bon. »[ID] Si elle s’applique
indifféremment à la vérité et à l’erreur, au bien et au mal, l’intelligence et
la volonté n’atteignent plus leur fin. Elle détourne les âmes de la vérité et
favorise au contraire la licence et les actions coupables. « L’État s’écarte donc des règles et des
prescriptions de la nature »[ID].
Finalement,
par ses libertés modernes, l’État favorise une « liberté de perdition »,
comme l’appelle Saint Augustin, une liberté opposée à la raison. Elle est
finalement une véritable servitude.
L’encyclique
Libertas Praestantissum du 20 juin 1888
Lorsqu’il
dénonce les maux de la société contemporaine et leurs causes, Léon XIII revient
ainsi systématiquement sur la notion erronée de la liberté sans oublier ceux
qui la défendent et la professent. Cette insistance n’est pas anodine. Elle
révèle un caractère fondamental de la société moderne que l’Église ne peut guère
accepter. C’est pourquoi « pour le
bien de l’Église et le salut commun des hommes » et « afin de réfuter […] les opinions erronées et fallacieuses », Léon XIII lui dédie
une encyclique, intitulée Libertas Praestantissum. En outre,
malgré l’encyclique Immortale Dei, « beaucoup
s’obstinent à voir dans ces libertés, même en ce qu’elles ont de vicieux, la
plus belle gloire de notre époque et le fondement nécessaire des constitutions
politiques »,
Léon XIII décide d’être encore plus clair et plus ferme en dédiant une
encyclique aux libertés modernes.
La
nécessité de connaître la véritable notion de la liberté
L’encyclique
Libertas
Praestantissum revient sur un élément essentiel de notre foi, à savoir
que Notre Seigneur Jésus-Christ a libéré l’homme de son antique esclavage, a
restauré et accru l’ancienne dignité de sa nature. Or, « la liberté, bien excellent de la nature et
apanage exclusif des êtres doués d’intelligence ou de raison, confère à l’homme
une dignité en vertu de laquelle il est mis entre les mains de son conseil et
devient le maître de ses actes. » Effectivement, la liberté n’a pas de
sens pour les autres êtres vivants. Elle n’est possible que pour celui qui peut
choisir et décider, c’est-à-dire pour l’homme. Elle nécessite en effet une
intelligence et une volonté. Cela n’est pas sans conséquence pour son bonheur.
Selon ses choix, il peut soit « parvenir
à sa fin suprême », soit « courir
à une perte volontaire. » Ainsi, « de l’usage de la liberté naissent les plus grands maux comme les plus
grands biens ».
C’est
ainsi que, conformément à la mission que Notre Seigneur Jésus-Christ lui a
confiée, l’Église a toujours été soucieuse d’étendre la liberté chez les
hommes. Pourtant, « on compte un
grand nombre d’hommes qui croient que l’Église est l’adversaire de la liberté
humaine ». Cette accusation est erronée. Elle s’explique par « l’idée défectueuse […] que l’on se fait de la liberté »,
par altération ou par exagération. Or, comment est-il possible de bien user de
liberté si on ignore ce qu’elle est ?
Comme
nous l’avons déjà évoqué,
la liberté peut porter sur trois domaines : physique, morale et
psychologique. L’encyclique Libertas Praestantissum traite de
« la liberté morale considérée soit
dans les individus soit dans la société ». Cependant, elle n’oublie
pas la liberté psychologique, dite encore naturelle, puisqu’elle est « la source et le principe d’où toute espèce
de liberté découle d’elle-même et comme naturellement. »
La
liberté naturelle, une faculté spécifiquement humaine
La
liberté naturelle, appelée aussi libre arbitre, est propre aux hommes. Nous
sommes dotés d’une raison contrairement aux animaux qui n’obéissent qu’à leurs
sens et ne sont poussés que par leurs instincts. Et, « à l’égard des biens de ce monde », la raison « donne à la volonté le pouvoir d’option pour
choisir ce qui lui plaît. » Par notre âme, qui « comprend, par sa pensée, les raisons
immuables du vrai et du bien », l’homme reconnaît que ces biens
particuliers ne sont pas nécessaires. Ses actes n’étant pas déterminés, il est libre de les choisir. Or, « celui
qui a la faculté de choisir une chose entre plusieurs autres, celui-là est
maître de ses actes. ». Ainsi, contrairement aux animaux, l’homme est
responsable de ses actes. « La
liberté n’est pas autre chose que la faculté de choisir entre les moyens qui
conduisent à un but déterminé. »
Puisque
nous agissons pour obtenir un bien, ou dit autrement, que le bien agit sur
notre appétit afin que nous agissions, la liberté naturelle ou le libre-arbitre
est « le propre de la volonté ».
Mais notre volonté ne peut se mouvoir si elle n’est pas d’abord éclairée par
notre raison. Ainsi, le bien que nous désirons est nécessairement le bien en
tant que connu par la raison. En outre, tout choix est précédé d’un jugement
sur la vérité des biens et sur la préférence que nous devons accorder à l’un
d’eux sur les autres. Or, « juger
est de la raison, non de la volonté. » Par conséquent, « étant admis que la liberté réside dans la volonté, laquelle est de sa nature un appétit
obéissant à la raison, il s’ensuit qu’elle-même, comme la volonté, a pour objet
un bien conforme à la raison. »
Or,
n’étant pas parfaites, la raison et la volonté peuvent se tromper. Le bien que
propose l’intelligence à la volonté peut n’être qu’un bien en apparence, c’est-à-dire
« un bien faux et trompeur ».
S’y attacher constitue « un défaut
de liberté », ou encore « la
corruption et l’abus de la liberté » puisque la volonté se meut vers
un bien qui n’en est pas un. En outre, si la volonté n’obéit pas à la raison,
ou que nous agissons contre la raison, nous n’agissons pas par nous-mêmes mais
comme par une impulsion étrangère. C’est pourquoi, selon Saint Thomas d’Aquin,
« la faculté de pécher n’est pas une
liberté, mais une servitude. » Ou encore, « celui qui commet le péché est esclave du péché. » (Jean, VIII, 34)
La
liberté a besoin de la loi

En
raison des faiblesses de notre raison et de notre volonté, et pour nous aider à
nous mouvoir vers le bien et à nous détourner du mal afin de bien user de notre
liberté naturelle, il nous est nécessaire de disposer d’une règle de ce qu’il
faut faire ou ne pas faire, c’est-à-dire d’une loi. Celle-ci définit « non seulement ce qui est bien en soi ou ce
qui est mal, mais aussi ce qui est bon et, par conséquent, à réaliser, ou ce
qui est mal et, par conséquent, à éviter. » C’est ce que doit aussi
définir notre raison. Ainsi, « cette
ordination de la raison, voilà ce qu’on appelle la loi. » Il
est donc absurde de croire que l’homme, étant libre par nature, doit être
exempté de toute loi. Au contraire, c’est parce qu’il est libre par nature
qu’il a nécessairement besoin de la loi. Un animal n’a pas besoin de loi
puisqu’il agit par nécessité, sous l’impulsion de la nature. Finalement,
« c’est la loi qui guide l’homme
dans ses actions et c’est elle aussi qui, par la sanction des récompenses et
des peines, l’attire à bien faire et le détourne du péché. »
« Telle est, à la tête de toute, la loi naturelle qui est écrite et gravée
dans le cœur de chaque homme, car elle est la raison même de l’homme, lui
ordonnant de bien faire et lui interdisant de pécher. »
Une
loi qui n’est pas autre chose que la loi éternelle
Mais
cette « ordination de la raison »
ne peut avoir force de loi si elle n’est pas prescrite par une raison qui nous
est supérieure, à laquelle nous devons obéissance. Toute loi repose en effet
sur une autorité, c’est-à-dire sur « un
pouvoir véritablement capable d’établir ces devoirs et de définir ces droits,
capable aussi de sanctionner ses ordres par des peines et des récompenses. »
Évidemment, cette autorité ne peut résider dans l’homme. Il ne peut se donner à
lui-même la règle de ses propres actes. « Il suit donc de là que la loi naturelle n’est autre chose que la loi
éternelle, gravée chez les êtres doués de raison et les inclinant vers
l’acte et la fin qui leur conviennent, et celle-ci n’est elle-même que la
raison éternelle du Dieu créateur et modérateur du monde. »
Dieu
peut aussi directement éclairer notre intelligence et guider notre volonté, la
raffermir et la fortifier pour que nous puissions exercer plus facilement et
sûrement notre liberté naturelle. Il est faux de croire que cette grâce divine
remette en cause notre liberté naturelle puisque, émanant de Dieu Lui-même, de
notre propre créateur, elle est « merveilleusement
et naturellement apte à conserver toutes les natures individuelles et à garder
à chacune son caractère, son action, son énergie. »
La
liberté au sein de la société
« Ce qui vient d’être dit de la liberté des
individus, il est facile de l’appliquer aux hommes qu’unit entre eux la société
civile » en attribuant le rôle de la raison et de la loi naturelle à « la loi humaine promulguée pour le bien
commun des citoyens ». Cependant, parmi ce qui est prescrit ou
interdit, se trouvent des commandements naturels qui ne tirent pas leur origine
de la société puisqu’ils lui sont antérieurs et qu’ils doivent être rattachés à
la loi naturelle et donc à la loi éternelle. Au sein de la société, « l’office di législateur civil se borne à
obtenir, au moyen d’une discipline commune, l’obéissance des citoyens, en
punissant les méchants et les vicieux, dans le but de les détourner du mal et
de les ramener au bien, ou du moins de les empêcher de blesser la société et de
lui être nuisible. » Les autres commandements découlent de la loi
naturelle et précisent ses applications.
« Donc, dans une société d’hommes, la liberté
digne de ce nom ne consiste pas à faire tout ce qui nous plaît : ce serait
dans l’État une confusion extrême, un trouble qui aboutirait à
l’oppression ; la liberté consiste en ce que, par le secours des lois
civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi
éternelle. » Si une prescription d’un pouvoir quelconque s’oppose aux
principes de la droite raison et avec les intérêts du bien public, elle
n’aurait aucune force de loi comme le rappelle Saint Augustin, « parce que ce ne serait pas une règle de
justice et qu’elle écarterait les hommes du bien pour lequel la société a été
formée. »
Finalement,
« par sa nature donc et sous quelque
aspect qu’on la considère, soit dans les individus, soit dans les sociétés, et
chez les supérieurs non moins que chez les subordonnés, la liberté humain
nécessite d’obéir à une règle suprême et éternelle ; et cette règle n’est
autre que l’autorité de Dieu nous imposant ses commandements ou ses
défenses ; autorité souverainement juste, qui, loin de détruire ou de
diminuer en aucune sorte la liberté des hommes , ne fait que la protéger et
l’amener à sa perfection, car la vraie perfection de l’être, c’est de
poursuivre et d’atteindre sa fin ; or, la fin suprême vers laquelle doit
aspirer la liberté humaine, c’est Dieu. »
La
liberté selon le libéralisme et ses conséquences
Mais,
nombreux sont ceux qui « entendent
par le nom de liberté, ce qui n’est qu’une pure et absurde licence. »
Ce sont les « Libéraux »,
qui « appliquent dans les mœurs et
la pratique de la vie les principes posés par les partisans du Naturalisme »,
c’est-à-dire « la domination
souveraine de la raison humaine, qui, refusant l’obéissance due à la raison
divine et éternelle, et prétendant ne relever que d’elle-même, ne reconnaît
qu’elle-seule pour principe suprême, source et juge de la vérité. »
Refusant la souveraineté de Dieu et sa loi éternelle, ils conçoivent une morale
dite indépendante, qui, « sous
l’apparence de la liberté, détournant la volonté de l’observation des divins
préceptes, conduit l’homme à une licence illimitée. »
Léon
XIII définit les conséquences de la doctrine libérale au niveau communautaire
ou social et individuel. Au niveau individuel, « si l’on fait dépendre du jugement de la seule et unique raison humaine
le bien et le mal, on supprime la différence propre entre le bien et le
mal ; […] ce qui plaît sera permis. » Une telle doctrine morale
sera bien impuissante à freiner et à empêcher les passions humaines ou tout
mouvement désordonné de l’âme. Nous en déduisons finalement les
conséquences : « l’accès à
toutes les corruptions de la vie. »
Au
niveau social, du refus de se soumettre à la volonté de Dieu, il est aisé de conclure
que « la cause efficience de la
communauté civile et de la société doit être cherchée, non pas dans un principe
extérieur ou supérieur à l’homme, mais dans la libre volonté de chacun ».
Par conséquent, ce que la raison individuelle est pour l’individu, c’est-à-dire
la loi qui règle sa vie, la raison collective doit l’être pour la société. Et
finalement, la loi du grand nombre crée le devoir et le droit.
En
refusant la souveraineté de Dieu sur la société et sur l’homme, « il est naturel que la société n’ait plus de
religion, et tout ce qui touche à la religion devient dès lors l’objet de la
plus complète indifférence. » En outre, sans le lien de la conscience,
seule la force pourra contenir les passions populaires. Mais elle serait bien
insuffisante pour la contenir. Finalement, une telle doctrine est source de
désordre et de trouble au détriment de la vraie liberté.
Différents
degrés de libéralisme
Conscients
qu’une telle liberté la corrompe finalement et ouvre droit à la licence, des
libéraux ne veulent point aller à de tels excès. Ils souhaitent donc que la
liberté soit dirigée par la droite raison et qu’elle soit soumise au droit
naturel et à la loi divine et éternelle sans néanmoins accepter celles qui ne
serait pas inspirées par cette même raison naturelle. Or une telle doctrine est
contradictoire. Est-il en effet cohérent de vouloir obéir à la volonté de Dieu
tout en voulant mettre des bornes à sa souveraineté de Dieu ? Si la raison
humaine veut déterminer les droits de Dieu et ses devoirs à elle, leurs limites
ainsi que leurs conditions, cela revient finalement à n’obéir qu’à soi-même.
« Le respect des lois divines aura
chez elle plus d’apparence que de réalité, et son jugement vaudra plus que
l’autorité et la Providence divine. »
Pour
d’autres libéraux, les lois divines doivent régler la vie des individus mais
non celle des États. Celui-ci peut légiférer sans en tenir compte, ce qui
conduit notamment à la séparation de l’Église et de l’État. Or, « la société donne aux citoyens les moyens et les facilités de passer la
vie […] selon les lois de Dieu ».
Comment cela serait-il possible si l’État se désintéresse de ces lois ou même
aller contre elles ? Les gouvernements doivent agir non seulement pour les
biens extérieurs de l’individu mais aussi et surtout ceux de l’âme. En fait,
une telle doctrine n'est pas réaliste : « le pouvoir civil et le pouvoir sacré, bien
que n’ayant pas le même but et ne marchant pas par les mêmes chemins, doivent
pourtant, dans l’accomplissement de leurs fonctions, se rencontrer quelques
fois l’un et l’autre. » Car ils exercent leur autorité sur les mêmes
objets. Leur séparation est donc absurde et conduirait nécessairement à des
conflits funestes aux individus.
Léon
XIII montre ainsi que les doctrines qui tentent de réduire les effets du
libéralisme sont finalement absurdes. Car le vice du libéralisme ne réside pas
dans l’application du principe du libéralisme mais dans le principe lui-même.
La
liberté religieuse

La
vertu de religion est, « parmi tous
les devoirs de l’homme, le plus grand et le plus saint, celui qui ordonne à
l’homme de rendre à Dieu un culte de piété et de religion », puisque
l’homme est sous la dépendance de Dieu et que sa fin est Dieu. En outre, aucune
vertu morale ne peut exister sans la religion puisque la véritable vertu doit
le conduire à sa fin, c’est-à-dire au bien suprême, c’est-à-dire à Dieu. Or,
quelle religion doit-il suivre si ce n’est celle qu’Il a lui-même prescrite et
qui est facile de reconnaître grâce à des « signes externes par lesquels la divine Providence a voulu la rendre
reconnaissable » ? La liberté a donc pour objectif de permettre à
chacun de la suivre. Or, la liberté telle que propose l’esprit moderne donne
« le pouvoir de dénaturer impunément
le plus saint des devoirs, de le déserter, abandonnant le bien immuable pour se
tourner vers le mal » C’est pourquoi elle n’est plus la liberté mais
« une dépravation de la liberté et
une servitude de l’âme sans l’abjection du péché. »
Selon
toujours l’esprit moderne, l’État doit être indifférent à la religion, même si
le peuple est catholique. Cela signifie qu’il ne veut remplir aucun devoir
envers Dieu. Or, « la réunion des hommes en société »
est « l’œuvre de la volonté de Dieu »
La société civile doit Le reconnaître comme son principe et son auteur, et, par
conséquent « rendre à sa puissance
et à son autorité l’hommage de son culte. » En outre, la puissance
publique a pour raison d’être de répondre aux besoins de la communauté et pour
objectif de conduire les citoyens à la prospérité de la vie terrestre ainsi que
de leur « accroître la faculté d’atteindre
ce bien suprême et souverain dans lequel consiste l’éternelle félicité des
hommes, ce qui devient impossible sans la religion. » Il est donc
nécessaire de professer une religion dans la société et celle qui est la seule
et vraie religion. Il est du devoir du chef de l’État de la protéger et de la
défendre. Un État ne doit pas être athée.
De
plus, la religion est utile pour les gouvernants comme pour les gouvernés.
Celle-ci « impose avec une très
grave autorité aux princes l’obligation de ne point oublier leurs devoirs, de
ne point commander avec injustice ou dureté, et de conduire les peuples avec
bonté et presque avec un amour paternel. » Elle recommande aux
citoyens la soumission à l’égard des autorités comme à des représentants de
Dieu, les unissant aux chefs de l’État par les liens de l’obéissance, du
respect et de l’amour. Elle fait croître les bonnes mœurs qui favorisent la
liberté, la prospérité et la puissance d’une nation comme en témoignent
l’histoire et la raison.
La
liberté d’expression
Une
liberté d’expression sans tempérance et mesure n’est pas un droit. « Il serait absurde de croire qu’elle
appartient naturellement, et sans distinction ni discernement, à la vérité et
au mensonge, au bien et au mal. » Le mensonge et le vice ne peuvent
être propagés sans nuire à l’esprit, au cœur et aux mœurs. Pour « la multitude ignorante », ils
deviennent une oppression, contre les faibles, une violence. « Il est juste que l’autorités publique emploie
à les réprimer avec sollicitude,
afin d’empêcher le mal de s’étendre pour la ruine de la société. » Et
en raison des subtilités de la dialectique, surtout lorsque celle-ci flatte les
passions, « la plus nombreuse de la
population ne peut en aucune façon, ou ne peut qu’avec une très grande
difficulté se tenir en garde. » La liberté d’expression a pour
conséquence la domination des erreurs les plus pernicieuses et les plus
perverses. « Tout ce que la licence
y gagne, la liberté le perd. »
Cependant,
sur « les matières libres que Dieu a
laissées aux disputes des hommes », chacun est libre de se former une
opinion et de l’exprimer librement. Elle est même utile pour rechercher et
connaître la vérité.
La
liberté d’enseignement
Portant
toujours son regard sur le bien de l’âme, l’encyclique définit la fin de
l’enseignement qu’est d’élever l’esprit à la vérité : « l'enseignement ne doit avoir pour objet que
des choses vraies, et cela qu'il s'adresse aux ignorants ou aux savants, afin
qu'il apporte aux uns la connaissance du vrai, que dans les autres, il
l'affermisse. » Par conséquent, l’enseignant doit « extirper l’erreur des esprits » et
les protéger des fausses opinions. Ainsi, il est contraire à la raison de
défendre la liberté de l’enseignement, laissant à chacun le droit d’enseigner
des choses à sa guise, surtout lorsque nous connaissons le poids de l’autorité à l’égard de ses
élèves. Afin d’éviter « que l'art de
l'enseignement puisse impunément devenir un instrument de corruption »,
la liberté d’enseignement doit être encadrée.
« La
vérité […] doit être l’objet unique de l’enseignement ». Il existe
deux sortes de vérités : la vérité surnaturelle et la vérité naturelle. Ce
sont deux trésors qu’il faut préserver de la corruption. La première est
révélée par Dieu lui-même quand les secondes proviennent de la raison et constitue« le commun patrimoine
du genre humain » et sur laquelle repose les mœurs, la justice, la
religion ainsi que la société.
L’encyclique
rappelle le rôle bénéfique de l’Église dans la recherche, le progrès et
l’enseignement de la science. Dans les « matières qui n'ont pas
une connexion nécessaire avec la doctrine de la foi et des mœurs chrétiennes »,
l’Église laisse toute liberté aux savants.
La
liberté de conscience
La
liberté de conscience peut être entendue selon deux sens, la première
correspondant à la liberté religieuse, la seconde au « droit de suivre, d'après la conscience de
son devoir, la volonté de Dieu, et d'accomplir ses préceptes sans que rien
puisse l'en empêcher. » Quand l’encyclique parle de liberté de
conscience, elle ne retient que ce dernier sens. L’Église la défend absolument,
comme elle en a souvent témoigné dans le passé, « cette liberté, la vraie liberté, la liberté digne des enfants de Dieu,
qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine » et
qui « est au-dessus de toute
violence et de toute oppression. » Cette liberté n’est pas contraire
au devoir d’obéissance que nous devons à la puissance publique tant que
celle-ci demeure conforme à la volonté divine et reste dans son périmètre de
responsabilités. C’est pourquoi, en cas de désaccord avec l’autorité, il
est juste de ne pas lui obéir.
De
la tolérance au mal
Cependant,
consciente de la faiblesse des hommes, l’Église tolère certaines choses
contraires à la justice et à la vérité afin d’éviter de plus grands maux,
d’obtenir ou de conserver de plus grands biens. De même, l’État doit aussi
pratiquer cette tolérance. « Néanmoins,
[…], si, en vue du bien commun et pour ce
seul motif, la loi des hommes peut et même doit tolérer le mal, jamais pourtant
elle ne peut ni ne doit l'approuver, ni le vouloir en lui-même, car, étant de
soi la privation du bien, le mal est opposé au bien commun que le législateur
doit vouloir et doit défendre du mieux qu'il peut. » En outre, la
tolérance au mal, qui appartient aux « principes
de prudence politique », doit être limitée afin qu’elle ne soit pas
nuisible au salut publique, qui est sa raison d’être.
De
même, selon cette même prudence et sans s’écarter de sa raison d’être, qui est
le salut des âmes, l’Église peut tolérer des libertés modernes sans néanmoins
les approuver. Car « une chose
demeure toujours vraie, c'est que cette liberté, accordée indifféremment à tous
et pour tous, n'est pas, comme nous l'avons souvent répété, désirable par
elle-même, puisqu'il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes
droits. » Elle a aussi le droit et le devoir de protester contre toute
tolérance excessive sans manquer de patience et de douceur.
Résumé de l’encyclique
Le
principe que souligne l’encyclique et sur lequel repose sa ferme opposition aux
libertés modernes est « que l'homme
doit nécessairement rester tout entier dans une dépendance réelle et incessante
à l'égard de Dieu, et que, par conséquent, il est absolument impossible de
comprendre la liberté de l'homme sans la soumission à Dieu et
l'assujettissement à sa volonté. Nier cette souveraineté de Dieu et refuser de
s'y soumettre, ce n'est pas la liberté, c'est abus de la liberté et révolte ».
Or, « c’est précisément d'une telle
disposition d'âme que constitue et naît le vice capital du Libéralisme. »
C’est pourquoi, quel que soit son degré, l’Église condamne fermement le libéralisme sous toutes ses formes.
Par
conséquent, « il n’est aucunement
permis de demander, de défendre ou d'accorder sans discernement la liberté de
la pensée, de la presse, de l'enseignement, des religions, comme autant de
droits que la nature a conférés à l'homme. Si vraiment la nature les avait
conférés, on aurait le droit de se soustraire à la souveraineté de Dieu, et
nulle loi ne pourrait modérer la liberté humaine. Il suit pareillement que ces
diverses sortes de libertés peuvent, pour de justes causes, être tolérées,
pourvu qu'un juste tempérament les empêche de dégénérer jusqu'à la licence et
au désordre. » Finalement, l’encyclique rappelle le principe selon
laquelle « une liberté ne doit être
réputée légitime qu'en tant qu'elle accroît notre faculté pour le bien ; hors
de là, jamais. »
Mais,
lorsque ces libertés sont en vigueur dans un État, les fidèles doivent en user
pour faire le bien tout « en ayant à
leurs égards les sentiments qu’a l’Église. » Et dans une société où on
laisse toute licence au mal, nous devons chercher le pouvoir de toujours faire
le bien.
Conclusions
Il
peut paraître étrange qu’une société qui se veut guider par la seule raison
soit si déraisonnable. Léon XIII peut aussi paraître un des premiers prophètes
du monde moderne tant la situation qu’il a prévu est là clairement devant nos
yeux. La licence et le mensonge, la corruption des mœurs et de l’esprit, ne
font que s’empirer de jour en jour au détriment du plus grand nombre, bien peu
armé pour s’opposer à la puissance de la parole habile et aux ambitions des
plus forts. Les outils modernes tels les réseaux sociaux ne font qu’amplifier
un phénomène qui n'a pas cessé de s’étendre depuis des générations. Une minorité a toute liberté pour
imposer à tous sa manière de penser et de vivre. Elle est si puissante qu’elle
n’ose plus se cacher pour étendre leurs vices et leurs mensonges. Et pour ceux
qui s’y opposent, peu à peu, leur liberté se voit limitée. Il ne leur est même
plus possible de les condamner sans être victime de la justice des hommes ou de l’opinion…
Mais,
tout cela n’est pas extraordinaire. Tout est simplement cohérent. Les mêmes
causes produisent les mêmes effets. L’homme livré à lui-même ne peut aboutir
qu’à cette sinistre réalité. Ce qui est déraisonnable est justement de ne pas entendre
sa raison et les leçons de son passé. Forte de son histoire et de son expérience,
éclairée par les lumières tant de la raison que de la foi, l’Église connaît
bien l’homme dans toute sa réalité, ses faiblesses et ses forces. Elle ne vit
pas de chimères. Elle ne se nourrit pas de belles utopies. Elle agit dans un
monde réel.
« Les idées développées par le pape et les thèmes abordés, bien que
forcément marqués par leur époque, sont d’une acuité intellectuelle toujours
vivace. »
Léon XIII expose clairement la cause des maux qui nous frappent durement
aujourd’hui. En nous détournant de Dieu, ou en vivant comme s’Il n’existait
pas, il n’y a point d’autres issus que le déclin et le désastre civilisationnel. En mettant l’homme au
centre de la vie, en le désignant comme sa seule fin, il n’y a point non plus
d’autres issus que le désordre et la violence. La liberté sans limite ou pour
elle-même n’a point de sens. Avec de tels principes, la société non plus n’a
plus de raison d’être. C’est une société qui fabrique des esclaves et des fous. La
liberté qu’elle vend, ce n’est pas la liberté qui sauve. C'est une véritable servitude. Car seule la vérité
rend libre …
Ainsi,
il n’est point possible d’accepter les libertés modernes ou de se compromettre
avec ceux qui les professent ou les défendent. Le libéralisme est clairement
inacceptable pour les chrétiens. Nous ne pouvons que tolérer ce mal tout en
cherchant à s’en servir pour faire le bien pour la plus grande gloire de Dieu.
Car finalement, hors de Dieu, que pouvons-nous trouver, sinon la mort ? …